Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

La séance est ouverte à 16 heures 35.

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Nous sommes heureux d'accueillir, comme nous le faisons chaque mois, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour une audition publique consacrée à l'actualité internationale.

Monsieur le ministre, les sujets que nous pourrons aborder avec vous aujourd'hui ne manquent pas : l'épidémie de coronavirus touche à présent plus de soixante-dix pays ; c'est désormais une crise mondiale, qui appelle des réponses nationales bien sûr, mais aussi européennes et internationales. Nous avons pu visiter hier, avec les membres du bureau, le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères, et constater la très importante mobilisation en faveur de nos compatriotes qui résident et voyagent à l'étranger.

Nous pourrons également évoquer la situation au Liban, en Afghanistan, en Iran, en Irak, en Libye, au Sahel, ainsi que le « plan de paix » américain au Proche-Orient. Mais le sujet majeur qui nous préoccupe aujourd'hui est la crise résultant de la situation à Idlib : c'est un point de tension d'une extrême gravité pour les États de la région, mais aussi pour l'Europe. Le régime de Damas, fort de l'appui aérien de son allié russe, a entrepris la reconquête militaire d'Idlib, l'une des dernières provinces qui échappent encore à sa souveraineté, entraînant la mort de nombreux civils et une nouvelle vague massive de déplacements de population – près d'un million de déplacés se trouveraient à présent pris au piège, à la frontière turco-syrienne.

De son côté, la Turquie, quelques mois après avoir lancé une offensive contre nos alliés kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord-est de la Syrie, confirme sa volonté de s'implanter durablement dans la région d'Idlib et au-delà. Les régimes syrien et russe reprochent à la Turquie de ne pas avoir respecté l'accord de Sotchi concernant le désarmement des groupes radicaux s'y trouvant, en particulier l'ancien Front al-Nosra. Le président Erdogan a donc décidé, le 27 février dernier, d'ouvrir aux réfugiés ses frontières avec l'Union européenne, c'est-à-dire avec la Grèce et la Bulgarie. Il espère ainsi contraindre l'Union à lui apporter son soutien dans le cadre du conflit à Idlib.

Cette instrumentalisation de femmes et d'hommes en souffrance, ce chantage sont tout simplement inacceptables, et les images qui nous sont parvenues de Lesbos ou de la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce ont suscité, à raison, émotion et indignation.

Le président turc ne respecte pas l'accord du 18 mars 2016 conclu avec l'Union européenne, par lequel il s'engageait à prendre en charge sur son propre sol les réfugiés qui s'y trouvaient, en contrepartie d'une facilité financière de 6 milliards d'euros, dont 3,2 milliards ont d'ores et déjà été versés. Rappelons que la Turquie accueille environ 4 millions de réfugiés, essentiellement syriens, mais aussi que le Liban, pays de moins de 7 millions d'habitants, en accueille un million et demi, sans oublier les efforts très importants consentis par la Jordanie.

Nous avons eu, ce matin en commission, un long débat très poussé sur ces questions cruciales. Plusieurs orientations majeures doivent guider à nos yeux l'action de notre pays et de l'Union européenne : il faut répondre à l'urgence humanitaire à Idlib et obtenir un cessez-le-feu. La Turquie comme la Russie doivent entendre notre détermination à l'obtenir ; tous les leviers doivent être utilisés. Nous ne devons pas laisser la Grèce seule en première ligne, comme nous l'avons fait il y a quelques années. L'article 78-3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que s'exerce la solidarité européenne ; il est de notre devoir d'assumer cette obligation. Une aide humanitaire doit être mise en place de toute urgence à la frontière greco-turque et dans les « hotspots » situés sur les îles grecques, en particulier à Lesbos.

Soyons également attentifs à ce qu'il ne soit pas porté atteinte aux fondements mêmes du droit d'asile, les demandes d'enregistrement étant aujourd'hui provisoirement suspendues par les autorités grecques.

Sur l'urgence humanitaire comme sur les voies d'une solution politique, les chefs d'État et de gouvernement européens doivent agir ensemble et de façon déterminée.

Je voudrais, avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, fixer deux rendez-vous : le premier avec vous, le 7 avril prochain après les questions au Gouvernement, pour une séance entière consacrée au projet de loi relatif à la solidarité internationale et à la lutte contre les inégalités mondiales ; le second, le 8 avril, avec Amélie de Montchalin, qui pourra plus précisément évoquer avec nous les questions européennes et, en particulier, celle de la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

La crise que connaît actuellement le Nord-ouest syrien est sans doute l'une des plus graves, sinon la plus grave qu'ait connue la Syrie en neuf années de guerre. Avant toute chose, il faut expliquer les raisons de cette crise : elle découle de la rupture des accords d'Astana et de Sotchi, sur lesquels il est donc utile de revenir.

Les accords d'Astana ont été conclus en mai 2017, c'est-à-dire après la reprise d'Alep par le régime syrien fin 2016, dans les conditions que vous connaissez et qui ont entraîné l'opération Bouclier de l'Euphrate, première intervention turque sur le territoire syrien.

Le processus d'Astana consistait en une série de rencontres entre les Iraniens, les Russes et les Turcs, dont l'objectif – louable – était de mettre en place les conditions d'une désescalade en Syrie. C'est ainsi qu'au début du mois de mai 2017, les garants du processus, parrains des belligérants, ont signé un accord prévoyant l'établissement de quatre zones de désescalade, Deraa, la Ghouta orientale, Homs et Idlib, chacune placée sous la responsabilité d'un des garants, les Turcs obtenant logiquement la supervision de la zone d'Idlib.

Après la reconquête des trois autres zones par le régime syrien, les civils qui s'y trouvaient ont été évacués par car vers Idlib, faisant passer la population d'un million et demi à près de 3 millions d'habitants. Parmi ces déplacés – qu'il ne faut pas confondre avec les réfugiés qui se trouvent en Turquie et sont aujourd'hui manipulés par le régime turc –, se retrouvent des groupes de combattants, plus ou moins alliés à la Turquie, et un nombre significatif de groupes terroristes de toutes obédiences, des groupes regroupés autour du Front al-Nosra au sein de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et Daech. La zone est de ce fait un baril de poudre, adossé à la frontière syro-turque, hermétiquement fermée.

Cette situation complexe a abouti, dans le prolongement de la logique du processus d'Astana, à un nouvel accord, l'accord de Sotchi, signé par la Turquie et la Russie en septembre 2018. L'accord de Sotchi ménage les intérêts turcs, en préservant la zone de désescalade et en autorisant Ankara à y renforcer sa présence militaire pour neutraliser le risque d'une offensive syrienne. Il prévoit également le démantèlement des groupes les plus radicaux par les Turcs et prépare le terrain à une réouverture des autoroutes M4 et M5, qui traversent la zone.

En réalité, l'accord n'a jamais été vraiment mis en oeuvre, mais les Russes et les Turcs se sont satisfaits du statu quo pendant un certain temps, jusqu'à la reprise, dès avril 2019, de l'offensive menée par Bachar el-Assad pour la reconquête d'Idlib, offensive qui s'est intensifiée en décembre dernier et a permis au régime de reconquérir près de la moitié de la zone de désescalade, bien que la Turquie y maintienne une forte présence militaire, avec 7 000 soldats stationnés à Idlib et aux alentours.

L'incident du 28 février dernier, dans lequel la Turquie a perdu 33 militaires, a porté à 54 le nombre de militaires turcs tués et, au sein de la zone d'Idlib s'enchevêtrent désormais deux antagonismes : le premier oppose les Turcs au régime syrien – plus ou moins soutenu par les Russes, mais le fait que nous ne soyons pas à huis clos m'interdit de développer davantage – autour de Saraqeb, point de jonction entre la M4 et la M5, tandis qu'en parallèle les forces syriennes bombardent les populations civiles pour reconquérir du terrain.

La combinaison des deux crée une situation humanitaire épouvantable, puisque les personnes déplacées qui s'étaient réfugiées dans la zone d'Idlib sont aujourd'hui obligées de fuir une seconde fois, pour tenter d'échapper aux attaques du régime. Cela concernerait un million de personnes, qui se ruent vers l'Ouest et le Nord, où les centres d'accueil sont saturés, et où ces déplacés s'entassent à proximité de la frontière turque, dans des conditions terribles : le froid, les épidémies, la faim, les violences contre les femmes et les filles. Les frappes syriennes touchent indistinctement les hôpitaux et les écoles, à telle enseigne qu'une enquête a été lancée par le secrétaire général des Nations unies à la demande de la France, enquête qui pourrait aboutir à ce que soient documentés des crimes de guerre.

C'est dans ce contexte que la Turquie a invoqué l'article 4 du traité de l'Atlantique Nord, considérant qu'elle était victime d'une rupture de l'accord de Sotchi. Cela aurait pu s'entendre si ce n'est que le président Erdogan a, en parallèle, lancé une opération d'instrumentalisation des migrants réfugiés en Turquie, en ouvrant ses frontières avec la Grèce pour faire pression sur l'Union européenne, ce qui est une forme de prise d'otages parfaitement inacceptable. C'est ce que nous avons déclaré publiquement, et c'est ce que je réitère devant vous.

Nous avons fait savoir notre solidarité totale avec la Grèce et, à l'heure où je vous parle, se tient, à notre demande, une réunion des ministres de l'intérieur de l'Union européenne pour décider du dispositif de soutien que nous allons mettre en oeuvre.

