L'épidémie est en train de compliquer considérablement la situation dans un certain nombre de crises déjà très actives dans le monde. Ainsi, en Syrie et en Irak, le risque de diffusion du Covid-19 dans les zones du Nord-Ouest syrien, où sont massés plusieurs millions de Syriens dans des conditions extraordinairement difficiles sur le plan humanitaire, rendrait la situation potentiellement encore pire. À la demande du ministre, le centre de crise a d'ailleurs décidé de participer à l'effort mené par l'OMS et les organisations non gouvernementales (ONG) pour mettre en place un programme dédié au Covid-19. Dans le Nord-Est syrien, l'essentiel de l'aide, et singulièrement l'aide française, transitait jusqu'à présent par un point de passage situé tout au nord de la frontière entre le Kurdistan irakien et la Syrie, fermé depuis hier ; nous avons alerté lundi les ONG françaises encore en mesure de travailler sur place, et qui apportaient une aide absolument déterminante, en les pressant de repasser très vite du côté du Kurdistan irakien. Même si elles conservent du personnel local, qui peut continuer à mener certaines activités, cela porte directement atteinte à leur capacité à porter assistance à la population. C'est dans ce contexte très compliqué que l'enveloppe financière spéciale de 50 millions d'euros décidée par le Président de la République en faveur de la Syrie intégrera en 2020 une dimension Covid-19.
L'Afrique est évidemment le continent qui nous préoccupe le plus : si le nombre de cas recensés est pour l'heure le plus faible de tous les continents, il est évident que cela est très largement lié à la capacité de diagnostic. L'épidémie arrive progressivement, avec un pays qui semble malheureusement particulièrement frappé dans la zone : le Burkina Faso, qui n'avait vraiment pas besoin de cela, compte tenu de ce qu'il se passe dans le Sahel. La situation, déjà extrêmement préoccupante, devient très problématique : plusieurs de ses dirigeants ont été testés positifs au Covid-19, certains ont même déjà succombé.
Ces deux exemples, mais j'aurais pu les multiplier, montrent qu'il ne faut pas se contenter de se concentrer sur la question, certes majeure, de la situation de nos ressortissants à l'étranger : il faut bien comprendre que tout cela a un impact plus large et ajoute souvent de la crise à la crise.
Pour ce qui concerne nos ressortissants, il faut distinguer deux situations bien différentes : celle des ressortissants français qui étaient en voyage et celle de nos ressortissants résidents.
S'agissant des premiers, je rappelle tout d'abord, puisque la cellule de crise est chargée des conseils aux voyageurs, que nous avons, dès le 2 janvier 2020, c'est-à-dire très tôt dans le développement de cette épidémie, émis le premier conseil aux voyageurs faisant état de l'émergence d'une nouvelle pathologie infectieuse en Chine. Depuis, nous avons modifié à plus de cinq cents reprises nos conseils aux voyageurs pour tenir compte tant de l'évolution de l'épidémie que des mesures prises dans les pays pour y répondre, dont les restrictions de déplacement et le confinement. Dès fin février, de très nombreux pays commençant à prendre des mesures de restriction diverses et variées, nous avons émis un conseil générique à destination de l'ensemble des voyageurs français, publié en alerte de dernière minute, pour les inviter à différer dans toute la mesure du possible leurs voyages. Autant d'éléments qu'il ne faut pas oublier dans le contexte actuel.
Désormais, 173 pays, soit pratiquement tous les pays du monde, ont adopté des mesures restrictives, notamment à l'égard des ressortissants français ou des personnes quittant le territoire français. Du coup, environ 130 000 Français voyageant pour des raisons touristiques ou professionnelles se sont retrouvés la semaine dernière sans solution de retour, ou en tout cas avec des possibilités de retour fortement compromises. Le centre de crise a donc mis en place un dispositif dédié : nos équipes se relaient, à raison de trente agents par rotation, pour assurer jour et nuit une réponse téléphonique ; des dizaines de milliers d'appels ont été enregistrés. Les ambassades et les consulats se sont également mobilisés pour répondre à nos compatriotes et mis en place cellules de crise et permanence téléphonique.
