Nous devons prendre les mesures que la situation commande. Elles ne sont en rien des mesures légères. Elles ont des conséquences considérables sur notre vie – dans tous les territoires de notre vie, si j'ose dire. Le Gouvernement, dans ces circonstances, a besoin du Parlement, du contrôle du Parlement et du degré d'exigence dont il fait preuve. Je le dis, car je le sais.
Ce contrôle s'exerce à deux niveaux. Tout d'abord, sur le texte lui-même. Le cadre juridique dont nous débattons est inédit – donc nécessairement perfectible. Le Sénat a proposé que le Gouvernement se présente au moins deux fois devant le Parlement à l'issue de son adoption : deux mois après, pour prolonger l'état d'urgence sanitaire si cela était nécessaire, et un an après pour évaluer avec un recul accru le cadre juridique que nous construisons ici.
Ces rendez-vous sont utiles ; si votre assemblée devait les conserver, le Gouvernement les honorerait dans l'esprit de dialogue et de respect de l'équilibre des pouvoirs auquel j'ai rappelé être évidemment très attaché. Prévoir – dans deux mois puis dans un an – un rendez-vous parlementaire exclusivement consacré à ces questions me semble être une bonne idée.
Le contrôle du Parlement doit aussi s'exercer sur les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui doivent lui être transmises. Toutefois, nous avons avec le Sénat une divergence de vue sur ce point. Le texte adopté par celui-ci prévoit que toutes les mesures prises en application du présent projet de loi seront soumises à ce contrôle.
Le projet de loi comporte quarante-trois habilitations à légiférer par ordonnances. Dès à présent, un travail colossal a été engagé pour faire en sorte que les plus urgentes – une vingtaine – soient examinées en Conseil des ministres dès la semaine prochaine. Un tel délai est très ambitieux et très exigeant. L'efficacité de ce travail suppose que nous puissions nous y consacrer à plein temps, si nous voulons définir très rapidement les solutions garantissant la sécurité juridique de nos concitoyens, dans une période de confinement qui aura des conséquences sur la computation et l'application des délais réglementaires et, plus généralement sur la situation de chacun dans tous les domaines de la vie sociale.
C'est pourquoi nous vous demanderons de resserrer le champ d'application du contrôle parlementaire renforcé aux seules mesures relevant stricto sensu de l'état d'urgence sanitaire, ce qui permettra de surcroît de l'inscrire dans le code de la santé publique et de le mettre en oeuvre systématiquement dès que nécessaire.
Enfin, la troisième conséquence de cette situation urgente et inédite résulte du fait qu'il est véritablement très difficile de dire à l'avance quelles mesures seront nécessaires pour faire face à la crise. Le propre des grandes crises contemporaines est de nous obliger à sortir du cadre, à penser souvent, comme disent les spécialistes, « hors de la boîte » – soit dit afin de ne pas prononcer dans cet hémicycle une expression anglaise qui ferait insulte à la langue française. C'est pourquoi le texte du Gouvernement conférait une portée assez large aux mesures susceptibles d'être prises par décret en cas de déclenchement de l'état d'urgence sanitaire. Je comprends parfaitement les réticences que cela peut provoquer. Nous parlons là de restriction des libertés de circulation, d'entreprise et de réunion.
Jeudi, le Sénat s'est efforcé de dresser une liste limitative des mesures qu'il sera possible de prendre. À l'issue de l'examen du texte en commission, nous avons constaté qu'elle était incomplète, et deux rubriques ont été ajoutées en séance publique. Toutefois, nul ne peut dire si elle est désormais complète. Il sera peut-être délicat de réunir le Parlement en urgence dès qu'un outil manquera.
J'en donnerai quelques exemples. Le texte adopté par le Sénat ne nous permettrait pas – nous ne l'avons pas indiqué lors de son examen, car nous découvrons chaque heure ou presque des questions nouvelles, qu'il faudra parfois régler en intervenant dans le domaine de la loi – , si cela s'avérait nécessaire, d'interdire des déplacements à des fins professionnelles. De même, il ne nous permettrait pas de faire fermer tous les établissements recevant du public. Il n'offre pas davantage la possibilité d'interdire certaines importations, ni surtout certaines exportations, à moins de réquisitionner les produits concernés, ce qui n'est pas exactement la même chose, juridiquement et financièrement.
Ainsi, par la force des choses – non parce que le travail ne sera pas fait, mais parce que la réalité est infiniment complexe – , au fur et à mesure que l'épidémie évolue et que ses conséquences sur notre vie sociale se montrent plus clairement, nous serons tenus de prendre des décisions. C'est pourquoi nous vous demanderons tout à l'heure, mesdames et messieurs les députés, de conserver la possibilité de ne pas s'enfermer dans la liste arrêtée au Sénat et de préserver une forme de clause de compétence générale, qui ne pourrait s'appliquer qu'à des mesures générales à l'exclusion – tel était le sens des observations formulées au Sénat à ce sujet et de celles que certains d'entre vous formuleront sans doute – des décisions d'ordre individuel.
Bien entendu, nous nous cantonnerons à l'objectif de santé publique et de restrictions temporaires que nous nous sommes fixé, à l'exclusion de tout autre, et nous placerons les mesures que nous prendrons sous le contrôle renforcé du juge – par le biais d'un référé sous quarante-huit heures – et du Parlement.
