Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur Abad, à propos du tracking – ou du tracing, – vous m'interrogez sur plusieurs points. Vous avez évoqué le moment où des mesures seront prises. Au moment où nous parlons, nous nous situons très en amont – j'insiste – de toute prise de décision. Des laboratoires de recherche, au niveau français autour de l'INRIA, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, et au niveau européen, travaillent ensemble autour de différentes hypothèses, mais aucune mesure n'a été arrêtée.

Vous m'avez interrogée sur l'hypothèse d'un débat au Parlement. Celui-ci aura nécessairement lieu ; ce sujet est trop important pour ne pas donner lieu à un débat. Les élus de la nation seront donc forcément associés d'une manière ou d'une autre aux discussions sur cette question.

Vous me demandez si le portage se fera par l'État ou par des opérateurs privés, et quelle en sera la masse critique. Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ces points car, je vous le répète, nous sommes très en amont de l'adoption d'une quelconque décision. Je peux en revanche confirmer l'exclusion du caractère obligatoire d'un tel dispositif, car celui-ci contreviendrait au principe que j'ai énoncé tout à l'heure. On ne peut, lors d'une même intervention, dire une chose et son contraire.

Monsieur Mignola, je suis évidemment associée à ces réflexions pour ce qui est de mon ressort, c'est-à-dire le respect des libertés publiques et individuelles, en lien avec les organismes habilités à émettre des avis sur ce sujet – je pense notamment à la CNIL. Concernant le choix d'un système centralisé ou décentralisé, là encore, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Nous nous sommes posé ces questions lors de l'élaboration d'autres projets européens, comme l'ECRIS-TCN, le système d'information sur les casiers judiciaires européens des ressortissants de pays tiers et des apatrides. Des réponses avaient alors été apportées, mais sur des sujets très spécifiques. Sur celui qui nous occupe, il ne m'est pas encore possible de dire quelles options pourraient être retenues.

Madame Untermaier, vous partez du problème des stocks et des délais d'attente dans nos juridictions pour poser quatre questions radicalement différentes, et dont chacune nécessiterait au moins cinq minutes d'explications.

Vous m'interrogez sur le report de l'application des dispositions prévues par la loi de programmation et de réforme pour la justice. Je réponds favorablement pour certaines d'entre elles, je pense notamment à l'ordonnance relative à la justice pénale des mineurs. Elle aurait dû entrer en application le 1er octobre 2020 : ce ne sera pas possible et il faudra en reporter l'échéance. Nous envisageons également de reporter la mise en application des mesures qui modifient le divorce, initialement prévue le 1er septembre prochain, ce qui aurait représenté une charge trop lourde pour les avocats et les personnels de justice. Dans les deux cas, nous demanderons ce report au Parlement. Nous nous efforcerons d'identifier l'ensemble des mesures qui devront être reportées de quelques mois, mais je souligne que c'est au Parlement qu'il reviendra de décider : ces dispositions ayant été établies dans le cadre d'une loi, c'est une autre loi qui doit en reporter les échéances.

Vous dites, si je vous ai bien compris, que rien n'a été fait sur le plan économique en faveur des avocats. Je m'inscris en faux. Nous avons examiné leur situation avec une très grande attention. Mme Pénicaud, M. Le Maire et moi-même avons fait en sorte, d'une part, que les avocats puissent accéder au fonds de soutien mis en place, d'autre part que les salariés puissent bénéficier du chômage partiel, enfin que les collaborateurs des avocats soient pris en compte dans ces mécanismes. Les avocats peuvent évidemment bénéficier du report du règlement des cotisations à l'URSSAF et ont accès, comme c'est le cas pour les autres professions libérales, au report du paiement des loyers et des factures, entre autres de gaz et d'eau. J'ajoute que les professions libérales, donc les avocats non-salariés, sont éligibles aux indemnités journalières de l'assurance maladie.

Je ne développerai pas l'ensemble de ces points, car ce serait trop long, mais nous avons fait en sorte que les avocats, leurs salariés, leurs collaborateurs, puissent bénéficier des dispositifs économiques mis en place, ce qui est désormais le cas.

Je m'efforce également de faciliter le travail à distance – nous avons pris quelques mesures en ce sens même si des progrès restent à faire. Je veille aussi à garantir la sécurité sanitaire des avocats dans les palais de justice.

Peut-être aurai-je l'occasion de revenir ultérieurement à la question des enfants. Je signalerai simplement, à ce stade, avoir veillé, à travers les ordonnances que nous avons prises, à ce que toutes les situations urgentes présentant un danger pour les enfants – dans le domaine pénal comme dans celui de l'assistance éducative – soient prises en charge par les juridictions.

Vous évoquez, madame Auconie, une « double peine » en matière de détention provisoire. Il n'y aura pas de double peine, d'une part parce qu'une personne en détention provisoire peut toujours formuler une demande de mise en liberté ; d'autre part parce que les détentions provisoires sont de moins en moins nombreuses ; enfin parce que j'ai enjoint les procureurs à limiter, dans leurs réquisitions, les demandes de mise en détention provisoire aux seules personnes véritablement dangereuses. Dès la fin de l'urgence sanitaire, nous prendrons toutes les dispositions pour que les dossiers soient traités dans les délais voulus.

Vous m'interrogez sur le recrutement d'assistants de justice. Cette décision fera l'objet, dans les jours à venir, d'une réflexion qui sera menée avec l'ensemble des juridictions. S'il est un peu tôt pour parler de la sortie du confinement – nous nous consacrons pleinement au déploiement des mesures adoptées pour permettre aux juridictions de fonctionner pendant cette période transitoire –, je commence néanmoins à m'en préoccuper, et nous savons très bien qu'il faudra, dans ce cadre, fournir un appui aux juridictions. Sans doute faudra-t-il d'abord définir une politique pénale adaptée pour résorber les stocks – qui ne diminueront pas par magie –, puis épauler les juridictions en recrutant des vacataires et des personnels supplémentaires.

Enfin, les masques constituent un sujet capital. Sachez que, à l'heure actuelle, 260 000 masques ont été distribués à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. Ainsi, si seuls les surveillants pénitentiaires au contact avec des détenus suspects d'être porteurs du Covid-19 étaient dans un premier temps dotés de masques, tous les personnels surveillants en contact direct avec les personnes détenues disposent aujourd'hui de ces protections sanitaires. Je suis certaine de pouvoir maintenir cet état de fait dans la durée : les stocks dont je dispose et ceux que nous produisons nous permettent de couvrir l'ensemble des surveillants pénitentiaires et même, au-delà, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que certains tribunaux.

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