La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, après le scandale d'État des masques, voici venir celui de la prime aux soignants. Des hommes et des femmes ont risqué leur peau à l'hôpital partout en France et, pour les remercier, vous saucissonnez les primes : les soignants ne toucheront la prime de 1 500 euros que dans quarante départements.
C'est une honte et une injustice que nous vous demandons solennellement de réparer.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – MM. Boris Vallaud et Sébastien Jumel applaudissent également.
La « prime covid-19 » doit être versée à tout le personnel hospitalier de France, sans exception. Il y va de l'honneur du pays : la reconnaissance de leur travail doit être la même quel que soit le département.
À titre d'exemple, comment le département de l'Ardèche, avec trois hôpitaux dont celui d'Aubenas, fortement mobilisé, peut-il être oublié, alors que le département voisin de la Drôme y est éligible ? Le taux d'hospitalisation et d'occupation des lits en réanimation y est pourtant supérieur selon Santé publique France.
Volonté de diviser pour mieux régner ou capacité bureaucratique inégalée à monter des usines à gaz, toujours est-il que le sentiment d'injustice se répand comme une traînée de poudre dans les hôpitaux des soixante départements de France relégués en seconde zone. En quoi ont-ils démérité, monsieur le ministre ? Ce sentiment d'injustice gagne aussi ceux et celles qui ont été envoyés au front au début de l'épidémie, souvent sans protection, dans les EHPAD, le monde du handicap et le secteur des services à domicile.
Monsieur le ministre, les Français ne veulent pas simplement applaudir ces personnes ou leur voir décerner une médaille. Ils vous demandent de faire mieux pour l'armée de la santé, de la dépendance et du handicap. Comptez-vous revaloriser demain ces métiers d'humanité au quotidien et répondre aujourd'hui à notre demande de justice et d'équité concernant la prime aux soignants ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que parmi les députés non inscrits. – M. Dominique Potier et Mme Laurence Dumont applaudissent également.
Monsieur le député, vous m'interpellez sur la question des primes destinées aux soignants. Je tiens d'abord à lever le risque d'incompréhension : la totalité des soignants mobilisés à l'hôpital ces dernières semaines perçoivent une prime.
Votre question laissait entendre que certains n'en touchaient aucune.
Restons factuels : dans quarante départements, mais aussi dans certains autres départements pour les hôpitaux fortement mobilisés dans le cadre de l'épidémie – qui ont accueilli en urgence des malades du covid-19 en réanimation – , c'est la prime maximale de 1 500 euros, non fiscalisés et exemptés de cotisations sociales, qui est versée. Elle concerne 500 000 soignants. Pour les autres, la prime versée est de 500 euros, toujours sans cotisations ni fiscalisation. Tous les soignants mobilisés au cours de l'épidémie touchent donc une prime.
J'ai entendu la mobilisation, dans certains territoires, de directeurs d'hôpitaux et d'élus qui nous ont fait part de critiques et appelé mon attention sur le fait que les indicateurs nationaux ne tenaient pas toujours compte des réalités territoriales, par exemple quand deux hôpitaux voisins s'étaient partagé les malades. J'ai déjà apporté plusieurs corrections au dispositif, pour étendre le versement de la prime maximale à davantage de soignants, et je continue de réviser la carte.
Monsieur le député, je connais la situation de l'Ardèche ; j'en ai parlé avec Olivier Dussopt et nous étudierons son cas, comme celui de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur où plusieurs établissements sont dans une situation comparable. Chaque fois que cela sera nécessaire et possible, j'étendrai le bénéfice de la prime maximum.
J'ajoute, pour terminer, que les heures supplémentaires de tous les soignants seront majorées de 50 %, défiscalisés et désocialisés, quel que soit leur lieu de travail.
Accompagnement financier du personnel soignant
Je vais enfoncer le clou à mon tour en associant à ma question ma collègue Michèle Victory. Attribuer des primes, c'est bien, à condition de ne pas faire des gagnants d'un côté et des perdants de l'autre ! C'est pourtant le cas : 500 euros, ce n'est pas 1 500 euros. Le résultat est incompréhensible.
Premièrement, certains départements sont privés de la prime maximale alors que tout démontre qu'ils ont été plus frappés que certains de ceux qui y ont droit. Deuxièmement, à l'intérieur d'un même département, des établissements sont éligibles à la prime quand d'autres n'y ont pas droit. Troisièmement, au sein d'un même établissement, une partie du personnel sera récompensée tandis que l'autre ne le sera pas, alors que tous ont accompli leur travail avec une prise de risque identique et un courage remarquable.
Vous n'auriez pas pu faire plus injuste et plus inefficace. Pardonnez-moi de citer, après mon collègue Fabrice Brun, le cas de l'Ardèche. Elle est, après le Rhône et la Loire, le département le plus touché de la région Auvergne-Rhône-Alpes tous indicateurs confondus. Pourtant, les soignants ardéchois de Privas, d'Aubenas ou d'Annonay n'ont pas mérité la prime maximale. Qu'ont-ils fait, ou que n'ont-ils pas fait ?
Monsieur le ministre, on ne gouverne pas avec des primes territoriales qui n'ont aucun sens. Le sentiment d'arbitraire ruine l'effet que devraient avoir ces gratifications. Je ne vois autour de moi qu'incompréhension et rancoeur, sans même parler du personnel des EHPAD, des aides à domicile, du secteur du handicap et de tous les invisibles, que je n'oublie pas.
Quand il y a un loupé, monsieur le ministre, il faut le réparer. Je sais que vous n'aimez pas les injustices. Je suis certain que vous aurez à coeur de corriger celle-ci, pas seulement pour l'Ardèche, mais en prenant la seule décision qu'attend tout le personnel soignant de France : la revalorisation des salaires, qui fera oublier le fiasco des primes.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – MM. Stéphane Peu et Fabrice Brun applaudissent également.
Monsieur le député, on peut faire valoir les droits des établissements et des équipes le plus fortement mobilisées ; on peut, dans l'unité nationale, saluer les soignants ; on peut considérer qu'un mécanisme national distribué dans l'urgence doit être ajusté au niveau territorial, sans pour autant parler de fiasco s'agissant d'une prime attribuée à tous les soignants hospitaliers et dont nous discutons uniquement le montant.
Puisque vous évoquiez les EHPAD, je suis ravi de vous informer, au cas où vous n'auriez pas suivi les nouvelles, que tout le personnel des EHPAD de France percevra une prime de 1 000 ou de 1 500 euros selon la situation épidémique de chaque territoire.
Votre question est pour moi l'occasion de redire que le Président de la République s'est engagé à lancer une concertation rapide et efficace portant sur la revalorisation de la rémunération du personnel soignant hospitalier : vos voeux sont donc exaucés.
Vous savez que la porte est toujours ouverte pour discuter des situations territoriales. Je ne sais pas si tout le département de l'Ardèche basculera dans la zone de prime maximale, car la décision est prise hôpital par hôpital au sein d'un même territoire, mais je regarde la situation de très près et, ne vous inquiétez pas, certains hôpitaux passeront au plus haut niveau de prime.
Les erreurs seront corrigées, les ajustements nécessaires seront effectués, et j'espère que vous serez moins enclin à parler de fiasco que d'un geste de reconnaissance de l'État envers les soignants, qui l'ont tellement mérité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, vous avez annoncé le lancement d'un Ségur de la santé, lequel débutera le 25 mai prochain afin de présenter un plan pour l'hôpital dès l'été. La majorité tient à saluer cette initiative, qui s'inscrit dans son projet initial de redonner à l'hôpital et aux soignants toute la place qu'ils méritent.
Cependant, bien que nous commencions à tirer des bilans de la crise, celle-ci n'est pas encore terminée, et le déconfinement est un défi majeur dans le cadre de la gestion de la pandémie. L'un des instruments de sa réussite réside dans le dépistage à travers la réalisation de tests. Deux types de tests existent actuellement : l'un, virologique, vise à déterminer si le patient est contaminé par le virus – c'est le test par PCR, la réaction de polymérisation en chaîne ; l'autre, sérologique, permet de préciser si le patient a été en contact avec le virus et s'il a développé une réponse immunitaire.
Monsieur le ministre, alors que la France est sortie du confinement depuis une semaine, pouvez-vous nous apporter des précisions concernant la politique de dépistage menée par les services de santé ? Combien de tests virologiques sont effectués par jour ? Quelles sont les projections pour les semaines à venir ? De plus, des doutes persistent sur la fiabilité des tests sérologiques et sur leur pertinence dans le cadre de la stratégie de déconfinement : qu'en est-il aujourd'hui et seront-ils développés pour servir d'outil complémentaire dans la lutte contre la covid-19 ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Monsieur le député Larsonneur, vos questions sont doubles puisqu'elles portent sur les deux tests : le test par PCR, qui permet de détecter la présence du virus, et le test sérologique qui permet de mesurer l'immunité de la personne à travers la présence d'anticorps.
Grâce à la loi que vous avez votée, et qui nous a dotés d'outils numériques que nous avons progressivement mis en place ces derniers jours, nous avons augmenté massivement nos capacités de tests afin d'être en mesure de réaliser sans délai un test PCR pour toute personne symptomatique ainsi que pour les cas contact.
Un chiffre est éclairant pour comprendre notre politique de dépistage : celui de 2 % ; car 2 %, c'est le pourcentage de tests positifs réalisés par PCR. Il signifie que le résultat est négatif pour 98 % des personnes chez qui l'on réalise un test diagnostique. Au stade épidémique, le taux était supérieur à 20 %. Cette évolution montre à la fois que les mailles du filet se sont resserrées et que les indications de test ont été élargies. De plus, et c'est tant mieux, le nombre de malades en circulation diagnostiqués chaque jour permet d'amplifier notre politique de tests PCR.
Avant de vous rejoindre, je me suis entretenu avec les représentants des laboratoires pour leur proposer d'augmenter les dépistages systématiques dans certains milieux, comme les milieux confinés et l'hébergement collectif, voire d'installer des drives là où cela serait nécessaire, y compris pour des tests sans prescription. Nous travaillons avec eux car nos capacités en matière de tests sont plus importantes que le nombre de tests réalisés.
Enfin, sur la sérologie, la Haute Autorité de santé m'a transmis hier une recommandation qui permet d'envisager de proposer à tous les soignants du pays, qu'ils exercent à l'hôpital, en EHPAD, dans les structures médico-sociales et même en médecine de ville, de bénéficier sur prescription d'un diagnostic sérologique à compter du début de la semaine prochaine. Nous étendrons ces indications à tout le personnel qui travaille dans le domaine de l'hébergement d'urgence et dans les lieux les plus collectifs.
Nous sommes en train d'avancer ; c'est une bonne nouvelle que vient de nous transmettre la Haute Autorité de santé en nous donnant une arme diagnostique supplémentaire que nous utiliserons sans délai.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, contrairement à vos déclarations, la reprise de l'école est loin d'être satisfaisante. Le plan de déconfinement touche à peine 10 % des élèves, et pas même les fâcheux « décrocheurs » ciblés par la reprise.
Tous les enseignants partagent le même sentiment : une inquiétude, nourrie d'incertitudes, que de nouvelles consignes obligent à taire. Pourtant, comment ne pas avoir de craintes ? Des enfants parqués toute la journée devant des professeurs masqués ; des enfants privés de toute la socialisation de l'école et de l'apprentissage ; et 90 % d'entre eux laissés à distance.
Au risque de vous surprendre, nous pensons aussi que la reprise est essentielle. Écouter, repérer les difficultés de chacun et y remédier : avec cet objectif de départ, tous les élèves sans distinction auraient dû bénéficier de la reprise, car tous méritent de l'attention.
Tout à fait ! Ce ne sont pas les décrocheurs qui reviennent actuellement dans les classes !
Une reprise au rythme progressif ; une reprise de contact, surtout, d'une ou deux demi-journées par semaine, pour éviter la fatigue, les pauses méridiennes et la cantine ; une reprise par petits groupes, aux tailles adaptées selon l'âge et le nombre d'élèves par classe – malheureusement les plus surchargées d'Europe. Pour les élèves des familles contraintes d'aller travailler, comme pendant le confinement, ce seraient les fameux temps d'étude et d'ateliers sportifs ou culturels payés par l'État.
Votre plan inquiète, monsieur le ministre, car il laisse entrevoir votre vision de l'école d'après : une école à deux vitesses, la garderie éducative pour les uns, l'enseignement d'excellence à distance pour les autres.
Pour la justice sociale que vous prônez, l'éducation a aussi besoin d'un plan d'urgence : des classes moins surchargées, des enseignants revalorisés, des RASED – réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté – en nombre, des AESH – accompagnants d'élèves en situation de handicap – vraiment formés, des assistantes sociales, des psychologues, des médecins, des infirmières, des ordinateurs aussi, et surtout moins de bureaucratie. Êtes-vous prêt à entendre cette urgence ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Votre intervention me désarçonne quelque peu, car je pourrais être d'accord avec les trois quarts de son contenu. Vous avez décrit un déconfinement idéal, qui se trouve être exactement ce que nous avons entrepris : un déconfinement progressif – à rebours, d'ailleurs, de ce que vous préconisiez il y a encore quelques semaines – …
… et social, puisque nous cherchons à faire revenir en premier les élèves les plus défavorisés. Nous avons donc plus besoin du discours positif de ceux qui attendent réellement le progrès social…
… que des critiques systématiques de ceux qui n'attendent que des discours sur le social.
On ne peut rien vous dire ! On ne vit pas dans le monde des Bisounours !
Nous avons tout simplement besoin de faire revenir progressivement les élèves.
J'entends facilement les discours critiques – et je constate d'ailleurs que, dès qu'il s'agit de critiquer, la gauche et la droite sont capables de s'allier.
Oh, oh ! Il faut être capable d'entendre la critique ! On n'est pas dans un monde de bisounours ! On a tout de même le droit de plaisanter !
Mais ceux que nous fédérons réellement aujourd'hui sont ceux qui ont les manches retroussées, c'est-à-dire, contrairement aux prévisions en la matière, plus de 90 % des maires ! Aujourd'hui, des personnes assurent le retour à la scolarisation des élèves que vous préconisez.
Bien entendu, il reste une série de problèmes qu'il convient de regarder en face et de traiter. Pour cela, notre vision consiste à permettre le retour des publics qui en ont besoin. Par exemple, pas moins de 300 000 enfants sont élèves de CP – classe préparatoire – et CE1 – classe élémentaire 1 – en réseau d'éducation prioritaire – REP – ou réseau d'éducation prioritaire renforcé – REP +. Ils sont donc dans des classes comptant douze élèves et, dès lors que nous parvenons à convaincre les familles de les ramener à l'école, nous pouvons les accueillir dans les conditions habituelles. Ce travail de conviction, nous le menons aujourd'hui avec les assistantes sociales de l'éducation nationale et des départements. J'ai rencontré ce matin les présidents des associations d'élus : tous courants politiques confondus, ils sont évidemment d'accord pour mener ce travail avec l'éducation nationale.
Sur ces sujets, il n'y a donc aucune vaine polémique à rechercher…
C'est vous qui créez la polémique ! Cessez la calomnie et cela ira mieux !
… mais bien un esprit d'unité nationale pour ramener les enfants à l'école. Je serai clair : toutes les théories qui tendent à dire, comme vous l'avez fait, qu'il aurait fallu attendre septembre pour la réouverture des écoles – voire plus encore, comme me le disait encore ce matin un député – …
… sont antisociales. Aujourd'hui, tout ce que nous avons à faire est d'aider les élèves à retrouver une vie aussi normale que possible à l'école.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Nous n'avons pas changé d'avis, mais nous avons écouté ce qui a été dit lors de vingt auditions ! Ensuite, nous appelions à une reprise au rythme progressif, et non échelonnée dans le temps. Enfin, nous n'attendions pas une reprise pour seulement 10 % des élèves, mais bien une reprise pour tous.
MM. Jean-Luc Mélenchon et Maxime Minot applaudissent.
Mais ce ne sont pas seulement 10 % !
La crise du covid-19 a mis en lumière les fragilités, les failles, les écueils de notre politique de santé, et nous livre un diagnostic sévère qui exige votre réactivité. Il y a urgence à accorder aux personnels des hôpitaux une revalorisation des salaires, à leur proposer des carrières attractives, à augmenter le nombre de soignants dans les services. Il y a urgence aussi à repenser l'organisation globale de notre système de santé : victime d'une embolie organisationnelle, il a montré son inadaptation face à une telle crise.
Je ne reviendrai pas sur les ordres et contre-ordres, le manque de lits de réanimation, de masques, de protections, de tests. L'État a pris des mesures pour endiguer la propagation du virus, et je ne doute pas, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, de votre volonté. Mais c'est bien sur le terrain que les acteurs de santé – directeurs, équipes d'encadrement, personnels des hôpitaux – ont montré leur capacité à changer en urgence l'organisation de leurs établissements pour accueillir les malades et faire face à la crise. Il faut saluer l'efficacité des circuits courts de décision et les initiatives qui, partout, ont jailli : rendons hommage à la mobilisation remarquable de tous les acteurs, publics et privés, de la santé.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Marie-George Buffet et M. Stéphane Peu applaudissent également.
La réactivité et l'efficacité dont les collectivités locales ont fait preuve ont été essentielles et posent la question de leur rôle institutionnel dans la régulation et le pilotage sanitaire des territoires. Nos établissements de santé et nos établissements médico-sociaux attendent plus de proximité, d'innovation et d'adaptation.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, seriez-vous favorables à une évolution de la gouvernance des agences régionales de santé – ARS – , afin d'accorder un véritable rôle aux régions et départements en matière de politique sanitaire des territoires ? En effet, non seulement les élus sont ceux qui connaissent le mieux les réalités et besoins des bassins de vie, mais c'est encore dans les pays les plus décentralisés que les meilleurs résultats ont été obtenus.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Plus de proximité : oui. Plus d'innovation : oui. Plus d'adaptation : oui.
Mais aussi plus de reconnaissance : pour le travail des soignants, tout d'abord, grâce à la grande discussion qui commence, dans les territoires, pour aboutir rapidement sur les questions de rémunération, d'organisation du travail, d'évolution des compétences et métiers. Mais également pour les agences régionales de santé, car il faut rendre aussi à César ce qui est à César : …
… sans elles, nous n'aurions pas réussi à faire face et nous n'aurions pas pu aider les hôpitaux à faire face comme ils l'ont fait. Or, avoir plus de reconnaissance, ce n'est pas tirer sur l'ambulance, mais bien reconnaître lorsque l'ambulance a effectué son travail de manière remarquable, dans les délais et avec une grande humanité : je remercie donc les femmes et les hommes sur lesquels nous avons pu compter des semaines durant.
Plus de reconnaissance, c'est aussi constater ce que, dans notre pays, l'hôpital a réussi : citez-moi un seul autre pays au monde ayant été capable d'assurer 600 évacuations sanitaires, que ce soit par avion, par hélicoptère, par bateau ou par train !
Citez-moi un seul autre pays dans lequel les personnels hospitaliers ont réussi, à force de courage, d'innovation et de détermination, à doubler ou tripler, selon les endroits, leurs capacités d'accueil en réanimation !
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Enfin, plus de reconnaissance, c'est aussi admettre que les soignants nous ont prouvé que l'on avait eu raison de leur faire confiance pour gérer le covid. Aujourd'hui, ils nous demandent de leur faire également confiance pour gérer l'hôpital : nous avons serré cette main tendue…
Vous avez fait le contraire pendant trois ans ! Vous étiez rapporteur général de la commission des affaires sociales !
… et nous allons travailler et avancer ensemble vers un modèle territorial de système de santé adossé non seulement à l'hôpital, mais également à la médecine de ville et au monde médico-social.
