Intervention de Florence Lustman

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance :

Nous avons profondément conscience, en tant que professionnels et citoyens, de la gravité de la crise. Nous constatons une forte angoisse. Les assureurs, depuis le début de la crise, ont d'ailleurs mis en place des cellules d'aide psychologique pour informer et rassurer les assurés sur les aspects sanitaires. Nous connaissons parfaitement les immenses difficultés des professionnels.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), notre autorité de contrôle, a relevé dans son communiqué de presse du 3 avril 2020 que le Covid-19 affectait le secteur de l'assurance sous trois formes : la chute des marchés financiers qui a un impact très fort sur nos actifs, les difficultés de nos clients et la forte dérive prévisible de la sinistralité. Certes, la sinistralité baisse dans le secteur automobile, ce qui explique l'action de solidarité d'un grand assureur qui fait essentiellement du risque automobile pour les particuliers. Mais on prévoit, globalement, une dérive dans l'autre sens. On est très loin de pouvoir évaluer précisément l'ensemble des effets sur l'assurance ; on s'attend à une explosion des sinistres à la reprise de l'activité, ce qui aura un effet majeur sur le compte de résultats et le bilan des assureurs. C'est la raison pour laquelle l'ACPR demande à ces derniers, sauf exception, de ne pas verser de dividendes. Il importe que ceux-ci restent solides dans cette crise, non pas pour leurs actionnaires mais pour leurs assurés – c'est leur première mission. Ils ne peuvent se substituer à l'État. J'ajoute que les placements des assurances, qui font fantasmer certains, appartiennent aux assurés, en assurance vie comme dans les autres branches ; ils permettront de couvrir les sinistres sur la base des primes versées.

Nos deux cent quatre-vingts adhérents ont pris une première série de mesures en faveur des entreprises et des personnes les plus fragiles. À la suite de la réunion que nous avons eue la semaine dernière avec le Premier ministre et le ministre de l'économie et des finances, un certain nombre d'acteurs de ma fédération ont décidé d'aller plus loin ; les autres, de plus petite taille, ne peuvent s'engager davantage car ils accomplissent déjà un effort considérable en ne mettant pas leurs salariés au chômage partiel. La deuxième série de mesures se fait donc sur la base d'engagements individuels. Globalement, nous affectons 3,2 milliards à ceux qui en ont le plus besoin, dont 1,75 milliard au titre de mesures extracontractuelles et de solidarité en faveur de victimes de la crise. Nous couvrons donc des garanties qui ne sont pas prévues dans nos contrats. Certains regrettent que nous ne prenions pas en charge les pertes d'exploitation de nos entreprises. Les pertes d'exploitation des entreprises sont estimées entre 60 et 80 milliards, selon la durée du confinement, ce qui est totalement hors de notre portée, les fonds propres des assureurs, hors assurance vie, s'élevant à 57 milliards fin 2018. Les pertes d'exploitation dues à des fermetures administratives résultent de risques systémiques qui ne sont couverts dans aucun pays ; en revanche, les pertes d'exploitation consécutives à un dommage peuvent être assurées. Ces contrats sont extrêmement utiles : en cas de sinistre, ils garantissent à un chef d'entreprise une rentrée d'argent pour couvrir ses charges fixes. Pourtant seulement une entreprise sur deux y souscrit. Mais ce ne sont pas ces contrats-là qui permettent de couvrir les pertes d'exploitation liées à des fermetures administratives.

Au titre de l'effort de solidarité, nous affectons 850 millions aux travailleurs non salariés, aux petites entreprises commerciales et artisanales, que nous avons identifiés comme étant les plus touchés par cette crise. Donc, même s'ils sont concernés par l'obligation de fermeture et qu'ils ne paient pas leur prime, nous nous engageons à maintenir leurs contrats d'assurance dommage et de prévoyance, en ayant conscience que certaines créances ne seront pas recouvrables. Beaucoup d'assureurs ont alimenté des fonds destinés à des assurés professionnels non tenus de fermer mais en grande difficulté financière. Nous reportons aussi le paiement des loyers qui nous sont dus par les indépendants, les TPE et les PME. Ils ne seront parfois jamais payés, ce qui représentera un gros effort pour les petites mutuelles. Pour de nombreuses entreprises du BTP, les assurances sur les chantiers suspendus ont été prolongées gratuitement, alors que les risques de vandalisme et de vol sont avérés. Enfin, nous avons décidé hier de faire un deuxième versement de 200 millions au fonds de solidarité, ce qui porte notre contribution totale à ce fonds à 400 millions d'euros. On nous attaque beaucoup sur les réseaux sociaux alors que nous sommes le seul secteur professionnel à contribuer à ce fonds, alimenté par l'État et les régions, bien que nous soyons nous-mêmes gravement touchés.