Demain et après-demain se tiendra à Zagreb une réunion des ministres des affaires étrangères, où nous allons compléter l'ensemble du dispositif pour aboutir à des actions concrètes – mobilisation de FRONTEX (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), soutien humanitaire et appui politique à la Grèce –, et je ne doute pas que nous pourrons avancer de façon unanime. J'ai observé avec intérêt l'initiative du président du Conseil, Charles Michel, et de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui se sont rendus en compagnie du Premier ministre grec à la frontière gréco-turque pour manifester la détermination européenne. Quant au haut représentant Josep Borrell, il est actuellement à Ankara, et il devrait nous rendre compte de sa mission vendredi, à Zagreb.

Cette solidarité avec les Grecs s'accompagne, par ailleurs, d'un renforcement de notre action humanitaire dans la zone d'Idlib. Notre espoir est que l'accès soit ouvert et que l'aide puisse être acheminée auprès des populations civiles, car n'oublions pas que les principales victimes de cette crise sont les populations syriennes confinées autour d'Idlib.

J'ajoute qu'une rencontre a lieu demain entre Poutine et Erdogan, dont on peut souhaiter qu'elle permette un retour à l'accord de Sotchi. C'est en tout cas la ligne qu'a défendue le président Macron lors de ses entretiens avec le président Poutine, en plaidant pour un retour au cessez-le-feu, en attendant le processus politique engagé sous l'égide des Nations unies avec la constitution d'un comité constitutionnel censé travailler sur une réforme de la Constitution, bien qu'il avance à pas très comptés.

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Je propose, monsieur le ministre, que nous entamions à présent le débat sur les leviers qui peuvent être utilisés vis-à-vis de la Turquie et de la Russie ainsi que sur la solidarité que nous devons absolument à la Grèce.

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En 2011, soufflait sur la Syrie le vent du printemps arabe. Neuf ans après cette révolution du peuple, le pays est toujours en proie à une guerre effroyable, qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes, qui a déplacé quasiment la moitié de la population, à plusieurs reprises pour certains.

De nombreux pays sont aujourd'hui ébranlés par ce conflit, qui a des répercussions jusqu'en Europe et face auquel nous sommes des témoins impuissants.

En 2015, l'Europe a connu une première grande crise migratoire ; des milliers de réfugiés, qui ne venaient pas tous de Syrie, ont péri en mer Méditerranée, et nous nous souvenons tous de la publication, le 2 septembre 2015, de la photo du corps inanimé du petit Syrien Aylan Kurdi, sur la plage de Bodrum, en Turquie. Face à cette crise, qui mettait à mal l'équilibre politique européen, l'accord de 2016 entre l'Union européenne et la Turquie s'offrit comme une solution.

Mais le conflit syrien perdure, et nous assistons depuis plus d'un mois à une escalade militaire dans la province d'Idlib, au nord du pays, entre les forces du régime syrien et l'armée turque. Pourtant, le 17 septembre 2018, le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Erdogan avaient conclu ce fameux accord de Sotchi qui portait entre autres sur la création d'une zone démilitarisée placée sous leur contrôle.

C'est au mépris de l'accord de Sotchi que le régime syrien a bombardé, la semaine dernière, la province d'Idlib, tuant plusieurs soldats turcs et provoquant, en représailles, une intensification des frappes aériennes turques.

Face à la réaffirmation par M. Poutine du soutien indéfectible de la Russie au régime syrien et devant la condamnation unanime par l'Union européenne et les Nations unies de l'action militaire turque dans le nord de la Syrie, la Turquie est plus que jamais isolée diplomatiquement. Aussi, le président turc, au mépris de l'accord de 2016 et malgré les milliards d'euros octroyés par l'Union européenne, a-t-il décidé d'ouvrir ses frontières vers l'Europe. S'il ne fait aucun doute que nous condamnons le chantage migratoire exercé par Recep Erdogan pour obtenir le soutien de l'Union européenne dans son action en Syrie, nous nous devons aussi d'apporter de l'aide et des solutions à nos alliés grecs et bulgares, qui font face à un afflux de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants tentant désespérément d'entrer sur le territoire européen. Nous ne pouvons les laisser gérer seuls la crise migratoire qui s'annonce, pas plus que nous ne pouvons laisser ces milliers de réfugiés sans abri.

Mais nous devons aussi être vigilants sur ce qui se passera demain, le 5 mars, à Moscou, entre Vladimir Poutine et Recep Erdogan. Du fait des événements récents, la tension est montée d'un cran entre la Turquie et la Russie, ce qui suscite les craintes de la communauté internationale non seulement quant à l'avenir du conflit syrien mais aussi sur une éventuelle extension du conflit aux pays voisins, voire à une guerre entre la Russie et la Turquie.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur la position que vous allez défendre au nom de la France lors de la réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne prévue ce vendredi 6 mars, s'agissant, d'une part, de la gestion de la crise migratoire et, d'autre part, de la crise politique russo-turque ?

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L'enchevêtrement des conflits que vous avez évoqué exerce sur les populations civiles des conséquences terribles qui appellent une action urgente. Or, l'aide humanitaire semble se faire attendre : quelles actions concrètes la France va-t-elle engager et quelles mesures l'Union européenne va-t-elle mettre en oeuvre pour faire face à ce drame humanitaire ?

Quand l'Europe va-t-elle prendre une position commune sur la question migratoire ? On a invoqué les élections européennes, mais celles-ci ont eu lieu et on ne voit rien venir.

Enfin, quelle va être la position de la France vis-à-vis de la Turquie, d'une part, et de la Russie, d'autre part ? Nous avons noté une esquisse de rapprochement entre la France et la Russie, ce que nous considérons de bonne politique : ne peut-on pas utiliser ce regain d'influence de la France vis-à-vis de la Russie pour obtenir certaines concessions de la part de M. Poutine ? Cette crise est d'une particulière gravité et on désespère d'en voir l'issue.

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Nous n'avons pas parlé des Kurdes, qui ont été bien mal récompensés par les Turcs, par la communauté internationale et par le président américain, qui a laissé faire, des efforts considérables qu'ils avaient déployés dans la lutte contre Daech. Or, parmi les racines de la crise, il y a quand même la volonté des Turcs de liquider les Kurdes, qui menaçaient de constituer un État plus ou moins autonome dans la région. Ce fut l'époque de la lune de miel entre Turcs et Russes, qui a vu la mise en coupe réglée des populations kurdes. Où en est ce dossier ? Comment la France et l'Europe entendent-elles agir dans cette affaire ?

Vous avez évoqué, avec une gravité justifiée, l'ampleur des violences infligées par l'armée syrienne aux populations civiles dans la zone d'Idlib. Vous avez parlé de bombardements : or, à ma connaissance, l'essentiel des forces aériennes qui interviennent dans la zone ne sont pas syriennes mais russes. C'est en tout cas ce que disent les médias. Quelle est votre position, alors que nous amorçons un rapprochement avec la Russie, dont la politique est au-delà du cynisme, d'une violence extraordinaire ?

Enfin, la question des migrants est un problème considérable, compte tenu du piège dans lequel nous enferme le président Erdogan, en menaçant, si nous ne le soutenons pas, de rompre les accords passés avec l'Union européenne, d'ouvrir les frontières et de « lâcher » ces personnes. Il se trouve qu'en Europe nous sommes des gentils, pour qui le droit d'asile est sacré. Or, si nous refusons les demandes de droit d'asile, comme veulent le faire prévaloir les Grecs, nous bafouons nos principes ; mais si nous consentons à examiner ces demandes et si nous ne nous en tenons pas à une politique très rigoureuse de fermeture des frontières vis-à-vis des Turcs, nous cédons à Erdogan, qui jouera sur du velours. Dans ces conditions, devons-nous considérer que refuser aujourd'hui d'examiner des demandes de droit d'asile équivaut à refuser l'asile ? Ne doit pas considérer que, jusqu'à présent, les accords passés entre l'Union européenne et la Turquie avaient instauré une manière de cogestion du droit d'asile – les Turcs s'occupant des réfugiés pour lesquels nous leur versions des sommes importantes –, mais que les Turcs ont rompu le contrat de manière unilatérale ? C'est une question à la fois politique et juridique, extrêmement complexe. Comment pensez-vous qu'on puisse échapper au piège tendu par le président Erdogan ?

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Nous sommes outrés et révoltés par la situation en Syrie ; nous sommes outrés et révoltés par les massacres de civils, par les dizaines, les centaines de milliers de réfugiés jetés sur les routes de l'exil. D'un côté, Bachar el-Assad, qui veut reconquérir la poche d'Idlib et massacre ses populations civiles ; de l'autre, la Turquie, la Russie mais aussi la résurgence des groupes terroristes les plus divers, dont Daech, chacun ayant de bonnes raisons de se maintenir dans ce territoire. Il faut d'urgence imposer un cessez-le-feu et réunir les belligérants autour de la table des négociations, ce qui est certes facile à dire, mais plus compliqué dans les faits. La France et l'Europe ont-elles des arguments pour faire cesser ce conflit et résoudre les gravissimes problèmes migratoires qu'il entraîne ?

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Nous avons rarement connu une telle unanimité au sein de cette commission des affaires étrangères, et je souscris totalement aux prises de parole des uns et des autres.

Je voudrais revenir sur le chantage migratoire du président turc Erdogan. Depuis vendredi, comme en 2015, Erdogan instrumentalise la question des migrants pour faire pression sur l'Europe. Il menace de laisser passer des millions de migrants vers l'Europe, si la Turquie, embourbée en Syrie, n'obtient pas l'appui de l'OTAN et une aide de l'Union européenne.

Non seulement les autorités turques ont décidé d'ouvrir leur frontière avec la Grèce, mais ils mettent délibérément les migrants en mouvement, et ce en violation totale des accords de mars 2016. Cette méthode est barbare, et nos amis grecs font face à un afflux explosif de migrants ; à travers la Grèce, c'est toute l'Europe qui va être confrontée à ce tsunami migratoire. Depuis lundi, j'appelle à une totale solidarité, mais nous ne sommes pas chez les Bisounours, et la solidarité ne suffit pas.

