Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. :

La Turquie a fermé ses frontières et bloqué toutes les exportations. Bien que nos relations ne soient pas toujours fluides, je sais, monsieur Habib, que vous êtes intervenu auprès de notre ambassadeur pour essayer d'agir ; mais, pour l'heure, la réalité est celle-là.

J'en profite pour répondre à M. Lecoq que nous sommes tout à fait défavorables aux mesures extraterritoriales : cela vaut pour l'Iran comme pour Cuba.

Je suis tout à fait conscient des lourdes conséquences de la crise sanitaire sur le fonctionnement de nos établissements d'enseignement à l'étranger. Bien que, à ma grande satisfaction, la quasi-totalité des enseignants assurent la continuité pédagogique alors que presque tous les établissements sont fermés, je ne sous-estime pas les difficultés financières. L'AEFE nécessitera vraisemblablement un plan d'urgence ; l'enjeu est en effet d'importance pour notre influence. Je serai donc vigilant et déterminé à engager les actions nécessaires à garantir, dans ce nouveau contexte, la pérennité et la force de notre réseau.

L'Iran fait face à plusieurs crises simultanées. À la crise économique liée la rupture de l'accord de Vienne, le JCPoA, s'ajoutent la crise politique, qui se traduit par un durcissement de l'attitude des autorités à l'égard de velléités de protestation de la population, mais aussi, plus récemment, une crise financière consécutive à la baisse des cours du pétrole, et enfin la crise sanitaire. Les chiffres dont nous disposons sur la situation en Iran sont variables, mais nous savons que la diffusion du virus y est considérable.

Pour ce qui nous concerne, nous avons, avec le Royaume-Uni et l'Allemagne apporté à ce pays une aide concrète dès le début de la crise, notamment en soutenant financièrement l'OMS dans les actions qu'elle a entreprises pour aider la population.

INSTEX a par ailleurs commencé à fonctionner pour les filières pharmaceutiques, sanitaire et alimentaire, qui avaient échappé aux mesures extraterritoriales décidées par les États-Unis. Il est désormais possible de faire vivre le dispositif INSTEX, et les autorités iraniennes doivent nous aider à activer de nouvelles propositions afin de le faire rapidement monter en puissance.

Nous avons constaté que la Russie avait porté assistance à certains de ses partenaires – l'Italie, la Biélorussie, la Serbie, l'Arménie, et même les États-Unis – et qu'elle a largement médiatisé cette assistance. Je respecte la solidarité dont elle fait preuve, et l'Union européenne doit faire de même. À nous de faire en sorte que les actions de soutien que nous menons à l'égard, par exemple, des pays africains, s'inscrivent dans un récit positif.

La diffusion du virus s'étend en Russie mais reste principalement concentrée autour de Moscou. Même si la létalité est pour l'instant assez faible, l'épidémie ne va pas manquer de constituer un défi majeur pour le système de santé russe.

Face à la défiance des populations africaines vis-à-vis des autorités locales, nous devons agir avec humilité, nous garder d'être des donneurs de leçons, mais accompagner nos partenaires africains en facilitant notamment la mobilisation financière. Très concrètement, il s'agit de réorienter l'aide et de favoriser l'action immédiate par le soutien aux ONG sur le terrain, la mobilisation des équipes médicales et l'envoi de matériel et d'équipements. Nous soutenons également les antennes locales de l'institut Pasteur, qui contribuent à la formation des biologistes et aux contrôles qualité. Nous entendons mener des actions concrètes et non des opérations de propagande ou seulement d'un jour.

Pour ce qui est de la sécurisation des expatriés, nous travaillons à la mise en place de plans de sécurité sanitaire dans les pays les plus vulnérables.

Les grands événements internationaux sur lesquels m'a interrogé Laetitia Saint-Paul ne sont pas supprimés, mais reportés au premier semestre 2021.

La mission des Casques bleus de l'ONU, madame Amadou, n'est pas vraiment de participer à des opérations sanitaires. En revanche, les Nations unies sont un lieu central pour définir une politique globale de lutte contre la pandémie. Je l'ai évoqué tout à l'heure, en insistant sur le rôle singulier des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

Je partage l'opinion de Jean-Louis Bourlanges sur le manque de lisibilité de ce qui est mis en oeuvre par l'Union européenne. L'urgence du moment est de faire aboutir les discussions sur la solidarité financière et sur la relance économique. C'est d'ores et déjà indispensable, car des pans entiers de l'industrie européenne sont en grande difficulté : si nous ne faisons rien pour les relancer, ils sont voués à s'affaiblir, voire à disparaître. En revanche, la mobilisation financière atteint un niveau inédit : c'est à mettre au compte des avancées que les Européens convaincus que nous sommes se doivent de mettre en avant.

