Intervention de Geneviève Chêne

Réunion du mercredi 15 avril 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Geneviève Chêne :

Je suis heureuse d'être devant vous ce soir, dans des conditions permettant le respect de la distanciation sociale qui est actuellement de mise. Je ne peux que partager l'analyse de Jean-François Delfraissy sur la complexité de la période difficile que nous traversons et sur les lacunes de notre savoir concernant cette maladie. Cette situation implique de la transparence, de la confiance dans l'expertise et dans la science. Il est donc important de venir vous éclairer.

Prévue par la loi de modernisation du système de santé, l'agence Santé publique France est née en mai 2016 de la fusion de trois établissements et du groupement d'intérêt public ADALIS (Addictions drogues alcool info service) qui fait de la prévention par de l'écoute à distance. J'ai pris mes fonctions le 4 novembre 2019, après avoir été auditionnée par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le travail de fusion et de création de Santé publique France avait été réalisé par mon prédécesseur, le docteur François Bourdillon.

L'agence assure trois types de missions. La première, auparavant dévolue à l'InVS consiste à faire de l'observation, de la veille et de l'alerte. C'est son coeur de métier qui allie beaucoup d'expertises et d'interventions auprès des populations, en particulier lors des épidémies. Sa deuxième mission, auparavant confiée à l'INPS, est celle de la prévention et de la promotion de la santé. Sa troisième mission, qui relevait de l'EPRUS, la conduit à répondre aux situations de crise. En décidant cette fusion, le législateur a regroupé des expertises pour créer une structure équivalente aux agences de santé publique des pays comparables.

Santé publique France est un centre de référence en santé publique, une agence d'expertise scientifique fondée sur l'idée d'un continuum allant de la connaissance à l'intervention. Elle agit dans une logique de compréhension des problèmes de santé à l'échelon des populations et elle est en cela complémentaire de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui est axée sur les produits de santé et les professionnels de santé. Agissant au plus près des terrains, Santé publique France dispose d'un réseau de cellules régionales qui interviennent en appui des Agences régionales de santé (ARS).

Deux pans de l'activité de l'Agence répondent à une logique un peu différente de l'expertise scientifique pour la gestion de crise. Il s'agit d'une fonction d'exception qui se prépare en continu : la constitution et la formation de la réserve sanitaire ; la gestion des stocks stratégiques de l'État.

La réserve sanitaire, qui intervient sur le territoire à la suite d'une alerte, a réalisé des opérations de grande ampleur et tout à fait réussies au cours de la période 2016-2019 : vaccination contre la coqueluche à Mayotte ou contre la rougeole dans certaines régions françaises ; déploiements dans les zones touchées par l'ouragan Irma ; mobilisation aux côtés de la sécurité civile et de la Croix-Rouge lors du rapatriement de nos compatriotes de Wuhan, en janvier dernier.

La gestion des stocks stratégiques de l'État est aussi une activité particulière car, comme en ce qui concerne la réserve sanitaire, l'établissement agit uniquement sur instruction ministérielle et à la demande de l'État. Nous avons une capacité d'auto-saisine dans l'ensemble des champs de nos missions sauf pour ce qui relève du 5° de l'article L. 1413-1 du code de la santé publique : « La préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ». Dans ce cadre, nous agissons sur ordre.

J'aimerais insister sur trois aspects de cette situation épidémiologique majeure et totalement inédite.

Pour nous, agence sanitaire, cette histoire commence le 31 décembre 2019 : le réseau international des agences sanitaires, alerté par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), reçoit la notification de l'existence d'un cluster de vingt-sept cas de pneumonie inexpliquée à Wuhan. Le 9 janvier, nous apprenons que le virus est découvert et identifié, ce qui montre que nous avons fait de grands progrès par rapport au SIDA. Ayant un passé scientifique dans le domaine du VIH-SIDA, je me souviens que les premiers cas ont été décrits en 1981 et que le virus a été découvert en 1983 grâce à une équipe française de l'Institut Pasteur dont faisait partie la virologue Françoise Barré-Sinoussi, nommée récemment à la présidence du Comité analyse recherche et expertise (CARE).

Pour nous, l'alerte a commencé le 10 janvier dernier, avec l'instauration d'une surveillance individuelle des potentiels cas importés de Wuhan, qui pourraient constituer la première phase d'une épidémie. Nous avons alors publié la première définition des cas. Les trois premiers cas importés ont été signalés le 24 janvier. Le premier cluster de cas a été détecté ensuite à la station de ski de Contamines-Montjoie, en Haute-Savoie, et il a nécessité une très forte intervention avec une mobilisation de la direction générale de la santé (DGS). Nous avons mené une investigation importante autour de ces cas pour identifier les contacts et limiter la diffusion, ce qui s'est révélé très efficace.

Au cours de cette période, nous avons réfléchi aux différents scénarios possibles. À partir de la première alerte du 10 janvier, pendant les premières phases d'endiguement et de freinage, chaque jour a apporté son lot de nouvelles connaissances. Ce n'est qu'à la mi-février que nous avons disposé de suffisamment d'éléments pour comprendre vraiment la gravité des cas.

Deuxième aspect, qui rejoint totalement le constat de Jean-François Delfraissy : la situation en France semble s'être stabilisée mais elle reste grave. Hier, le nombre total de décès en lien avec le Covid-19 était de plus de 15 000 : environ 10 000 dans les établissements hospitaliers ; plus de 5 000 dans les EHPAD et les établissements médico-sociaux. On observe un excès de mortalité, toutes causes confondues, sur le territoire français partagé par une sorte de ligne Est-Ouest, ce qui traduit l'effet de cette épidémie de Covid-19 mais qui doit aussi conduire à s'intéresser aux patients qui ont besoin d'être pris en charge pour d'autres pathologies. La situation est d'une gravité particulière pour les personnes ayant dépassé un certain âge et celles qui présentent des comorbidités.

La situation s'est stabilisée sur un haut plateau : plus de 100 000 cas confirmés depuis le début de l'épidémie ; plus de 70 000 personnes hospitalisées. Dans cette phase de diffusion dite communautaire du virus, le point clef est de faire baisser la pression sur le système de soins et de santé. Il faut limiter les contaminations car celles-ci vont se traduire par des hospitalisations dans une proportion qui peut paraître assez faible – environ 5 % – mais qui représente un nombre élevé de patients pour le système de santé.

Compte tenu de nos missions, notre intervention s'exerce d'abord dans le domaine de la surveillance épidémiologique. Il s'agit de collecter toutes les informations nécessaires pour caractériser cette épidémie dans tous les secteurs – nombre de cas confirmés, de cas hospitalisés, etc. –, de mettre en place l'identification des cas et des contacts pour prendre les mesures appropriées, ainsi que de fournir au directeur général de la santé les éléments nécessaires à son point quotidien. Cela mobilise un grand nombre de réseaux et d'acteurs, que je remercie chaleureusement pour ce travail qui nous permet de suivre les tendances.

Nous agissons également en matière de prévention et de promotion de la santé, notamment dans la préparation des messages.

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