L'attitude de la Turquie est inacceptable. En vérité, cela fait des années que le président islamiste Erdogan mène vis-à-vis de l'Europe une politique agressive, sans jamais se heurter à aucune riposte, notamment économique ou commerciale, précisément à cause du chantage permanent aux migrants qu'il est susceptible d'exercer. Soyons clair : le processus d'adhésion à l'Union européenne de la Turquie doit être définitivement stoppé. Quant à l'OTAN, elle n'a plus d'existence que théorique, compte tenu du rapprochement stratégique entre la Turquie et la Russie.

C'est le député des Français de Grèce et des Français de Turquie qui vous parle : le peuple turc est un peuple ami, mais le gouvernement en place à Ankara multiplie les hostilités. Quand il n'insulte pas le Président de la République, il viole la souveraineté maritime chypriote, a des relations troubles avec Daech et massacre nos alliés kurdes ; quand il ne menace pas nos amis grecs en mer Égée, il favorise le séparatisme islamique, chez nous, en France.

Monsieur le ministre, trop c'est trop ! L'Union européenne va-t-elle enfin prendre des mesures concrètes, ce qui, selon moi, inclut un soutien militaire, parce qu'à ce stade, c'est de cela dont il s'agit ?

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Il n'est guère à la mode de dire du bien de la Turquie ; sans en dire du bien, je voudrais néanmoins nous rappeler au principe de réalité, en insistant sur deux points essentiels. En premier lieu, la Turquie est notre alliée, dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), et elle l'a démontré dans la lutte contre Daech. En second lieu, du fait de sa situation géographique, quand bien même l'Union européenne la soutient financièrement, la Turquie a fait face à l'afflux de 4,5 millions de migrants qui ont causé des tensions sociales et économiques au sein de sa population ; à ce titre, je voudrais saluer les efforts consentis par le peuple turc, qu'il faut distinguer de ses gouvernants.

À la suite de la situation dans la zone d'Idlib, la Turquie est confrontée à un nouvel afflux de milliers de réfugiés, dont une grande majorité sont des femmes et des enfants. Que pouvons-nous faire, concrètement, pour l'aider ? Nos valeurs ne nous commandent-elles pas d'être acteurs sur le terrain et non de simples spectateurs ou commentateurs ? Le président Erdogan nous oblige à nous poser la question : le peuple turc doit-il être le seul à porter ce fardeau ?

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Ce à quoi nous assistons dans l'enclave d'Idlib, c'est en réalité à la renaissance d'un péril ottoman qui, venant s'ajouter au péril iranien, s'étend sur le Moyen-Orient. Ce péril, on le voit poindre depuis des années, sous les mutations extraordinaires qu'a connues la Turquie du président Erdogan. C'est une chose que l'on ressent quand on va se promener du côté de Mossoul ou du Kurdistan : les Turcs ne sont plus ceux que nous avons connus. Peut-être en portons-nous une part de responsabilité, puisque certains auraient voulu les intégrer à l'Europe, mais cela ne s'est pas fait.

En réalité, ne nous voilons pas la face : la Turquie a envahi la Syrie, et tout vient de là. Cela s'appelle un acte de guerre ou, comme on dit en droit romain, la debellatio. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que les Turcs décident d'entrer sur le territoire syrien, mais cette fois-ci, ils le font en armes. Que je sache, ce sont des soldats turcs qui sont morts, et je suppose donc qu'ils n'avaient pas que des cacahuètes dans les poches.

L'accord de Sotchi, dont la France n'est pas signataire, a alors été rompu. On se demande au nom de quoi le président Erdogan pourrait nous appeler au secours, alors qu'il a commis, une fois de plus, un acte de guerre caractérisé. L'origine de cette crise ne réside pas seulement, en effet, dans le chantage odieux qu'il est en train de faire à l'Union européenne. On sait que les Turcs se sont baladés à plusieurs reprises en Syrie, à proximité de la frontière, pour massacrer les Kurdes. Il arrive un moment où la coupe est pleine.

Je souhaiterais évoquer deux sujets. Premièrement, nous devons avoir une réaction extrêmement dure à l'égard des Turcs. La question de leur présence au sein de l'OTAN devra être, un jour ou l'autre, tranchée. Ils achètent du matériel aux Russes tout en combattant partout. Je ne vois pas quels liens nous unissent à Erdogan : il incarne, en réalité, le péril ottoman hors de l'OTAN, tout en étant membre de l'organisation. C'est une situation extraordinaire. Il faut avoir une position extrêmement stricte, et ne pas se contenter d'une action humanitaire. Cela conduit à ma première question : l'OTAN a-t-elle décidé de prendre des mesures à l'égard de l'« allié » turc ?

Deuxièmement, le droit d'asile partagé n'existe pas. En tout état de cause, nous ne le partageons pas avec M. Erdogan. Nous payons l'arrivée de gens extraits de la guerre de Syrie – dans laquelle la Turquie n'a pas toujours joué un rôle très honorable. Nous ne cassons pas le droit d'asile, car nous ne le partageons pas. Les Turcs mettent les gens dehors à la suite d'un acte de guerre, ce qui n'est pas du tout la même chose. Il faut le dire car, bientôt, ça va être de notre faute ! En réalité, ces gens ne demandent pas le droit d'asile ; ils subissent les conséquences de ces actions violentes. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas les aider mais rappelons que les Turcs assument une responsabilité énorme. Monsieur le ministre, qu'allons-nous faire ? Pour une fois, allons-nous montrer notre détermination à ne pas nous laisser faire par cet individu, qui est en train, après l'Iran, de mettre le Moyen-Orient à feu et à sang ?

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Ankara, comme vous l'avez précisé tout à l'heure, monsieur le ministre, a décidé d'ouvrir sa frontière avec l'Europe, ce qui a provoqué l'afflux de milliers de migrants vers la Grèce et la Bulgarie. À Tripoli, les exilés africains sont pris en tenaille entre les factions libyennes, les réseaux de passeurs, les centres de rétention des autorités locales. De Rabat à Bamako, on s'oppose aujourd'hui à la création de hotspots en marge de l'Europe. « Ce qu'il faut, c'est créer des pôles économiques attractifs en Afrique », a souligné Karim El Aynaoui, directeur général du think tank OCP Policy Center. De son côté, votre homologue marocain Nasser Bourita a appelé lundi dernier, lors de la conférence ministérielle du Dialogue 5+5 sur la migration et le développement, à « refonder » la coopération en matière de migration sur la base d'un « consensus politique structurant ». Vous représentiez la France à cette conférence – aux côtés de vos homologues espagnol, italien et portugais, côté européen – dont l'objet était de faire un point sur la situation migratoire dans toutes ses dimensions.

Monsieur le ministre, sans consensus politique, la coopération opérationnelle serait vouée à l'échec, car elle ne prendrait pas suffisamment en considération les réalités et les dynamiques mondiales. En ce sens, les mesures destinées à favoriser la sécurité ne peuvent plus faire l'économie de politiques de développement socioéconomique tournées vers la résorption des causes profondes des migrations. À défaut, on continuera indéfiniment à refouler et à réadmettre des personnes fuyant la faim ou la guerre. La priorité doit être donnée au développement pour mettre fin aux crises migratoires, qui entraînent des situations humaines intolérables. Comment la France entend-elle renforcer ses moyens incitatifs et préventifs, afin de lutter contre ces drames humains ? Quels dispositifs de coopération sont prévus ou envisagés avec nos partenaires européens et méditerranéens afin d'endiguer les tristes épisodes à venir, aux portes de l'Europe, sous nos yeux ?

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Je rappelle que nous nous concentrons, dans cette première partie de l'audition, sur la question d'Idlib et ses conséquences sur l'Union européenne.

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J'ai lu avec étonnement – pour ne pas dire effarement – votre communiqué du 28 février, où vous exprimez à votre homologue la « solidarité de la France avec la Turquie », où vous réitérez l'appel de la France au régime syrien et à la Russie. Comme mes collègues, je suis effaré, parce que la Turquie a rompu l'accord de Sotchi. La Turquie a eu une attitude pour le moins ambiguë à l'égard des terroristes – les membres d'Al-Qaïda et les autres – qui ont tué à Paris. Elle s'était engagée à séparer les terroristes des rebelles syriens, qui mènent un combat qu'on peut juger légitime contre el-Assad. À force de laisser planer l'ambiguïté, on se trompe de combat. Qui a massacré les Kurdes ? Curieusement, on l'oublie, alors que ce n'est pas si vieux. Sans méconnaître les efforts que vous accomplissez sur ce dossier, je vous pose la question : qui déstabilise la Libye en y envoyant des armes, si ce n'est la Turquie ? Qui, à présent, instrumentalise la misère humaine et réalise un chantage scandaleux, en poussant des misérables face à nos amis grecs ? J'ai le sentiment que la diplomatie française est faible, qu'elle pratique toujours le deux poids, deux mesures, et que cette faiblesse explique l'arrogance d'Erdogan, qui n'est jamais bloqué. En politique étrangère, on ne peut pas poursuivre deux objectifs en même temps. Winston Churchill nous a appris qu'on ne peut pas combattre simultanément Hitler et Staline. On ne peut pas, d'un côté, se lamenter de l'attitude d'el-Assad et, de l'autre, récriminer contre Erdogan : il faut choisir, monsieur le ministre. La diplomatie française choisit… en ne choisissant pas.

