Au sujet du Haut Conseil des finances publiques et des estimations macroéconomiques, la question n'est pas d'être optimiste ou pessimiste mais de prévoir en fonction des informations fiables dont nous disposons au 19 mars 2020, par rapport à ce que nous comprenons de l'évolution d'une crise sanitaire qui est elle-même la source d'une crise économique. Par nature, la crise actuelle est très différente de celle que nous avons connue il y a douze ans : c'est d'abord la victoire face au virus qui sera la condition d'une sortie de crise économique et financière.
Il est plus sain, me semble-t-il, d'avancer par étapes, à une échéance d'un ou deux mois, plutôt que de se forcer à faire des évaluations très hasardeuses de soldes publics dont le résultat final est, pour le moment, absolument impossible à déterminer. Pour ma part, je suis donc très à l'aise avec un projet de loi de finances rectificative comportant une mission nouvelle, comprenant deux programmes et prévoyant des crédits pour un ou deux mois en fonction du programme. Certes, le solde public actuellement fixé à -3,9 % du PIB sera probablement revu, mais nous ne savons pas dans quelle mesure, et il est inutile de vouloir jouer les bookmakers sur ce point. Le Haut Conseil des finances publiques reconnaît le sérieux et la sincérité de ce PLFR, tout en soulignant que les prévisions sur lesquelles il repose sont, par définition, incertaines, dans la mesure où nous faisons face à une crise extrêmement atypique.
Il n'y a aucune raison de s'interroger sur la sincérité de ce projet de loi, la vraie question qui se pose est de savoir si nous sommes en mesure de voir plus loin. Sur ce point, la réponse est non : nous ne pouvons qu'avancer pas à pas, en fonction de ce que l'on sait. Dans ces conditions, il y aura évidemment au moins un autre collectif dans les mois qui viennent, en fonction de l'évolution de la crise – ne serait-ce que pour réévaluer les dotations et les crédits budgétaires en fonction des nouveaux programmes.
Madame Louwagie, vous avez souligné que le fonds de solidarité comportait des critères – notamment le seuil de 70 % de perte de chiffre d'affaires – pouvant paraître un peu restrictifs pour certaines d'entreprises. Comme nous tous, j'ai été contacté par des chefs d'entreprises soucieux de savoir s'ils pourraient bénéficier du fonds – l'un d'eux, par exemple, se demandait si le fait d'avoir commencé son activité en mai 2019 l'excluait du dispositif. Sur ce point, le ministre de l'économie a été clair : l'aide forfaitaire de 1 500 euros par mois est attribuée de façon automatisée, par voie de notification, dès lors que les critères sont remplis et, quand ils ne le sont pas, les entreprises en difficulté doivent contacter la DIRECCTE afin de bénéficier, au cas par cas, d'un accompagnement en trésorerie. L'idée n'est pas de toucher un forfait de 1 500 euros quand les critères sont remplis et rien du tout quand ils ne le sont pas. Il est évident qu'une entreprise qui perd 68 % d'activité sur la période de référence est elle aussi en difficulté et doit bénéficier d'un accompagnement : il faut éviter que des effets de seuil aient pour conséquence de mettre en grave difficulté les entreprises qui seraient juste en dessous des critères retenus.
Madame la présidente Rabault, vous vous interrogez sur les conditions tarifaires de la garantie de Bpifrance. En la matière, il y a d'abord des règles au niveau européen, qui imposent que, s'agissant de celles relatives aux aides d'État, la garantie soit payante. Je précise à l'attention de M. Corbière, qui a déposé une proposition de loi sur ce point, que ce sont les établissements bancaires qui payent les frais et commissions de garantie à Bpifrance. Cela se justifie par le fait que ces commissions de garantie constituent l'une des ressources de Bpifrance, qui doit avoir un cycle d'exploitation propre pour pouvoir financer les entreprises et investir en fonds propres. Il ne faut pas perdre de vue que la garantie publique ce n'est rien d'autre que du partage de risques et que quand Bpifrance offre aux banques une garantie représentant 90 % de la perte finale cela vaut quelque chose – en d'autres termes, cela se paye, et c'est à la banque de le faire. On ne sait pas encore exactement quels seront les taux appliqués. Sauf erreur, les normes européennes prévoient qu'ils se situent entre 20 et 100 points de base et, si je me souviens bien, en 2008, les garanties publiques d'Oséo à 90 % étaient facturées à un taux d'environ 0,70 % : a priori, nous devrions nous situer dans le même ordre de grandeur.
Pour ce qui est du rôle d'évaluation du Parlement, auquel je suis très attaché, je soutiendrai l'idée que l'Assemblée et le Sénat ont à suivre l'exécution des crédits et l'évolution de la garantie publique. Il faut que nous trouvions le moyen le plus souple et le plus efficace pour y arriver et nous devrons décider rapidement si cela se fera par la remise de rapports ou par un comité d'évaluation ou de suivi. Nous aurons l'occasion d'interroger le Gouvernement en séance publique, mais en tout cas je suis favorable à la création d'un comité d'évaluation ou de suivi.
Pour ce qui est de l'activité partielle, monsieur Naegelen, les taux annoncés donnent souvent lieu à des confusions, et de nombreux chefs d'entreprise s'interrogent sur ce point. Je rappelle que le principe retenu est celui d'un maintien de 84 % du salaire net – 100 % pour les salaires n'excédant pas le SMIC – et que le coût que cela représente pour chaque entreprise concernée fera l'objet d'une prise en charge à 100 % par l'État, jusqu'à 4,5 SMIC.