Je confirme à Bernard Deflesselles que les équipes que j'ai l'honneur de diriger ont été à la hauteur de leur tâche ; elles se sont dépensées jour et nuit pour régler des situations souvent ingérables, parfois ahurissantes, comme au Vanuatu ou dans l'Himalaya.

Il va falloir, le temps venu, remettre sur le métier le cadre financier pluriannuel européen pour l'adapter. Les négociations reprendront dans les prochains mois, et le climat ne devra évidemment pas passer à la trappe, compte tenu du lien évident entre santé et climat. Nous devons nous battre ensemble pour préserver ces biens communs de l'humanité. Quoi qu'il en soit, ces négociations dépendront pour partie de ce que décidera demain l'Eurogroupe, sachant que la France milite pour que les moyens financiers affectés au cadre financier pluriannuel soient augmentés.

L'acheminement de l'aide sanitaire est d'autant plus crucial que les frontières sont fermées et les communications ralenties, mais la question des couloirs humanitaires reste complexe. C'est aux Africains d'envisager la manière dont peut se faire cet acheminement pour que l'aide arrive à ses destinataires et ne fasse pas l'objet de prédations diverses. Sans doute devra-t-on envisager un pont aérien à partir de l'Union européenne.

Il en va de même pour la question alimentaire : certaines populations africaines risquent d'être victimes d'une crise alimentaire. Le Président de la République devrait très prochainement s'exprimer sur les initiatives à prendre avec les principaux acteurs de l'Union africaine.

Quant aux médecins africains, monsieur Marilossian, ils ont évidemment toute leur place dans le dispositif de lutte contre la pandémie, qui n'a pas pour l'instant pris en Afrique la dimension que l'on pouvait craindre. Il faut la retarder le plus possible et c'est la raison pour laquelle il faut engager le plan pour l'Afrique dans les plus brefs délais.

Le GAVI est un outil essentiel pour contenir le virus. L'alliance tiendra en juin, sous la présidence du Royaume-Uni, sa réunion visant à reconstituer le fonds. Notre doctrine financière en la matière n'est pas encore arrêtée, mais la France sera au rendez-vous de cette recapitalisation. C'est un enjeu essentiel : une fois le vaccin mis en point, encore faut-il qu'il soit diffusé et que les populations les plus fragiles, en particulier dans les pays africains, soient vaccinées.

La relance du secteur aéronautique fait partie des grands enjeux du plan de relance, qui doit permettre un réamorçage rapide lors de la sortie de la pandémie. À cet égard, il est essentiel, pour l'harmonie de nos relations futures, que les États membres de l'Union européenne coordonnent au mieux leur sortie de crise et leur déconfinement.

Nous avons en l'occurrence des relations très saines avec nos voisins, y compris avec l'Allemagne, même si j'entends, madame Trisse les difficultés qu'éprouvent les travailleurs transfrontaliers du fait de la limitation des points de passage entre nos deux pays. J'ai bien pris note de cette alerte et j'en ferai part à mon homologue, pour éviter que le travail que nous menons avec les Allemands, qui ont à notre endroit de formidables gestes de solidarité, ne soit perturbé par une mauvaise interprétation de la relation transfrontalière.

Le référendum en Guinée s'est soldé par la victoire du oui à 90 %, mais l'inquiétude des observateurs sur le déroulement du processus électoral a conforté les craintes sur l'évolution du pays, qui risque de basculer dans une triple crise politique, communautaire et sanitaire. Nous devons malgré tout, comme nous l'avons fait avec le virus Ebola, lutter en Guinée contre le Covid-19, en nous appuyant sur l'institut Pasteur de Conakry, et ce malgré les grandes réserves que peut inspirer l'initiative du président Alpha Condé.

Je voudrais enfin indiquer à M. Buon Tan que, afin de faciliter l'acheminement de matériel depuis la Chine, nous avons mis en place à Pékin une task force qui mobilise les services diplomatiques et économiques, les services de coopération et les services scientifiques pour identifier les entreprises susceptibles de nous fournir des prestations et des équipements et garantir que ceux-ci soient bien acheminés par le pont aérien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.