Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. :

Madame Thomas, les circonstances rendent encore plus nécessaire le renforcement de l'aide publique au développement. Sitôt que le Parlement aura retrouvé une activité normale, nous reprendrons ce dossier majeur. Nous nous engageons de manière concrète et rapide en faveur de l'Afrique, en visant l'exemplarité. Face à certaines puissances qui essaient d'accroître leur influence dans le contexte de la crise, notre force vient de l'articulation entre l'aide au développement, de long terme, et le soutien lié au Covid-19.

Monsieur Quentin, nous avons fait des gestes en faveur de l'Italie et nous continuons à le faire. Nous lui avons offert une assistance technique et des équipements. Nous avons montré notre solidarité lors du sommet franco-italien à Naples. Nous entretenons une complicité d'action et de proposition avec nos amis italiens. Par ailleurs, nous devons être vigilants en matière de cybersécurité – le contexte étant porteur de risques – même si nous n'avons pas constaté d'attaques d'une ampleur inhabituelle. Enfin, M. Blanquer et moi-même avons exprimé notre soutien aux personnels enseignants des établissements français à l'étranger, qui sont quasiment tous restés sur place pour assurer la continuité pédagogique.

Monsieur David, nous avons proposé la constitution d'un fonds de relance pour réinvestir collectivement nos ressources, car aucun pays européen ne s'en sortira seul et il n'en faut laisser aucun sur le côté. Le Président de la République a fait une déclaration en ce sens avec huit autres chefs d'État et de gouvernement. Le débat est en cours. Sur le reste des engagements financiers européens – qui excéderont 1 500 milliards –, plusieurs points ont d'ores et déjà été actés. Je fais confiant à Bruno Le Maire pour aboutir à une position commune, même si, pour l'heure, les discussions sont assez difficiles…

Monsieur El Guerrab, nous sommes en discussion sur la reprise des dettes. Nous avons une position très offensive sur le sujet, mais il faut parvenir à un accord unanime de tous les acteurs du Club de Paris – y compris les Chinois – sur le moratoire et, à notre sens, sur la restructuration de la dette.

Madame Tanguy, je ne renie pas l'expression « diplomatie du masque », dont nous-mêmes avons déjà été acteurs. Lorsque la Chine s'est trouvée en difficulté, à Wuhan, nous lui avons fait parvenir des moyens de protection sanitaires, parmi lesquels des masques, qu'elle nous a ensuite rendus. Aujourd'hui, la Chine est devenue l'atelier du monde, en particulier pour la production de masques. Si, du fait de nos efforts, nous parvenons à en produire 8 millions par semaine, nous avons toujours besoin d'en importer ; nous en avons commandé plus de 2 milliards et en recevons, tous les deux jours, par un pont aérien. Nos équipes à Pékin organisent le dispositif. Je n'ai pas eu connaissance de contentieux concernant nos commandes. Toutefois, la tension va se poursuivre, car les États-Unis, qui n'étaient pas préparés à une arrivée aussi rapide de la pandémie, sont confrontés à l'insuffisance de masques et font pression sur la production chinoise. Cela étant, toutes nos commandes sont honorées, et les autorités chinoises font preuve la plus grande bénévolence à notre égard.

Madame Poletti, monsieur Joncour, je partage votre analyse. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – le P5 – doivent assumer leurs responsabilités et prendre des initiatives pour mieux coordonner les efforts internationaux et aboutir à une trêve humanitaire sur l'ensemble de la planète, dans le prolongement de l'action du Secrétaire général des Nations unies. Le président Macron s'emploie à faire avancer ce concept avec une grande détermination, malgré les obstacles que constituent les tensions entre les États-Unis et la Chine et l'action des terroristes. Cette trêve serait particulièrement opportune dans des territoires comme Gaza ou le Yémen.

Le lien entre climat et santé est évident. Les grands biens communs mondiaux que sont la santé, le climat et l'éducation reviennent à l'ordre du jour. C'est un appel à se mobiliser pour relancer le multilatéralisme. À cet égard, il faut renforcer l'OMS, qui n'a pas les moyens d'agir, même si elle a joué un rôle d'alerte. Lors de la sortie de crise, nous devrons prendre des initiatives pour que les biens communs mondiaux soient au coeur du nouveau multilatéralisme. Nous sommes de plus en plus entendus à ce sujet.

Il faudrait instituer une Haute autorité mondiale de la santé, à la manière du GIEC climat. En effet, la parole des experts du GIEC est respectée. Leurs interpellations et leurs alertes ont permis une prise de conscience mondiale et la tenue de conférences internationales. Je souhaite l'institution d'une sorte de « GIEC santé », où se retrouveraient des experts reconnus internationalement, à même d'alerter nos concitoyens mondiaux sur la gravité d'une situation. Nous pourrions parallèlement renforcer les moyens d'action de l'OMS, qui est un outil de mise en oeuvre des orientations. Sans le GIEC, il n'y aurait pas eu l'accord de Paris. Faisons en sorte que la pandémie permette la création d'un « GIEC santé », autonome, indépendant et respecté par tous.

Je transmettrai bien évidemment vos remerciements. Il faut rendre hommage au centre de crise et de soutien, mais aussi aux postes diplomatiques et consulaires, qui ont souvent été confrontés aux impatiences de nos concitoyens. Lorsque le Maroc a fermé ses frontières et supprimé le trafic aérien, 20 000 Français s'y trouvaient totalement bloqués. Il a fallu dix jours pour les rapatrier, organiser des dizaines de vols et mettre en place un véritable pont aérien entre nos deux pays.

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