Au sujet des charges – y compris le loyer ou la facture énergétique – des petites entreprises, notamment des indépendants, des libéraux et des mandataires sociaux, j'estime qu'un indépendant ou un libéral qui, privé de son activité, ne reçoit plus d'argent, ne doit plus avoir de charges : cette idée, que je sais partagée par le Gouvernement, doit être soutenue avec force.
Certes, ce principe est difficile à appliquer, car les charges sont nombreuses. Si en matière sociale et fiscale, les choses sont relativement simples, car il suffit que l'État décide de suspendre le règlement des charges, elles sont un peu plus compliquées quand les charges sont dues à un acteur privé tel qu'un bailleur professionnel ou un fournisseur d'énergie. Cependant, le principe « pas d'activité, pas de charges » doit absolument s'imposer durant la crise que nous traversons : à défaut, les petites entreprises, les libéraux, les indépendants ne vont pas pouvoir survivre. Pour ce qui est de la nécessité de se payer soi-même, que vous avez évoquée, le fonds de solidarité me semble pouvoir constituer une réponse.
J'en profite pour rappeler que le ministre de l'économie a souhaité que les assureurs se montrent proactifs durant la séquence de crise que nous vivons. Ce point ne figure pas dans la loi, mais il faut absolument que les assurances jouent leur rôle et aillent même un peu au-delà de leur rôle habituel pour accompagner la crise : nous aurons l'occasion de préciser les choses avec le Gouvernement en séance publique.
Monsieur Pupponi, vous avez évoqué la question de qui doit aller travailler et qui doit rester chez soi. Ce texte ne comportant que quatre articles, il ne règle pas tous les détails et je me bornerai à rappeler que, dans la situation exceptionnelle que nous connaissons, il y a des secteurs d'activité où les gens ne peuvent pas télétravailler : c'est donc au cas par cas que les décisions doivent être prises.
Dans les circonstances actuelles, l'accès à la DIRECCTE est vraisemblablement difficile, mais il faut comprendre que les agents publics font de leur mieux dans cette situation de crise et qu'ils sont aussi des êtres humains, soumis comme tout un chacun à des règles de protection sanitaire susceptibles de freiner leur capacité de travail.
L'aide de 1 500 euros est-elle suffisante ? Je rappelle que nous en sommes aujourd'hui à faire un point d'étape et que, si ce montant ne permet pas de sauver la trésorerie des entreprises, il faudra probablement l'augmenter, quoi qu'il en coûte. Nous défendrons en tout cas cette idée, car il est essentiel de disposer d'outils capables de sauver les entreprises en leur donnant suffisamment d'oxygène. Il conviendra de voir ce qu'il en est au terme d'un mois d'application de cette mesure.
Le président Mélenchon a évoqué le rôle de la Banque centrale européenne, au sujet duquel je vais dire un mot, même si ce sujet est situé en dehors du texte que nous examinons. Schématiquement, il y a deux écoles : d'une part, celle qui préconise d'injecter des liquidités, avec un effet inflationniste et des conséquences sur l'économie pouvant être positives ou négatives en fonction de la conjoncture, d'autre part, celle qui est favorable à une politique de rachat d'obligations d'entreprises et de l'État afin d'améliorer la capacité de financement de l'économie par l'apport de liquidités. La Banque centrale européenne a clairement fait le second choix, qui me semble être le bon, car le plus efficace. À la différence de ce qu'était la situation il y a douze ans, nous avons aujourd'hui un système bancaire doté de liquidités, donc plus stable en termes de fonds propres, grâce aux ratios prudentiels instaurés après la crise ; ces liquidités présentent également l'avantage indéniable de pouvoir alimenter l'économie réelle. Grâce à la décision prise hier par la Banque centrale européenne, nous n'avons donc aucune difficulté pour alimenter les crédits qui seront garantis par l'État. On n'est pas obligé de partager ce point de vue, mais je pense que la BCE a pris la bonne décision au bon moment : on constate d'ailleurs que, sur les marchés, elle a rassuré nombre d'investisseurs.
Si vous suggérez de contraindre les banques, monsieur Roussel, pour ma part, je préfère les inciter. La garantie à 90 % de la perte finale, qui constitue une incitation très forte, a très bien fonctionné en 2008 et j'aime bien l'idée consistant à dupliquer les outils qui ont bien marché. Avec une garantie s'élevant à 90 % de la perte finale, je ne vois pas quelle banque pourrait refuser des crédits de trésorerie.
Les 2 milliards pour la santé sont une provision destinée spécifiquement au coût des masques et des indemnités journalières, apparaissant comme tel dans l'exposé général des motifs du PLFR. Ce montant pourra faire l'objet d'ajustements ultérieurs – nous aurons l'occasion d'en parler avec le Gouvernement tout à l'heure –, mais il ne faut pas perdre de vue que l'objet essentiel de ce PLFR ne réside pas dans ses dispositions concernant l'aspect sanitaire de la crise mais dans les répercussions de celle-ci sur la trésorerie des entreprises.
Enfin, monsieur de Courson, comme l'a dit le président Woerth, il n'est pas vraiment justifié de recourir à un PLFRSS. D'abord parce que, l'ONDAM étant un objectif, il n'existe pas de plafonds de crédits justifiant un rectificatif ; ensuite et surtout parce que, pour la garantie de l'État prévue à l'article 4 du présent texte, la loi organique prévoit que l'on passe obligatoirement par une loi de finances ou une loi de finances rectificative. Si une loi de financement rectificative de la sécurité sociale n'est pas justifiée aujourd'hui, il est cependant probable qu'il faudra apporter des rectificatifs à la LFSS à l'automne.