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Je ne dis pas le contraire, mais chaque chose doit se faire en son temps. Pour l'heure, la Syrie retrouve sa continuité territoriale. J'attends les mesures concrètes que le Gouvernement de la France va prendre à l'égard de la Turquie. L'Union européenne a donné à ce pays 8,5 milliards depuis 2014, alors qu'elle accuse un déficit commercial de 2 milliards avec lui. Nous pourrions adopter des sanctions contre les produits turcs, qui sont exonérés de droits de douane, ce qui mettrait le régime à genoux. Qu'attend-on pour le faire ? Quand aiderons-nous nos amis grecs à bloquer l'offensive migratoire, qui inquiète tous les Français ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Il est dommage que vous n'ayez pas été là au début de mon propos, car je vous ai répondu par anticipation.

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Je défendais un amendement au projet de loi organique sur le régime universel de retraite, en séance publique.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Il n'est pas indispensable, en tout cas, de recourir à l'invective.

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Je vous recommande, monsieur le ministre, de tolérer l'expression d'idées différentes des vôtres.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Vous m'adressez des invectives, alors même que vous ne m'avez pas entendu.

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Je lis ce que vous écrivez, en l'occurrence le communiqué du 28 février.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Si vous daignez rester jusqu'à la fin de la réunion, je vous répondrai.

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L'événement étant à nos portes, nous ne devons pas, nous ne pouvons pas regarder ailleurs. Depuis 2011, le conflit syrien a fait des millions de victimes, et la Turquie a longtemps été en première ligne de la crise migratoire et humanitaire, en échange de son soutien logistique et financier ; 4 millions de migrants, passés par la Syrie, sont présents en Turquie. L'Europe ne s'est pas suffisamment organisée. Elle avance en ordre dispersé et est fragile, ce que la Turquie a compris. C'est ainsi que la pression migratoire est devenue un instrument de pression géopolitique. L'ouverture des frontières turques aux migrants ces derniers jours le montre bien. Le mouvement d'Ankara laisse l'Union européenne désemparée face à l'afflux de plusieurs milliers de personnes en quelques jours. Je voudrais dire solennellement qu'il nous faut rester fidèles à nos valeurs et à nos principes. Le droit d'asile n'est pas négociable.

L'Europe ne peut pas rester le témoin passif de ce drame humanitaire qui se joue depuis bientôt dix ans à ses portes. Elle doit prendre ses responsabilités et être à la hauteur de ses valeurs et de son histoire. C'est l'objet de la mobilisation engagée par le Président de la République depuis 2017 pour renforcer la coopération et la coordination européenne sur le sujet migratoire. Ces derniers jours, le Président de la République a de nouveau déclaré la pleine solidarité de la France avec la Grèce et la Bulgarie, les deux pays européens directement affectés par la décision turque. Oui, nous devons être solidaires de ces États, mais aussi des réfugiés syriens, de ceux qui fuient la guerre et la misère et qui se trouvent devant une porte trop souvent close. Au cours des prochains jours, des décisions essentielles seront prises. Les ministres de l'intérieur se réunissent aujourd'hui, et les ministres des affaires européennes le feront vendredi. C'est l'occasion d'aller plus loin ensemble. Il y a urgence à ce que l'Europe se saisisse pleinement de cet enjeu humanitaire majeur. Cela doit être l'ambition de la France, pays des droits de l'homme, dont c'est la tradition et l'honneur. Monsieur le ministre, pouvez-vous revenir sur les actions et les positions que la France entend défendre devant ses collègues européens au cours des prochains jours ?

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Monsieur le ministre, vous avez affirmé que le Président de la République avait eu une conversation téléphonique avec le président Poutine. Avez-vous le sentiment que, dans le cadre de la négociation actuelle, les Russes essaient de pousser leur avantage ailleurs, par exemple en Crimée ? C'est sans doute, en effet, Poutine qui est à l'origine des bombardements récents. Va-t-il reculer sur le dossier syrien pour obtenir un avantage dans d'autres dossiers ?

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Monsieur le ministre, j'ai besoin de votre éclairage. La Turquie soutient les rebelles syriens, attaque directement le territoire syrien par ses drones, remet en cause l'existence du Kurdistan syrien. La Russie soutient le gouvernement syrien et se trouve donc opposée à la Turquie en Syrie. Dans le même temps, elle vient de vendre des missiles à la Turquie. La Turquie est membre de l'OTAN depuis 1952 et abrite une base américaine dans sa partie méridionale. Elle a demandé à entrer dans l'Union européenne – les négociations d'adhésion sont pour l'heure au point mort –, tout en lui faisant du chantage, en ouvrant aux migrants ses frontières avec la Grèce, ce qui est totalement inacceptable. La Turquie et la Russie s'opposent en Libye, mais les présidents Erdogan et Poutine ont inauguré ensemble le gazoduc TurkStream, qui relie la Russie à la Turquie. Monsieur le ministre, que pensez-vous de ces relations instables, influencées par de puissants facteurs économiques ? Comment la France se positionne-t-elle dans la confrontation turco-russe en Syrie ? Comment peut-on travailler diplomatiquement et sereinement dans ce contexte ?

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Chacun s'accorde sur le fait que les terroristes doivent être jugés, mais on trouve aussi, dans les camps, nombre de femmes et d'enfants, ce qui est une préoccupation permanente. Anticipant un peu le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, je voudrais vous demander comment on peut veiller aux conditions de vie des femmes et des enfants, et contrôler l'utilisation des fonds que nous donnons pour les améliorer. Il faut en effet être fort pour vivre au quotidien dans ces zones.

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Ma question concerne l'aide financière de 6 milliards d'euros accordée par l'Union européenne à la Turquie. Une première tranche de 3 milliards a été versée. Quid du reste ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Je voudrais, avant de répondre à vos questions, remettre les choses en perspective en rappelant quelques chiffres. La Syrie comptait, avant le début du conflit, 22 millions d'habitants. Aujourd'hui, on estime que 7 millions de personnes ont été déplacées au moins une fois sur le territoire syrien et on dénombre 5 millions de réfugiés, dont 3,5 millions en Turquie et 1,2 million au Liban – les Libanais nous en parlent dès que nous les rencontrons –, les autres se trouvant pour l'essentiel en Jordanie. Il doit être bien clair pour tout le monde qu'à la frontière gréco-turque se trouvent des réfugiés, tandis que la zone d'Idlib abrite des déplacés. Il ne faut évidemment pas les confondre. Plusieurs d'entre vous ont affirmé que le président Erdogan avait ouvert sa frontière avec la Grèce. Elle demeure en réalité fermée, puisque l'Europe et la Grèce ne l'ont pas ouverte, et n'ont pas l'intention de le faire. Si un message fort doit être adressé demain ou après-demain, à l'issue de la réunion des ministres des affaires étrangères, c'est le soutien total de l'Union européenne à la Grèce. Nous engagerons en sa faveur les moyens correspondants, que ce soient ceux de FRONTEX ou ceux mobilisés pour répondre aux demandes complémentaires que nous a adressées le gouvernement grec. Je suis en relation téléphonique directe avec mon homologue, que je verrai demain. Il n'est pas question, bien évidemment, d'ouvrir la frontière. Il faut la sécuriser, et nous le ferons. Les choses sont claires.

Monsieur Habib, je me permets de vous faire remarquer que les seuls à nous avoir demandé une intervention militaire sont les Turcs. La Grèce n'a pas formulé une telle demande, mais a sollicité une aide, à laquelle nous allons répondre, pour sécuriser sa frontière. Bien évidemment, il est dans notre intention que cette frontière reste fermée. Tout m'indique que la position européenne sera très forte à cet égard. J'en profite pour vous signaler que le président du Conseil européen, Charles Michel, et le haut représentant Josep Borrell se réunissent en ce moment même. Nous aurons connaissance des résultats de ces échanges demain, lors de la réunion de Zagreb.

Je le dis publiquement : nous avons une série de contentieux lourds avec la Turquie, dont je suis prêt à faire l'inventaire avec vous. Dans le Nord-Est syrien, la Turquie a attaqué, de manière unilatérale, les Kurdes – qui sont nos alliés, en particulier dans le combat contre Daech. En Méditerranée orientale, l'interprétation turque est, à notre avis, contraire au droit de la mer. En Libye, la Turquie diligente un appui militaire, y compris au moyen de forces de « proxy » syriens, en violation de l'embargo décidé par les Nations unies. D'autres contentieux lourds concernent les droits fondamentaux, l'instrumentalisation des migrants, ou encore la rupture unilatérale de l'accord de 2016.

C'est parce que je dis les choses clairement, monsieur Dupont-Aignan, que je suis en désaccord avec votre lecture de mon communiqué du 28 février. Nous exprimons nos contentieux publiquement – comme j'ai eu l'occasion de le dire récemment au Sénat – mais, lorsque le régime syrien – et non la Turquie, monsieur le député – rompt l'accord de Sotchi, il faut le dire. Nous avons affirmé que nous étions soucieux du respect de cet accord. Lorsque le régime syrien attaque unilatéralement l'armée turque, qui est chargée d'assurer l'application de l'accord – il faut se référer au texte – dans la zone d'Idlib, nous exprimons notre opposition. Cela ne nous empêche pas d'être aussi fermes que je viens de l'expliquer sur le reste.

