Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mardi 19 mai 2020 à 15h00
Débat sur la souveraineté économique écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Les cinq minutes dont je dispose ne me permettent pas d'exposer ce que j'aurais voulu dire à mes collègues. Je remettrai donc un document écrit afin de présenter l'analyse que les Insoumis font du moment tout à fait exceptionnel que nous venons de vivre.

D'ici là, nous ne participerons ni aux numéros d'autoflagellation – que certains d'entre vous ont toutefois raison de pratiquer compte tenu de leurs aveuglements passés – , ni à l'écriture de lettres au Père Noël – de tous côtés, en effet, s'exprime un messianisme furieux à propos du « monde d'après » sur lequel chacun fait d'amples et vastes rêves.

C'est ici et maintenant, dans le concret, que certaines questions continuent de se poser, en particulier celle de la souveraineté. Il serait inouï que je m'abandonne devant vous à une dissertation générale, alors même que la souveraineté de la patrie a été remise en cause aussi durement qu'elle l'a été, hier soir, par la déclaration de Mme Merkel et de M. Macron. C'est du moins mon avis, car il semble que cela n'a pas soulevé de difficultés aux yeux de nombreux observateurs, alors qu'il y en avait énormément selon moi.

Mme Merkel et M. Macron ont décidé que les prétendus 500 milliards d'aide européenne seront attribués aux régions et aux secteurs de l'économie. En République française, la souveraineté du peuple n'est pas divisible. De quel droit certains recevraient des fonds qu'ensuite le peuple tout entier aurait à rembourser sans que ses représentants les aient attribués ? La République française n'est pas une république fédérale, les régions françaises ne sont pas des Länder. Mme Merkel et M. Macron ont autorisé la Commission à émettre des emprunts ; ceux-ci seront payés par les États et leurs peuples. Mais en cas de défaut d'un des pays garants ou utilisateurs de ces emprunts, le peuple français devra payer à sa place. De quel droit M. Macron et Mme Merkel peuvent-ils s'y engager sans que le peuple ou ses représentants ne se soient prononcés ? Par ailleurs, de quel droit la France renoncerait-elle du moins à la souveraineté sur sa dette ?

Mme Merkel et M. Macron ont autorisé un plan de relance dans lequel l'Allemagne bénéficiera de 57 % des aides versées aux entreprises : 1 000 milliards contre 200 milliards pour la France. C'est, permettez-moi de vous le dire avec le sourire, une grave altération du traité de Lisbonne – auquel je suis hostile – en matière de concurrence libre et non faussée, comme l'a déclaré le commissaire Josep Borrell, et qui est décidée sans vote ni des Parlements ni des peuples. Il en va de même pour la règle des 3 % maximum de déficit autorisés, qui a été fort heureusement abolie pour la période. Nous sommes donc entrés sans crier gare dans une sortie partielle des traités européens, sur des points essentiels. Je m'en réjouis, mais cela prouve que ces règles sont inapplicables en cas de péril commun. En rejetant le traité constitutionnel européen de 2005, les peuples français et hollandais avaient donc raison et vous venez de l'avouer. Leur décision souveraine va-t-elle désormais être appliquée ? Nous sommes obligés de dire qu'à l'horizon, c'est la sortie permanente des traités.

Au mépris du statut de la Banque centrale européenne, fixé par les traités pourtant signés par l'Allemagne elle-même, la cour constitutionnelle de Karlsruhe s'est permis d'interpeller la Banque centrale européenne pour lui demander des comptes à propos de sa politique de rachats des dettes des États auprès des banques privées. Cette cour a donc assumé, dans le silence du gouvernement allemand, le risque de provoquer une hausse des taux d'intérêt dans les pays les plus lourdement endettés et qui sont les concurrents commerciaux de l'Allemagne, comme l'Italie et la France, qui continuent pour leur part à payer, par leurs dettes, le coût de la réunification allemande. La cour a ainsi mis en cause la souveraineté des Français et de leur Parlement qui a voté le statut de cette banque – je ne l'ai pas fait, c'est le paradoxe de la situation – , mais elle l'a fait aussi en cherchant à provoquer la diminution des moyens d'action financiers de notre peuple.

En République et dans la tradition française et universelle, depuis Jean Bodin au XVIe siècle, Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe et la Grande Révolution de 1789, la souveraineté est indivisible ; son dépositaire exclusif est le peuple et lui seul. Cette souveraineté s'exerce sur un territoire et sur un peuple. L'Union européenne n'a pas de peuple politiquement constitué, elle n'a pas non plus un territoire qui la définisse, mais plusieurs territoires sous administrations différentes : l'espace Schengen, le marché unique, la zone euro ; la Pologne qui ne participe à la charte des droits fondamentaux, le Danemark qui ne participe pas à la politique commune de sécurité et défense, l'Autriche qui est neutre. Enfin, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe compte cinquante-sept États membres parmi lesquels ne figurent pas tous les membres de l'Union européenne. Le territoire européen est donc introuvable et sa souveraineté également. La souveraineté ne peut exister que là où le territoire et le souverain se recoupent.

Dans ces conditions, le seul cadre à la disposition du peuple souverain est l'État-nation dont nous sommes les dépositaires. Je finis sur cette phrase : de quel droit, sans vote ni du peuple ni du Parlement et sans mandat, le Président et le Gouvernement admettent-ils que la forme des pouvoirs en France, les traités et les pactes d'amitié que le pays a signés soient remis en cause ? Car telle est la question de notre souveraineté à cette heure.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.