Collectivement, nous avons beaucoup d'enseignements à tirer de la démonstration qui nous a été faite par celles et ceux qui, pendant trois mois, ont sauvé des milliers de vie sur le territoire national. Nous allons donc avancer rapidement et efficacement, en acceptant l'innovation et en réaffirmant notre reconnaissance aux uns et aux autres pour tout ce qu'ils ont fait.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Il ne faudra pas oublier les infirmiers libéraux, qui étaient aussi en première ligne !
Monsieur le Premier ministre, je relaie la question de notre collègue Gabriel Serville, qui s'inquiète de la situation explosive à la frontière franco-brésilienne. En effet, la commune de Saint-Georges, dont 2 % de la population est touchée par le virus, est désormais le plus grand foyer épidémique de la région, en raison de l'explosion du nombre de cas dans l'État voisin, le Brésil. En effet, 4 000 cas de covid-19 et 120 décès y ont déjà été recensés, et la ville frontalière d'Oiapoque a ainsi été placée en état de calamité publique en raison de l'absolue précarité du système de santé local, qui ne dispose ni du personnel, ni du matériel suffisant pour faire face à la crise.
Aussi, si nous saluons le confinement de Saint-Georges et Camopi, ainsi que la décision de tester tous les habitants, cela ne sera pas suffisant. En effet, l'approvisionnement en réactifs est difficile et les modes de vie traditionnels des populations riveraines rendent compliquée l'observation des mesures de distanciation sociale. De plus, l'hôpital le plus proche se trouve à trois heures de route et le système public de santé est totalement défaillant. Enfin, la porosité notoire de la frontière et la politique défaillante du président Bolsonaro finissent de nous faire craindre le pire.
Dès le 1er février, Gabriel Serville vous alertait sur la nécessité d'instaurer des mesures renforcées à la frontière brésilienne. Aujourd'hui, les Guyanais paient le prix de l'inaction face à des signes pourtant évidents. Monsieur le Premier ministre comptez-vous redéployer à la frontière franco-brésilienne une partie des moyens mobilisés à Mulhouse, comme vous l'avez fait pour Mayotte ? Comment comptez-vous faire face à l'afflux de cas et éviter le risque qui plane aujourd'hui d'une contagion des communes du littoral ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également.
Monsieur le président Chassaigne, je réponds bien volontiers à la question de votre collègue Gabriel Serville.
La situation épidémiologique de la Guyane que vous venez de décrire, notamment à la frontière avec le Brésil, nous rappelle que nous devons, collectivement, être vigilants et réactifs s'agissant du déconfinement que nous avons organisé, et de l'observation des spécificités de tous les territoires de la République. Certains, par leur éloignement géographique, par leur caractère frontalier ou insulaire, peuvent parfois être soumis à des conditions très particulières.
Comme vous le savez, la Guyane est parvenue à limiter la pandémie au stade 2, grâce au confinement strict et aux très fortes restrictions de transports vers le territoire que nous avons instaurés. Ainsi, nous ne déplorons à ce jour qu'un seul décès lié au covid en Guyane. Mais nous savons aussi qu'elle a connu une succession de foyers épidémiques, comme ceux qui ont touché le village Cécilia et les écarts de Grand-Santi. Chaque fois, les services de l'État et l'ensemble de ses partenaires ont engagé des mesures qui ont permis l'identification des cas contacts et la réalisation de tests. Compte tenu des conditions particulières de logement, les autorités sanitaires proposent aux personnes atteintes par le virus de vivre leur quarantaine dans un site collectif spécifique, pour éviter la propagation du virus. En effet, les conditions d'habitation rendent cette propagation plus rapide en Guyane qu'ailleurs. Je tiens à saluer les services de l'État, les collectivités et l'ensemble des professionnels de santé qui participent à la chaîne de réaction et obtiennent des résultats.
Les mesures que je viens de présenter ont été appliquées à Saint-Georges-de-l'Oyapock, où la situation, comme vous l'avez justement fait remarquer, est sérieuse : la découverte de nombreux cas, concentrés dans les quartiers ayant maintenu des liens très réguliers avec la rive brésilienne, a déclenché une intensification de la réponse sanitaire. Nous avons maintenu le confinement après le 11 mai à Saint-Georges et, dès le 12 mai, nous l'avons étendu à Camopi de manière préventive. Une campagne de dépistage général a été lancée le lundi 18 mai. Le dispensaire de Saint-Georges a vu ses effectifs renforcés de huit personnels de santé, et la mobilisation de la réserve sanitaire lui permettra d'atteindre soixante-dix personnels médicaux et paramédicaux. Des brigades composées de médiateurs et de bénévoles associatifs ont été créées pour distribuer l'aide alimentaire, diffuser les messages de prévention et proposer des masques en tissu à toute la population – plusieurs milliers en ont ainsi été distribués samedi.
Nous devons bien entendu porter une attention particulière aux fleuves-frontières qui, bien souvent, sont des lieux d'échange. Pas moins de 4 000 cas de covid ont été diagnostiqués de l'autre côté de la rive, dans l'État brésilien de l'Amapá, en particulier dans la ville frontière d'Oiapoque, et il y en a peut-être bien plus. Le 19 avril dernier, le préfet avait réquisitionné les forces armées de Guyane pour appuyer la police aux frontières, dans le cadre de l'opération dite Résilience. En coordination avec les douanes et la gendarmerie, la mission a permis de contrôler la frontière en continu. Des moyens d'interception, arrivés en renfort, permettent de contrôler le fleuve, entre Saint-Georges et Oiapoque : tout accostage de pirogues sur la berge française est interdit et, sur le pont, les passages sont strictement réglementés et limités à des motifs exceptionnels. La fermeture de la frontière s'accompagne d'échanges réguliers avec les autorités locales brésiliennes, notamment au titre de la coopération sanitaire. Je vous informe, monsieur le président Chassaigne, que nous avons organisé la livraison de matériel médical, comme des bouteilles d'oxygène, même si, je suis obligé de le concéder, il est limité en nombre. Néanmoins, les bouteilles d'oxygène permettent, par exemple, d'intuber les patients en détresse respiratoire dans les services sanitaires côté brésilien. Telles sont les actions que nous menons.
Je ne nie pas et je ne nierai jamais la difficulté de la tâche s'agissant d'une frontière aussi vaste et poreuse, surtout compte tenu de la situation sanitaire de l'autre côté de la frontière, dont tout indique qu'elle est extrêmement sérieuse. Ne nous payons pas de mots : indiquons ce que nous faisons de notre côté de la frontière – et vous comprendrez bien, monsieur le président, qu'il ne s'agit pas de dire ce qu'il faudrait faire de l'autre côté – , et mobilisons les moyens nécessaires, comme nous avons commencé et comme nous continuerons à le faire, pour apporter des réponses à cette partie, même si elle est lointaine, de la République française.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, nous sortons progressivement d'une période de confinement inédite qui, au-delà de certaines privations, nous a révélé des possibles, notamment dans le domaine du numérique : en France, un salarié sur quatre aurait pratiqué le télétravail ; la télémédecine a, quant à elle, montré les services qu'elle pouvait rendre.
Que dire de l'enseignement durant cette période inédite ? Il faut tout d'abord reconnaître le formidable défi relevé par les enseignants, qui ont rendu possible l'école à la maison : ils méritent notre gratitude. Mais l'enseignement à distance a rendu plus flagrantes encore les inégalités : l'absence ou l'insuffisance d'outils numériques, la méconnaissance de leurs usages, l'existence de zones blanches, bien qu'en cours de résorption, rappellent les fractures territoriales. Au final, entre 4 % et 8 % des élèves ont été injoignables. Qu'on se le dise : l'enseignement à distance ne remplacera jamais l'interaction vécue dans un groupe, au sein d'une classe. Accompagner les élèves, c'est d'abord être à côté d'eux, constat d'autant plus vrai à l'école maternelle.
La classe virtuelle a toutefois démontré sa capacité à assurer, de manière complémentaire, un parcours personnalisé pour l'élève. L'éducation nationale possèdes certes ses propres plateformes pédagogiques, comme le Centre national d'enseignement à distance – CNED – et Canopé, mais d'autres acteurs existent dans le domaine du numérique éducatif, comme les start-up françaises de l'EdTech, sans oublier les performances des GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. En effet, huit adolescents sur dix considéreraient YouTube comme leur premier support d'apprentissage.
Il est impossible de faire fi de l'expérience actuelle de l'enseignement à distance. Nous sommes bel et bien en train d'écrire une nouvelle page de l'histoire de l'éducation. Elle a ses impératifs, dont la formation des acteurs, élèves, parents, professeurs. Une récente étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – indique qu'un trop grand nombre d'enseignants français ne disposaient pas des compétences nécessaires. Leur formation initiale comme continue doit être décuplée, à court terme notamment, parce que nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux confinements.
Selon vous, monsieur le ministre, l'école républicaine doit-elle doter tous ses élèves et ses enseignants d'outils numériques ? Quels enseignements tirez-vous de cette expérience inédite ? Actuellement en présentiel et en distanciel, les enseignants doivent être soutenus dans les meilleurs délais, notamment via une revalorisation salariale. Pouvez-vous nous préciser ce que vous attendez des états généraux du numérique que vous organisez à l'automne prochain ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Monsieur le député, votre tableau de la situation du numérique me paraît très juste. Nous avons en effet un très grand défi à relever et il ne date pas de la crise. Nous sommes tous conscients d'être entrés depuis un certain nombre d'années dans une nouvelle civilisation, ultratechnologique, la grande question étant de savoir comment la rendre plus humaine. L'éducation est le facteur clé de cette humanité dans la civilisation technologique.
Cela suppose d'abord de tirer le bilan de nos forces comme de nos faiblesse face à cette situation, comme vous avez commencé à le faire. On a vu que la France n'avait vraiment pas à rougir en matière d'enseignement à distance. Elle a des atouts, le CNED notamment. Depuis l'ouragan Irma nous avions lancé le système « Ma classe à la maison », qui était opérationnel dès la fin de l'année 2019, précisément au moment où nous avons eu à affronter cette crise.
Quelle était donc la plateforme qui n'était pas au niveau, alors ? Je ne comprends pas.
Ainsi, 2,8 millions de foyers ont pu s'inscrire dans ce dispositif. Les élèves du collège où je me suis rendu hier ont pu ainsi recevoir un enseignement à distance de qualité pendant toute la période de confinement et, d'après une enquête récente, 75 % des foyers en ont été satisfaits.
Ce n'est pas pour autant que l'enseignement à distance, nous le savons bien et vous l'avez très bien dit, remplacera l'enseignement présentiel : ce n'est ni souhaitable ni possible mais il est tout aussi évident qu'il faut développer un bon usage du numérique éducatif.
Que faire, alors ? Une fois tiré le bilan de la situation, il faut affronter le sujet de la fracture numérique. Nous avons à mieux équiper les familles et nous allons dégager des moyens pour cela. Il faudra aussi mieux équiper et mieux former les professeurs. Aux termes de la loi pour l'école de la confiance, leur formation initiale comportera un apprentissage du numérique. C'est absolument essentiel et cela aussi est appelé à se développer.
Les états généraux du numérique qui doivent se tenir au mois de novembre à Poitiers nous permettront de développer l'ensemble de ces enjeux afin de renforcer notre stratégie numérique des prochaines années et de faire de Poitiers la capitale de l'éducation. C'est, avec le CNED, Canopé, l'Institut de formation des cadres de l'éducation nationale, la possibilité pour la France de devenir un leader international en matière d'usage du numérique dans l'éducation.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Oui, et trois ans que nous développons tous les outils dont j'ai parlé.
Monsieur le ministre de la santé, la fameuse prime exceptionnelle qui doit être octroyée aux agents des trois fonctions publiques mobilisés sur le terrain a fait l'objet de deux décrets publiés le 15 mai au Journal officiel. Pourtant, les personnels des EHPAD et des services d'aide à domicile attendent toujours. Le 7 mai, vous indiquiez : « Tous les personnels des EHPAD, quel que soit leur statut, percevront une prime pour valoriser leur engagement sans faille pendant cette crise », ajoutant : « dans le reste du secteur médico-social, une prime sera annoncée et détaillée prochainement ». Ma première question est simple : Quand et combien ? Qu'en est-il des personnels des sociétés prestataires de restauration, de nettoyage ? Vont-ils être oubliés ?
Par ailleurs, ni les primes ni, encore moins, les fameuses médailles ne constitueront un solde de tout compte. Ce que veulent avant tout les personnels soignants, c'est plus de salaire et, surtout, plus de collègues. On doit répondre au besoin de soins des Français « quoi qu'il en coûte ». Il semble que le Président de la République ait eu l'occasion de s'en rendre compte le 15 mai, lors de sa visite à la Pitié-Salpêtrière. Il a promis à cette occasion de mettre fin à la « paupérisation » des personnels soignants : il a bien fait.
Vous lancez le 25 mai ce que vous avez appelé un « Ségur de la santé », une concertation avec les partenaires sociaux afin de présenter un plan pour l'hôpital cet été. Très bien là encore, mais cette conférence ne devra pas déboucher que sur un plan pour l'hôpital ; elle devra concerner tous les secteurs : l'hôpital, mais aussi la médecine de ville, les EHPAD, l'aide à domicile, les soins palliatifs. La crise nous démontre qu'il faut absolument arrêter de raisonner en silos.
Je me souviens que le Président de la République avait promis une loi dépendance pour 2018 puis pour 2019 : nous sommes en mai 2020. Allons-nous enfin mener une réflexion globale et agir pour le bien soigner et le bien vieillir ?
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.
Votre question me permet de rappeler les travaux en cours, auxquels je ne doute pas que vous prendrez toute votre part tant ces enjeux sont susceptibles, par leur importance, de transcender les clivages politiques. Il s'agit en effet de prendre soin de ceux qui prennent soin de nous, à l'hôpital comme à domicile ou en EHPAD, vous avez raison. En la matière nous traînons un retard historique de quarante ou cinquante ans, conséquence, probablement, du fait que ces métiers sont historiquement des métiers féminins et insuffisamment reconnus socialement. Or, à la faveur de la crise, beaucoup ont redécouvert – pas tous : beaucoup ne l'avaient pas oublié – la nécessité absolue de ces métiers pour donner du sens à la société et prendre soin de nous quand nous sommes fragiles.
Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé 1 milliard d'euros de rallonge pour le budget des EHPAD, soit 500 millions pour les établissements en tant que tels et quasiment autant au travers d'une prime versée aux personnels, y compris pour les services de soins infirmiers à domicile, les SSIAD. S'agissant des services d'aide à domicile, des discussions sont en cours avec les départements, puisque, comme vous le savez, ils ne relèvent pas de la même compétence que les salariés des EHPAD.
Mais le chantier est plus global – le mot n'est pas joli : je ne sais s'il faut parler plutôt d'un « Ségur de la santé » ou d'un appel aux soignants. En tout cas, nous allons en tout cas prendre soin de ceux qui prennent soin de nous quotidiennement.
Vous avez raison de dire qu'on aurait tort de privilégier un fonctionnement en silos qui n'a pas eu lieu d'être face à l'épidémie : il n'y a pas eu la médecine de ville contre l'hôpital ou le sanitaire contre le médico-social. Sans l'hôpital et sans la médecine de ville, les EHPAD n'auraient pas pu être accompagnés comme ils l'ont été. Sans l'intervention bienveillante de la coordination au sein des établissements médico-sociaux, l'hôpital aurait dû faire face à une demande plus importante, qui aurait risqué de saturer davantage encore ses services.
Tel est l'état d'esprit qui est le nôtre au moment où nous tendons la main aux organisations de salariés de tous ces secteurs essentiels. Nous allons avancer avec eux et je suis sûr que vous serez avec nous dans ce combat.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, cette crise du covid a mis en lumière le courage et le dévouement des personnels soignants autant qu'elle a mis en exergue les faiblesses criantes de notre système de soins. Le Président de la République a été contraint de reconnaître vos lourdes erreurs dans ce domaine dans un cuisant mea culpa, lui qui ne peut pas se rendre dans un hôpital sans être pris à partie par le personnel, qui stigmatise ses mauvais choix et le manquement à ses promesses.
Ici même, en mars 2019, lors de l'examen de votre projet de loi relatif à la réforme « ma santé 2022 », je vous mettais en garde contre l'absence de réponse aux enjeux de fond, au-delà de l'insuffisance des primes, et le risque que 600 de nos hôpitaux transformés en hôpitaux dits de proximité voient leurs services de chirurgie et de maternité remis en cause à terme.
MM. Julien Aubert et Maxime Minot applaudissent.
Désertification médicale de nombreux territoires ; difficultés de recrutement rencontrées par les hôpitaux périphériques ; mauvaises conditions de travail, bureaucratisation extrême, avec 30 % de personnels administratifs de plus qu'en Allemagne : tous ces problèmes se sont aggravés depuis trois ans.
« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.
Mes questions sont très précises, monsieur le ministre : déciderez-vous un moratoire des fermetures de services en cours ? Quels choix ferez-vous en matière de dépense sociale pour permettre une revalorisation durable et financée des carrières des soignants, et à quelle hauteur ? Comment favoriserez-vous les recrutements hospitaliers pour mettre fin au recours à l'intérim médical, qui coûte un demi-milliard d'euros par an à nos hôpitaux ? Avec quels moyens enfin développerez-vous la proximité des services de soins pour nos compatriotes des territoires ruraux ? Les mea culpa hypocrites et les engagements vagues ne suffiront plus à redonner foi dans l'avenir de notre système de soins aux équipes soignantes et aux Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Bruno Bilde applaudit également.
Je vous remercie, monsieur le député Di Filippo, pour cette question toute en finesse…
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
La réalité est dure à entendre ! Elle est pourtant le résultat de la politique que vous menez depuis trois ans !
La capacité de se remettre en question est un art subtil que vous aurez peut-être un jour l'occasion de pratiquer : vous verrez alors que cela peut faire beaucoup de bien et que cela permet d'avancer.
Avancer c'est ce que nous voulons tous, je crois, et votre question même, au-delà des éléments un peu provocants qu'elle contient, exprime votre volonté d'avancer avec nous sur les grands enjeux que le Président de la République a mis sur la table et sur lesquels le Gouvernement va travailler, non pas dans les mois mais dans les semaines qui viennent, à savoir les revalorisations pour le personnel soignant du secteur hospitalier, la question des montées en compétences et des missions, celle de l'organisation territoriale et du lien entre la médecine et le médico-social, entre la médecine de ville et l'hôpital.
Toutes ces questions sont fondamentales. Je retiens de ce que nous ont dit les médecins de la Pitié-Salpêtrière que nous avons rencontrés la semaine dernière que cette période d'épidémie a placé le besoin et la charge de soins au centre de toutes les préoccupations et a rendu aux médecins, aux infirmiers et aux directeurs d'établissement leur rôle de donneurs d'ordre, tous tendus vers un seul objectif. Ils ont réussi à cette occasion à lever tous les carcans administratifs…
… et les freins qui les empêchent d'innover au quotidien, tout un tas de normes qui ne sont pas forcément utiles et qu'ils n'ont pas envie de retrouver. Cela tombe bien : nous n'avons pas forcément envie de réintroduire celles qui ne font pas sens.
À côté d'une concertation nationale sur les grands objectifs, des groupes d'action se mettront en place sur les territoires.
Qu'ils aient plus ou moins souffert de l'épidémie, tous ont fait preuve d'innovation, de capacité de changer les choses.
Ils ont des choses à nous dire, des idées à apporter et nous avons envie de les écouter pour avancer et dessiner ensemble le système de santé de demain.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Fabien Di Filippo, qui redoute d'avoir été oublié, ce qui est impensable !
