Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 15h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Madame Hai, je vous confirme que les entreprises à fonds propres négatifs ne peuvent pas avoir accès aux prêts garantis par l'État. Nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour faire évoluer cette doctrine.

Messieurs Le Fur et Marilossian m'interrogent sur l'évolution des taux d'intérêt. Le spread français est relativement stable – autour de cinquante points de base – soit quasiment au même niveau qu'au début de l'année, d'abord en raison d'une bonne signature de la France. Les différentes agences, notamment Standard & Poor's, ont salué la solidité d'une signature qui tient aux réformes qui ont été menées depuis trois ans. Cela montre que les transformations économiques que nous avons engagées sont payantes puisqu'elles nous évitent d'avoir un écart de taux d'intérêt trop important par rapport à l'Allemagne. Ce n'est pas le cas d'autres États européens de la zone euro qui n'ont pas engagé les mêmes réformes structurelles et qui, de ce fait, ont des spreads plus élevés. Ainsi, l'Italie a un spread de 200 points de base, même si ce taux est plus bas depuis l'intervention de la Banque centrale européenne.

Je demeure assez réservé sur le déblocage des fonds d'intéressement et de participation, parce qu'ils ont vocation à financer les départs à la retraite et un certain nombre de dépenses complémentaires. S'agissant du dispositif Madelin, on peut poursuivre le débat en fonction de l'évolution de la situation, mais je rappelle que ce dispositif est fait pour préparer la retraite et surtout qu'il est libellé en actions. Libérer une partie de son contrat Madelin alors que les marchés sont très bas ne serait pas une très bonne affaire pour les épargnants. Cela peut constituer une solution de dernier recours, mais je pense que les dispositifs que nous avons instaurés sont plus intéressants.

Madame Rabault, je vous confirme que nous n'avons pas de difficultés à lever de la dette. Entre la loi de finances initiale et le projet de loi de finances rectificative, elle est passée de 205 à 245 milliards d'euros. Je le répète, le spread français est stable en raison des réformes économiques que nous avons menées depuis trois ans. J'ajoute que nous n'avons pas de difficultés à financer cette dette parce que la Banque centrale européenne est intervenue massivement pour racheter de la dette obligataire. Elle est intervenue dans un premier temps en annonçant 250 milliards d'euros de rachat de dette obligataire en 2020, et elle a annoncé il y a une dizaine de jours 750 milliards d'euros supplémentaires. Au total, la BCE va racheter pour 1 000 milliards d'euros de dette obligataire des États. Tout cela nous donne donc évidemment une marge de manoeuvre et nous permet de lever de la dette. La Banque centrale européenne a, de ce point de vue, parfaitement joué son rôle : les États peuvent se financer sur les marchés et financer des dépenses publiques aujourd'hui indispensables pour sauver l'économie. Comme il est très courant d'accabler l'Union européenne de tous les maux, je tiens à souligner que sans la zone euro et la BCE, nous serions en très grande difficulté pour financer nos mesures de soutien à l'économie. Cette fois-ci, la monnaie commune nous protège.

Monsieur Mattei, vous me demandez s'il faut réviser la loi PACTE. Pourquoi pas ? Cela fait partie d'un certain nombre de dispositions que nous pourrions prendre, notamment les mesures qui avaient été travaillées dans le cadre du Pacte productif.

S'agissant du plan de soutien à la restauration et à l'hôtellerie évoqué par M. Pupponi, je souhaite y travailler avec le ministre de l'action et des comptes publics dès la fin de la semaine, afin d'aboutir dans les premières semaines du mois de mai. Pour être tout à fait transparent, je ne suis pas capable de dire quand et selon quelles modalités les restaurants pourront rouvrir dans notre pays.

Nous ne pouvons pas courir le moindre risque avec la sécurité sanitaire des Français, qui reste la priorité absolue. Je ne peux donc pas prendre d'engagement sur ce sujet, même si je sais à quel point cette incertitude est pesante pour les restaurateurs, qui me contactent par dizaines, chaque jour. Lorsque nous aurons un peu plus de visibilité sur la situation sanitaire, nous préciserons ce qui sera autorisé.

Je vous rejoins totalement pour ce qui concerne les loyers et rencontrerai les grandes foncières d'ici à la fin de la semaine. Elles doivent faire davantage d'efforts pour prendre en charge les loyers, notamment ceux de certains commerçants.