Le titre III du projet de loi est relatif aux mesures d'urgence économique et aux mesures d'adaptation de notre cadre juridique aux conséquences de la propagation du virus. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, la crise sanitaire provoque un choc économique d'une extrême brutalité, en France comme dans le reste du monde. Grâce aux technologies contemporaines, certains de nos concitoyens – environ 8 millions – peuvent recourir au télétravail. Ils continuent, en dépit de la situation qui prévaut, à faire avancer le pays. Je citerai – et saluerai tout particulièrement – nos enseignants, qui assurent la continuité pédagogique à distance – pas toujours, certains d'entre eux contribuant à l'accueil des enfants de soignants. Tous font preuve – je puis en juger dans ma vie familiale – d'une inventivité et d'un engagement admirables.
La vie des entreprises est profondément bouleversée, dans des conditions susceptibles de porter atteinte à la continuité de la vie économique de la nation. Pour des millions de commerçants, de travailleurs indépendants, de salariés, d'intermittents du spectacle, pour des milliers d'entreprises individuelles et de services, sur tout le territoire national, dans l'Hexagone comme en outre-mer, le confinement entraîne une brutale rupture d'activité et place nos concitoyens dans une situation critique.
Les chiffres d'affaires ont chuté de 50 %, voire de 100 % dans de très nombreux secteurs d'activité, notamment le transport aérien, l'hébergement, les activités culturelles et sportives, l'événementiel, la restauration et le commerce de détail non alimentaire. Dès lors, le cadre fixé par le Président de la République est clair : quoi qu'il en coûte, nous soutiendrons nos entreprises et nos emplois, ainsi que les plus vulnérables d'entre nous.
La solidarité nationale jouera son rôle, à tous les niveaux, en limitant les conséquences de la crise sanitaire tant pour les entreprises que pour les particuliers. Notre économie doit et peut surmonter cette épreuve historique. Tous les Français doivent sentir qu'un effort collectif est à l'oeuvre. À cette fin, le titre III comporte les habilitations nécessaires pour prendre par ordonnance les mesures économiques et sociales temporaires que l'urgence impose.
En premier lieu, nous devons prendre de nombreuses mesures économiques, telles que le soutien à la trésorerie des entreprises et une forme de moratoire, pour les très petites entreprises, sur leurs loyers ou leurs factures d'eau et d'électricité. Il faudra aussi adapter temporairement le droit des procédures collectives pour préserver les entreprises les plus touchées.
En deuxième lieu, des mesures de dérogation temporaires au droit du travail sont prévues, s'agissant notamment de la limitation des ruptures de contrat de travail, du recours aux congés payés et des règles relatives au repos des salariés. À cet égard, je souhaite être aussi clair et solennel que possible. Les mesures que nous présentons sont temporaires. Leur application doit être strictement limitée à la période d'urgence sanitaire que nous traversons. Elles ne font pas précédent et ne remettent en aucun cas en cause les fondements de notre démocratie sociale ni notre attachement au dialogue social. Elles ne peuvent pas, c'est évident, dépasser les bornes imposées – à juste titre, d'ailleurs – aux droits nationaux dans le cadre communautaire. Elles ont pour seul et unique objectif de permettre la poursuite du travail et d'endiguer les licenciements massifs ainsi que les faillites de milliers d'entreprises qui ruineraient des millions de Français. Leur application sera contrôlée, de façon à éviter tout abus.
En troisième lieu, nous souhaitons permettre la gouvernance des entreprises, mais aussi des associations et des syndics de copropriété par exemple, en simplifiant la tenue des assemblées générales de toute sorte. À l'heure où le confinement et la maladie compliquent les démarches de nos concitoyens, nous voulons préserver leurs droits, en modifiant ou en suspendant les délais des procédures devant les juridictions civiles, pénales et administratives. Il faudra aussi adapter les règles de procédure pénale pour protéger la santé des professionnels et des justiciables, ainsi que celle des personnes placées sous main de justice.
On voit bien là qu'il serait inouï que le confinement, associé à la règle normale d'application des délais de droit commun, transforme la situation de nos concitoyens, en les privant d'un droit ou en leur faisant bénéficier d'avantages auxquels ils n'auraient pas droit, au simple motif qu'on ne pourrait plus agir comme on le fait en temps normal.
En quatrième lieu, le projet de loi comporte des habilitations visant à faciliter la garde des enfants, ainsi que des mesures visant à protéger les personnes vulnérables – demandeurs d'emploi en fin de droits, bénéficiaires des minima sociaux, personnes en situation de handicap. Nous proposons également de repousser la fin de la trêve hivernale, ce qui permettra de surseoir aux expulsions locatives. Nous avons maintenu ouvertes toutes les places d'hébergement d'urgence et les avons complétées de nouvelles offres destinées aux personnes sans domicile fixe.
Nous serons aux côtés des plus petites entreprises, qui maillent et animent nos territoires. Nous serons aux côtés des travailleurs indépendants comme des autres, en favorisant le recours massif au chômage partiel, qui sera rendu plus protecteur encore. Nous serons là également pour les fleurons de notre industrie. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, pour sauver le tissu productif français, nous n'excluons rien, pas même les nationalisations. Notre pays est tout entier mobilisé.
Toute l'énergie de l'État doit être consacrée à la lutte contre l'épidémie. C'est pourquoi le Président de la République a annoncé que les réformes en cours sont suspendues, notamment l'examen et la mise en oeuvre du système universel de retraite ainsi que l'application de certaines dispositions de la réforme de l'assurance chômage. Au même titre, il a également semblé nécessaire de suspendre, pour la seule période de l'urgence sanitaire, l'application des dispositions relatives au jour de carence, dans le secteur privé comme dans la fonction publique.