Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, lorsque vous vous rendez dans un pays en développement, vous remarquez tous la place singulière qu'occupe la France dans le monde : c'est la patrie des droits de l'homme, la nation qui a dit non à l'Amérique de Bush, celle qui, depuis la conférence de Bandung, a été le moteur de la solidarité internationale. La France est associée au discours du Président Mitterrand à Cancún et au discours du Président Macron à la tribune des Nations unies il y a quelques semaines.
Et pourtant, depuis plusieurs années, les budgets ne sont plus à la hauteur de cette ambition. La France ne consacre pas à l'aide publique au développement une part suffisante de sa richesse nationale – moins de 0,4 % – alors que, comme l'a rappelé Marc Le Fur, sept pays européens respectent aujourd'hui l'engagement pris en 1970 par les pays développés de consacrer 0,7 % de leur richesse nationale à l'aide publique au développement. De 2010 à l'année dernière, notre APD a subi une baisse qui lui a fait perdre près de 45 % de ses crédits budgétaires.
Il faut donc saluer l'ambition retrouvée et affirmée par le Président de la République devant les Nations unies. Comme l'a rappelé M. le ministre, la trajectoire fixée jusqu'en 2022 prévoit une augmentation de 6 milliards d'euros de notre aide publique au développement. Il faut également saluer la montée en puissance de notre banque de développement, l'Agence française de développement.
Cette ambition retrouvée se traduit, dès 2018, par une augmentation des crédits budgétaires, tant en crédits de paiement qu'en autorisations d'engagement. Cela a déjà été rappelé. Mais vous savez, monsieur le ministre, que certains trouveront cette augmentation trop modeste au regard de la trajectoire ; c'est pourquoi la représentation nationale et les acteurs français du développement attendent du Gouvernement qu'il précise cette trajectoire qui nous mènera, je n'en doute pas, à un effort représentant 0,55 % du PIB en 2022.
En matière d'aide publique au développement, il va donc falloir faire plus. Cette ambition est affirmée. Mais il faudra aussi faire mieux, et donc faire des choix stratégiques afin de rendre notre aide plus efficace. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, les principales orientations que vous entendez suivre en la matière.
Être efficace, c'est d'abord privilégier l'aide bilatérale, qui a malheureusement souvent été la variable d'ajustement de nos arbitrages budgétaires. Bien sûr, l'aide bilatérale ne consiste plus à aller planter un drapeau français sur un hôpital ou sur un site de forage plutôt que de participer à une politique publique multilatérale. Je crois au contraire que notre aide bilatérale peut, et même doit servir le multilatéralisme et les engagements de la communauté internationale dont la France est d'ailleurs souvent le moteur. Je pense bien sûr à l'accord de Paris, dont les signataires se sont engagés à consacrer 100 milliards d'euros par an – 5 milliards d'euros pour la France – à l'accompagnement des pays en développement dans leurs stratégies d'adaptation et d'atténuation. Je pense aussi aux objectifs du développement durable, cette feuille de route adoptée par la communauté internationale en 2015 pour le développement et la réduction des inégalités.
Être efficace, c'est aussi associer davantage les acteurs locaux, collectivités françaises comme collectivités des pays en développement, dans le cadre d'une aide plus territorialisée. La France est déjà en avance dans ce mouvement, tant par sa tradition de coopération décentralisée que parce qu'elle travaille souvent avec les acteurs locaux des pays partenaires, qui montent en compétence grâce à l'accentuation du mouvement de décentralisation dans les pays en développement. Je veux saluer l'engagement de l'AFD dans ce domaine.
Être efficace, c'est aussi retrouver notre tradition de l'expertise, qui a quasiment disparu. Elle n'est pourtant plus l'aide de substitution qu'elle a été ; bien au contraire, elle contribue au renforcement des capacités dans les pays partenaires. Notre opérateur, Expertise France, devra donc monter en puissance, en particulier en terminant le regroupement des expertises encore réparties dans certains ministères.
Être efficace, c'est bien sûr flécher nos crédits en direction de nos priorités géographiques et sectorielles. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, nos priorités sectorielles – l'éducation, la santé, l'émancipation des femmes, la gouvernance et le climat – et la priorité que nous accordons aux pays les plus pauvres. Aujourd'hui, les pays les moins avancés mobilisent 22 % de notre aide, ce qui est insuffisant. Dans le cadre de la trajectoire, cette part va donc augmenter, en particulier au Sahel où se mêlent les enjeux de lutte contre la pauvreté, de migrations, de paix et de sécurité.
Être efficace, c'est aussi rééquilibrer la part des dons par rapport aux prêts. C'est le corollaire de ce que nous avons dit à l'instant : si les prêts sont adaptés aux projets d'infrastructures dans les pays émergents, ce sont les dons qu'il faut mobiliser dans les pays pauvres, en particulier pour les priorités sectorielles que nous avons définies.
Être efficace, c'est enfin améliorer le pilotage de notre aide. Les personnes que nous avons auditionnées ont unanimement regretté une architecture trop complexe et trop éparpillée. Il faut donc rendre notre aide plus lisible et faciliter les arbitrages budgétaires nécessaires.