Cela a été dit par mes collègues, le travail que nous avons accompli en commission a assurément été un travail de qualité, malgré la précipitation.
La crise sanitaire nous oblige, en tant que représentants de la nation, à agir et à légiférer en conséquence. Montesquieu, dans De l'esprit des lois, disait déjà : « Il faut éclairer l'histoire par les lois et les lois par l'histoire ». Or le groupe Libertés et territoires a le sentiment que le projet de loi sur lequel nous devons nous prononcer aujourd'hui a plutôt tendance à tamiser cet éclairage de l'histoire.
En effet, trop nombreuses sont les habilitations que ce texte accorde – trente-trois en tout – et trop vastes sont leurs champs d'application. Le pouvoir législatif pourrait ainsi se voir dessaisi d'un certain nombre de ses prérogatives au profit de l'exécutif. Si nous voulions nous montrer un peu taquins, nous pourrions faire du titre, déjà modifié en commission, une véritable liste à la Prévert. Voici notre proposition : « projet de loi relatif au dessaisissement général de l'Assemblée nationale en matière sociale, économique, sportive, militaire, pénale, etc. ». Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit !
Il nous semble que les conséquences du Covid-19 ne représentent plus l'unique fil rouge de ce patchwork législatif. Le Conseil d'État, dans son avis, a souligné que plusieurs dispositions n'ont aucun lien avec les suites de la lutte contre l'épidémie. Il ne s'agit pas d'un ou de deux cavaliers législatifs, pour reprendre vos mots en commission, monsieur le ministre, mais d'une cavalerie, d'une armée napoléonienne !
Si l'incertitude quant au calendrier législatif peut s'entendre, quelle urgence y a-t-il à examiner toutes les dispositions de ce texte en commission et en séance dans la même semaine ? Le délai de dépôt très restreint des amendements, je l'ai dit plus tôt, nous empêche de travailler plus sereinement. Les habilitations, dont les objets sont aussi différents et larges que la justice, l'agriculture, l'immigration, le sport, les entreprises, le travail, la défense, les trésoreries publiques ou le Brexit, auraient mérité un examen un peu plus long !
S'agissant du Brexit, je tiens à souligner le travail réalisé par mon collègue Alexandre Holroyd et l'ensemble de la commission des affaires étrangères ; nous aurons l'occasion d'en débattre tout à l'heure.
La question des travailleurs agricoles et de la régularisation des personnes en situation irrégulière, qui devient de plus en plus pressante dans le débat politique, aurait également mérité un examen plus approfondi. Elle me tient particulièrement à coeur, car celui qui vous parle a pour père un bûcheron marocain qui a quitté ses montagnes de Khénifra dans le Moyen Atlas pour venir couper du bois dans le Cantal. Je connais donc parfaitement l'importance de ces femmes et de ces hommes, travailleurs de l'ombre, besogneux, silencieux, qui ne demandent jamais rien. La fermeture soudaine des frontières nous a rappelé à tous combien notre agriculture dépendait de cette main-d'oeuvre étrangère. À tel point que l'incroyable appel aux réfugiés, par la préfecture de Seine-et-Marne, pour venir en aide aux agriculteurs du département a laissé beaucoup de nos compatriotes circonspects.
J'ai déposé un amendement visant à attribuer une carte de séjour en cas de promesse d'embauche dans le secteur agricole, ainsi qu'à allonger la durée de travail et de séjour jusqu'à neuf mois pour l'année 2020. Mon groupe et moi-même avons également déposé des amendements tendant à ce que les détenteurs d'un visa court séjour ayant expiré en raison de l'impossibilité de quitter le territoire durant l'urgence sanitaire puissent bénéficier d'un visa long séjour. Que cette mesure cesse de s'appliquer au 15 juin ne nous paraît pas crédible ; c'est pourquoi nous proposons de repousser cette limite. Nous vous demandons également de réfléchir à la situation des étudiants étrangers qui ont choisi la France pour leurs études et qui se retrouvent dans des situations parfois très difficiles et injustes.
Il convient enfin que le dispositif d'activité partielle prenne en compte la situation particulière des Français bloqués à l'étranger ; ils ne peuvent rester à l'écart de nos mesures de soutien à l'emploi. Et je tiens à adresser un signe aux milliers de personnes qui se trouvent encore à l'étranger dans des situations parfois précaires.
Je répète que nous nous opposons radicalement à l'article 3, dont le contenu nous paraît disproportionné et contreproductif. En commission, vous avez, monsieur le ministre, pris des engagements. Nous espérons qu'ils se retrouveront dans le texte qui découlera de notre examen en séance publique. Pour l'heure, le groupe Libertés et territoires est réservé sur ce projet de loi. Nous attendons du Gouvernement et de sa majorité de réelles avancées tenant compte des propositions de l'ensemble de la représentation nationale.
Albert Camus, qui nous a quittés il y a tout juste soixante ans, écrivait dans La Peste, que nous avons tous sans doute relu ces derniers temps : « Ce qu'on apprend au milieu des fléaux, [c'est] qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ». C'est en nous inspirant de cette phrase que nous devons, dans cet hémicycle, nous présenter devant nos concitoyens. Soyons dignes !