Je voudrais, avant de répondre à vos questions, remettre les choses en perspective en rappelant quelques chiffres. La Syrie comptait, avant le début du conflit, 22 millions d'habitants. Aujourd'hui, on estime que 7 millions de personnes ont été déplacées au moins une fois sur le territoire syrien et on dénombre 5 millions de réfugiés, dont 3,5 millions en Turquie et 1,2 million au Liban – les Libanais nous en parlent dès que nous les rencontrons –, les autres se trouvant pour l'essentiel en Jordanie. Il doit être bien clair pour tout le monde qu'à la frontière gréco-turque se trouvent des réfugiés, tandis que la zone d'Idlib abrite des déplacés. Il ne faut évidemment pas les confondre. Plusieurs d'entre vous ont affirmé que le président Erdogan avait ouvert sa frontière avec la Grèce. Elle demeure en réalité fermée, puisque l'Europe et la Grèce ne l'ont pas ouverte, et n'ont pas l'intention de le faire. Si un message fort doit être adressé demain ou après-demain, à l'issue de la réunion des ministres des affaires étrangères, c'est le soutien total de l'Union européenne à la Grèce. Nous engagerons en sa faveur les moyens correspondants, que ce soient ceux de FRONTEX ou ceux mobilisés pour répondre aux demandes complémentaires que nous a adressées le gouvernement grec. Je suis en relation téléphonique directe avec mon homologue, que je verrai demain. Il n'est pas question, bien évidemment, d'ouvrir la frontière. Il faut la sécuriser, et nous le ferons. Les choses sont claires.
Monsieur Habib, je me permets de vous faire remarquer que les seuls à nous avoir demandé une intervention militaire sont les Turcs. La Grèce n'a pas formulé une telle demande, mais a sollicité une aide, à laquelle nous allons répondre, pour sécuriser sa frontière. Bien évidemment, il est dans notre intention que cette frontière reste fermée. Tout m'indique que la position européenne sera très forte à cet égard. J'en profite pour vous signaler que le président du Conseil européen, Charles Michel, et le haut représentant Josep Borrell se réunissent en ce moment même. Nous aurons connaissance des résultats de ces échanges demain, lors de la réunion de Zagreb.
Je le dis publiquement : nous avons une série de contentieux lourds avec la Turquie, dont je suis prêt à faire l'inventaire avec vous. Dans le Nord-Est syrien, la Turquie a attaqué, de manière unilatérale, les Kurdes – qui sont nos alliés, en particulier dans le combat contre Daech. En Méditerranée orientale, l'interprétation turque est, à notre avis, contraire au droit de la mer. En Libye, la Turquie diligente un appui militaire, y compris au moyen de forces de « proxy » syriens, en violation de l'embargo décidé par les Nations unies. D'autres contentieux lourds concernent les droits fondamentaux, l'instrumentalisation des migrants, ou encore la rupture unilatérale de l'accord de 2016.
C'est parce que je dis les choses clairement, monsieur Dupont-Aignan, que je suis en désaccord avec votre lecture de mon communiqué du 28 février. Nous exprimons nos contentieux publiquement – comme j'ai eu l'occasion de le dire récemment au Sénat – mais, lorsque le régime syrien – et non la Turquie, monsieur le député – rompt l'accord de Sotchi, il faut le dire. Nous avons affirmé que nous étions soucieux du respect de cet accord. Lorsque le régime syrien attaque unilatéralement l'armée turque, qui est chargée d'assurer l'application de l'accord – il faut se référer au texte – dans la zone d'Idlib, nous exprimons notre opposition. Cela ne nous empêche pas d'être aussi fermes que je viens de l'expliquer sur le reste.
M. Bouchet a mis en évidence les contradictions caractérisant les relations russo-turques, et les difficultés qui en résultent pour ajuster son jugement. Le positionnement turc au sein de l'OTAN se caractérise aussi par une grande ambiguïté, illustrée par plusieurs événements récents. Premièrement, la Turquie a attaqué, dans le Nord-Est syrien, les FDS, composées essentiellement de Kurdes, qui sont toujours nos alliés dans la lutte contre Daech. Le combat contre cette organisation n'a pas cessé – la situation en Irak est d'ailleurs très problématique. Autrement dit, les Turcs attaquent des alliés de la coalition dont l'OTAN – et nous-mêmes – sommes membres. Deuxièmement, en Méditerranée orientale, la Turquie a délimité illégalement une zone qu'elle considère comme sa zone économique exclusive. Elle y mène des manoeuvres militaires contre un autre membre de l'alliance. Troisièmement, la Turquie a demandé récemment le soutien de l'OTAN et des mesures de réassurance, en termes de défense aérienne et antimissile, tout en achetant du matériel russe S-400, qui a la même vocation et qui n'est pas interopérable avec les éléments de l'alliance. Quatrièmement, quand la Turquie est attaquée à Idlib et qu'elle perd des hommes dans une mission de sécurisation globale de la zone, elle demande à bénéficier de la solidarité de ses alliés, en invoquant l'article 4 du traité de l'Atlantique Nord, tout en instrumentalisant les réfugiés – dont elle organise le déplacement, en particulier à sa frontière terrestre.