Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

À la suite de la décision de confinement prise pour lutter contre la pandémie, le ministère de la justice a dû rapidement relever trois défis : assurer le fonctionnement des juridictions en période de confinement, assurer la protection sanitaire des agents publics et des justiciables, en particulier les personnes placées sous main de justice, et garantir la sécurité juridique – le tout en conciliant les deux impératifs que sont la protection sanitaire et le respect des libertés fondamentales ; j'y suis particulièrement attachée.

Premier défi : adapter, dans le respect de l'état de droit, le fonctionnement des juridictions, qui a été remis en cause par le confinement. Il a fallu fermer les tribunaux au public et adapter les procédures pour empêcher la propagation de l'épidémie, mais aussi continuer d'exercer nos missions essentielles, à savoir le règlement des contentieux prioritaires – il en a toujours malgré la forte baisse de l'activité pénale.

De nouvelles formes de délinquance sont aussi apparues en lien avec l'épidémie – vols de masques et de respirateurs, nouveaux types de cybercriminalité, non-respect du confinement. Parallèlement, certains contentieux demeurent prioritaires : c'est pourquoi, par exemple, nous avons pris des ordonnances relatives à la protection des femmes victimes de violences conjugales et à la protection de l'enfance. La situation complique à l'évidence le fonctionnement des juridictions mais nous nous sommes organisés avec le concours de tous les juges – notamment les juges aux affaires familiales et les juges des enfants – et des procureurs pour traiter ces contentieux en urgence.

Dans ce dessein, nous avons pris des ordonnances pour adapter les procédures afin que l'activité judiciaire d'urgence se poursuive, sans audiences physiques, mais dans le respect des droits des parties et de la défense. C'est dans ce contexte que nous avons par exemple décidé d'allonger les délais de détention provisoire – une mesure qui a suscité des questions sur lesquelles je reviendrai sans doute. Quoi qu'il en soit, nous avons veillé au respect des équilibres de l'état de droit, malgré la période troublée.

Deuxième défi : la protection sanitaire des agents publics et des justiciables, qu'il a fallu assurer dès les annonces du Président de la République et du Premier ministre, les 12 et 14 mars. Nous avons donc agi dans les trois champs de compétences de mon ministère – les juridictions, les établissements pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse – en privilégiant avant tout le respect des gestes barrières. Dans les juridictions, nous avons fait en sorte d'éviter les contacts entre les agents et entre les agents et le public en utilisant tous les espaces et salles d'audience ainsi que la visioconférence.

Dans les établissements pénitentiaires, le confinement s'est traduit par la suspension des parloirs et de plusieurs activités impliquant des intervenants extérieurs. Nous avons pris d'autres mesures sanitaires, notamment un protocole de confinement, sur lesquelles je reviendrai.

Nous avons pris des mesures qui ont produit une forte baisse de la pression carcérale, par exemple en permettant l'assignation à domicile de personnes en fin de peine ; s'y est ajoutée la diminution de l'activité pénale. Le taux de surpopulation carcérale, qui s'élevait à 119 % au 1er mars avec plus de 72 400 détenus, n'était plus le 7 avril que de 107 %, pour un nombre total de 64 439 détenus, soit une baisse de 8 000 du nombre de détenus – dont la moitié est due à la réduction de l'activité juridictionnelle et l'autre aux mesures que nous avons prises.

En matière de sécurité sanitaire, ces mesures atteignent leurs objectifs : seuls 60 des quelque 64 000 détenus ont contracté le virus, qui n'a connu aucune dissémination interne. Par ailleurs, environ 900 agents présentant des symptômes sont confinés à domicile, et l'administration pénitentiaire a été endeuillée par le décès d'un surveillant.

Enfin, nous avons instauré des mesures de distanciation et de confinement dans les foyers de la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ.

Compte tenu du développement de la pandémie, nous avons distribué des masques de protection dans les situations de contact direct et prolongé : plus de 200 000 masques ont été livrés dans l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse dès le 28 mars. D'autre part, des masques réutilisables et lessivables dont la fabrication a été homologuée sont également distribués dans huit établissements pénitentiaires et permettront de doter les tribunaux.

Troisième défi, non des moindres : garantir la sécurité juridique. Au-delà de ses conséquences sur l'activité des tribunaux et sur la protection sanitaire, le confinement produit évidemment des effets importants sur l'activité économique, la vie sociale et l'activité juridique. Nous avons donc pris des mesures pour aider les entreprises en difficulté, pour protéger les salariés – en étendant les mécanismes de garantie des salaires – et pour aménager les règles procédurales.

Parce qu'il est plus difficile, en période de confinement, de passer un contrat ou de faire valoir des droits, nous avons instauré pour tous les citoyens une période juridiquement protégée qui se traduit par la prorogation de tous types de délais, notamment les délais de recours, au mois suivant la levée de l'état d'urgence sanitaire. Le retour à la normale se fera progressivement dans un délai de deux mois suivant cette période.

Nous avons également agi pour accompagner l'adaptation du monde du droit et aider les professions juridiques touchées par la crise : les notaires, par exemple, pourront effectuer à distance les actes dont ils ont la charge. Les avocats, durement affectés, pourront bénéficier de plusieurs dispositifs de soutien économique de droit commun.

Je précise pour conclure que je suis en contact permanent avec tous les acteurs de la communauté juridique : chaque semaine, je dialogue avec les chefs de juridiction, les directeurs de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, le secteur associatif, les professionnels du droit et, bien entendu, les organisations syndicales. Ensemble, nous nous employons à répondre au mieux aux enjeux de la lutte contre le virus.

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