Sourires.
Ma finesse, monsieur le ministre, me permet de faire la différence entre une remise en question, qui est une bonne chose, et un retournement de veste marketing. Depuis huit ans que vous êtes en responsabilité, que ce soit au sein de la commission des affaires sociales sous Emmanuel Macron comme sous François Hollande ou en tant que ministre, vous avez eu l'occasion de nous dire tout et son contraire. Vous n'êtes vraiment pas en situation de nous donner des leçons après avoir fait il y a un an exactement le contraire de ce que vous prônez aujourd'hui la main sur le coeur.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR ainsi que parmi les députés non inscrits.
Elles sont plus de 400 000, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, à travailler dans des associations, des centres communaux d'action sociale – CCAS – ou des entreprises, et 20 % d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Elles ont perdu 13 % de pouvoir d'achat en dix ans et une employée qualifiée doit attendre neuf ans avant d'être rémunérée au-dessus du SMIC. Pourtant, grâce à elles, pendant cette crise du covid, des hospitalisations ont été évitées ; leur dévouement a rendu possible le retour à domicile après hospitalisation. Grâce à elles, nous avons pu constater qu'à côté de notre système de santé qui a tenu bon, la France disposait d'un secteur médico-social et d'un système de solidarité tout aussi performants.
Elles, ce sont ces plus de 95 % de femmes qui constituent les services d'aides à domicile et je tiens ici à leur rendre un hommage appuyé.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM, MODEM, LR et LT. – M. Bastien Lachaud applaudit également.
Monsieur le ministre, vous devez comprendre que leur incompréhension face à l'absence de versement d'une prime par l'État est à la hauteur de leur investissement pendant la crise, d'autant qu'elles avaient déjà été prises en compte assez tardivement pour la distribution des masques.
Eh oui ! Elles font partie des grandes oubliées alors qu'elles étaient en première ligne dès le début !
Le caractère selon elles sibyllin du communiqué de presse du 11 mai à leur propos a suscité leur colère.
Les aides à domicile ne doivent pas pâtir de la structure de gouvernance de ce secteur. Ce sont certes les départements qui ont en charge cette compétence mais la reconnaissance de ces professionnels doit aussi être de niveau national. L'État ne doit pas, l'État ne peut pas en être absent, et les conseils départementaux sauront, j'en suis sûre, prendre leur part. Le versement de cette prime pourra prendre diverses formes, et je vous ai d'ailleurs fait, par courrier, plusieurs propositions à ce sujet.
Mais cette question de la prime ne doit pas occulter, pas plus que s'agissant de l'hôpital, la nécessité de réformer un secteur dont le modèle économique est à bout de souffle. Cette réforme que j'appelle de mes voeux depuis longtemps doit se faire à l'aune de la future loi relative au grand âge et à l'autonomie. Elle doit être construite avec tous les acteurs, au premier rang desquels les conseils départementaux, et je salue l'initiative lancée hier par Dominique Bussereau sur ce sujet.
Monsieur le ministre, l'État va-t-il prendre sa part au versement d'une prime visant à reconnaître le travail des services d'aide à domicile ? À quand une loi grand âge et autonomie, tant de fois repoussée parce que jugée non prioritaire, alors qu'il est de plus en plus urgent d'agir ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du groupe MODEM.
La semaine dernière, je me suis rendu chez un couple âgé ayant passé le confinement à son domicile, pendant sept longues semaines. Étant vulnérables du fait de l'âge et de la maladie, ces personnes ont fait le choix de sortir le moins possible ; elles avaient peur. Heureusement, elles avaient des aides à domicile pour faire leurs courses, leur tenir compagnie et les aider au quotidien. L'une de ces professionnelles m'a raconté combien ses missions avaient été difficiles durant la période que nous avons traversée – et qui n'est pas terminée, tant le risque épidémique reste élevé.
Comme vous le soulignez, madame la députée, il est important, indispensable et juste de reconnaître le travail et les missions accomplis par les aides à domicile durant cette période.
Je l'ai dit, partout où l'État le pouvait, il est intervenu. Ce fut le cas pour les infirmières exerçant dans des services de soins infirmiers à domicile, intégralement rémunérées par l'assurance maladie : la prime leur a été accordée. Ce fut aussi le cas pour les personnels soignants des EHPAD, dont l'assurance maladie paie 30 % du salaire : la prime leur a été accordée. En revanche, les services d'aide à domicile relèvent de la compétence départementale.
L'État travaille en concertation avec tous les départements – de même qu'avec Dominique Bussereau, avec lequel nous avons d'excellentes relations…
… dans l'espoir et dans l'attente qu'un geste soit fait en faveur des aides à domicile.
En outre, les aides à domicile feront partie intégrante de la discussion que je conduirai au sein de mon ministère dans le cadre du Ségur de la santé. Comme je l'ai déjà affirmé, il ne saurait y avoir de silos entre la médecine de ville, l'hôpital, le médical et le médico-social – et en cela, nous placerons les aides à domicile au coeur de nos réflexions.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Ma question s'adresse au Premier ministre. Hier soir, le Président de la République a affirmé que jamais la France n'avait manqué de masques.
Il faudra bien que notre assemblée se dote d'une commission d'enquête pour tirer la question au clair, et ne plus laisser les Françaises et les Français aux prises avec ces dénégations sans fin ! Toujours est-il qu'aujourd'hui, après moult tergiversations, le port du masque est obligatoire dans bien des circonstances et pour de nombreuses personnes. La proposition de résolution que nous avons déposée le 28 avril, en prévision du débat relatif au déconfinement, comportait une mesure de justice face au risque sanitaire : la gratuité des masques. Pour l'heure, tel n'est pas votre choix : ce sont donc les collectivités locales qui commandent des masques et qui les distribuent.
Au bout de la chaîne, les Françaises et les Français doivent donc se débrouiller, faire la queue pour se procurer des masques et, souvent, les payer eux-mêmes.
Le Gouvernement a certes encadré les prix, mais à des niveaux dix fois supérieurs à ceux qui étaient pratiqués avant la crise – et encore, uniquement pour les masques à usage unique, et seulement jusqu'à la fin de cette semaine, puisque le décret afférent sera caduc le 23 mai. Comme le montre une étude de 60 millions de consommateurs, ce budget peut représenter jusqu'à 100 euros mensuels pour une famille ayant deux enfants. Disons le nettement : c'est inaccessible aux foyers les plus modestes.
Indépendamment des efforts des collectivités locales – dont je suis témoin dans le département des Landes – , nous ne pouvons laisser perdurer des situations où l'accès aux masques, leur renouvellement et leur bon usage sont fonction du lieu où l'on vit ou des finances de chacun.
Les masques étant un bien essentiel à la santé publique, ils doivent être accessibles gratuitement, partout et pour tous. Le Gouvernement compte-t-il prendre en considération cette demande élémentaire de justice ?
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et GDR.
La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.
Je profiterai de votre question, monsieur Vallaud, pour faire le point sur la distribution de masques. Aujourd'hui, près d'un masque sur deux est distribué gratuitement par l'État.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
C'est en effet l'État qui fournit cent millions de masques aux soignants – grâce à M. Olivier Véran qui a élargi leur distribution – , ainsi qu'aux malades et aux EHPAD.
C'est gonflé ! Heureusement que les soignants ne paient pas ! C'est de la folie d'entendre des choses pareilles !
C'est également l'État qui, chaque semaine, fournit aux écoles 20 millions de masques utilisables vingt fois et gratuits – ce qui évite aux parents d'en supporter le coût – , comme il en fournit aux personnes les plus précaires et aux fonctionnaires de l'État, au titre d'employeur.
Les collectivités locales distribuent elles aussi des masques – et je tiens à saluer leurs efforts.
Nous les avons aidées à trouver des fournisseurs à l'étranger et des déclarants en douane, et ces efforts d'approvisionnement sont financés à 50 % par l'État.
Telle est la politique que nous déployons.
S'agissant enfin des usages de loisirs, pour lesquels l'employeur ne fournit pas de protection, les masques peuvent être achetés librement, conformément au goût et au budget de chacun.
Un masque, c'est pour respirer en toute sérénité, ce n'est pas un objet de mode ! Un masque de loisir, qu'est-ce que c'est ?
La DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – effectue des contrôles réguliers dans ce domaine et a encore prouvé, cette semaine, que l'on trouvait des masques utilisables plusieurs fois pour un coût de 10 centimes par utilisation. Ces masques textiles, que nous avons développés, présentent des propriétés filtrantes garanties : ils constituent la meilleure solution, plus écologique et plus accessible, pour le grand public.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Oui, oui, monsieur Vallaud, vous avez la parole, il vous reste quinze secondes – je connais vos qualités de synthèse.
Sourires.
Sourires.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Contrairement à ce que d'aucuns laissent entendre, le classement des départements en zone rouge ou verte a de lourdes conséquences pour certains territoires – pour le Jura tout particulièrement, mais aussi, par exemple, pour le Doubs. En 2019, le Jura représentait à lui seul 34 % des nuitées réservées en Bourgogne-Franche-Comté. Or, compte tenu du classement en zone rouge de certains territoires, les opérateurs de tourisme n'ont aucune visibilité ; les bars et restaurants ne savent pas s'ils pourront reprendre leur activité – même, bien sûr, avec toutes les précautions sanitaires nécessaires. Si, dans les départements classés en rouge comme le Jura, les cafés et les restaurants ne rouvrent pas dès le 2 juin, les conséquences économiques en seront désastreuses.
Le problème se pose aussi pour les collégiens scolarisés dans un département limitrophe classé en zone verte, comme l'Ain : ils ne peuvent pas retourner dans leur collège, avec leurs petits camarades, car le classement de leur département de résidence leur interdit la reprise des cours.
Le classement d'un département en zone rouge ou verte est fonction de trois critères : le taux de circulation du virus – il est de 0,05 % dans le Jura – , la capacité à réaliser des tests – le Jura n'a aucune difficulté en la matière – , et enfin, et surtout, le nombre de lits de réanimation – c'est bien là que le problème se situe, et le Jura se trouve doublement pénalisé par ce seul critère.
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous reconsidérer la classification des départements qui se trouvent dans cette situation ou, éventuellement, proposer des aménagement et des dérogations ? Plus généralement, dans quelle mesure envisagez-vous de doter ces territoires de lits de réanimation ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Charles de Courson applaudit également.
Vous m'interrogez, madame Dalloz, sur les conséquences du classement en zone verte ou rouge. Certaines activités dépendent étroitement de la classification en zone rouge : c'est le cas des collèges, ceux des zones rouges ne pouvant pas rouvrir en même temps que ceux des zones vertes. Vous vous inquiétez par ailleurs pour l'activité touristique, liée à la reprise d'une circulation normale dans le territoire, ou encore pour les restaurants, autant de questions parfaitement légitimes que se posent les Français et les commerçants qui attendent de rouvrir leurs établissements.
Le Premier ministre a toujours été très clair : un premier jalon du déconfinement s'étend du 11 mai à la fin du mois de mai, voire au 2 juin. Nous pourrons envisager des réouvertures après le 2 juin, en anticipant ces décisions, au vu de la situation épidémique et des critères de classement des territoires.
Vous avez cité le critère du taux de saturation des services de réanimation – et il est fondamental. La région Bourgogne-Franche-Comté a payé un très lourd tribut à l'épidémie. C'est l'une des régions dans lesquelles il a fallu organiser des évacuations sanitaires en urgence, voire en catastrophe, et où il a fallu doubler, voire tripler le nombre de lits de réanimation pour soigner tous les malades qui en avaient besoin. Les soignants de ces régions, dans les services de réanimation notamment, affrontent encore une très forte demande de soins, proche du niveau de saturation, et espèrent pouvoir récupérer quelque peu – car si l'épidémie devait repartir dans ces territoires fortement éprouvés, la situation serait pire qu'ailleurs.
Voilà pourquoi un effort supplémentaire est demandé aux populations de votre beau département du Jura. Je comprends néanmoins vos questions, qui sont légitimes. Nous pourrons aller plus vite et plus loin en matière de déconfinement quand nous aurons constaté, avec bonheur, que l'épidémie a fortement régressé. Les derniers chiffres montrent que la courbe des nouvelles contaminations et des admissions à l'hôpital et aux urgences continue de décroître dans l'ensemble du territoire, à l'exception notable de Mayotte. Cela ne signifie pas pour autant que l'épidémie est derrière nous. Nous devons attendre dix à quinze jours après la levée du confinement pour savoir si l'épidémie repart ou non. Croyez-moi, nous faisons le maximum pour protéger la santé des Français et faire repartir notre pays.
À l'avenir, monsieur le ministre, comment traitera-t-on le problème pour éviter de se trouver dans une telle situation ?
M. Thibault Bazin applaudit.
Ma question s'adresse au ministre des solidarités et de la santé. La crise sanitaire liée au covid-19 a durement frappé les Français les plus fragiles, les personnes âgées et dépendantes.
Je tiens à saluer toutes celles et tous ceux qui se sont mobilisés de manière exemplaire pour faire face à cette situation. L'épidémie a mis en évidence la fragilité de nos politiques publiques envers les populations dépendantes ; il est maintenant essentiel de dresser un premier bilan de cette crise et d'en tirer les enseignements.
L'augmentation du nombre de résidents dans les EHPAD a affecté la capacité des personnels à endiguer l'épidémie, tandis que les aides à domicile et les soignants contribuaient à assurer un lien social avec les aînés isolés. L'engagement de ces acteurs s'est révélé primordial. De nombreux témoignages ont mis en lumière ces professionnels qui ont tu, dans ce moment critique, leurs revendications légitimes visant à se consacrer pleinement à leurs missions. Des décisions politiques fortes doivent être prises pour anticiper les besoins à venir.
La qualité des prestations humaines est déterminante pour assurer un vieillissement dans de bonnes conditions. L'heure est venue de reconnaître l'action de ces personnels par une revalorisation salariale, qui accroîtra en outre l'attractivité des métiers liés au grand âge.
La plupart de nos concitoyens aspirent à vieillir à domicile ou dans une petite structure collective de type familial. Il importe donc d'envisager de nouvelles solutions d'accueil – renforcement des services ambulatoires ou création de structures de proximité – , des solutions plus humaines, plus sécurisées d'un point de vue sanitaire et moins coûteuses. Vous avez évoqué les primes destinées au personnel soignant, monsieur le ministre, mais nous plaidons pour qu'elles soient également attribuées aux aides à domicile.
Qu'en est-il, par ailleurs, du projet de loi consacré à la dépendance, que nous attendons toujours et qui s'avère plus que jamais d'actualité ? À quand la reconnaissance de la cinquième branche de la sécurité sociale ? À quand la revalorisation de tous les métiers de l'accompagnement ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. André Chassaigne applaudit également.
Je suis heureux de constater que l'intérêt pour l'autonomie et le grand âge traverse les bancs de l'Assemblée nationale. Ce sont 43 % des EHPAD qui déclarent encore des cas de covid-19, preuve que l'épidémie n'est pas enrayée. Le dépistage systématique et massif organisé dans le pays a porté ses fruits : tous les EHPAD d'Île-de-France ont été testés il y a déjà plus de deux semaines, même en l'absence de cas suspicieux, et la dynamique s'étend désormais à l'ensemble du territoire, ce qui permet d'isoler des malades et de protéger des personnes âgées.
J'ai déjà dit l'admiration et le respect que j'avais pour ceux qui, avec humanité et dans des conditions difficiles, s'occupaient des plus fragiles d'entre nous, les personnes âgées en perte d'autonomie. Pour avoir exercé ce métier quelques années, de nuit, j'en connais la pénibilité, la difficulté et l'absence de reconnaissance financière et sociale. Nous partageons donc ce diagnostic.
De nombreux rapports et travaux ont été consacrés à cette question, sous divers gouvernements. Vous souhaitez que cette réflexion aboutisse, et j'entends votre demande. Par votre question, vous saluez la qualité et les attentes des professionnels du grand âge, des aides à domicile, des aides-soignants en EHPAD ou encore des infirmiers – autant d'aspects qui font partie de la réflexion et de la concertation qui commencent. Le Président de la République eu des mots forts à ce sujet, et le Premier ministre a réaffirmé son engagement. J'aurai à coeur d'apporter une contribution à ces débats dans les semaines à venir.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Depuis deux mois, les personnels hospitaliers, les personnels médico-sociaux et ceux de l'aide à domicile sont mobilisés jour et nuit. Leur charge de travail a été immense, les risques qu'ils ont pris furent considérables, le stress face à la maladie et la mort fut sans commune mesure avec l'exercice normal du métier, pourtant déjà pénible.
Depuis deux mois, nos concitoyens applaudissent à leurs fenêtres les personnels soignants. Le pays entier le sait : leurs métiers sont indispensables ; ils méritent d'être reconnus à leur juste valeur, pas seulement par des symboles, des médailles, mais aussi par des actes : une augmentation des salaires, des conditions de travail enfin dignes. Les soignants le demandaient depuis plus d'un an, la crise du covid-19 est survenue en plein mouvement de grève.
Or le Gouvernement continue de rester sourd à leur appel. Il octroie une prime exceptionnelle pour la période de travail lié au covid-19 de 500 à 1 500 euros selon les départements et pour les seuls hospitaliers – inégalité de traitement injuste, indigne, quand on sait que les personnels ont été mobilisés partout. Une prime et des promesses de négociation : c'est tout. Aucune annonce de revalorisation concrète des salaires, alors que la France est au vingt-huitième rang sur trente-deux parmi les membres de l'OCDE pour la rémunération des infirmières hospitalières. Vous voulez donc continuer à sous-payer les métiers du soin ? C'est une honte !
Et lorsque vous annoncez un plan hôpital, c'est pour en finir avec les 35 heures. Est-ce une mauvaise plaisanterie ? Les soignantes et soignants n'ont pas besoin de travailler plus, ils doivent simplement gagner plus. Ils veulent également pouvoir travailler et soigner dans de bonnes conditions. Qu'attendez-vous pour reconstruire l'hôpital public que vous avez soigneusement détruit ? Allez-vous enfin revenir sur la tarification à l'acte, sur les fermetures de lits, de services, d'hôpitaux qui avaient été jugés non rentables et qui ont démontré combien ils étaient indispensables ? Enfin, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, de combien exactement allez-vous augmenter les salaires des personnels hospitaliers ?
Applaudissements sur les bancs des groupe FI et GDR.
Ce n'est pas nous qui sommes sourds, c'est vous qui n'écoutez pas, ou qui entendez ce que vous avez envie d'entendre, puisque vous me demandez pourquoi nous ne voulons pas faire quelque chose que, précisément, nous venons d'annoncer que nous allions faire !
Vous exigez de savoir de combien exactement sera le montant de l'augmentation salariale ? Je vous croyais plus respectueux du dialogue social et des partenaires sociaux ! Croyez-vous que ce soit à vous, monsieur Lachaud, que je vais annoncer cela, au détour d'une question au Gouvernement, sans avoir pris le temps de consulter les syndicats ?
Les syndicats seront réunis lundi au ministère pour une première discussion multilatérale.
Je crois, monsieur Lachaud, que je leur réserverai la primeur des annonces, après échanges, discussions et éventuellement négociations.
Il doit en outre y avoir une erreur de lecture de votre part, …
… car vous dites que je veux en finir avec les 35 heures. Or j'ai répondu à un journaliste qui me posait une question à ce sujet en disant que je ne voulais pas y mettre fin ! En revanche, un certain nombre de soignants nous demandent d'assouplir les dispositions statutaires qui les empêchent d'augmenter le nombre de leurs gardes ou d'accroître leur temps de travail lorsqu'ils le souhaitent. Du coup, faute de pouvoir le faire dans leur propre établissement, ils vont faire en douce et irrégulièrement ce qu'on appelle « des ménages » dans d'autres hôpitaux ou cliniques.