M. Bouchet a mis en évidence les contradictions caractérisant les relations russo-turques, et les difficultés qui en résultent pour ajuster son jugement. Le positionnement turc au sein de l'OTAN se caractérise aussi par une grande ambiguïté, illustrée par plusieurs événements récents. Premièrement, la Turquie a attaqué, dans le Nord-Est syrien, les FDS, composées essentiellement de Kurdes, qui sont toujours nos alliés dans la lutte contre Daech. Le combat contre cette organisation n'a pas cessé – la situation en Irak est d'ailleurs très problématique. Autrement dit, les Turcs attaquent des alliés de la coalition dont l'OTAN – et nous-mêmes – sommes membres. Deuxièmement, en Méditerranée orientale, la Turquie a délimité illégalement une zone qu'elle considère comme sa zone économique exclusive. Elle y mène des manoeuvres militaires contre un autre membre de l'alliance. Troisièmement, la Turquie a demandé récemment le soutien de l'OTAN et des mesures de réassurance, en termes de défense aérienne et antimissile, tout en achetant du matériel russe S-400, qui a la même vocation et qui n'est pas interopérable avec les éléments de l'alliance. Quatrièmement, quand la Turquie est attaquée à Idlib et qu'elle perd des hommes dans une mission de sécurisation globale de la zone, elle demande à bénéficier de la solidarité de ses alliés, en invoquant l'article 4 du traité de l'Atlantique Nord, tout en instrumentalisant les réfugiés – dont elle organise le déplacement, en particulier à sa frontière terrestre.

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C'est plus que de l'ambiguïté, c'est du cynisme !

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Oui, mais la Turquie est toujours membre de l'alliance. Il nous faut, sur ce sujet, une grande explication. Tant qu'elle n'aura pas lieu, régneront le doute ou la contradiction permanente. C'est une des raisons qui ont conduit le Président de la République à demander, à Londres, une véritable réflexion stratégique de l'OTAN sur ce qui fait le coeur de l'Alliance atlantique. Ces ambiguïtés ne peuvent perdurer. On ne sait plus si la Turquie est dans l'alliance, hors de l'alliance ou à côté de celle-ci. Je veux le dire avec beaucoup de force : il faudra parler avec les Turcs, au vu de l'ensemble des contentieux que nous entretenons, et tout mettre sur la table. Cette position nous permettra d'être fermes lors des échéances à venir.

Monsieur Bourlanges, vous avez évoqué, à juste titre, le cynisme qui est à l'oeuvre : nous vivons en effet au milieu d'acteurs cyniques. Il faut avoir un jugement acéré, car chacun a ses raisons pour justifier des actes inqualifiables. Vous demandez comment des avions syriens peuvent effectuer des bombardements alors que les Russes ont la maîtrise du ciel. Des bombardements turcs et syriens ont lieu sur la zone, alors que le ciel fait l'objet d'un accord de « déconfliction » conclu par les Russes. Je crois nécessaire d'être pragmatique pour sortir de la crise de la meilleure façon possible.

Je ne formulerai pas d'hypothèse quant à la position qu'adopteront les Européens, puisqu'une réunion se tient aujourd'hui à Ankara et que les présidents Erdogan et Poutine se réuniront demain. Notre posture politique de fond, au sujet de la crise syrienne, consiste à revenir à l'accord de Sotchi, à respecter le cessez-le-feu, à favoriser l'accélération du processus politique – il n'y aura de règlement de la crise syrienne que de cette façon. Un comité constitutionnel doit élaborer des modifications à la constitution syrienne, ce qui permettra la tenue d'élections libres, auxquelles tous les Syriens pourront participer, en particulier les déplacés, voire les réfugiés. La création du comité constitutionnel a demandé un an ; il a fallu deux mois pour s'accorder sur six noms – et un mois pour un seul nom –, sachant que cet organe sera composé de près de 150 personnes. C'est une longue entreprise, mais il n'y a pas d'autre possibilité. Il importe de respecter la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui intègre ce processus. Voilà la feuille de route de sortie de crise, qui n'est, pour l'heure, pas respectée, mais qu'il faut conserver.

S'agissant du chantage du président Erdogan, qui, je le redis, est inacceptable, nous sommes totalement solidaires de la Grèce. Nous envisagerons demain – étant rappelé que les ministres de l'intérieur de l'Union engagent la réflexion aujourd'hui – la manière de mobiliser FRONTEX et de répondre aux demandes grecques – lesquelles, j'y insiste, ne sont pas d'ordre militaire.

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Comment peut-on sécuriser la région sans une aide militaire, face à un régime turc qui, hélas, ne comprend souvent que la force ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Vous demandez une intervention militaire que la Grèce elle-même n'a pas formulée. En l'occurrence, il s'agit de fermer la frontière et de faire respecter cette décision, point. Pour cela, des instruments existent, en particulier FRONTEX, que nous allons mobiliser à cet effet.

La Commission européenne doit présenter le nouveau pacte migratoire assez rapidement.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Sa présidente le présente comme une priorité. Il intégrera la réforme du système européen de l'asile – autrement dit, du mécanisme de Dublin – et la gestion des flux migratoires.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Non, on est dans le concret : des textes seront adoptés. Certes, la mise en oeuvre du pacte migratoire n'a pu aboutir lors de la précédente mandature, mais nous sommes convaincus que les engagements très significatifs qui seront proposés permettront de parvenir à un accord. Le processus est en cours, qui ne relève pas directement du champ de compétences du Conseil des affaires étrangères de l'Union, mais plutôt des attributions du Conseil des ministres de l'intérieur. Cette coopération devrait aboutir assez rapidement, mais je ne formulerai pas d'hypothèse sur son contenu tant que le document ne sera pas mis sur la table.

La Commission accordera un soutien financier de 700 millions d'euros à la Grèce, auxquels s'ajoutera la réserve d'intervention rapide de FRONTEX. Cela permettra de renforcer la protection et la surveillance de la frontière extérieure de l'Union, par la mise à disposition de douaniers et de garde-côtes supplémentaires et la fourniture d'hélicoptères, de bateaux additionnels, de véhicules, ainsi que de matériel médical et humanitaire. Par ailleurs, cela facilitera la gestion des demandes d'asile, notamment pour décongestionner les « hotspots » sur les îles grecques. Des relocalisations pourront être proposées, en fonction de l'état d'avancement et de traitement des demandes d'asile. Telles sont les bases de la discussion – dont je ne sais pas si elle sera conclusive –, qui se tiendra demain et après-demain lors de la réunion des ministres des affaires étrangères.

La France a consacré plus de 10 millions en 2019 à l'aide humanitaire directe aux populations du Nord-Ouest syrien. À la demande du Président de la République, nous venons d'y affecter 10 millions supplémentaires. J'ai perçu des interrogations, chez plusieurs d'entre vous, quant à la manière dont l'aide était utilisée, en particulier dans les zones où l'acheminement doit passer par le régime de Bachar el-Assad. Nous faisons appel soit aux organisations des Nations unies, soit à ACTED, soit à d'autres organismes qui assurent la sécurité des convoyages.

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Je rappelle que la France a en outre octroyé une aide de 50 millions au profit du Nord-Est syrien.

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La liste que vous venez d'égrener à propos de l'aide à la Grèce est intéressante car elle comprend des matériels destinés soit à bloquer et à refouler, soit à accueillir. L'Union européenne a-t-elle l'intention d'accueillir ces personnes, ou décidera-t-elle que personne ne doit entrer ?

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Monsieur le ministre, on peut être en désaccord avec votre politique tout en respectant profondément votre personne : les deux n'ont rien à voir. Je tenais à vous le dire.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Nous entretenons un désaccord sur l'interprétation de ma déclaration du 28 février. C'est parce que nous sommes très exigeants sur le reste que nous avons pu nous permettre d'écrire, dans ce communiqué, qu'il n'était pas normal que des soldats turcs soient victimes, pour ainsi dire, de l'accord de Sotchi. Nous avons donc protesté sur cet aspect des choses, ce qui ne nous empêche pas de le faire également, en sens inverse, sur tout le reste – j'ai dit publiquement des choses extrêmement fortes tout à l'heure.

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Comme l'a rappelé M. Guy Teissier ce matin dans cette même commission, l'interprétation des Russes et des Syriens est que la Turquie n'a pas respecté l'accord de Sotchi. Je regrette que la position de la France donne raison à l'interprétation turque. Vous parlez d'« ambiguïté », là où je vois une provocation turque. Vous parlez d'« explication nécessaire », quand j'entends « rapport de forces ». À nouveau, j'ai le sentiment que l'Union européenne se contentera de paroles, sans passer aux actes. Vous nous avez dit à l'instant que, parmi les solutions qui pourraient apparaître demain ou après-demain, figure le « décongestionnement » des « hotspots ». Cela signifie qu'une fois de plus, des migrants entreront en Europe, alors même que les Français comme les Allemands n'en veulent plus. D'une manière ou d'une autre, en parlant d'« explication » et non de « rapport de forces », vous cédez au chantage d'Erdogan.

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Je n'ai pas le sentiment que ce que les Turcs ont fait soit conforme à l'accord de Sotchi. Ils ont fait entrer du matériel militaire dans la zone et des soldats turcs ont été tués : ce n'est pas ce que prévoyait l'accord de Sotchi.

Par ailleurs, en ce qui concerne le droit d'asile, il ne faut pas leurrer les gens. Il est très facile de verser dans la guimauve quand on parle de ce sujet. En réalité, la Turquie est responsable du droit d'asile pour ces gens, c'est elle qui doit l'assumer, mais elle nous demande de payer pour cela. Par conséquent, il s'agit en fait d'un troc de population.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur Goasguen, l'accord de Sotchi est très clair sur ce point : il prévoit une présence militaire turque…

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

… car la Turquie doit assurer, autour de la zone et à l'intérieur, un certain nombre de contrôles. Il prévoit, pour cela, l'installation de douze postes d'observation militaire. C'est quand l'accord a été rompu par le régime syrien et par la Russie que le dispositif turc s'est renforcé, y compris – et surtout – à la frontière.

Le droit d'asile relève du droit international…

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

… et du droit européen, et il est inscrit dans la Constitution. Je suis désolé de vous le dire. À partir du moment où quelqu'un invoque le droit d'asile, on regarde s'il relève vraiment de cette catégorie juridique, ou s'il s'agit d'un demandeur d'asile déguisé. Je rappelle néanmoins à ceux à qui cela aurait échappé que, dans les mouvements de migrants que la Turquie essaye de créer à la frontière grecque, il y a certes des Syriens, mais aussi beaucoup d'Afghans, ou encore d'Iraniens, qui sont susceptibles de demander l'asile.

