Vous avez publié une tribune intitulée : « L'État de droit n'est pas mis en quarantaine. » Une telle affirmation est proprement orwellienne, car vous savez pertinemment que de nombreuses dispositions dérogent complètement à certains principes qui constituent des piliers d'un État de droit. Le Conseil constitutionnel l'a lui-même confirmé en validant, dans sa décision du 26 mars sur la loi organique, le non-respect de la Constitution et du délai de trois mois applicable à l'examen des questions prioritaires de constitutionnalité – QPC – déposées devant lui. Rien que ça !
En cascade, ce sont les droits de la défense et des parties – et particulièrement le caractère contradictoire des débats, fondement de notre système judiciaire – qui sont mis en quarantaine. En matière civile, des décisions peuvent être rendues sans entendre les parties. En matière pénale, vous innovez, le point le plus alarmant étant la possibilité donnée aux magistrats de prolonger de deux mois, sans fournir aucune justification, la détention provisoire d'une personne n'ayant pas été jugée.
Alors que 30 % des détenus sont en détention provisoire et qu'on cherche à vider les prisons pour des raisons sanitaires évidentes, vous les maintenez sans raison dans cette bombe sanitaire – sans parler de la rédaction hasardeuse de l'ordonnance, qui laisse cette prolongation à l'interprétation de chaque magistrat. Nombreuses ont été les alertes des professionnels en la matière, dont l'Association française des magistrats instructeurs, qui vous a adressé le 6 avril un courrier à ce sujet.
Pire encore, vous avez supprimé l'obligation de présenter les mineurs à un magistrat du parquet pour prolonger leur garde à vue. Quel rapport avec le coronavirus ? La plupart de ces mesures pourront en outre être prolongées un mois au-delà de l'état d'urgence sanitaire. Qu'en sera-t-il après ?
La quasi-totalité des représentants des avocats vient de saisir en référé le Conseil d'État pour dénoncer ces atteintes au respect du contradictoire. Ils disent craindre que ces mesures ne restent pas cantonnées à l'état d'urgence sanitaire mais s'installent dans le droit commun.
L'État de droit n'est pas mis en quarantaine : on ne le voit même plus !