Si c'est cela que vous appelez mettre fin aux 35 heures, eh bien, je pense que vous avez un problème de lecture ou d'écoute !
Cela étant, votre question me permet, et je vous en remercie, de répéter pour peut-être la cinquième fois aujourd'hui – mais c'est le jeu des questions au Gouvernement – que le rendez-vous de lundi sera une étape importante dans l'expression de la reconnaissance de la nation envers les soignants, envers leur métier, envers l'importance de leur tâche et envers l'incroyable brio avec lequel ils ont sauvé tant de vies dans notre pays depuis plusieurs semaines. Si vous lisiez d'un peu plus près ce que nous avons dit et écrit, vous vous abstiendriez d'engager une polémique sur le sujet.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Monsieur le Premier ministre, je m'adresse à vous au nom de mes collègues de Nouvelle-Calédonie Philippe Dunoyer et Philippe Gomès.
La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire organise un régime de quarantaine pour l'ensemble du territoire national sans faire de distinguo en fonction de la situation des différentes collectivités ultramarines. Ce dispositif prévoit désormais une quarantaine de quatorze jours soit en structure dédiée, soit à domicile, au choix de l'entrant, choix auquel le représentant de l'État peut s'opposer uniquement pour des raisons sanitaires. Sa durée ne peut être prolongée qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention.
Ce nouveau dispositif a suscité une grande émotion au sein de la population locale et provoqué un certain nombre de réactions politiques. En effet, il est beaucoup moins contraignant que celui en vigueur jusqu'alors en Nouvelle-Calédonie, où la quarantaine s'effectuait obligatoirement à l'hôtel durant quatorze jours et était suivie d'une semaine de confinement strict à domicile. Comme l'a souligné le Conseil scientifique dans son avis du 12 mai, c'est ce régime particulièrement rigoureux qui a permis à la Nouvelle-Calédonie d'être aujourd'hui indemne de cas de covid-19 et qui la protège d'une éventuelle réintroduction du virus. Il est donc impératif d'ajuster d'urgence le dispositif de quarantaine prévu par la loi, notamment en direction des outremer indemnes de cas de covid-19.
Dans cette perspective, il convient de conjuguer les compétences de l'État au titre des restrictions aux libertés publiques et celles de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé et de contrôle sanitaire aux frontières. D'ores et déjà, un amendement au projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne a été déposé par le sénateur Gérard Poadja afin de maintenir le dispositif calédonien de quarantaine.
Comment le Gouvernement envisage-t-il de répondre aux attentes de la Nouvelle-Calédonie en matière de quarantaine afin qu'elle reste indemne de cas de covid-19 ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit aussi.
Madame la députée, vous m'interrogez, au nom de vos collègues Dunoyer et Gomès, sur la prévention de l'épidémie en Nouvelle-Calédonie. Je vous apporterai à ce sujet plusieurs réponses.
J'ai, pour des raisons que chacun ici comprendra, des contacts téléphoniques réguliers avec l'ensemble des forces politiques en Nouvelle-Calédonie, et j'ai eu hier matin au téléphone Philippe Dunoyer, ainsi que le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président de la province Nord, la présidente de la province Sud et le président de l'Union calédonienne pour justement évoquer avec eux l'impact des décisions prises et la façon dont l'épidémie devait être gérée. Vous avez raison de dire que la Nouvelle-Calédonie n'a pas été affectée par la circulation locale du virus ; c'est très important, car les territoires insulaires, nous le savons, sont souvent fragiles. Or la prévalence en son sein de pathologies telles que le diabète fait que la fragilité de la population de Nouvelle-Calédonie pourrait être considérable en cas de circulation du virus. Il convient donc de prendre des mesures rigoureuses afin de prévenir l'entrée et la circulation du virus sur le territoire. Ces mesures ont été prises : il s'agit d'un confinement externe afin d'éviter l'introduction du virus et, bien évidemment, de mesures de précaution.
La première mesure qui a été prise et que nous devons maintenir pour assurer le confinement externe est la réduction des échanges au strict nécessaire afin de maintenir quasi fermées les frontières de l'île. Il est bien évident que cela n'est pas sans conséquences sur l'économie du territoire, mais c'est indispensable si l'on veut éviter l'introduction du virus. C'est pourquoi nous avons réduit au maximum les possibilités de se rendre en Nouvelle-Calédonie, en les restreignant aux déplacements pour un motif impérieux, personnel ou professionnel. Je me félicite que les mesures en question aient été prises conjointement par le représentant de l'État, le haut-commissaire, et par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Il s'agit en effet d'une situation de conjugaison plutôt que de concurrence des compétences : la compétence de l'État s'exerce au titre de l'entrée sur le territoire et celle des autorités locales au titre de la politique sanitaire. Fort heureusement, au lieu de se livrer un combat d'arrière-garde qui eût été nocif car dangereux du point de vue sanitaire, les différentes compétences se sont entendues et ont pris des arrêtés conjoints. Je pense que c'est la meilleure façon d'agir face à cette épidémie.
La deuxième chose que nous devons faire est d'imposer une quarantaine stricte à ceux qui entrent dans le territoire, même s'ils sont peu nombreux. C'est ce qui a été fait en mars dernier. Cette quarantaine a pris une forme particulière en Nouvelle-Calédonie, avec un séjour obligatoire de quinze jours en hôtel, puis une semaine de confinement à domicile.
Il se trouve qu'entre-temps, le Conseil constitutionnel a formulé un certain nombre de réserves et que le débat parlementaire a conduit à l'adoption d'une disposition qui, c'est vrai, rend a priori plus difficile l'application d'une quarantaine de ce type. Je crois cependant que cela ne l'empêche pas, et tout notre effort doit être de faire en sorte qu'elle soit possible. L'intervention du juge des libertés et de la détention ne peut être perçue – et je ne crois pas que vous la perceviez ainsi, madame la députée – comme une entrave à la lutte contre l'épidémie ; il s'agit plutôt d'une garantie s'appliquant à une mesure qui, de fait, est privative de liberté. Je ne crois donc pas qu'il faille la rejeter.
S'il s'agit d'une garantie importante, nous devons toutefois veiller à ce que la quarantaine telle qu'elle est souhaitée en Nouvelle-Calédonie puisse être appliquée, car cela relève d'un impératif de santé publique auquel nous sommes tous, locaux comme métropolitains, extrêmement attachés, quelle que soit notre sensibilité politique. Faut-il que les dispositions relatives à l'état d'urgence sanitaire soient adaptées au cas particulier de la Nouvelle-Calédonie ? C'est une bonne question. Peut-être aurons-nous l'occasion d'en discuter au Sénat – le texte ayant déjà été adopté par l'Assemblée nationale. Pour ce qui me concerne, j'y suis prêt. Je veux néanmoins insister sur la nécessaire conjugaison des compétences – il ne faudrait pas que l'on revienne sur l'une d'entre elles – , ainsi que sur la nécessaire préservation de l'esprit des accords de Matignon et de Nouméa ; j'y suis extrêmement attaché, et je sais que les forces politiques locales aussi : il ne faudrait pas qu'à l'occasion de cette crise, l'on revienne sur la logique de ces accords. Il faut en revanche trouver avec l'ensemble des autorités compétentes les bonnes solutions pour éviter l'introduction et la circulation du virus en Nouvelle-Calédonie.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, les répercussions économiques de la crise sanitaire affectent durement les filières agricoles, dont l'équilibre, souvent fragile, a été bousculé, notamment par la disparition de certains débouchés.
Ces dernières semaines, de nombreux compatriotes ont fait le choix de soutenir les agriculteurs en achetant des produits de qualité directement auprès d'eux, grâce aux multiples initiatives nées du terrain – qu'il convient de saluer. Comment les pérenniser, en liaison avec les collectivités territoriales ?
Les questions que je souhaite vous poser se veulent concrètes et font suite aux diverses annonces du Gouvernement.
Déjà affecté par les retombées de la guerre commerciale avec les États-Unis, la filière viticole est touchée de plein fouet par la fermeture des bars et restaurants. Le Gouvernement a dévoilé la semaine dernière un plan qui lui apporte quelques solutions, mais elles demeurent insuffisantes. Pour ce qui concerne tant les quantités que les subventions allouées au titre des aides à la distillation envisagez-vous d'accorder une rallonge si cela s'avérait nécessaire ? S'agissant des exonérations de cotisations sociales, compte tenu de l'enveloppe disponible, comment seront sélectionnées les entreprises éligibles ? Les coopératives le seront-elles ? Pensez-vous que vous arriverez à convaincre vos homologues européens de la nécessité de créer un fonds de compensation ?
Je vous ai déjà alerté de mon second motif d'inquiétude : il s'agit des saisonniers et de la difficulté qu'ont les arboriculteurs à disposer de la main d'oeuvre nécessaire pour faire face à leurs besoins. Dans le Tarn-et-Garonne, le besoin est estimé à quelque 20 000 saisonniers.
Le problème est triple. De quelle main d'oeuvre pourra-t-on disposer pour la période cruciale des récoltes ? Les arboriculteurs attendent des dérogations : où en sont-elles ? Eu égard à la baisse attendue du nombre de saisonniers provenant de l'Union européenne, la question du recours à des ressortissants de pays hors-Schengen se pose de manière aiguë. Quelle est la position de la France ? Enfin, quelles solutions préconisez-vous pour loger les saisonniers tout en respectant les règles sanitaires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Vous m'avez posé trois questions, mais, si vous le permettez, je ne répondrai qu'à deux, vu que le député Huppé en posera une sur la viticulture. Cela me permettra d'être plus précis dans mes réponses.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
C'est écrit sur la feuille jaune, bien sûr !
Rires sur divers bancs.
Sourires.
Le premier point, très important, que j'aborderai est celui de la main-d'oeuvre. L'agriculture française a besoin de beaucoup de main-d'oeuvre saisonnière ; ces besoins étaient de 40 000 à 50 000 salariés au mois d'avril, ils augmenteront jusqu'à représenter 100 000 salariés à partir de ce mois-ci. C'est un réel problème. La crise du covid-19 et le confinement ont fait qu'il n'y avait plus de main-d'oeuvre disponible.
Pour y remédier, nous avons lancé avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, une plateforme sur laquelle 300 000 personnes se sont inscrites ; 15 000 ont obtenu un contrat de travail. Cela a permis de remédier un peu à la pénurie alors que l'agriculture française était en pleine production. Avec le déconfinement, les gens vont pouvoir retourner travailler, mais la plateforme reste active et certains pourront continuer à obtenir des contrats de travail.
Vous dites qu'il y a chez vous un besoin de 20 000 travailleurs saisonniers, et la situation est similaire en d'autres endroits. Ces travailleurs proviennent habituellement de l'Union européenne. Que faire ? Le Premier ministre a rendu hier un arbitrage, et l'instruction devrait être publiée demain. Sous réserve, bien évidemment, puisqu'il s'agit de la priorité du Gouvernement, que les règles de prévention sanitaire soient respectées – un guide des bonnes pratiques au travail et un guide des bonnes pratiques pour l'hébergement vont être diffusés, car il n'est pas question de proposer les mêmes conditions d'hébergement qu'hier – , les travailleurs saisonniers provenant de l'Union européenne auront la possibilité de venir en France s'ils disposent d'un contrat de travail.
Quant à savoir comment ça se passera demain, l'agriculture française a été agile, elle a été mobile, mais il faudra que nous nous posions de vraies questions sur la production agricole et l'alimentation de nos concitoyens.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée émue pour notre collègue du Vaucluse Jean-François Cesarini, décédé d'une longue maladie durant le confinement, ainsi que pour ses proches.
Monsieur le Premier ministre, votre ministre de la santé expliquait le 13 mars qu'il n'y avait aucun intérêt à fermer les frontières, car cela ne ralentirait pas la propagation du coronavirus. Quelques jours plus tard, l'Europe décidait le contraire et nous emboîtions tardivement le pas. D'un point de vue économique, en revanche, l'effet de ces fermetures pourrait être létal pour des filières dépendantes de l'étranger, notamment, dans le Vaucluse, celle des cerises, qui emploie beaucoup de travailleurs saisonniers venus d'Espagne.
Le ministre de l'intérieur a déclaré que les ressortissants européens justifiant d'un motif économique impérieux et munis d'un contrat de travail, en particulier les saisonniers agricoles, bénéficieraient de dérogations dans les jours à venir. Dans les faits, la frontière est restée close pour des ressortissants extra-européens munis d'un titre de séjour, mais aussi pour des Espagnols. Jeudi dernier s'est tenue une réunion interministérielle ; hier, une réunion d'arbitrage ; nul ne sait ce qui en est sorti. Le monde agricole attend une décision, une instruction, une circulaire. Le temps économique n'est pas le temps administratif. Monsieur le Premier ministre, parmi vos nombreux pouvoirs ne figure pas celui de retarder la maturité des fruits.
Sourires.
Nos cerises sont déjà très mûres et la pluie favorise la multiplication des parasites. Mon département a besoin de 10 000 saisonniers français ; on en a recruté 500, soit 5 %. Pendant ce temps, dans nos villes, les cerises espagnoles envahissent les étals. Je souhaiterais donc que vous précisiez votre réponse : les personnes autorisées à travailler seront-elles uniquement les ressortissants européens, ou tout étranger ayant un titre de séjour ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Concernant le temps des cerises, la parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
J'ai déjà en partie répondu à cette question, posée par Mme Pinel. Monsieur Aubert, le Vaucluse est un département que je regarde de très près ; le président de sa chambre d'agriculture, celui d'un syndicat agricole, nous ont alertés à ce sujet. Nous avons immédiatement porté de six mois à neuf mois la durée maximale du séjour des travailleurs étrangers, ce qui nous a permis d'éviter une solution de continuité. Dans le même temps, en relation avec Mme Pénicaud et ses services, nous cherchions comment faire revenir cette main-d'oeuvre, moyennant un guide de bonnes pratiques et des règles très strictes.
Vous avez raison de dire que le temps administratif ne suit pas le cycle des saisons. En l'occurrence, c'est ce dernier qui importe. Le Premier ministre a rendu un arbitrage ; l'instruction sera publiée aujourd'hui ou demain. Je le répète, elle permettra de recruter des étrangers, avec un contrat de travail. La sécurité sanitaire demeure toutefois une condition essentielle, à laquelle on ne peut déroger. Un guide des bonnes pratiques adapté au travail saisonnier sera publié. Compte tenu des problèmes que cela peut poser, nous resterons très attentifs à l'hébergement des saisonniers étrangers : il n'est plus envisageable de les loger en dortoir, à proximité immédiate les uns des autres, comme cela se pratique souvent dans le Lot, dans le Vaucluse, dans la Drôme et ailleurs. Une nouvelle conception de cet hébergement sera nécessaire. Mais rassurez-vous, monsieur Aubert : la main-d'oeuvre étrangère sera là dans les jours qui viennent, avec les garanties de sécurité permettant à l'agriculture française de se développer et d'écouler ses produits.
Premièrement, monsieur le ministre, il y a urgence : dans quinze jours, la saison des cerises sera finie. Deuxièmement, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas effectuer des contrôles sanguins, des contrôles de température, au départ des saisonniers, dans leur pays, afin d'éviter les problèmes. Troisièmement, peut-être pourrait-on autoriser les Français qui touchent le RSA – revenu de solidarité active – à le conserver tout en travaillant dans les champs, de manière à les substituer à la main-d'oeuvre étrangère et à restructurer notre agriculture pour l'avenir.
Ma question, à laquelle j'associe Jean-Paul Mattei, s'adresse à Mme la ministre du travail. Le 12 mai, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, indiquait que plus d'un million d'entreprises avaient déposé des demandes d'activité partielle concernant au total 12,4 millions de salariés. Ces chiffres colossaux montrent que l'État a su proposer une réponse rapide, efficace, saluée par de très nombreux chefs d'entreprise, au ralentissement inédit de l'activité dû au confinement.
Le dispositif d'activité partielle, renforcé et élargi, a constitué un filet de sécurité pour plus de la moitié des salariés du secteur privé. Il aura permis de préserver jusqu'à ce jour les emplois et les compétences tout en donnant des perspectives de reprise, et de maintenir le pouvoir d'achat des salariés. Je profite d'ailleurs de cette occasion pour saluer les DIRECCTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – , qui sont sous votre autorité, madame la ministre, notamment celle de mon département, la Vienne, ainsi que sa directrice. Faisant preuve d'une réactivité sans faille, elles ont accompli en quelques semaines un travail considérable.
Huit jours après le début de la phase de déconfinement, l'économie française redémarre petit à petit. Le secteur du bâtiment et des travaux publics en est un bon exemple. Cette reprise de l'activité professionnelle soulève logiquement la question des modalités de réduction, voire d'arrêt, du dispositif de chômage partiel. On peut légitimement s'attendre à ce que les entreprises s'en détachent à mesure qu'elles retrouveront un fonctionnement normal. Mais, précisément, certains secteurs ne peuvent reprendre immédiatement leur activité, soit en raison des mesures sanitaires comme l'hôtellerie et la restauration, soit faute de commandes comme l'industrie : ils devront donc continuer à recourir au chômage partiel.
Le Gouvernement devrait détailler d'ici à début juin les modalités de la poursuite de ce dispositif. Néanmoins, la situation demande des réponses promptes pour permettre aux chefs d'entreprise de s'adapter tout en préservant l'emploi, les compétences, et la dynamique de l'apprentissage observée depuis quelques mois. Comment envisagez-vous le maintien de l'activité partielle à moyen terme ? Quelles seront les règles de prise en charge de celle-ci par l'État, qui devra veiller à éviter les abus ? A-t-on d'ores et déjà identifié, outre le tourisme, des secteurs économiques qui pourraient recourir plus longtemps à l'activité partielle ?
Nous avons en effet instauré, face à cette crise sans précédent, un dispositif d'activité partielle massif et puissant. Un million d'entreprises, pour la plupart des TPE et des PME, représentant plus de 12 millions de salariés, ont ainsi été protégées et ont pu conserver leurs compétences. La décrue du chômage partiel a heureusement commencé, puisque l'activité reprend, …
… comme j'ai pu le constater la semaine dernière sur un chantier, ce matin à l'usine Toyota de Valenciennes. Il faut accompagner cette reprise. Par conséquent, pas question de couperet, mais plutôt d'un système de vases communicants, celui du chômage partiel se vidant à mesure que celui de l'activité se remplira.
Il faut également encourager cette reprise, dont les conditions sont réunies. Ce sont avant tout les conditions sanitaires de l'organisation du travail, assurées par un protocole de déconfinement, par soixante-quatre guides des bonnes pratiques en fonction des métiers, dont certains seront traduits à l'intention des travailleurs étrangers, notamment saisonniers. Les représentants des diverses professions, le ministère du travail, le ministère de la santé, les partenaires sociaux ont validé ce dispositif, qui nous permet d'envisager une reprise en toute sécurité. C'est pourquoi le Premier ministre a annoncé que, début juin, le taux de prise en charge par l'État de l'activité partielle commencerait à diminuer. Je vous rappelle qu'actuellement, l'État rembourse intégralement les entreprises jusqu'à quatre fois et demie le SMIC, ce qui est tout à fait inédit. Évidemment, cette diminution, visant à encourager la reprise, n'est pas applicable aux établissements qui sont encore à l'arrêt complet : les cafés, les restaurants. De façon générale, le tourisme et les secteurs qui en dépendent en seront exclus.
