Nous sommes heureux d'accueillir, comme nous le faisons chaque mois, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour une audition publique consacrée à l'actualité internationale.
Monsieur le ministre, les sujets que nous pourrons aborder avec vous aujourd'hui ne manquent pas : l'épidémie de coronavirus touche à présent plus de soixante-dix pays ; c'est désormais une crise mondiale, qui appelle des réponses nationales bien sûr, mais aussi européennes et internationales. Nous avons pu visiter hier, avec les membres du bureau, le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères, et constater la très importante mobilisation en faveur de nos compatriotes qui résident et voyagent à l'étranger.
Nous pourrons également évoquer la situation au Liban, en Afghanistan, en Iran, en Irak, en Libye, au Sahel, ainsi que le « plan de paix » américain au Proche-Orient. Mais le sujet majeur qui nous préoccupe aujourd'hui est la crise résultant de la situation à Idlib : c'est un point de tension d'une extrême gravité pour les États de la région, mais aussi pour l'Europe. Le régime de Damas, fort de l'appui aérien de son allié russe, a entrepris la reconquête militaire d'Idlib, l'une des dernières provinces qui échappent encore à sa souveraineté, entraînant la mort de nombreux civils et une nouvelle vague massive de déplacements de population – près d'un million de déplacés se trouveraient à présent pris au piège, à la frontière turco-syrienne.
De son côté, la Turquie, quelques mois après avoir lancé une offensive contre nos alliés kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord-est de la Syrie, confirme sa volonté de s'implanter durablement dans la région d'Idlib et au-delà. Les régimes syrien et russe reprochent à la Turquie de ne pas avoir respecté l'accord de Sotchi concernant le désarmement des groupes radicaux s'y trouvant, en particulier l'ancien Front al-Nosra. Le président Erdogan a donc décidé, le 27 février dernier, d'ouvrir aux réfugiés ses frontières avec l'Union européenne, c'est-à-dire avec la Grèce et la Bulgarie. Il espère ainsi contraindre l'Union à lui apporter son soutien dans le cadre du conflit à Idlib.
Cette instrumentalisation de femmes et d'hommes en souffrance, ce chantage sont tout simplement inacceptables, et les images qui nous sont parvenues de Lesbos ou de la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce ont suscité, à raison, émotion et indignation.
Le président turc ne respecte pas l'accord du 18 mars 2016 conclu avec l'Union européenne, par lequel il s'engageait à prendre en charge sur son propre sol les réfugiés qui s'y trouvaient, en contrepartie d'une facilité financière de 6 milliards d'euros, dont 3,2 milliards ont d'ores et déjà été versés. Rappelons que la Turquie accueille environ 4 millions de réfugiés, essentiellement syriens, mais aussi que le Liban, pays de moins de 7 millions d'habitants, en accueille un million et demi, sans oublier les efforts très importants consentis par la Jordanie.
Nous avons eu, ce matin en commission, un long débat très poussé sur ces questions cruciales. Plusieurs orientations majeures doivent guider à nos yeux l'action de notre pays et de l'Union européenne : il faut répondre à l'urgence humanitaire à Idlib et obtenir un cessez-le-feu. La Turquie comme la Russie doivent entendre notre détermination à l'obtenir ; tous les leviers doivent être utilisés. Nous ne devons pas laisser la Grèce seule en première ligne, comme nous l'avons fait il y a quelques années. L'article 78-3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que s'exerce la solidarité européenne ; il est de notre devoir d'assumer cette obligation. Une aide humanitaire doit être mise en place de toute urgence à la frontière greco-turque et dans les « hotspots » situés sur les îles grecques, en particulier à Lesbos.
Soyons également attentifs à ce qu'il ne soit pas porté atteinte aux fondements mêmes du droit d'asile, les demandes d'enregistrement étant aujourd'hui provisoirement suspendues par les autorités grecques.
Sur l'urgence humanitaire comme sur les voies d'une solution politique, les chefs d'État et de gouvernement européens doivent agir ensemble et de façon déterminée.
Je voudrais, avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, fixer deux rendez-vous : le premier avec vous, le 7 avril prochain après les questions au Gouvernement, pour une séance entière consacrée au projet de loi relatif à la solidarité internationale et à la lutte contre les inégalités mondiales ; le second, le 8 avril, avec Amélie de Montchalin, qui pourra plus précisément évoquer avec nous les questions européennes et, en particulier, celle de la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.