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Cela s'appelle du troc ; ce n'est pas de l'asile.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Que le premier qui est contre le droit d'asile lève le doigt. Il y a des moments où il faut être attentif à ce que l'on dit.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur Goasguen, nous insisterons avec fermeté sur la sécurisation de nos frontières. Je le dis très clairement.

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Merci, monsieur le ministre. Je crois que nous avons eu le temps de débattre de cette question qui était pour nous essentielle. Nous attendons maintenant que l'Union européenne avance, déterminée et unie.

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Monsieur le ministre, c'est bientôt le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Il y a un an, vous avez signé une tribune conjointe avec la secrétaire d'État Marlène Schiappa, intitulée « Pour une diplomatie féministe ». Hier, à l'occasion de la remise du prix Simone-Veil, vous avez rappelé l'engagement de notre pays en faveur du droit des femmes partout dans le monde. Vous avez également rappelé les objectifs que vous fixez pour votre ministère en matière de parité, notamment pour les postes d'encadrement, à savoir 50 % de primo-nominations d'ambassadrices d'ici à 2025 et la levée du verrou statutaire.

J'aimerais vous interpeller sur un autre aspect : le protocole, en particulier en ce qui concerne le genre. Je pense notamment aux invitations envoyées par les consuls ou les ambassadeurs. J'en ai reçu une qui était ainsi rédigée : « Le consul général de France à Genève et Mme Patrick Lachaussée prient Mme Olga Givernet… ». Pour quelqu'un qui n'est pas habitué à ce type d'invitation, il est surprenant que la femme d'un consul soit désignée par le prénom et le nom de son mari. Je n'ai rien contre le consul en question : il s'agit simplement de relever que, dans notre protocole, nous avons conservé des pratiques qui ne devraient plus être d'actualité et qui démontrent que la place de la femme – que celle-ci soit l'épouse de quelqu'un ou qu'elle exerce elle-même une fonction – n'est toujours pas reconnue à sa juste valeur. S'agissant du statut des conjointes, il reste du chemin à faire.

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Monsieur le ministre, je voulais vous interroger d'abord sur l'Iran, la Libye et le Liban, puis sur le Cameroun ; faute de temps, je me concentrerai sur ce dernier pays. Mon collègue Rodrigue Kokouendo et moi-même nous y sommes rendus récemment pour ce qu'il est convenu d'appeler une mission flash. Vous-même y avez effectué une visite en novembre dernier, devant l'urgence de la situation dans les zones anglophones. Vous aviez alors rencontré le président Biya, qui avait renoncé à se rendre au sommet Afrique-Russie pour vous recevoir – le fait nous a été rappelé plusieurs fois.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

C'est exact.

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Le président s'était engagé, semble-t-il, à développer la décentralisation et à accorder, au terme des élections législatives – qui ont eu lieu le 9 février –, un statut spécial aux provinces anglophones. Or, à la mi-février, est intervenu le massacre de Ntumbo, qui a fait plus de vingt morts, dont des enfants en très bas âge. Le président Macron a dénoncé, samedi 22 février, en réponse à une interpellation au salon de l'agriculture, « des violations des droits de l'homme au Cameroun qui sont intolérables », ce qui a fait réagir assez vivement la présidence camerounaise. Celle-ci a rejeté, par la voie d'un communiqué de presse, « des propos surprenants ».

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les initiatives que vous avez prises ou que vous entendez prendre pour accompagner le règlement de la crise au Cameroun – lors de notre mission, nos interlocuteurs nous ont souvent dit qu'ils attendaient de nous non pas des leçons, mais un accompagnement –, à la fois dans les régions Nord-Ouest et Sud-Ouest, mais aussi tout à fait au nord, dans la zone où se trouve Boko Haram, près du lac Tchad ?

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Monsieur le ministre, j'aimerais vous interroger sur la situation au Sahel, au travers du prisme de la relation franco-allemande et de la diplomatie parlementaire entre nos deux pays, qui a fait de nombreux progrès depuis deux ans. Trois dates importantes ont marqué ce début d'année. Les 5 et 6 février, l'Assemblée parlementaire franco-allemande s'est réunie, abordant notamment la question de la défense avec les ministres des deux pays, et, lors d'une réunion de son bureau, le président Ferrand a invité une délégation du bureau du Bundestag à participer au prochain G5 Sahel parlementaire. Le 12 février, une réunion conjointe des commissions des affaires étrangères de nos deux assemblées s'est tenue ; nous avons notamment décidé d'organiser une mission commune de parlementaires français et allemands au Mali, pour étudier concrètement l'évolution sur le terrain, non seulement du point de vue militaire, mais aussi sous l'angle du développement. Ma question est simple : êtes-vous pleinement informé de cette diplomatie parlementaire franco-allemande, monsieur le ministre, et pensez-vous qu'il s'agisse d'un levier d'action important ? Les parlementaires allemands sont systématiquement consultés dès lors qu'il est question d'envoyer le moindre soldat sur un théâtre d'opérations. Ne serait-ce que de ce point de vue, le développement de notre relation nous paraît important.

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Je souhaite évoquer la stratégie française dans la zone indopacifique. Le 19 février, notre commission a voté en faveur du projet de loi autorisant la ratification de l'accord-cadre entre l'Union européenne et l'Australie, qui va permettre de renforcer la présence européenne et française dans la région et d'approfondir notre partenariat avec ce pays. Au regard de cette avancée, pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie à venir autour de l'axe indopacifique ? Par ailleurs, quel bilan dressez-vous de cette politique multilatérale depuis deux ans, à la suite du discours du Président de la République à Garden Island, base navale de Sydney ?

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L'émergence brusque de la maladie à coronavirus COVID-19 vient nous rappeler que la conséquence principale de la globalisation est l'interdépendance. Pourtant, certains États n'en ont toujours pas compris l'importance. Lorsque les États-Unis – et plus particulièrement Donald Trump – décident d'instaurer des sanctions drastiques contre l'Iran, il condamne à l'inefficacité le système hospitalier iranien, car le pays n'a pas accès ne serait-ce qu'au strict minimum pour assurer une sécurité publique de base. De ce fait, l'Iran est devenu le deuxième pays le plus mortellement touché par le coronavirus après la Chine, avec un chiffre officiel de 66 morts et plus de 1 000 cas de personnes infectées. Le pays est devenu un foyer de contamination. La situation en Iran est très grave, à tel point que les États-Unis, mais surtout le reste du monde, risquent de payer cher les conséquences de cette façon de sanctionner les autres sans comprendre que l'interdépendance dans laquelle nous vivons crée un effet boomerang. Aussi, je voudrais savoir, monsieur le ministre, comment nous comptons aider l'Iran à redresser son système de santé et à gérer cette crise sanitaire.

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À la suite du récent sommet de Pau, une intensification des actions françaises et du G5 Sahel a été mise en oeuvre dans la région des trois frontières – Mali, Burkina Faso et Niger, là même où se concentre la majorité des attaques djihadistes. De fait, la situation se dégrade. Nous sommes également inquiets de voir le conflit s'étendre à des zones périphériques du Sahel, notamment autour du lac Tchad, dans la région limitrophe du Cameroun, du Nigéria et du Tchad : ces pays sont désormais directement menacés par la branche de Boko Haram affiliée à l'État islamique, qui est toujours en activité, comme en témoigne l'attaque récente contre un village au nord-ouest du Nigéria, qui a fait dix morts. Le Président de la République a lancé l'idée d'un partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, destiné à aider le G5 Sahel, et a évoqué l'hypothèse d'une extension de celui-ci au Cameroun et au Nigéria, de manière à former un G7. Ne faudrait-il pas aussi mettre en place une force de sécurisation dans la région du lac Tchad, aux frontières des trois pays que j'évoquais ?

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Madagascar est un ami de longue date de la France et un partenaire stratégique dans l'océan Indien, ce dont témoigne votre déplacement sur l'île, le mois dernier, lors duquel vous avez annoncé notre soutien, à hauteur de 240 millions d'euros, au projet « Initiative Émergence Madagascar » du président Rajoelina. L'indice malgache de développement humain demeure néanmoins l'un des plus faibles au monde. À cet égard, je me réjouis de constater que Madagascar fait partie des dix-neuf pays qui bénéficieront en priorité de l'aide au développement française.

Toutefois, l'avenir des relations franco-malgaches demeure troublé par la question de la souveraineté des îles Éparses. Le Président de la République s'est entretenu à ce sujet avec son homologue malgache en mai, et une commission mixte a été mise en place pour échanger à la fois nos arguments juridiques et nos propositions de développement. En décembre, s'est pourtant ouverte à Madagascar une concertation nationale sur les îles Éparses, à travers laquelle le gouvernement malgache a massivement mobilisé son opinion publique autour de l'archipel. Depuis 1896, la France exerce sans discontinuer une totale souveraineté sur ces terres, aujourd'hui administrées dans le cadre des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Si ces îles ne comptent aucune population civile permanente, leurs ressources sont extrêmement nombreuses et, du fait de leur emplacement, elles ont une grande importance stratégique : elles confèrent à la France une zone économique exclusive très étendue – 640 400 kilomètres carrés, soit 6 % de notre territoire maritime. À la suite de l'annonce d'une volonté commune des deux présidents de trouver un accord avant le 26 juin 2020, soixantième anniversaire de l'indépendance de Madagascar, quelles sont les pistes envisagées pour y parvenir ?