Vous avez évoqué les fraudes ; nous avons créé un système destiné à distinguer les entreprises de bonne foi de celles qui abuseraient sciemment du dispositif. C'est de l'argent public qui est en jeu. Ce filet de protection que nous assumons, dont nous nous réjouissons tous, doit être conçu dans les règles de l'art.
Mesures en faveur des petites entreprises
Monsieur le Premier ministre, après deux mois de confinement et de quasi-arrêt de notre économie, l'inquiétude est grande au sujet de nos entreprises. La perfusion d'argent public maintient en vie un certain nombre de secteurs, mais jusqu'à quand ? Des pans entiers de l'économie sont très fragilisés et finalement peu accompagnés au regard de ce qui se fait en Allemagne, où les TPE bénéficient d'aides six fois plus élevées qu'en France. Je pense aux commerçants de proximité, aux artisans, aux travailleurs indépendants, aux restaurateurs et cafetiers. Dans nos centres-villes et nos centres-bourgs, comme en milieu rural, ils représentent non seulement des emplois, mais des services indispensables à la survie de nos territoires.
Face à la crise, alors que les commerces spécialisés étaient sommés de fermer, la grande distribution ouvrait tous ses rayons, engrangeait plus de profits que jamais, et se trouvait mise en vedette par la visite du Président de la République dans un Super U de Bretagne. Nos commerçants de proximité, eux, avaient le moral et le chiffre d'affaires en berne. Le fonds de solidarité leur aura permis de tenir bon durant les dernières semaines, mais ils ne doivent pas subir l'impact de doctrines restrictives telles que la prise en compte du nombre d'associés ou du nombre de commerces par entité juridique.
Vous avez annoncé l'annulation des charges des entreprises ayant fait l'objet d'une fermeture administrative. Cette mesure, que nous avions réclamée à plusieurs reprises, va dans la bonne direction. Toutefois, pour relancer ces secteurs, il faudrait aller plus loin, notamment en annulant toutes les charges, sociales et fiscales, des indépendants qui, faute de clients, de fournitures, n'ont pu exercer pendant le confinement qu'une activité partielle. Il faudrait également ressusciter le FISAC, le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, afin d'accompagner la mutation de ces entreprises, le développement du numérique et de la livraison, nouveaux usages que le confinement a répandus. Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à vous engager clairement en faveur de ces avancées indispensables à la survie des petites entreprises ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.
Je vous remercie de cette question, car elle me fournit l'occasion de revenir sur notre accompagnement intensif des petits commerçants et des artisans. Vous évoquez l'Allemagne ; sans doute n'avez-vous pas en tête l'ensemble du dispositif français, car le montant total des aides que nous versons dépasse en fait les 10 000 euros allemands.
Grâce à la ministre du travail, le dispositif de chômage partiel a permis à un salarié sur deux d'être assuré de conserver son poste alors même qu'il ne pouvait travailler. S'y ajoutent le report des charges fiscales et sociales, l'abandon de ces dernières, la possibilité, depuis le début de la crise, d'obtenir un dégrèvement de charges fiscales. Le fonds de solidarité ne représente pas 1 500 euros en tout par entreprise, mais 1 500 euros par mois, depuis mars, et un supplément pouvant aller jusqu'à 2 500 euros en mars, jusqu'à 5 000 euros en mai.
Les entreprises du secteur du tourisme, les cafés, les restaurants bénéficient d'apports encore plus importants.
Pourquoi ne pas avoir fait mention de ces mesures sans équivalent au sein de l'Union européenne ? Quant au sujet du numérique, nous l'avons pris en main dès les premiers jours de la crise, en mobilisant le portail France Num, en organisant les livraisons à domicile sans contact grâce à des guides spécifiques, en autorisant le retrait en magasin, en mettant à la disposition des commerçants des plateformes aux tarifs particulièrement modiques, voire gratuites, afin qu'ils puissent continuer à travailler. Soyez donc assuré que nous sommes en première ligne pour défendre les commerçants et les artisans.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La France est une grande nation viticole : elle représente environ 16 % de la production mondiale de vin ; le secteur emploie 558 000 personnes et compte 85 000 exploitations. Il faut soutenir cette grande nation, car elle se porte mal. La taxe instaurée par le président Trump entravait nos exportations ; le covid-19 a achevé de fermer nos débouchés extérieurs.
Dans le même temps, la consommation de vin a diminué dans toute la France. Celle-ci garde donc son vin ; or un vin qui n'est pas bu dès à présent ne sera pas bu ensuite.
Sourires.
Cet été, nous ne remplirons pas nos soutes de voitures, nous ne boirons pas le vin qui n'a pas encore été consommé. Les viticulteurs s'en alarment, ce que je comprends très bien : les caves sont encore pleines alors que la prochaine vendange s'annonce. Monsieur le ministre, la France doit rester une grande nation viticole. Pour cela, nous avons besoin de distiller ces vins sans emploi. Nous sommes évidemment satisfaits des 140 millions d'euros promis à ce titre, mais il nous semble important que vous puissiez, au besoin, compléter cette somme.
J'attends une réponse de votre part : l'État serait-il prêt à faire un peu plus, si cela s'avérait nécessaire ?
J'aurai une seconde question, tout aussi importante, concernant l'Europe : comptez-vous solliciter son aide, qui me semble indispensable ?
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM. – M. Fabrice Brun applaudit également.
Il n'y a pas de naïfs dans cette assemblée : si le coprésident du groupe d'études Vigne, vin et oenologie me pose une question en pleine crise sanitaire, je me doute qu'elle concernera la viticulture. Vous voyez, j'avais vu juste mais il suffisait de réfléchir un peu.
Sourires et applaudissements sur divers bancs.
Cette question est importante. C'est vrai, la filière vitivinicole est immense puisqu'elle rassemble plus de 80 000 exploitations. Elle a beaucoup souffert, en particulier de la décision unilatérale prise par les États-Unis de taxer de 25 % l'importation des vins français.
De nombreuses exploitations se retrouvent en grande difficulté, aussi travaillons-nous à créer un fonds de solidarité pour répondre aux conséquences de la taxe américaine.
Où en êtes-vous, d'ailleurs ? On patine, au niveau européen, madame de Montchalin !
Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises avec la filière. La plus importante de ces réunions a rassemblé Bruno Le Maire et Olivier Dussopt qui représentait Gérald Darmanin.
Nous savons que nous devrons aider cette filière et nous le ferons en prenant des mesures spécifiques à deux niveaux – je répondrai ainsi à la question de Mme Sylvia Pinel.
Tout d'abord, nous réfléchissons à un dispositif d'exonération et non pas de report de charges. En effet, nous n'avons pas pris la décision de fermer la filière viticole mais lorsque les restaurants ne peuvent ouvrir, lorsque les salons des vins ne peuvent se tenir, lorsque les visites dans les caveaux sont interdites, les entreprises viticoles ne travaillent plus et subissent les conséquences de la fermeture des autres secteurs économiques.
Le Gouvernement a donc décidé d'associer cette filière au secteur des cafés-hôtels-restaurants pour les faire bénéficier de la mesure d'exonération de charges. Nous sommes à l'oeuvre.
Par ailleurs, le vin est un produit qui se stocke jusqu'à, du moins, ce que les cuves soient pleines.
Sourires.
Nous réfléchissons à un dispositif de distillation de crise de 2 millions d'hectolitres de vin, pour le moment. Nous avons prévu une clause de revoyure et les mesures définitives seront prises la semaine avant la Pentecôte.
Soyez assurés que le Gouvernement, dans son ensemble, se soucie de la prospérité de la filière vitivinicole et prend des mesures pour la sauver.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. La démocratie est la base de notre République. Elle se vit par le suffrage universel, les droits des citoyens, dont celui de manifester et surtout le libre débat, le pluralisme dans la presse écrite, dont les quotidiens sont des acteurs majeurs.
Les journalistes informent, donnent les faits et leur éclairage. C'est une presse d'information et d'opinion. Je salue tous ceux qui, des salles de rédaction aux distributeurs en passant par les imprimeurs et leur organisation syndicale, ont permis à chacun de lire son journal durant cette période de confinement, quel que soit son lieu d'habitation.
Que deviendra cet engagement si la distribution de la presse quotidienne n'est plus assurée ?
Ce qui semblait inimaginable est devenu réalité puisque, le 15 mai, le tribunal a rendu son verdict : Presstalis, en charge de la diffusion de la presse et, par conséquent, du pluralisme, est placée en redressement judiciaire assorti d'une période d'observation de deux mois.
La liquidation partielle de ses filiales laissera plus de 500 salariés sans emploi et menacera l'avenir des maisons de la presse ou des kiosques.
La loi Bichet, qui garantissait le pluralisme de la presse, organisait sa distribution par le regroupement des éditeurs au sein de coopératives de presse. L'ouverture du marché l'a fragilisée.
La situation est grave. La démocratie par le pluralisme peut vaciller. Les salariés de Presstalis et de ses filiales, comme les vendeurs, peuvent se retrouver dans une situation extrêmement difficile.
Parce que je vous sais attaché, monsieur le Premier ministre, comme nous tous, au pluralisme de la presse qui doit rester accessible à tous nos compatriotes, je vous demande quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour garantir sa distribution et son caractère coopératif ainsi que pour sauver les emplois de Presstalis et des filiales.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – Mme Sarah El Haïry applaudit également.
Vous avez raison, la liberté de la presse, son pluralisme, sont essentiels pour notre démocratie. Comme vous, je salue les journalistes et tous ceux qui, au sein des entreprises de presse, dans les médias, ont réalisé un travail remarquable durant cette crise, pour continuer à nous informer, malgré les obstacles.
Or, ce secteur traverse de grandes difficultés depuis des années. Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement se mobilise en faveur de ce secteur. Il oeuvre pour que les institutions européennes prennent une directive relative à la création d'un droit spécifique pour les éditeurs de presse, afin que les plateformes et les acteurs de l'internet financent la création des articles de presse, mais aussi pour que la France soit le premier pays à transposer cette directive. Il souhaite réformer la loi Bichet, qui est le cadre juridique de ce secteur d'activité, en particulier de la distribution de la presse. Depuis plusieurs semaines, je prépare avec Bruno Le Maire un plan de filière spécifique global pour la presse.
Le Gouvernement se mobilise pour sauver ce système unique de distribution de la presse partout dans le pays, pour assurer à tous nos compatriotes l'accès à une presse diverse et plurielle.
Presstalis, principale messagerie de distribution de la presse, est en difficulté depuis des années. Malgré les efforts répétés de l'État, notamment pour accompagner sa transformation, elle se trouve au bord de la liquidation judiciaire. Le Gouvernement a oeuvré pour que les acteurs se retrouvent autour d'une solution économiquement pérenne, socialement acceptable et qui perpétue un système de distribution efficace de la presse.
Un plan de reprise a été proposé par la coopérative des quotidiens. Le Gouvernement, qui soutient cette offre, a accordé des sommes importantes : 70 millions d'euros pour pérenniser la distribution de la presse et 80 millions sous forme de prêts et de subventions pour participer au financement de cette offre.
J'invite tous les acteurs de la reprise à se mobiliser pour assurer l'avenir de la distribution de la presse.
Monsieur le ministre de la culture, notre pays, à l'exception du département de Mayotte, sort peu à peu de la période de confinement strict. Pendant tout ce temps, les Français ont pu trouver refuge dans la lecture, pour prendre du recul, s'évader, se ressourcer.
Nous savons tous le rôle indispensable du livre dans l'objectif de continuité pédagogique corrélé à celui de réussite pour tous. Il trouvera, je l'espère, pleinement sa place cet été auprès d'un maximum d'élèves. Le renouvellement de l'opération « Un livre pour les vacances » prendrait ici tout son sens.
En donnant le goût de la lecture, on soutient ceux qui écrivent les livres et ceux qui les transmettent.
Les Français s'inquiètent du devenir des auteurs, des imprimeries, des librairies, particulièrement affectés par la crise économique que nous subissons.
Votre ministère a pris la mesure de la crise en associant les artistes-auteurs aux dispositifs d'aides prévus. Le centre national du livre a adopté un plan d'urgence de 5 millions d'euros et les collectivités locales témoignent d'un engagement sans faille pour soutenir les entreprises de la chaîne du livre.
En autorisant la réouverture des 3 000 librairies de notre pays, nous permettons à ces commerces d'utilité publique de se relancer. Parce qu'en temps ordinaire, ces entreprises ne réalisent que de faibles marges, de l'ordre de 1 % en moyenne, il importe d'encourager le retour des lecteurs dans ces lieux en leur donnant envie de redécouvrir les grandes oeuvres de notre littérature, par exemple La Peste de Camus, dans lequel le personnage du docteur Rieux rend un vibrant hommage aux soignants. Il est un hommage à tous ceux qui sont aujourd'hui engagés sur tous les fronts de la pandémie, bénévoles comme professionnels.
On peut aussi lire Le Tartuffe, pour comprendre l'action d'Emmanuel Macron.
Le secteur du livre, nous le savons, aura du mal à se relever sans un soutien prolongé de la puissance publique.
Pouvez-vous préciser les décisions qui ont été prises et celles à venir pour soutenir le monde du livre ?
Mme Sophie Mette applaudit.
C'est vrai, madame la députée, les Français sont très attachés à la littérature et au secteur du livre. Pourtant, ce secteur a été particulièrement frappé par la crise. Je salue les libraires qui ont su, pour certains d'entre eux, trouver le moyen, pendant le confinement, de poursuivre les livraisons de livres ou le retrait des commandes,
M. Jean-Charles Larsonneur applaudit
ou s'adapter aux nouvelles mesures de sécurité sanitaire pour rouvrir à partir du 11 mai.
Je salue également les éditeurs qui ont pu accorder des facilités de paiement aux libraires, ce qui leur a permis de résister à la crise.
Le Gouvernement s'est mobilisé aux côtés des différents acteurs du livre, qu'il s'agisse des auteurs, des éditeurs, des libraires, des distributeurs, pour leur permettre de tenir bon. Ils peuvent ainsi bénéficier des dispositifs transversaux pris en faveur de tous les secteurs de l'économie : prêts garantis par l'État, fonds de solidarité, report et exonération de charges fiscales et de cotisations sociales.
Le ministère de la culture a, par ailleurs, diligenté un dispositif spécifique, par l'intermédiaire de son opérateur, le centre national du livre, pour accompagner particulièrement les auteurs les plus en difficulté.
Nous devons donner à ce secteur les moyens de rebondir. Un fonds de 100 millions d'euros a ainsi été décidé par le Président de la République, géré par l'IFCIC, l'institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, pour accorder des moyens financiers spécifiques au secteur du livre, notamment les éditeurs.
Par ailleurs, je travaille avec Bruno Le Maire à un plan de filière global que nous dévoilerons dans les prochaines semaines.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, jeudi dernier, le Gouvernement a permis de dissiper un peu l'épais brouillard qui entourait, depuis mars, les professionnels du tourisme. Pour autant, il n'a pas fait disparaître les nuages qui menacent ce secteur.
Du côté des professionnels, une série de mesures était attendue : prolongement et adaptation du fonds de solidarité, de l'activité partielle, exonération de cotisations sociales, report des échéances de crédits.
La saison estivale souffrira cependant d'une fréquentation bien moins importante que d'ordinaire.
De surcroît, si la réouverture des établissements devrait intervenir en zone verte le 2 juin, le flou demeure en zone rouge.
Enfin, les conditions de ces réouvertures ne sont pas connues. Quelles seront les jauges à appliquer ? Un espace de 4 mètres au carré par client sera-t-il retenu ? Quoi qu'il en soit, l'application des mesures sanitaires se traduira par un manque à gagner, y compris pour tout l'écosystème qui gravite autour du tourisme : filières d'approvisionnement, fournisseurs, producteurs locaux et j'en passe.
Pour l'ensemble du secteur, la reconstitution d'une trésorerie et surtout la capacité à investir dépendront de la réussite de plusieurs nouvelles saisons. C'est particulièrement vrai pour les territoires très dépendants comme la Corse, les zones de montagne ou l'outremer. Il est donc primordial d'adopter un plan de soutien pour le court terme et, étalé durant plusieurs années, un plan de reconstitution des capacités opérationnelles. Ces feuilles de route sectorielles devront être élaborées avec les collectivités compétentes et adaptées aux spécificités, dans une logique de différenciation qui nous tient à coeur, vous le savez.
Quelles mesures durables comptez-vous adopter pour sauvegarder ce secteur d'activité essentiel ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LT – Mme Aude Bono-Vandorme applaudit également.
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Parce que le secteur du tourisme a été frappé de plein fouet par la crise, nous avons voulu agir vite et fort et le Président de la République a lancé un véritable plan de sauvetage du tourisme. Annoncé la semaine dernière lors du comité interministériel pour le tourisme, il se traduit par un engagement de 18 milliards d'euros dont 9 milliards d'aides directes. Le financement du recours à l'activité partielle sera prolongé, le bénéfice du fonds de solidarité est lui-même prolongé jusqu'en décembre 2020, ce qui est une mesure dérogatoire par rapport aux autres secteurs, justifiée par l'arrêt complet de ce secteur qui ne pourra reprendre que très progressivement.
Parallèlement, 9 autres milliards seront consacrés au financement, à l'investissement et à la création, notamment, d'un prêt tourisme dont les bénéficiaires pourront différer de deux ans le remboursement, ce qui leur permettra de tenir deux saisons estivales. C'est une première réponse à votre question relative au nombre de saisons qu'il faudrait pour rétablir la situation.
Nous poursuivons par ailleurs notre travail avec les filières et les territoires spécifiques, en établissant des feuilles de route. Le tour de France des régions et des territoires nous a permis de commencer le travail avec les élus de Corse. Les réunions avec le président de la collectivité territoriale, les représentants de la filière, comme l'UNIA – Université Nice inter-âges – ou le Cercle des grandes maisons corses, nous ont permis de rassembler nombre de propositions auxquelles nous continuerons de réfléchir ensemble. Nous avons d'ailleurs fixé une clause de rendez-vous très bientôt.
Je salue également l'action des services de l'État au travers de celle du préfet Franck Robine.
Nous sommes tous mobilisés pour soutenir le secteur du tourisme et l'aider à reconquérir sa clientèle.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Je vous remercie pour votre réponse mais je me permets d'insister. De nombreuses entreprises sortiront exsangues de cette crise et seul un plan étalé sur plusieurs années leur permettra de survivre et de reconstituer leur capacité d'investissement.
Madame la secrétaire d'État chargée des affaires européennes, le Président de la République, Emmanuel Macron, et la chancelière Angela Merkel ont annoncé hier une réponse européenne inédite pour faire face à l'impact de la crise sanitaire qui frappe l'Union européenne. En effet, nos deux pays se déclarent prêts à faire un effort colossal en proposant conjointement un fonds de relance de 500 milliards d'euros en dépenses budgétaires pour parvenir à une reprise durable de la croissance. En tant que membre de l'assemblée parlementaire franco-allemande, je salue cet accord historique qui marque l'évolution de la position de l'Allemagne, jusqu'ici peu favorable à l'idée d'un emprunt commun au nom de l'Union. Cette initiative franco-allemande est une réelle réussite pour notre pays qui, depuis le début de la crise, défend le principe d'une solidarité européenne de fait. Ce plan de relance, destiné à venir en aide aux pays les plus touchés par la pandémie, devra cependant être validé par l'ensemble des États membres et par le Parlement européen.
Madame la secrétaire d'État, avez-vous des précisions quant au calendrier de l'examen des propositions de ce plan et sur les modalités de ces aides ? Quels sont les pays, les régions et les secteurs qui bénéficieront en priorité de ces ressources et sur quels critères s'effectueront la répartition et le remboursement des fonds ?