Le soutien à l'Afrique qu'a évoqué M. El Guerrab est un enjeu majeur, même s'il semble lointain. Si une catastrophe économique survenait en Afrique, elle poserait des difficultés directes à la France. Dans le cadre du G20, qui se réunira dans quelques instants, nous avons obtenu un moratoire sur la dette de 74 pays parmi les plus pauvres de la planète, pour un montant de 32 milliards d'euros. Comme l'a indiqué le Président de la République, d'ici à la fin de l'année, nous verrons au cas par cas, en fonction de la soutenabilité de la dette de ces États, si ce moratoire doit être transformé en annulation de dettes. Cela ne pourra se faire qu'au cas par cas, dans un cadre multilatéral. Il n'est en effet pas souhaitable qu'une fois la dette annulée, d'autres puissances prennent notre place dans ces États en termes d'influence et de coopération.

Mais il faut faire davantage et nous plaidons, comme je l'ai fait hier dans le cadre du G7, pour que le Fonds monétaire international (FMI) s'engage encore plus dans le soutien aux pays africains. La directrice générale du FMI a proposé d'augmenter les allocations de droits de tirage spéciaux (DTS) pour 500 milliards de dollars. Nous soutenons entièrement cette initiative, qui est peu coûteuse pour les États membres et très efficaces pour les États bénéficiaires. Si nous nous heurtons pour l'instant à un refus américain, nous estimons que ce déblocage est le bon instrument pour soutenir les pays africains.

S'agissant des entreprises en procédure collective avant le 31 décembre 2019, je confirme à Jean-Paul Dufrègne que nous travaillons sur ce sujet, qui fait partie des points sur lesquels nous négocions avec la Commission européenne.

Je certifie par ailleurs à Olivia Grégoire que les aides du fonds de solidarité sont à la fois défiscalisées et désocialisées.

Émilie Bonnivard, bien que je le souhaiterais, je ne peux pas vous donner d'horizon de reprise pour la filière tourisme et restauration, si vitale dans votre région de montagne. Nous donnerons des précisions dès que nous le pourrons, mais cette reprise dépendra totalement de la situation sanitaire et des procédures de déconfinement qui seront introduites.

Pour répondre à la question de nombreux députés, je rappelle que ce PLFR propose un élargissement massif du fonds de solidarité, non seulement aux groupements d'exploitation en commun (GAEC) mais aussi aux entreprises en procédure de redressement. Nous avons également décidé de doubler le plafond de 60 000 euros de bénéfices, pour tenir compte du conjoint collaborateur. Ces mesures semblent répondre à la préoccupation légitime des députés.

Quant aux viticulteurs que Marie-Christine Verdier-Jouclas a évoqués, ils participent à une discussion avec Didier Guillaume.

S'agissant des exonérations totales de charges soulevées par Fabrice Brun, je laisserai le ministre de l'action et des comptes publics répondre. Toutefois, le dispositif de chômage partiel prévoit que l'État verse les salaires : les entreprises n'ont donc pas de charges sociales à acquitter.

Michel Castellani a traité de la mobilisation de l'épargne des Français. Aujourd'hui, on constate en effet que les Français, confinés, épargnent beaucoup, ce qui est normal et que je ne critique absolument pas. Le volume des encours des livrets A et des livrets de développement durable et solidaire augmente fortement.

En revanche, au moment de la relance, la priorité ira à l'investissement, même si des mesures de soutien de la demande seront nécessaires. Sans elles, d'après les discussions que j'ai eues avec les économistes et certains chefs d'entreprise, le comportement de précaution risquerait fortement de l'emporter. Nous resterions alors avec des montants très élevés d'encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire, ce qui nuirait à notre économie.

Enfin, pour répondre à Patrick Hetzel, le fonds de solidarité me semble tout à fait à l'échelle. Si la somme d'un milliard d'euros, prévue initialement n'était peut-être pas suffisante, elle a été portée à 7 milliards. À partir de début mai, nous envisageons d'aller plus loin pour l'hôtellerie, la restauration et le tourisme. Nous ciblerons là les secteurs qui ne pourront pas reprendre leur activité économique car ils continueront d'être fermés.

Rappelons que, parmi les 50 milliards d'euros de dépenses consenties par l'Allemagne, figurent les allégements ou reports de charges sociales et fiscales, qui représentent 15 milliards d'euros par mois en France. Le dispositif me semble donc comparable.

Je demanderai enfin à Sabine Rubin et à Éric Coquerel de me transmettre le dossier de l'entreprise qu'ils ont citée. Nous l'examinerons avec la plus grande attention.

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