Mais nous ne nous sommes pas contentés de collecter les préoccupations de Français et d'essayer de donner des informations : nous avons décidé, à la demande du ministre, de mobiliser tous les postes diplomatiques afin de faire remonter les besoins recensés pays par pays, parfois ville par ville. Ce bilan nous arrive de l'ensemble des pays du monde tous les jours à onze heures du matin ; ensuite, nous traitons les demandes, d'abord par des démarches diplomatiques pour obtenir des reports des mesures d'interruption des liaisons aériennes, ensuite en essayant de trouver des vecteurs aériens susceptibles de répondre aux besoins.
Nous avons donc mis en place un dispositif vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec Air France, dont je tiens à souligner l'incroyable détermination et la relation parfaite qui s'est instaurée entre nous. Le pont ainsi établi avec Air France, mais aussi avec d'autres compagnies, nous permet de maintenir des capacités de liaisons ville par ville, pays par pays, en dépit du fait que les ressources humaines des compagnies aériennes sont considérablement contraintes par les effets du Covid-19 ; notre souci était de maintenir la capacité commerciale – c'était la priorité – tout en veillant à ce que les prix restent modérés. Nous continuons à appliquer cette stratégie et nous échangeons jour et nuit avec Air France pour procéder aux ajustements nécessaires.
Le deuxième mécanisme intervient quand les compagnies du groupe Air France ne sont pas en mesure de répondre aux besoins : nous avons décidé d'affréter des vols charters à destination de certains pays d'accès difficile, où ni Air France ni Transavia ne sont en mesure de maintenir des rotations. Nous l'avons fait également, en liaison avec le mécanisme européen qui permet, dans certains cas, de mutualiser les moyens.
Au total, sur les 130 000 personnes dont je parlais tout à l'heure, plus de 80 000 avaient pu revenir dans notre pays, essentiellement grâce aux mécanismes que je viens de décrire, même si certains voyageurs ont pu trouver par eux-mêmes quelques liaisons. Nous avons encore progressé depuis hier.
Ainsi, au Maroc, il y a dix jours, plus de 20 000 voyageurs français étaient bloqués du fait de l'interruption des liaisons aériennes. Le pont aérien que nous avons mis en place, grâce notamment à Air France et Transavia, a permis de tous les rapatrier en une semaine, par le biais de plus de cent quarante vols – alors que les autorités marocaines avaient initialement décidé l'arrêt de toutes les liaisons aériennes. Les interventions diplomatiques et politiques ont permis d'obtenir le report de cet arrêt : le ministre Jean-Yves Le Drian s'est entretenu quatre fois au téléphone avec son homologue marocain pour lui demander, pratiquement jour après jour, de décaler cette fermeture. En parallèle, nous travaillons avec Air France et Transavia pour débloquer des vols.
De même, un vol spécial en provenance des Philippines, avec quatre cent six passagers à son bord, est arrivé aujourd'hui à Paris – en l'espèce, Air France n'était pas en mesure d'assurer la liaison. Trois cent cinquante Français étaient bloqués dans l'île de Cebu et quelques-uns venaient de Manille.
Il y a deux jours, au Pérou alors que nos ressortissants étaient bloqués à Lima et que l'aéroport civil était totalement fermé, nous avons obtenu l'autorisation qu'un vol d'Air France se pose sur l'aéroport militaire de la capitale péruvienne, afin de pouvoir les embarquer.
En Afrique, nous avons obtenu que la ligne avec Dakar et celle avec Abidjan soient maintenues. En Tunisie, plus de 12 000 Français étaient bloqués ; pratiquement tous, à quelques dizaines près, ont été rapatriés en une semaine.
Je vous épargnerai la liste des près de cent pays dans lesquels nous avons mis en place ce type de dispositif. Bien entendu, nous comprenons l'impatience et la frustration de nos compatriotes qui n'ont pas encore pu en bénéficier. Reste que plus de 80 000 Français sur les 130 000 concernés ont tout de même rejoint notre pays en moins de dix jours. Nous ne nous en satisfaisons évidemment pas, puisqu'il reste encore des gens à l'étranger, mais ce n'est pas négligeable.