Le Président de la République a également affirmé que l'Europe de la santé doit devenir notre priorité, en mettant en avant la nécessité d'accroître les compétences de l'Union européenne en matière sanitaire et sans exclure un changement des traités. En effet, la France et l'Allemagne plaident pour une souveraineté sanitaire à travers la constitution de stocks stratégiques communs de produits pharmaceutiques et médicaux ainsi que le rapatriement des capacités de production en Europe grâce à de nouveaux mécanismes incitatifs. Avez-vous d'ores et déjà des précisions sur le renforcement des coopérations sanitaires qui permettront de bâtir ensemble une véritable Europe de la santé ?
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
En effet, le Président de la République a dit dès le début de la crise que ce virus ne connaissait pas de frontière et qu'aucun État ne pourra s'en sortir seul. Il frappe encore lourdement l'ensemble des États membres. Le Président de la République a également affirmé depuis le début que c'est ensemble, solidaires et en Européens, que nous pourrons apporter une réponse efficace à cette crise. À cet égard, ce qui s'est passé hier est bien une étape décisive dans la constitution d'une réponse commune puisque l'Allemagne a rejoint la France sur la nécessité d'une relance économique solidaire à travers une capacité d'emprunt commun pour alimenter un fonds de relance de 500 milliards d'euros en subventions.
C'est historique puisque nos deux pays vont travailler ensemble à convaincre leurs partenaires : huit autres États ont déjà annoncé soutenir nos objectifs et je sais que d'autres nous suivront. Le Gouvernement souhaite que les plus frileux dépassent ces égoïsmes qui n'ont plus lieu d'être alors que l'urgence montre à tous qu'aucun de nous ne peut s'en sortir seul. Il faut aller vite puisque la présidente de la Commission européenne doit présenter avant la fin du mois sa proposition. Je sais que le Parlement européen sera pour nous un allié exigeant mais solide, notamment sur la question des ressources propres. Il va falloir, en effet, préciser les régions et les secteurs bénéficiaires de cet effort de relance afin de soutenir en priorité ceux qui ont été le plus touchés.
Cette initiative franco-allemande est aussi historique parce qu'elle rejoint la déclaration Schuman, prononcée il y a soixante-dix ans, pour la création d'une souveraineté et d'une solidarité européennes, y compris des solidarités de fait, notamment dans le domaine de la santé. Avec Jean-Yves Le Drian, je promeus le projet très concret de développer des moyens communs pour la recherche, pour la prévention et pour la relocalisation de nos productions. Nous ne pouvons pas dépendre aussi fortement de l'extérieur de l'Union. Ce sera un des enjeux du budget européen et vous pouvez compter sur mon engagement pour mener ce combat aux côtés de mes homologues afin que, pour notre agriculture, pour notre industrie, pour notre santé et pour la transition écologique et numérique, nous parvenions à faire plus et ensemble.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Madame la garde des Sceaux, comme tous les autres services publics, l'administration pénitentiaire a dû, elle aussi, se réorganiser. Je souhaite appeler votre attention sur l'ordonnance du 25 mars dernier, qui autorise notamment l'octroi de remises de peines supplémentaires de deux mois. À ce jour, plus de 13 500 détenus ont ainsi été libérés. Bien sûr, vous l'avez rappelé, en sont notamment exclus les criminels, les personnes condamnées pour terrorisme ou encore pour violences conjugales. Cependant, je déplore que les détenus radicalisés ne soient pas exclus, eux aussi, du dispositif, …
… quand bien même ils seraient détenus de droit commun. Lors de son audition par la commission des lois, le directeur de l'administration pénitentiaire a admis que 130 détenus inscrits au FSPRT, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, pouvaient, eux aussi, bénéficier de cette remise de peine.
Vous avez par ailleurs contesté le nombre de 20 000 personnes ayant bénéficié d'une réduction de peine en application de ladite ordonnance. Ce chiffre est certes faux à l'heure actuelle, mais l'ordonnance prévoit que cette remise supplémentaire pourra être accordée jusqu'au 10 août prochain. Dans ce cas, si le texte n'est pas modifié, nous en serons bien à 20 000 détenus libérés prématurément.
Maintenant que la justice reprend son cours, quand comptez-vous mettre fin à ce dispositif et à cette ordonnance ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vous savez que la surpopulation carcérale constituait une difficulté majeure pour lutter contre la pandémie du covid en prison. Dès lors, plusieurs mesures ont été prises pour faire baisser cette surpopulation. Je vous rappelle qu'il y avait le 16 mars, à la veille du confinement, 72 575 personnes détenues pour 61 109 places opérationnelles, ce qui représentait une densité carcérale de 119 %, tous établissements confondus.
Votre présentation est erronée car s'il y a bien 13 500 détenus en moins, cela provient principalement du fait que le confinement a conduit à une réduction considérable de la délinquance de rue. À côté de cette diminution des décisions d'incarcération, mon ministère a certes pris des mesures volontaristes pour réduire la durée d'incarcération, mais elles n'ont concerné que 5 400 personnes. Le différentiel réel n'est donc pas celui que vous exposez. J'ajoute que ces 5 400 détenus en moins étaient pour la plupart en toute fin de leur peine et, vous l'avez vous-même rappelé, j'avais exclu de ces mesures les détenus condamnés pour crime, terrorisme ou violences intrafamiliales.
Cette période montre que la surpopulation carcérale n'est pas fatale et que les outils que votre assemblée a adoptés dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice vont permettre de continuer à aller dans le sens que j'ai évoqué. Mais, je l'ai déjà dit, ces mesures s'inscrivent dans l'ensemble de celles visant à lutter contre la pandémie, et sont à ce titre provisoires. Voilà ce qu'il faut en retenir, malgré ma volonté de continuer à lutter contre la surpopulation carcérale.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Malheureusement, pendant le confinement, la radicalisation et le terrorisme ne sont pas, eux, restés confinés : je rappelle l'attentat commis à Romans-sur-Isère le 4 avril, et le passage en force d'un barrage par une personne armée, un fichier S libéré par anticipation, à Vannes le 5 mai.
Cela n'a aucun lien !
Vous n'avez pas répondu à ma question. Il est déraisonnable d'avoir laissé sortir les détenus radicalisés.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Il n'était pas en prison !
Reprise de l'activité des tribunaux
Madame la garde des sceaux, le 17 mars, la France et les Français ont été confinés. C'était inédit. La justice a fonctionné au ralenti, mais elle a fonctionné, une justice d'urgence qui a bouleversé le quotidien des juridictions.
Deux mois plus tard, c'est le défi de la reprise.
Le Premier ministre le répète souvent et il a raison : « La vie ne reprendra pas comme avant. » Et la justice n'échappe pas à ce constat. En dépit des craintes et des incertitudes, magistrats, avocats, greffiers et tous les autres acteurs du monde de la justice sont à nouveau en première ligne pour préparer la sortie de cette période exceptionnelle. Ils font face à deux puissants défis, le premier étant la réouverture des portes des tribunaux, ces lieux de brassage et de rencontres, en s'adaptant aux contraintes sanitaires. À Pontoise, dans mon département du Val-d'Oise, le tribunal judiciaire est prêt : marquage au sol, places numérotées dans les salles d'audience, gels et masques bien sûr, avec une attention particulière portée à l'accueil des publics fragiles, notamment les demandeurs à l'aide juridictionnelle et les plaignants dans le cadre des affaires de violences intrafamiliales. Face à ce premier défi, quelle solution d'accompagnement à court terme avez-vous prévue pour une reprise en toute sécurité de la vie de Palais ?
le second défi est tout aussi immense : absorber le stock sans précédent de dossiers qui se sont dangereusement accumulés. La justice a beaucoup souffert ces derniers mois : la grève des avocats, suivie de la crise sanitaire, ont contraint souvent, partout en France à des renvois d'audience. Un énorme embouteillage s'annonce, ce qui signifiera pour beaucoup de Français des mois voire des années de retard à leur rendre justice. Comment résoudre ce casse-tête et revenir à un niveau numériquement raisonnable de dossiers tout en ne rognant pas sur les droits des justiciables ?
Madame la ministre, le monde de la justice va vivre une épreuve, au moins jusqu'à la fin de l'année. Il faudra du temps pour que la machine judiciaire tourne à plein régime. Mais tous les moyens devront y être employés et je serai moi aussi à vos côtés. La justice n'est pas un service public comme les autres ; c'est une des grandes fonctions régaliennes de l'État, elle est essentielle, ultime recours et point d'aboutissement des autres services publics.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Vous avez raison de rappeler que les tribunaux ont été physiquement fermés pendant le confinement parce que c'étaient des lieux de brassage, l'activité de justice étant par nécessité menée en lien étroit avec les justiciables. La reprise des activités judiciaires a lieu depuis le 11 mai. Elle s'effectue dans le respect des règles sanitaires nécessaires, à la fois par une distanciation physique dans tous les lieux de brassage, y compris dans les salles d'audience, par le port de masque – nous en avons doté l'ensemble des magistrats et des personnels – et par toutes les autres mesures sanitaires qui s'imposent.
La mobilisation des personnels de justice, en lien avec les avocats, permet un retour rapide à la normale. La phase de montée en puissance, que j'avais envisagée jusqu'au 2 juin, sera ainsi sans doute beaucoup plus rapide dans un certain nombre de tribunaux. À titre d'exemple, à Rennes, les tribunaux de la Cour sont déjà à 90 % de leur activité normale et, à Pontoise, les audiences civiles ont repris normalement, 92 % des juges étant présents.
Le stock que vous évoquez apparaît maîtrisable. En effet, si une part correspond à des procédures qui n'ont pu être jugées pendant le confinement et qui vont donc s'ajouter à celles fixées avant le 17 mars, nous avons priorisé les contentieux civils, notamment familiaux. Nous avons également, dans le cadre des dispositions que votre assemblée a votées, permis aux procureurs de revoir le calendrier des audiences pour certaines affaires. Des mesures importantes ont également été prises s'agissant des cours d'assises. L'autre part du stock correspond à des décisions rendues par les magistrats pendant le confinement. L'exemple du tribunal de Paris est à cet égard éloquent : plus de 5 000 décisions civiles ont été rendues pendant cette période. Il appartient maintenant aux greffiers de les faire connaître, et j'indique que nous apportons un soutien au greffe avec le recrutement de plus de 1 000 vacataires.
Soyez assurée que l'ensemble des personnels de justice est mobilisé pour que l'activité judiciaire reprenne normalement au plus vite.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix, sous la présidence de Mme Annie Genevard.
L'ordre du jour appelle le débat sur la souveraineté économique, écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Barbara Pompili.
La crise que nous traversons n'est pas seulement sanitaire, économique et sociale : elle révèle le dysfonctionnement profond de notre modèle de développement, qui n'est plus soutenable. Elle est un des symptômes de l'effondrement de ce que nous prenions à tort pour un équilibre. Plus de la moitié de l'humanité vit aujourd'hui confinée. Certains, inconscients ou cyniques, proposent un retour à la normale. Mais ce qui est profondément anormal, c'est d'avoir nous-mêmes provoqué cette crise. Nous en sommes les premiers responsables, par nos atteintes aux écosystèmes. En disant cela, je n'assène pas une opinion : je relaie des travaux scientifiques dont la qualité internationale est reconnue et qui font consensus, comme ceux de l'IPBES – la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – qui, en 2019, alertait sur le lien entre les maladies infectieuses émergentes et les activités humaines.
Le mécanisme à l'oeuvre, nous le connaissons : il est malheureusement implacable. Il trouve son origine dans la déforestation. Entre 1980 et 2000, 200 millions d'hectares de forêt ont disparu dans le monde. Dans cette forêt fragmentée où prolifèrent les trafics d'espèces, les populations d'animaux, morcelées, fragilisées, sont exposées à de nouveaux virus. Il en résulte une exposition accrue des hommes à de nouveaux pathogènes, avec les risques de transmission à l'espèce humaine qui y sont associés. Il est désormais établi que 75 % des maladies infectieuses humaines sont d'origine zoonotique. Pendant ce temps, la déforestation se poursuit à marche forcée, pour produire du soja ou de l'huile de palme, tandis que la production animale augmente à un rythme quasi exponentiel et que nous consommons des biens produits à l'autre bout de la planète. Tout cela nous mène droit dans le mur !
Il n'est pas trop tard pour agir, mais cela implique de prendre des décisions lourdes, structurelles. Ces choix, certains les ont déjà faits sur le terrain. On peut s'appuyer sur leurs initiatives pour généraliser le mouvement. Il s'agit tout d'abord de faire le choix de la souveraineté agricole et alimentaire, ce qui suppose de relocaliser la production des protéines végétales tout en diminuant la consommation des protéines animales. Qu'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas de valoriser sans nuance des coproduits comme les agrocarburants, bien pratiques pour nous donner l'illusion que nous entamons enfin notre transition écologique.
Nous devons revoir nos modes d'élevage intensif, diversifier les cultures de légumineuses en prévoyant des rotations de production, remettre en herbe des vaches laitières et privilégier les circuits courts. Nous devons sortir des pesticides et leur préférer les solutions fondées sur la nature, mais aussi valoriser les services environnementaux rendus par les agriculteurs. Nous devons également reconquérir la biodiversité, ce qui nécessite de lutter contre l'artificialisation et le changement d'affectation des sols.
Certains diront que cette voie est utopique, et que l'agriculture conventionnelle a pour mérite d'avoir assuré notre souveraineté agricole et alimentaire. Mais en quoi sommes-nous souverains, quand nous importons des viandes et du soja à une échelle intercontinentale, menaçant par là même nos agriculteurs ?
La révision de la PAC, la politique agricole commune, est une chance à saisir pour généraliser les démarches d'agroécologie et soutenir les agriculteurs dans cette voie. Sachons la saisir, dans l'intérêt de tous, agriculteurs comme consommateurs.
Nous devons aussi assurer notre souveraineté énergétique et en garantir la soutenabilité. Cela implique d'opérer une réelle transition énergétique, donc de nous engager résolument dans la maîtrise de la consommation. Il nous faut aussi encourager la production locale d'énergie et les énergies renouvelables, et permettre leur production sur notre territoire sans obérer l'avenir en produisant des déchets dont nous ne savons que faire et en laissant aux générations suivantes la charge de gérer cet héritage. Les énergies citoyennes commencent à émerger. Sachons les soutenir.
Garantir la soutenabilité, c'est aussi s'assurer qu'on ne produit pas pour jeter immédiatement ce qu'on a produit. Dans ce domaine, même si nous avons progressé l'an dernier grâce à la loi antigaspillage, le chemin reste long vers un véritable réemploi et vers la sobriété dans la consommation quotidienne.
Et puis, bien sûr, il faut penser la relance. On la veut verte, et c'est tant mieux, mais il nous faut désormais être concrets. Les mots ne suffiront pas. La rénovation thermique et la lutte contre les passoires énergétiques, voilà des démarches dont nous savons qu'elles contribuent à la fois à notre souveraineté énergétique, à l'emploi et au pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Mais rien ne serait pire que des demi-mesures. Il faut opter pour la rénovation qualitative globale et soutenir les ménages dans leurs projets, car cette crise a aussi jeté un éclairage cru sur le besoin de solidarité envers les plus fragiles. Le prochain projet de loi de finances sera, de ce point de vue, un rendez-vous crucial pour accomplir ce saut qualitatif et solidaire.
Reconstruire notre souveraineté, ce n'est pas seulement relocaliser la production de masques et de médicaments : c'est reprendre la main dans ces domaines essentiels. Nous connaissons les vieilles recettes qui nous ont conduits à la crise actuelle. Nos concitoyens attendent plus et mieux. Il est temps de travailler ensemble pour leur apporter les bonnes réponses.
MM. Erwan Balanant et Jean-Charles Larsonneur applaudissent.
« Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française. » Tels sont les mots prononcés par le Président de la République, qui semble reconnaître les limites de notre autonomie dans ces différents secteurs éprouvés par la crise du covid-19. En effet, tant le manque de matériel médical et les difficultés d'approvisionnement que la polémique qui a entouré les vaccins de Sanofi ont jeté une lumière crue sur la désindustrialisation française et sur la dépendance du pays vis-à-vis de ses partenaires commerciaux pour des biens pourtant essentiels. La crise sanitaire a montré que nous sommes allés trop loin dans des relations commerciales que l'on nous disait heureuses et qui se révèlent fragiles et source d'insécurité pour la population française dans certains secteurs stratégiques.
Cette crise sanitaire est aussi celle du manque d'anticipation, et c'est pourquoi notre souveraineté nationale exige que nous revoyions en profondeur notre logiciel pour mieux préparer l'avenir. La crise du coronavirus nous démontre que la souveraineté industrielle n'est pas un concept suranné, mais bien une condition de sécurité de la nation, et que la souveraineté ne doit pas être confondue avec le souverainisme.
En lien avec les établissements et les personnels de santé, nous avons tous constaté le manque de matériel médical et de produits sanitaires qu'ils ont subi avec les pénuries de masques, de gants, de blouses, de gel hydroalcoolique, de respirateurs et même de médicaments, notamment anesthésiants. L'Agence nationale de la sécurité des médicaments porte à ce problème une attention toute particulière et le ministre de la santé reconnaissait dès le 31 mars des tensions sur les stocks de ces produits essentiellement fabriqués en Chine et en Inde, ce qui nous conduit à un incroyable degré de dépendance.
Dans ce contexte de pandémie mondiale, la chaîne d'approvisionnement en France est perturbée, alors que la demande a explosé pour soigner les patients atteints du covid-19. Cette indisponibilité qui retarde aujourd'hui les soins est inacceptable, car elle conduit à des pertes de chances pour les patients et met en danger la santé publique. Cette récurrence des indisponibilités alimente la perte de confiance de nos concitoyens dans un système de santé incapable d'assurer la souveraineté de notre pays. Ce n'est pourtant pas nouveau : depuis plusieurs années, des pénuries de médicaments et de vaccins sont régulièrement constatées, mais cette crise en est aujourd'hui l'apogée.
Pire : cette pénurie résulte bien souvent d'une priorité accordée aux objectifs économiques par rapport aux enjeux de santé publique. Cette constatation vaut tant pour les acteurs privés de la chaîne que pour les pouvoirs publics. Les décisions résultant de stratégies industrielles et commerciales tendent à donner priorité aux rendements les plus élevés, dont les conditions ne sont guère compatibles avec un approvisionnement continu des marchés et des patients français. Ainsi, si on reproche à l'industrie d'avoir délocalisé, ce mouvement s'est produit sous la pression des prix et des clients, parce que la compétitivité du site France n'était plus au bon niveau. Il ne s'agit pas de produire aussi bon marché qu'en Asie, mais de trouver le bon équilibre entre compétitivité et prix de vente.
Une relocalisation de la production des substances pharmaceutiques actives essentielles sur le territoire national, ou du moins européen, est donc fondamentale. Après des décennies de délocalisations, il est temps de réarmer le pays dans certains secteurs. Pour réussir à relever ce défi, il faut cependant aller plus loin dans la définition de secteurs stratégiques tels que la défense, la sécurité ou l'énergie, en commençant par la santé, dont on saisit dorénavant le caractère stratégique. J'aurais souhaité évoquer également ici les souverainetés alimentaire et écologique, qui me paraissent être aussi importantes.