Nous soutenons également, à hauteur de 550 millions, les personnes particulièrement exposées au Covid-19. Nous avons décidé, bien que les contrats ne le prévoient pas, de verser des indemnités journalières aux personnes atteintes d'une affection de longue durée et aux femmes enceintes de plus de trois mois, placées en arrêt de travail selon la procédure simplifiée prévue par la sécurité sociale. Les assisteurs, filiales des compagnies d'assurances, ont aussi renforcé substantiellement les moyens alloués à leurs interventions. Par ailleurs, notre association professionnelle, Assurance prévention, lance de grandes campagnes pour prévenir notamment les risques domestiques.

La troisième catégorie de personnes que nous aidons, à hauteur de 150 millions d'euros, est le personnel médical. Les professionnels utilisant leur véhicule personnel pour se rendre à l'hôpital sont couverts par leur assurance même si elle n'incluait pas les trajets professionnels. De même, nous étendons l'assurance multirisques habitation au logement qu'occupent les soignants en dehors de leur domicile habituel, sachant que les assureurs mettent parfois gratuitement un logement à leur disposition. De nombreuses réductions tarifaires s'appliquent à leurs assurances personnelles. Par ailleurs, nous réalisons un très gros effort concernant la responsabilité civile médicale. En effet, un certain nombre de médecins et de chirurgiens exercent leur art en dehors du cadre prévu initialement, et certains établissements sont habilités temporairement à traiter le Covid-19. Nous constatons déjà une augmentation significative des mises en cause de ces praticiens. Enfin, nous avons étendu automatiquement et gratuitement l'assurance des entreprises qui ont décidé de fabriquer des masques ou du gel alors que ce n'est pas leur activité habituelle.

Nous avons également pris des mesures, à hauteur de 200 millions, en faveur de nos assurés confinés, pour assurer leur matériel de télétravail. Nous ne ferons pas jouer les clauses d'inoccupation du domicile principal pour ceux qui sont confinés dans leur résidence secondaire.

Certaines mutuelles spécialisées dans les automobiles et ne couvrant pas les entreprises sont beaucoup moins touchées – voire pas du tout – par la hausse de la sinistralité et ont donc décidé de reverser une partie des primes à leurs assurés ou de geler leurs tarifs. Des fonds ont également été mis en place pour aider les particuliers ayant des difficultés financières à payer leur assurance. Des plateformes d'assistance psychologique et juridique ont été créées. À cela s'ajoutent des initiatives citoyennes prises par les assureurs : les dons à la recherche médicale, aux hôpitaux, aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et aux associations se chiffrent en dizaines de millions d'euros. Par ailleurs, plus de 3 millions de masques et 6 000 combinaisons intégrales ont été donnés aux établissements hospitaliers.

Nous n'oublions pas que notre métier comporte deux volets : outre l'assurance en elle-même, que je viens de détailler – mutualiser les risques entre les assurés, déterminer ce qui est assurable et jusqu'où peut aller l'extension des garanties en l'absence de primes versées à cette fin –, nous plaçons les primes des assurés de manière à disposer des fonds suffisants pour payer les sinistres – de là notre rôle d'investisseurs institutionnels. Nous avons choisi, à cet égard, d'aider à la relance dès la sortie de crise, en nous engageant à financer, à hauteur de 1,5 milliard d'euros, les ETI, les PME et le secteur de la santé – biotechnologie, pharmacie, matériel de réanimation – , lequel sera encore plus fragile à l'issue de la pandémie.

Enfin, il faut imaginer un régime pour les catastrophes sanitaires. Nous avons d'ores et déjà entamé des travaux qui nous permettront de faire des propositions en ce sens ; nous sommes également associés au groupe de travail créé par le ministre de l'économie et des finances. Les questions clés qui se posent s'agissant de ce nouveau régime, que nous appelons de nos voeux, sont les suivantes : quels types d'événements entraîneraient son déclenchement ? Quels préjudices seraient indemnisés et à quel niveau ? Quelles seraient les entreprises concernées ? Quel financement permettrait d'en assurer la solvabilité ? Nous avons constitué un groupe de travail au sein de la FFA pour répondre à ces quatre questions et être en mesure de communiquer efficacement avec le groupe de travail.

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