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Dans le cadre de la semaine de l'égalité femmes-hommes, nous étions plusieurs, hier, à vous voir remettre, avec Marlène Schiappa et Amélie de Montchalin, le deuxième prix Simone-Veil. Ce prix prestigieux symbolise l'engagement de la France envers celles et ceux qui font progresser les droits des femmes et l'égalité des sexes à l'échelle internationale. Cette année, la France a couronné la plateforme Vivas nos queremos, « Nous nous voulons vivantes », un collectif équatorien qui lutte contre les violences faites aux femmes. Le prix va permettre de conforter son action admirable et de rappeler que notre pays est à ses côtés, comme il est aux côtés de tous ceux qui luttent en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes. Pouvez-vous, à cette occasion, faire un point sur l'engagement de la France, initié par le Président de la République, pour l'égalité de genre au niveau international, et nous informer en amont sur le forum Génération Égalité, qui se tiendra en juillet 2020, de manière à ce que nous soyons toutes et tous mobilisés aux côtés de l'État français ?

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Fin 2019, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ont annoncé la fin du franc de la Communauté financière africaine (CFA), qui doit être remplacé par l'eco. Au-delà d'un changement de nom, cette décision est aussi l'occasion de mettre fin au dépôt des réserves de change en France, même si notre pays conservera son rôle de garant financier. J'aimerais savoir dans quelles conditions se fera le passage du franc CFA à l'eco et quelles sont les perspectives pour cette monnaie. Le franc CFA cristallisait de nombreuses critiques ; sa disparition va permettre, me semble-t-il, d'envisager un renouvellement profond des relations franco-africaines. Je voudrais connaître votre avis sur la question.

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Monsieur le ministre, comme vous le savez, le banquier français Philippe Delpal a été pris au piège par les autorités russes dans l'affaire Baring Vostok. M. Delpal est victime de procédures judiciaires absolument inqualifiables ; ses droits fondamentaux sont mis en cause, à commencer par sa liberté. Je voudrais, premièrement, que vous nous fassiez un point sur la situation telle que vous la percevez au Quai d'Orsay et, deuxièmement, vous demander quelles initiatives vous comptez prendre, car, au-delà de ce cas individuel, c'est toute la communauté entrepreneuriale française et européenne à Moscou qui se sent en situation d'extrême précarité juridique.

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Je n'aurai pas le temps de vous interroger sur le plan Trump et sur la brillante victoire de Benjamin Netanyahou, mais aussi sur les dissonances que j'ai perçues entre les déclarations du Président de la République et celles du Quai d'Orsay sur le sujet. Je préfère me concentrer sur une question plus urgente : député des Français d'Italie, je reçois chaque jour des centaines de mèls relatifs au coronavirus, qui touche très violemment ce pays voisin, ce pays frère. Comme vous le savez, près de cent mille Français habitent en Italie. Certains d'entre eux avaient des rendez-vous dans des hôpitaux lyonnais pour des problèmes de santé urgents et ne peuvent s'y rendre car ils se trouvent dans des zones plus ou moins à risque. Je voudrais vous entendre sur ce point vraiment très important, dont nous pourrions peut-être discuter également un peu plus tard. Je vous ai aussi envoyé une lettre concernant l'envoi de masques supplémentaires en Italie, même si cela paraît désormais compliqué.

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Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur la situation en Libye, car la situation au Sahel et en Tunisie dépend bien évidemment de la stabilisation de ce pays. Je vous ai d'ailleurs écrit à ce sujet. J'aimerais savoir si la position de la France va évoluer, notamment vis-à-vis du maréchal Haftar, lequel a, quoi qu'on en pense, conquis une partie importante de la Libye. L'envoi d'armes par la Turquie contribue à déstabiliser la région.

Je finirai par une remarque. Lors d'un voyage privé, j'ai eu l'occasion, encore récemment, de rencontrer des membres du corps diplomatique français à l'étranger. Tout en ayant bien sûr le sens du service public, ils sont inquiets des réductions d'effectifs. On peut comprendre les mesures de rigueur, mais, me disaient-ils, tandis que nous diminuons nos effectifs dans cette grande ville étrangère – je vous donnerai plus de précisions en privé –, la Chine, l'Allemagne, l'Angleterre et les États-Unis renforcent ceux de leurs consulats et de leurs ambassades. Est-ce comme cela que nous ferons face à la mondialisation ?

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Je réitère ma question, monsieur le ministre : création de « hotspots » ou création de pôles attractifs économiques ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur Bourlanges, nous suivons de très près l'affaire Delpal, et faisons part régulièrement de notre position et de notre détermination aux autorités russes. M. Delpal a obtenu une facilité – limitée et insuffisante –, qui consiste à pouvoir résider chez lui. J'ai rencontré la communauté d'affaires à Moscou, qui s'inquiète de la situation. Je ne manque pas de répéter régulièrement, à chaque entretien avec mes interlocuteurs, qu'il est nécessaire d'aboutir à une solution. C'est une très bonne chose que vous m'ayez interrogé sur la situation de M. Delpal, car cela se saura : c'est l'avantage des auditions publiques.

Monsieur Habib, je ne pourrai pas traiter de la question du coronavirus en quelques secondes. Je tiens tout de même à rappeler les trois principes observés par le ministère des affaires étrangères. D'abord, d'une façon générale, nous conseillons aux voyageurs qui le peuvent de repousser leurs déplacements – ce n'est pas là poser une contrainte, ni mettre le monde entier en zone orange. Ensuite, nous avons classé en zone rouge un certain nombre de territoires et mis en garde contre les déplacements dans ces lieux constituant des foyers – ce que l'on appelle maintenant des « clusters ». Enfin, c'est le ministère de la santé qui définit les recommandations, et nous les appliquons. Vous me parlez des difficultés rencontrées par certains de vos interlocuteurs en Italie. Nous nous sommes rendus dans ce pays la semaine dernière ; toutes ces questions ont été évoquées. Une réunion des ministres européens de la santé aura lieu après-demain. Nous allons essayer d'harmoniser nos positions. L'épidémie en tant que telle n'a pas encore été déclarée, mais la situation présente des risques, puisque nous sommes entrés dans la phase 2. Nous essayons de répondre aux préoccupations des experts et de faire en sorte, au niveau européen, d'adopter une position cohérente et homogène – généralement, dans ce domaine, nous sommes en harmonie avec les Allemands et les Italiens.

Madame Lazaar, il me sera également très difficile de vous répondre brièvement à propos du franc CFA. L'annonce qui a été faite est forte, historique. Elle a été initiée par le président Ouattara. Elle signifie la fin des réserves de change en France. La convertibilité avec l'euro sera quant à elle maintenue. C'est également la fin de la participation française aux instances de gouvernance. Les Africains doivent maintenant concrétiser la réforme en la mettant en cohérence avec le processus de monnaie unique en Afrique de l'Ouest, qui aura pour nom l'eco. Il convient en particulier d'identifier les pays qui vont adhérer au nouveau dispositif – pour l'essentiel ceux de l'Afrique de l'Ouest, mais le cercle sera peut-être élargi. Quoi qu'il en soit, c'est la responsabilité des Africains. Le président Ouattara est l'élément central de la mise en oeuvre du dispositif.

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Notre commission sera saisie dans le courant de l'année de l'accord entre la France et l'Union monétaire ouest-africaine.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur Joncour, il est vrai que la menace persiste autour du lac Tchad, singulièrement au Nigéria. La situation est préoccupante et incertaine, car nous avons affaire à deux mouvements – le groupe État islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP), dirigé par Al-Barnaoui et soutenu par Daech, et Boko Haram, dirigé par Shekau et qui est plutôt dans la mouvance d'Al-Qaïda – qui se font concurrence. Je me suis rendu il y a peu de temps à Maroua, dans la région Extrême-Nord, au Cameroun. Je suis aussi allé au Nigéria. La force multinationale mixte (FMM), dispositif que j'ai été amené à créer dans des fonctions antérieures, permet de mobiliser 10 000 hommes. Son siège est à N'Djamena, au Tchad, et une cellule de fusion du renseignement est installée à Abuja, au Nigéria. La menace est à peu près endiguée. Nous avons mobilisé un soutien humanitaire significatif dans l'ensemble de la zone pour appuyer les communautés autour du lac Tchad. Il n'en reste pas moins que la menace est constante ; c'est une source de graves préoccupations pour les autorités camerounaises, nigérianes et tchadiennes. L'élargissement du G5 Sahel n'est pas d'actualité car des dispositifs spécifiques existent déjà, qui ont donné des résultats. De plus, la menace est un peu différente. Nous préférons renforcer le dispositif existant, quitte à lui apporter les inflexions qui paraîtraient nécessaires.

Monsieur Quentin, vous avez rappelé mon déplacement historique au Cameroun. Je précise d'ailleurs que j'ai attendu, avant de m'y rendre, que des initiatives soient prises par le président Biya – en particulier la libération de prisonniers, y compris celle de M. Kamto, que j'ai rencontré, ainsi que d'autres personnalités de l'opposition. Nous avons fait savoir au président Biya qu'il était indispensable, de notre point de vue, d'engager des démarches visant à accroître la décentralisation et à approfondir la démocratie, dans le cadre des conclusions du grand dialogue national qu'il avait lancé, et de mettre en place un statut spécial pour les zones anglophones. Nous maintenons cette position. Une offre d'expertise a été faite au Cameroun ; nous attendons que les autorités s'en saisissent. Il importe que des gestes d'ouverture soient faits pour rétablir la confiance entre les parties. Il m'avait semblé que les choses s'étaient apaisées, mais peut-être avais-je fait preuve d'optimisme, ce qui n'est pas très fréquent vu les fonctions que j'exerce… Quand je me suis rendu là-bas, j'ai bénéficié d'un moment de calme véritable, après les nombreuses tempêtes que le Cameroun a connues. C'était avant les événements dans la région de Ntumbo, auxquels vous avez fait référence. Nous souhaitons faire toute la lumière sur cette attaque dans laquelle de nombreuses personnes sont mortes, et nous appuierons toutes les initiatives qui permettront de traduire en justice les auteurs de ces actes une fois qu'ils auront été identifiés, car il est tout à fait essentiel de savoir qui a fait quoi – d'autant que certains réseaux sociaux se livrent, comme toujours, à des interprétations, et propagent des déclarations qu'il est impossible de vérifier. Il faut établir les faits et, sur cette base, demander aux autorités d'engager les actions indispensables.