Au-delà de ces constats, et sans tomber dans la critique non constructive, je souhaite aujourd'hui vous interroger, mesdames les ministres, sur la faiblesse de nos moyens de réaction telle que la révèle la comparaison entre les plans français et allemand, ainsi que sur une crise qui démontre que la souveraineté industrielle conditionne notre sécurité nationale. Comment comptez-vous mettre en application la relocalisation des chaînes de valeur que vous avez déjà évoquée, notamment dans l'architecture du plan de relance que vous nous présenterez prochainement ? Comment accompagner la relocalisation de certaines productions stratégiques par des incitations fiscales et des aides à l'embauche ciblées ? Comment définir des engagements réciproques entre les pouvoirs publics et les industriels ? Comment, encore, encourager le développement de technologies de production permettant de prévenir les situations de pénurie, comme la fabrication en continu ?
Mesdames les ministres, la crise économique qui résulte de l'épidémie pousse l'Europe à repenser sa stratégie. Une solution pour une relance économique coordonnée en Europe n'est pas impossible puisque, hier même, le président Emmanuel Macron et Mme Angela Merkel ont dévoilé une initiative franco-allemande de relance économique portant notamment sur la santé. Pouvez-vous nous en dire plus ? Tout cela aboutira-t-il, et dans quelles conditions ?
En conclusion, nous attendons des éclaircissements sur les intentions du Gouvernement pour, enfin, réarmer la France et lui rendre toute sa souveraineté. Puissions-nous espérer que la France, « allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin », soit redressée par le « génie du renouveau », selon la très belle expression du général De Gaulle, plus que jamais d'actualité dans cette crise économique majeure.
MM. Jérôme Nury et Jean-Luc Mélenchon applaudissent.
La crise sanitaire provoquée par le covid-19 a mis en lumière l'interdépendance de nos sociétés. La pandémie, dont les débuts se situent de l'autre côté de la planète, a en effet paralysé le monde entier en quelques semaines à peine. Cette crise sanitaire en a très vite entraîné d'autres dans son sillage et nous assistons aujourd'hui à des tensions économiques et sociales, qui s'ajoutent à des incertitudes écologiques et démocratiques. Nous devons l'admettre : cette maladie que nous connaissons encore trop peu aura des conséquences immenses sur nos sociétés. Notre rôle de responsables politiques est de faire en sorte que ces conséquences ne soient pas uniquement négatives. Elles doivent être une occasion de nous interroger sur nous-mêmes et sur notre organisation collective.
Tout d'abord, en France, cette situation inédite nous a permis de redécouvrir les multiples forces de notre pays. En premier lieu, le milieu médical, qui a fait preuve d'un dévouement et d'un professionnalisme sans faille, malgré des conditions humaines et matérielles loin d'être optimales. Je pense aussi à nos agriculteurs et au secteur agroalimentaire dans son ensemble, qui ont mis les bouchées doubles pour assurer un approvisionnement constant de toutes les surfaces commerciales et réinventer des chaînes de vente directe dans un pays quasiment à l'arrêt. Je pense également au monde des associations et des solidarités, qui a redoublé d'inventivité et d'esprit d'initiative pour maintenir le lien social et répondre aux contraintes nouvelles qui sont apparues. Ces forces vives de la nation, longtemps dévalorisées, nous ne devrons pas les oublier. S'y ajoutent, bien entendu, nos caissiers, nos éboueurs, nos postiers, nos livreurs, nos transporteurs, nos enseignants et toutes ces filières dans lesquelles, bien souvent, les femmes sont en première ligne.
Cette situation a également mis en évidence les faiblesses structurelles de notre pays, qui se résument en un mot : la dépendance. Dépendance industrielle et technologique pour notre matériel médical – masques, médicaments, blouses, respirateurs et tests. Dépendance politique, lorsque les coopérations que nous voulons mettre en oeuvre avec nos partenaires achoppent en raison d'un manque de volonté de la part de certains dirigeants. Dépendance numérique vis-à-vis d'outils extérieurs, comme nous le voyons tous les jours avec nos outils de visioconférence et le verrons encore lors des débats autour de l'application StopCovid. L'heure de la souveraineté a donc sonné.
Mais de quelle souveraineté parlons-nous ? Au Mouvement démocrate, nous la concevons comme étant notre capacité à reprendre en main notre destin commun, à jouer un rôle de leader et à influer sur le cours des affaires mondiales. La souveraineté ne pourra jamais être une excuse pour nous mettre en retrait du monde, pour nous replier sur nous-mêmes, pour mettre un terme au commerce ou pour fermer nos frontières – bien au contraire, car le commerce a été de tout temps un facteur de paix et de stabilité.
Retrouver notre souveraineté, c'est choisir plutôt que subir. Choisir les biens et les services que nous voulons produire sur le sol français, ceux que nous souhaitons produire en Europe et ceux que nous acceptons de produire dans le reste du monde. C'est donc repenser l'équilibre entre l'autosuffisance, la résilience et la dépendance.
La crise que nous vivons n'a pas fini de dérouler ses conséquences et nous sommes encore loin d'imaginer les scénarios qu'elle va nous imposer. Nous devons donc à la fois mettre en place le monde que nous voulons et garder notre capacité d'adaptation à l'inattendu. Ce monde, nous le souhaitons plus écologique – plus respectueux de notre planète et des hommes qui la peuplent.
Tout d'abord, nous ne pourrons pas faire l'impasse sur une grande conférence sociale, car il est temps de proposer une revalorisation en profondeur des carrières de ceux qui ont donné toute leur énergie pour sauver des vies, éduquer nos enfants, assurer notre alimentation et notre approvisionnement, ramasser nos poubelles ou nettoyer nos rues et nos établissements. La revalorisation des métiers et des salaires est le premier élément pour leur prouver la reconnaissance de la nation.
Ensuite, d'un point de vue économique, nous devons sauver nos filières industrielles et diversifier l'économie de nos territoires. C'est vrai pour certaines filières comme l'aéronautique, qui risque de subir une dépression de long terme.
D'un point de vue écologique aussi, nous sommes à un moment charnière. Cette crise, dont l'origine même est la destruction de la biodiversité, doit nous inciter à investir massivement dans la transition écologique pour développer de nouvelles technologies à bas carbone.
Je conclurai par un appel à une souveraineté européenne accrue. Ces derniers mois, en effet, l'Union européenne nous a montré ses limites et n'a pas profité de la crise pour montrer son efficacité. Dans les discussions à venir, la France devra proposer de réinventer cette souveraineté européenne pour que, lors des prochaines crises, des solutions collectives nous permettent de faire en sorte que nos États-nations soient plus liés entre eux. Tel est bien l'objet de l'Union européenne : mieux nous protéger et mieux nous défendre au moyen d'un cadre commun.
Merci d'avoir organisé, à la sortie de la crise, dans cette période de déconfinement, ce débat autour de la souveraineté économique, sociale et environnementale. C'est pour nous l'occasion d'échanger en paix, si je puis dire, sur nos intentions au moment de la reprise et en vue de la préparation d'un plan de relance.
Lorsque nous parlons de souveraineté, nous pensons d'abord à nos frontières et à leur défense – et le Lorrain que je suis sait le prix de ces frontières et du sang qu'elles ont coûté. Nous pensons également aux institutions qui, démocratiquement, garantissent la souveraineté du peuple à l'intérieur de ses frontières. Nous ne pouvons cependant nous empêcher, en cette période post-crise, de penser également à ce qu'Amartya Sen nomme « capabilité » : la capacité effective – ou, pour reprendre la logorrhée présidentielle, l'effectivité de notre capacité – à faire face à des situations. À quoi sert-il de posséder l'arme nucléaire et d'être la cinquième puissance du monde si nous ne sommes pas capables d'assurer la prévention d'une pandémie dans notre pays ? Cette interrogation nous rend tous humbles : il ne s'agit pas ici de nommer des coupables, mais de réfléchir avec humilité à la marche du monde, à l'état de notre nation et aux corrections qui s'imposent dans l'avenir. C'est l'exercice que nous faisons aujourd'hui, sans condamnation et, semble-t-il, avec une humilité partagée.
Cette question de l'indépendance est paradoxale, car cette pandémie nous révèle tout d'abord notre interdépendance face à un virus – quelques microns qui peuvent, sur la planète entière, jeter une perturbation qui met un tiers ou la moitié de l'humanité en confinement et crée un scénario-catastrophe inimaginable. Cette interdépendance est également celle qui me fait souvent dire, lorsque je rencontre les agriculteurs de notre territoire du Toulois, que la date de leur récolte de mirabelles dépend très certainement de la politique forestière et foncière de l'Australie, et que nos propres choix agricoles ont certainement des conséquences sur la température qu'il fera en Afrique subsaharienne – nous savons qu'une baisse de 20 % du rendement du mil, ce sont 100 millions de personnes qui devront monter sur des bateaux ou périr.
Bref, comme le confirme la place de plus en plus importante que prend désormais dans la pensée politique le concept One health, « une seule santé » en français, du fait du climat, des zoonoses, des épidémies, nous sommes terriblement et plus que jamais interdépendants : nous dépendons de nos addictions, de nos corruptions, des mafias du monde, et ce alors même que le multilatéralisme, dont nous avons besoin pour régler les questions qui se posent à l'humanité, est tombé totalement en panne.
C'est dans ce contexte que nous devons envisager la question de la souveraineté. Si nous la pensons comme une forteresse ou avec nostalgie, nous faisons fausse route. Ce n'est en tout cas pas celle que choisissent les sociaux-démocrates et les socialistes que nous sommes. Je préfère m'inspirer du chemin tracé par Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, dont le mari grand résistant fait partie de ceux qui ont assuré la souveraineté de notre pays pendant la guerre et durant l'après-guerre. Elle nous parle de souveraineté « solidaire ». Pour reprendre certains de ses termes, nous vivons dans une nostalgie de sociétés « solitaires » qui ne sont absolument pas adaptées aux évolutions du monde : il nous faut penser la souveraineté « solidaire ».
Cette souveraineté solidaire caractérise la capacité d'une communauté de nations – nous souscrivons totalement à l'hommage que le groupe MODEM vient de rendre à l'Europe – à participer au récit planétaire et à prendre sa part dans la recherche des solutions à apporter. C'est dans cet esprit que nous nous inscrivons. Le champ ouvert est immense tout comme l'espoir qu'il suscite. En effet, cette reconquête ne relève pas de la nostalgie, mais d'une perspective d'avenir dans le champ des savoirs. Je me réjouis que, dans le cadre du Green Deal européen, nous puissions faire avancer l'idée, promue par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement – INRAE – , par l'institut du développement durable et des relations internationales – IDDRI – et par de nombreux centres de formations, entraînant avec eux dix-huit instituts européens, d'une Europe souveraine sur le plan alimentaire, capable d'échanger avec le Maghreb pour un équilibre en ce domaine – mais aussi dans une moindre mesure avec le reste du monde.
Cette Europe capable de s'affranchir de la dépendance au soja, cause de la déforestation de l'Amérique du Sud, capable, sur le plan agro-écologique, de se passer des pesticides, se dessine avec un horizon à trente ans, qui suppose de mobiliser le génie des savoirs de toutes les forces privées et publiques de l'Union. Ce programme à trente ans – One Health, zéro pesticide, autonomie alimentaire et échanges équilibrés – constitue bel et bien une perspective.
Elle suppose que nous investissions dans des « communs » : la terre n'est pas une marchandise, elle ne peut pas être achetée par une puissance, qu'elle soit américaine ou chinoise. Elle est propriété de la nation, partagée dans le cadre de règles de protection et de régulation entendues. Pourtant, cette régulation est aujourd'hui menacée : près de 20 millions d'hectares dans le monde sont accaparés par la puissance financière des multinationales. C'est la première cause de misère et de violence sur la terre.
En faisant enfin la réforme foncière que nous attendons, nous participerons à ce « commun ». Une seule santé, une Terre protégée : telle est notre perspective, celle d'une souveraineté reconquise avec des puissances privées et publiques qui s'accordent, avec nos capacités à penser un univers dans lequel notre nation et l'Union européenne apportent des solutions pratiques, qu'il s'agisse d'agriculture, d'adduction d'eau potable ou d'énergie. L'énergie, l'eau, la terre, autant de communs à protéger, de savoirs à conquérir et à partager en contribuant au récit du monde, en particulier grâce à la coopération avec les États africains.
Les tribulations vécues ces derniers temps par les Français exigent que nous prenions tous la mesure des changements à engager. La pandémie actuelle nous rappelle que l'histoire est tragique, et que nous devons faire courageusement face à notre destin collectif. Cette tragédie nous rappelle aussi que nous ne sommes pas des demi-dieux mais simplement des hommes contraints par le monde dans lequel ils vivent.
L'accélération de cette prise de conscience nous oblige à repenser le modèle économique que nous avons construit, fondé sur la spécialisation de lieux de production et le transport international, le tout à bas coût et sans tenir compte des dégâts humains et écologiques engendrés.
Le premier devoir d'un gouvernement est de protéger ses citoyens ; et pour cela, nous devons relocaliser des entreprises dans nos territoires et faire reconnaître notre souveraineté industrielle, économique, sanitaire et budgétaire. Depuis le début du quinquennat, la course à la désindustrialisation a été freinée au point que la tendance s'inverse désormais : la France recrée de l'emploi et redevient attractive – elle était même, en 2018, le pays le plus attractif du continent européen. Nous devons cependant aller plus loin en réaffirmant une volonté commune de souveraineté européenne. Nous devons bâtir des nouveaux champions.
Dans cette perspective, il faut évoquer trois axes majeurs : la souveraineté sanitaire, la souveraineté industrielle et la souveraineté alimentaire.
La souveraineté sanitaire est une nécessité à l'échelle française et européenne. La pandémie actuelle nous aura fait prendre conscience de la chute de la place de la France dans la production de médicaments. Face aux tensions dans l'approvisionnement, allant jusqu'à la pénurie, et plus généralement au vu de la dépendance de nos soins à l'égard de l'étranger, une nécessité émerge, celle de la souveraineté en matière de santé.
En 2005, la France était le premier pays producteur de médicaments en Europe ; quinze ans plus tard, nous ne sommes plus qu'en quatrième place. Cela est incontestablement dû à trois facteurs qui se cumulent : une politique de désindustrialisation, la recherche permanente d'une baisse des coûts de production, et la volonté de réduire le prix des médicaments afin de limiter la charge de leur remboursement.
Le rapatriement de la production de médicaments implique cependant de relocaliser celle des principes actifs qui, pour 60 à 80 %, sont fabriqués hors de l'Union européenne, en Inde ou en Chine.
Si la France possède de véritables atouts pour accueillir de nouveaux sites de production, la relocalisation de l'industrie pharmaceutique doit toutefois être pensée à l'échelle européenne, comme le Président de la République l'a annoncé hier. Notre pays doit toutefois prendre des mesures fiscales incitatives et améliorer son attractivité financière pour pousser les entreprises concernées à se réimplanter sur son territoire.
Plus généralement, nous devons retrouver une souveraineté industrielle. La relocalisation de notre économie est un élément clé pour nos territoires. Ces dix dernières années, 80 % de la richesse nationale a été produite dans les métropoles. Relocaliser la production au plus près de la consommation permettrait de lutter contre ce phénomène et de donner les mêmes chances à tous les Français, y compris ceux de la ruralité. Il y a cependant un écueil à éviter : le repli sur soi, qui mènerait à l'appauvrissement. Car il faut que nous en ayons bien conscience : ce qui fait la réussite de nos secteurs économiques les plus dynamiques, de nos fleurons – le luxe, la viticulture ou l'aéronautique, par exemple – , c'est l'export.
Dans cette période de grande fragilité pour toutes nos entreprises, nous devons mieux les protéger. À cet égard, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, a pris une bonne décision en abaissant à 10 % le seuil de déclenchement du contrôle des investisseurs non européens prenant des parts dans une grande entreprise française.
Enfin, la souveraineté alimentaire présente également un intérêt évident – la France n'est-elle pas le pays de la gastronomie ? Relocaliser la production agricole est également un moyen de relever le défi de l'économie décarbonée, de contribuer au développement de nos territoires et de permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail.
Nous avons probablement tous, dans cet hémicycle, la volonté de relocaliser nos productions, de réindustrialiser la France et d'acquérir notre souveraineté nationale et européenne. Mais n'oublions pas que les Français doivent être au coeur de ce processus grâce à un geste simple : acheter français !
Le monde est notre demeure et cela nous oblige. Jusqu'à il y a quelques semaines, nous pensions en être les maîtres absolus. Depuis, cette vanité n'est plus soutenable. Le monde reste notre unique demeure, les distances se sont fortement raccourcies, mais n'oublions pas notre pré carré ! La pandémie nous a rappelé que la vie est fragile, que les États sont mortels et que les hommes et les femmes ont besoin de racines vivantes. La mondialisation est perfectible ; nous devons nous atteler à la tâche sans perdre de temps.
Cette liberté économique et budgétaire retrouvée nous permettra de nouer des alliances européennes et de renforcer ainsi la place de notre continent dans le jeu des nations. Le chemin sera long : cela exigera une volonté tenue sur le long terme et des choix clairs de la part de tous les citoyens. Mais c'est à ce prix que la France pourra toujours tenir son rang et continuer à parler au monde.
Dans un monde interconnecté où soudain la lenteur et les frontières ont repris leurs droits, nous avons pris conscience de notre dépendance, voire de notre vulnérabilité, par rapport à d'autres pays. Si, demain, nous voulons protéger nos citoyens confrontés à de futures crises, nous devons réinvestir massivement dans nos industries stratégiques. Je pense en particulier à l'accès à l'alimentation, à l'eau, ou encore à l'industrie sanitaire, à nos filières d'excellence que sont l'aéronautique, le ferroviaire, le spatial, l'énergie, mais aussi à des secteurs clés comme le tourisme.
Cet élan doit s'accompagner d'une véritable transformation de notre économie autour des enjeux environnementaux et sociaux. La crise a modifié nos habitudes de consommation. Elle a mis notre économie à rude épreuve. Certains acteurs ont dû réorienter leur activité et leur production, chercher de nouveaux débouchés, souvent au profit de l'échelon local. Cette résilience doit nous inspirer pour bâtir un modèle économique durable, fondé sur une transition écologique qui conjugue proximité, humanité et solidarité.
Nous devons sécuriser l'accès à une alimentation saine de proximité et revaloriser le niveau de vie de nos agriculteurs. Pour y parvenir, il est crucial de pérenniser les bonnes pratiques autour des circuits courts et de la saisonnalité tout en réduisant la dépendance aux marchés étrangers. Au niveau européen, la France doit exiger une réorientation de la politique agricole commune afin de protéger davantage l'emploi agricole et de mieux tenir compte du besoin de proximité.
Une France souveraine ne veut pas dire une France repliée sur elle-même. Première destination mondiale, notre pays peut être fier de son attractivité touristique. La saison estivale qui s'annonce doit être l'occasion de lancer des initiatives en faveur d'un tourisme durable qui mette en avant la destination France auprès de nos voisins européens et extra-européens. Dans le même temps, nous devons développer des outils, en particulier numériques, pour limiter la surfréquentation et mieux répartir les flux sur le territoire et au cours des saisons.
Au coeur de nos préoccupations, la souveraineté sanitaire occupe une place à part. Il convient en priorité de relocaliser la production d'équipements médicaux, tels que les masques, les écouvillons, les bouteilles d'oxygène ou les ventilateurs, ainsi que la production pharmaceutique dont certains principes actifs manquent.
Être souverain, c'est détenir des moyens financiers et matériels mais, avant tout, c'est disposer de moyens humains. C'est pourquoi nous devons accentuer nos efforts pour lutter contre les déserts médicaux par le renforcement des mécanismes incitatifs. Si le développement de la télémédecine a permis de désengorger nos hôpitaux, il ne peut être la seule réponse. L'humain doit toujours primer.