S'agissant des îles Éparses, madame Kuric, je me suis rendu à l'île Maurice et à Madagascar il y a quelques jours. J'ai rencontré le nouveau président, M. Rajoelina, qui est à la tête d'un pays particulièrement sinistré – c'est le moins qu'on puisse dire. Le président Rajoelina manifeste la volonté de relever les défis auxquels fait face son pays, mais ils sont énormes. Il ne faudrait pas que ces défis soient évacués au profit d'un autre, à savoir le statut des îles Éparses. Il y a la question des îles Éparses, mais il y a aussi celle du développement de Madagascar. Nous sommes convenus, dans un bon état d'esprit, de mettre en place une commission mixte consacrée à la question du statut des îles Éparses. Nous allons faire des propositions. Nous avons des points de vue différents sur la souveraineté de ces îles, constatons-le. Nous allons essayer d'agir pour faire en sorte que la contribution des îles Éparses au développement de Madagascar soit significative, car la situation économique et sociale du pays est extrêmement difficile.

Monsieur Waserman, en ce qui concerne la diplomatie franco-allemande, en particulier au Sahel, je trouve l'initiative du G5 parlementaire excellente. Cela permet, d'abord, d'assurer l'information presque en continu des différents acteurs – français et allemands, mais aussi des cinq pays du Sahel – et, ensuite, de faire en sorte que le mouvement s'engage. Nous avons eu de nombreuses réunions consacrées au Sahel ces derniers temps. Le sommet de Pau a été un moment très important. Je me suis rendu à nouveau au Sahel la semaine dernière, et j'y retournerai dans quelques jours. Je sens une volonté véritable des acteurs de mettre en oeuvre les mesures qui ont été actées lors du sommet de Pau. J'ai eu l'occasion de rencontrer les cinq chefs d'État dans une configuration restreinte pour faire le point. Les choses avancent bien. Les forces maliennes sont à Kidal depuis une dizaine de jours, et le Premier ministre malien s'y est rendu aujourd'hui, ce qui est un événement. Les forces françaises ont été renforcées. Un sommet de l'Alliance Sahel a eu lieu, pour traiter des questions de développement. Il a été très positif. Il arrive parfois que nous ayons de bonnes surprises et des satisfactions : cela en fait partie. J'imagine que le G5 parlementaire permettra de conforter le processus, mais aussi la collaboration franco-allemande à ce sujet.

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Les commissions des affaires étrangères allemande et française conduiront d'ailleurs une mission commune au Sahel avant l'été.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Madame Poletti, nous sommes conscients de la situation en Iran. Comme vous l'avez rappelé, ce pays est le deuxième foyer de coronavirus au monde en nombre de décès. Nous avons proposé un soutien matériel et financier franco-allemand et britannique aux autorités iraniennes. Nous avons fait parvenir à l'Iran des tests de dépistage et du matériel d'aide supplémentaire pour marquer notre solidarité – un avion est parti hier en urgence. Je n'ai pas abordé la question iranienne faute de temps, mais elle est évidemment importante, notamment s'agissant du nucléaire, car nous rencontrons quelques difficultés. Il n'empêche que, dans le contexte actuel, il fallait marquer notre solidarité, ce que nous avons fait.

Madame Givernet, j'ai l'habitude de parler de « conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs ». Les engagements que j'ai pris sont respectés, et c'est d'ailleurs, je crois, un fait reconnu : la diplomatie féministe avance. J'ai beaucoup travaillé sur le statut des conjoints de diplomates. Des accords leur permettent de trouver un travail plus facilement lors de nominations à l'étranger. Il reste des choses à faire, mais nous sommes sur la bonne voie. J'ai bien noté, par ailleurs, votre observation portant sur un sujet spécifique. Nous devons développer, acte après acte, une culture plus féministe de la diplomatie.

En ce qui concerne notre stratégie dans la zone indopacifique, vous avez évoqué, madame Le Peih, le discours fondateur du Président de la République à Sydney. L'enjeu est d'agir à la fois pour préserver les biens communs mondiaux, notamment la biodiversité, prévenir le changement climatique, développer les infrastructures entre les principaux acteurs de l'indopacifique, en relation avec nos territoires ultramarins, et favoriser la paix, la stabilité et la coopération entre l'Inde, le Japon, l'Australie et Singapour. Ce message est bien entendu, et des coopérations se mettent en oeuvre pour atteindre les objectifs. Ce sera particulièrement utile pour la préparation de la vingt-sixième conférence des parties (COP26). Certes, la période n'est pas propice aux déplacements, mais nous travaillons dans un état d'esprit positif. Nous sommes en train d'organiser une coopération d'un nouveau type, qui permet d'affirmer la puissance des acteurs et leur capacité à travailler ensemble autour des objectifs que j'ai détaillés.

S'agissant de la Libye, monsieur Dupont-Aignan, la réunion de Berlin a été positive. Les participants se sont accordés sur un certain nombre de conclusions. Le problème est maintenant de les mettre en oeuvre de manière efficace et concrète. Une difficulté nouvelle vient d'apparaître : le représentant du Secrétaire général des Nations unies, Ghassan Salamé, a démissionné – pour des raisons strictement personnelles. Il va falloir le remplacer rapidement pour éviter que l'esprit de Berlin ne se perde.

Il faut avancer sur plusieurs sujets. La coopération militaire qui a été décidée à Berlin dans le cadre de ce que l'on appelle le « 5+5 Défense » devrait permettre de passer de la trêve – même si cette dernière est plus ou moins respectée – au cessez-le-feu – lequel suppose des accords. Le 5+5 Défense s'est réuni. Manifestement, les choses avancent, même si le processus n'a pas encore abouti.

S'agissant, ensuite, de l'embargo sur les armes, nous avons pris des initiatives au niveau européen : un dispositif militaire sera proposé lors du Conseil européen des ministres des affaires étrangères du 23 mars. Il s'agit de mettre en oeuvre une nouvelle mission de l'Union européenne – car ce ne sera plus la mission Sophia –, dont l'objectif sera d'intervenir pour préserver l'embargo. C'est une grande avancée. De très longues discussions ont eu lieu pour aboutir à un résultat ; les choses ont bien avancé. Certes, il faudra ensuite faire respecter l'embargo, mais la mise en oeuvre de la mission sera déjà un élément important.

Par ailleurs, le dialogue politique interlibyen, qui a commencé à Genève, met du temps à aboutir.

Le dernier point de l'accord de Berlin concerne la levée du blocage des terminaux pétroliers, tenus par Haftar, en contrepartie d'un contrôle des ressources issues des exportations pétrolières.

Les choses avancent sur ces différents points – un peu moins vite que nous le souhaiterions, il est vrai. Quoi qu'il en soit, il s'est passé quelque chose à Berlin. Il importe donc d'éviter que le processus ne soit rompu à la suite du départ de Ghassan Salamé. Dans cet objectif, nous avons renforcé notre relation avec l'Italie. Un sommet franco-italien s'est tenu la semaine dernière à Naples, lors duquel nos deux pays ont constaté qu'ils étaient en phase. Il faut que nous demandions partout, l'un et l'autre, le respect des accords de Berlin – je le ferai auprès du maréchal Haftar comme du gouvernement d'entente nationale, car je rencontrerai prochainement les deux parties. Chacun dit à l'autre ce qu'il fait pour faire en sorte que les choses avancent. C'est une longue histoire ; nous sommes désormais sortis du doute, même si nous n'en sommes pas encore aux actes.

Madame Rauch, je me suis exprimé hier, à l'occasion de la remise du prix Simone-Veil, sur le vingt-cinquième anniversaire de la conférence de Pékin.

Si cela ne vous ennuie pas, monsieur Laabid, je vous répondrai la prochaine fois : j'ai une contrainte d'emploi du temps. Si je ne vous quitte pas immédiatement, cela va poser un problème diplomatique.

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Monsieur le ministre, nous vous remercions tous et toutes. Je suis désolée d'avoir bousculé votre intervention initiale, mais il était très important que nous allions au fond de la question et que nous essayions de trouver un commencement de solution au conflit entre la Syrie et la Turquie.

La séance est levée à 18 heures 35.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aude Amadou, M. Hervé Berville, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cabaré, M. Jean-Michel Clément, M. Alain David, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Mustapha Laabid, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. François de Rugy, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman

Excusés. - Mme Ramlati Ali, Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Yves Blein, Mme Valérie Boyer, M. Pascal Brindeau, M. Moetai Brotherson, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Olivier Dassault, M. Bernard Deflesselles, M. Christophe Di Pompeo, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Philippe Gomès, Mme Véronique Hammerer, M. Alexandre Holroyd, M. Christian Hutin, Mme Sandrine Josso, M. Mansour Kamardine, Mme Sonia Krimi, Mme Amélia Lakrafi, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Brigitte Liso, M. Mounir Mahjoubi, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Christophe Naegelen, M. Pierre Person, M. Jean-François Portarrieu, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Michèle Tabarot, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, Mme Bénédicte Taurine, M. Guy Teissier

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, Mme Fiona Lazaar