Être souverain, c'est aussi être au rendez-vous de l'innovation. La France reste loin de l'objectif fixé par l'Union européenne : consacrer 3 % du PIB à la recherche. Le moment est venu d'un vaste plan de réhabilitation et de rénovation énergétique de l'ensemble du parc immobilier. Le soutien à l'innovation en matière d'urbanisme et de construction durable doit être intensifié. Je pense notamment aux matériaux biosourcés, aux process de construction, à l'usage du numérique.
Être souverain, c'est enfin garantir l'acquisition des compétences et des savoirs en France. Il faudra renforcer les moyens en faveur de l'apprentissage partout sur le territoire pour donner confiance aux employeurs qui recherchent une main-d'oeuvre qualifiée de proximité.
Toutefois, ces investissements ne pourront avoir lieu sans une refonte d'ampleur de notre fiscalité : pour accompagner durablement ces mutations, nous devons aussi accéder à la souveraineté fiscale. Trop de grands groupes multinationaux – dans le secteur numérique, mais pas seulement – contournent l'impôt et se jouent d'un système dépassé. Nous avons appris que l'initiative en cours à l'OCDE pour définir de nouvelles règles du jeu avait pris du retard. Il importe que son ambition ne soit pas rognée ; il faut même accélérer les choses.
Je suis convaincue que ce virage doit, pour réussir, être pris au niveau de l'Union européenne. Pour une meilleure harmonisation fiscale, l'objectif doit être énoncé clairement : il faut mettre un terme aux stratégies d'évitement et aux passagers clandestins. Pour ce faire, nous devons miser sur le rebond de solidarité des pays membres. Il nous faut désormais nous investir dans cette marche pour une Europe solidaire progressiste, prête à hausser le ton pour défendre ses valeurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Les cinq minutes dont je dispose ne me permettent pas d'exposer ce que j'aurais voulu dire à mes collègues. Je remettrai donc un document écrit afin de présenter l'analyse que les Insoumis font du moment tout à fait exceptionnel que nous venons de vivre.
D'ici là, nous ne participerons ni aux numéros d'autoflagellation – que certains d'entre vous ont toutefois raison de pratiquer compte tenu de leurs aveuglements passés – , ni à l'écriture de lettres au Père Noël – de tous côtés, en effet, s'exprime un messianisme furieux à propos du « monde d'après » sur lequel chacun fait d'amples et vastes rêves.
C'est ici et maintenant, dans le concret, que certaines questions continuent de se poser, en particulier celle de la souveraineté. Il serait inouï que je m'abandonne devant vous à une dissertation générale, alors même que la souveraineté de la patrie a été remise en cause aussi durement qu'elle l'a été, hier soir, par la déclaration de Mme Merkel et de M. Macron. C'est du moins mon avis, car il semble que cela n'a pas soulevé de difficultés aux yeux de nombreux observateurs, alors qu'il y en avait énormément selon moi.
Mme Merkel et M. Macron ont décidé que les prétendus 500 milliards d'aide européenne seront attribués aux régions et aux secteurs de l'économie. En République française, la souveraineté du peuple n'est pas divisible. De quel droit certains recevraient des fonds qu'ensuite le peuple tout entier aurait à rembourser sans que ses représentants les aient attribués ? La République française n'est pas une république fédérale, les régions françaises ne sont pas des Länder. Mme Merkel et M. Macron ont autorisé la Commission à émettre des emprunts ; ceux-ci seront payés par les États et leurs peuples. Mais en cas de défaut d'un des pays garants ou utilisateurs de ces emprunts, le peuple français devra payer à sa place. De quel droit M. Macron et Mme Merkel peuvent-ils s'y engager sans que le peuple ou ses représentants ne se soient prononcés ? Par ailleurs, de quel droit la France renoncerait-elle du moins à la souveraineté sur sa dette ?
Mme Merkel et M. Macron ont autorisé un plan de relance dans lequel l'Allemagne bénéficiera de 57 % des aides versées aux entreprises : 1 000 milliards contre 200 milliards pour la France. C'est, permettez-moi de vous le dire avec le sourire, une grave altération du traité de Lisbonne – auquel je suis hostile – en matière de concurrence libre et non faussée, comme l'a déclaré le commissaire Josep Borrell, et qui est décidée sans vote ni des Parlements ni des peuples. Il en va de même pour la règle des 3 % maximum de déficit autorisés, qui a été fort heureusement abolie pour la période. Nous sommes donc entrés sans crier gare dans une sortie partielle des traités européens, sur des points essentiels. Je m'en réjouis, mais cela prouve que ces règles sont inapplicables en cas de péril commun. En rejetant le traité constitutionnel européen de 2005, les peuples français et hollandais avaient donc raison et vous venez de l'avouer. Leur décision souveraine va-t-elle désormais être appliquée ? Nous sommes obligés de dire qu'à l'horizon, c'est la sortie permanente des traités.
Au mépris du statut de la Banque centrale européenne, fixé par les traités pourtant signés par l'Allemagne elle-même, la cour constitutionnelle de Karlsruhe s'est permis d'interpeller la Banque centrale européenne pour lui demander des comptes à propos de sa politique de rachats des dettes des États auprès des banques privées. Cette cour a donc assumé, dans le silence du gouvernement allemand, le risque de provoquer une hausse des taux d'intérêt dans les pays les plus lourdement endettés et qui sont les concurrents commerciaux de l'Allemagne, comme l'Italie et la France, qui continuent pour leur part à payer, par leurs dettes, le coût de la réunification allemande. La cour a ainsi mis en cause la souveraineté des Français et de leur Parlement qui a voté le statut de cette banque – je ne l'ai pas fait, c'est le paradoxe de la situation – , mais elle l'a fait aussi en cherchant à provoquer la diminution des moyens d'action financiers de notre peuple.
En République et dans la tradition française et universelle, depuis Jean Bodin au XVIe siècle, Jean-Jacques Rousseau au XVIIIe et la Grande Révolution de 1789, la souveraineté est indivisible ; son dépositaire exclusif est le peuple et lui seul. Cette souveraineté s'exerce sur un territoire et sur un peuple. L'Union européenne n'a pas de peuple politiquement constitué, elle n'a pas non plus un territoire qui la définisse, mais plusieurs territoires sous administrations différentes : l'espace Schengen, le marché unique, la zone euro ; la Pologne qui ne participe à la charte des droits fondamentaux, le Danemark qui ne participe pas à la politique commune de sécurité et défense, l'Autriche qui est neutre. Enfin, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe compte cinquante-sept États membres parmi lesquels ne figurent pas tous les membres de l'Union européenne. Le territoire européen est donc introuvable et sa souveraineté également. La souveraineté ne peut exister que là où le territoire et le souverain se recoupent.
Dans ces conditions, le seul cadre à la disposition du peuple souverain est l'État-nation dont nous sommes les dépositaires. Je finis sur cette phrase : de quel droit, sans vote ni du peuple ni du Parlement et sans mandat, le Président et le Gouvernement admettent-ils que la forme des pouvoirs en France, les traités et les pactes d'amitié que le pays a signés soient remis en cause ? Car telle est la question de notre souveraineté à cette heure.
M. André Chassaigne applaudit.
Le groupe La République en marche ayant convoqué ce débat sur la souveraineté économique, écologique et sanitaire, je ne peux m'empêcher de souligner l'ironie, voire l'hypocrisie de la démarche, car vous n'avez cessé depuis trois ans de déréglementer, de déréguler les marchés, de dynamiter les protections sociales.
Certes, vous êtes engagés dans la préparation de la nouvelle séquence de la communication présidentielle : le « en même temps » doit désormais se décliner en monde d'après – nouvelle sémantique pour faire croire que tout peut changer pour que rien ne change. Mais allons-y, soyons concrets.
Commençons par la souveraineté sanitaire. Quel douloureux atterrissage pour vous qui semblez découvrir les méfaits du sous-investissement public chronique dans notre système de santé. Mais c'est le fruit de l'austérité budgétaire que vous avez toujours défendue depuis votre arrivée au pouvoir ! On ne peut pas dire que vous n'étiez pas au courant des ravages de votre politique. Depuis 2017, nous vous avons interpellés à des dizaines de reprises sur la situation catastrophique de l'hôpital public et de nos EHPAD, dans le prolongement de notre tour de France de plus de 200 établissements. En réponse, à chaque fois, de jolis mots d'apaisement ; mais aussi, à chaque fois, les sauts de cabri de la doxa budgétaire – baisse des dépenses publiques, baisse des dépenses publiques…
Restaurer la souveraineté sanitaire du pays, cela commence par des mesures fortes : annulation de la dette des hôpitaux et des EHPAD ; embauche massive des personnels ; mobilisation de 10 milliards d'euros sur le budget de l'État pour les investissements les plus urgents en matériel et dans les locaux ; création d'un véritable pôle public du médicament et du matériel médical. Êtes-vous prêts à mettre cet argent sur la table ? Vous le savez, pour répondre, il faut se pencher sur les recettes de la sécurité sociale et de l'État, ces recettes que vous avez asséchées par votre politique au service des privilégiés de la fortune : suppression de l'ISF, transposition du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – en exonérations permanentes, flat tax… Ils sont là, les milliards qui manquent cruellement à notre système de santé, à notre souveraineté sanitaire et à tous nos services publics !
Continuons votre chemin de croix sur la souveraineté économique. Douloureux de revenir sur votre politique d'accompagnement des délocalisations, d'ouverture de tous les secteurs aux échanges internationaux et de soutien permanent au secteur financier. Douloureux de venir parler de souveraineté économique quand tant d'ouvriers ont perdu leur emploi industriel depuis 2017. Douloureux, quand à Plaintel, dans les Côtes-d'Armor, votre gouvernement a laissé disparaître le seul site de fabrication de masques en France. Douloureux, quand à Luxfer, dans le Puy-de-Dôme, cela fait plus d'un an que l'on demande à l'État d'agir efficacement pour la reprise d'activité de cette entreprise, seul fabricant dans l'Union européenne de bouteilles d'oxygène à usage médical. Oui, chers collègues, les productions de matériels et de services et leur localisation doivent être pilotées par un tout autre but que le taux de profit et l'accumulation du capital dans quelques mains. La souveraineté économique qu'il faut conquérir, c'est la souveraineté sur le capital et ses intérêts ; c'est cela qui fera ou non l'efficacité économique du monde d'après. C'est aussi la réponse aux besoins humains et aux enjeux écologiques et le développement des biens communs qui doivent primer, mais êtes-vous prêts, pour cela, à donner aux salariés de nouveaux droits et pouvoirs d'orientation et de décision dans les entreprises, en particulier au sein des grands groupes ?
Souveraineté écologique ? Allons-y ! La réorientation écologique des productions et de l'action publique s'impose, mais êtes-vous prêts aujourd'hui à suivre les recommandations du Haut Conseil pour le climat, que vous avez mis en place, pour mettre fin au « sous-investissement massif dans la maintenance du réseau ferroviaire français » ? Ou à rendre les budgets carbone de la stratégie nationale bas carbone contraignants vis-à-vis de l'ensemble des textes de loi et des lois de finances ? Ou à dégager chaque année, dans les projets de loi de finances, les 10 à 15 milliards d'euros nécessaires à la rénovation énergétique des logements les plusieurs énergivores ?
Je finirai par un thème qui m'est cher, celui de la souveraineté alimentaire. Là aussi, votre soudaine passion pour la souveraineté pourrait faire pleurer dans les chaumières si l'on ne connaissait pas l'historique de vos discours. C'est curieux, chez vous, ce besoin de faire des phrases ; …
… mais les grands mots d'aujourd'hui ne font pas une politique. La Commission européenne poursuit son mandat de négociation des accords de libre-échange avec le consentement tacite de l'Élysée, et une fois le plus dur de la crise sanitaire passé, nous verrons bien votre degré de résistance face à la cordée des actionnaires de l'agroalimentaire et de la grande distribution, qui ont usé de toutes les ficelles pour conforter leurs marges pendant la crise.
En conclusion, permettez-moi, chers collègues, de douter que demain sera pour vous un autre jour. J'ai même la conviction, il faut le dire, que vos grands discours finiront tout droit à la maison mère, au terminus des prétentieux.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Je remercie nos collègues du groupe La République en marche de nous proposer un débat sur la souveraineté économique, écologique et sanitaire…
… dans le cadre de la semaine de contrôle de l'Assemblée nationale.
Depuis le début de l'année 2020, le thème de la souveraineté est dans tous les discours, tant la dépendance économique de la France et de toute l'Europe a été criante, même avant le début du confinement. Le ralentissement de la production en Chine, dû à l'épidémie de covid-19, s'est fait sentir en Europe dès le mois de février. Les pièces détachées pour la maintenance n'étaient plus livrées en France, interrompant certaines chaînes de fabrication ou l'activité des artisans. À l'aune de la crise sanitaire, la dépendance de notre économie et de notre production vis-à-vis des pays non européens, de la Chine en particulier, nous fait enfin réfléchir. Depuis de nombreuses années déjà, le totem érigé à la fin des années 1990 de « l'industrie sans usine » avait du plomb dans l'aile. Le rôle de l'État en matière de souveraineté, ce n'est ni de nationaliser ni d'étatiser la politique industrielle, mais plutôt, avant tout, de créer un contexte réglementaire et fiscal attractif et compétitif pour l'investissement dans les projets industriels en France, et ensuite d'identifier certaines technologies stratégiques. C'est aussi et surtout de s'engager vis-à-vis des chefs d'entreprise à assurer une certaine stabilité des normes, une reconnaissance et une mise en valeur de notre capacité à faire, à développer des carrières intéressantes et à proposer une image attirante et valorisante pour que les jeunes, y compris les jeunes femmes, s'orientent vers le monde industriel.
Je dois reconnaître l'important travail effectué par ce gouvernement dans la revalorisation des filières industrielles, mais nous venons de loin, de très loin. Avec la crise, les Français ont découvert que nous n'avions plus de capacités nationales de fabrication de masques, faute de commandes publiques, et que nous dépendions des pays étrangers, en particulier de la Chine, pour les principes actifs de certains médicaments. Il nous faut maintenant identifier, filière par filière, les activités stratégiques au niveau européen, d'un point de vue technologique et sanitaire. Le plan de relance de 500 milliards d'euros, …
… proposé conjointement, de façon historique, par l'Allemagne et la France, et annoncé hier par le Président de la République Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel, doit servir à cela : renforcer l'économie européenne pour nous rendre moins dépendants, dans un esprit non pas défensif ou nationaliste, mais conquérant et offensif.
En cette période de crise sanitaire, il est une dépendance dont nous avons finalement peu parlé : celle des technologies numériques. Et pourtant, plus que jamais auparavant, cette crise nous a confirmé que nos modes de vie en sont profondément dépendants. Depuis deux mois, le recours au télétravail a été multiplié par dix, la part de marché de l'e-commerce, par deux, et le nombre de téléconsultations médicales par cent ; mais, dans le même temps, celui des cyberattaques a été multiplié par quatre. Nous passons en moyenne près de cinq heures par jour à utiliser les outils numériques ; nous ne pouvons donc en aucun cas faire l'impasse sur la nationalité des entreprises qui gèrent nos données et les exploitent.
À l'heure où de plus en plus de Français souhaitent changer leur façon de consommer au profit de produits locaux, ne faudrait-il pas adopter ces mêmes réflexes pour notre utilisation des outils numériques ? Pour les mêmes raisons finalement : pour plus de sécurité, pour assurer un développement économique local et pour éviter des transports et les émissions carbone associés inutiles. Aujourd'hui, 75 % des investissements numériques en logiciels, matériels et services en France – un marché de 70 milliards d'euros – sont réalisés auprès d'entreprises non européennes : en Asie quand il s'agit d'équipements et aux États-Unis principalement quand il s'agit de logiciels et de services. C'est une évidence pour tout le monde aujourd'hui : les États-Unis et la Chine se partagent le marché du numérique et l'exploitation des données des citoyens et des entreprises, ce qui leur donne une longueur d'avance pour développer de nouveaux services dans tous les secteurs économiques et pour assurer à terme, si nous n'y prenons garde, une réelle domination sur toutes les filières. L'idée n'est pas d'imaginer de nouvelles subventions, comme nous l'avons souvent fait jusqu'à présent, mais plutôt de veiller à créer des conditions d'accès à des marchés pour nos entreprises – leur principal besoin pour se développer – afin qu'elles se constituent des références leur permettant de gagner en crédibilité et en visibilité.
C'est pour cela que le marché unique du numérique en Europe est essentiel. Or nous sommes loin de ce marché sans couture souhaitable pour le développement de nos start-up.
Autre enjeu : les achats publics français en numérique, d'un montant de 16 milliards d'euros, qui bénéficient prioritairement à des acteurs non européens et soumis à des lois leur permettant d'effectuer une forme d'espionnage légal. Nous disposons pourtant d'hébergeurs, de navigateurs, de serveurs de courriels, de moteurs de recherche, de solutions de cybersécurité. Quels objectifs seront fixés aux administrations dans leur choix de solutions numériques afin de développer notre souveraineté en la matière ?
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Vous l'avez dit, mesdames et messieurs les députés, la situation que nous vivons est inédite : nous faisions face à une crise écologique ; s'y ajoute désormais une crise sanitaire, sociale et économique sans précédent dans l'histoire de notre pays.
Le covid-19 n'efface pas la crise écologique. Au sortir d'une période de confinement qui n'a jamais eu d'équivalent, il va falloir rebondir et dépasser ces crises. Si nous voulons y parvenir, nous devrons prendre le temps d'en tirer toutes les leçons, de réfléchir à nos modes de fonctionnement, à nos dépendances et fragilités, mais aussi aux forces que cette crise a pu révéler.
Nous ne pourrons pas faire comme si rien ne s'était passé. Faire le bilan étant la première étape, je vous remercie d'organiser ce débat sur la souveraineté, un thème au coeur de l'actualité et qui a suscité des prises de position fortes de la part de la France et de l'Allemagne.
Qu'est donc cette souveraineté dont nous parlons ? Pour résumer cette notion de façon très simple, disons que la souveraineté est notre capacité à tenir notre destin en main, sans pour autant nous replier sur nous-mêmes. Cela implique de ne pas être à la merci d'événements extérieurs ou d'être capable de résister, de s'adapter, de rebondir.
Cette crise inédite a révélé notre dépendance dans certains secteurs qui sont dans un état de fragilité systémique. Cette situation doit nous interpeller car elle a des conséquences sur le fonctionnement de notre pays et sur nos politiques publiques.
Laissez-moi prendre quelques exemples dans des domaines très différents, à commencer par celui de l'approvisionnement en masques de salariés qui en ont besoin même en dehors d'une crise sanitaire. Ces personnels du monde médical ou de secteurs stratégiques, qui ne peuvent pas mener à bien leur mission sans masque, ont tenu durant la crise, mais des leçons doivent être tirées. Si nous avons fait preuve d'agilité pour répondre aux besoins, nous ne pouvons plus dépendre exclusivement de commandes auprès de fournisseurs lointains.
Moins placé sur le devant de la scène en ce moment, le deuxième sujet n'en mérite pas moins notre attention : les prix de l'énergie. Les variations erratiques du cours du baril de pétrole ont des conséquences très concrètes : elles fragilisent de nombreuses industries ; elles entament la rentabilité des projets d'énergies renouvelables ; elles réveillent des velléités de différer nos efforts en faveur de la transition énergétique.
Cette dépendance à des matières premières que l'on ne maîtrise pas nous interroge sur notre capacité à conduire une politique énergétique cohérente. Elle peut s'illustrer par d'autres produits que le pétrole puisque près de 40 % des ressources entrant dans l'ensemble des processus de production et de consommation sont importées.
Autre exemple : notre approvisionnement en composants électroniques. La crise sanitaire et le confinement ont placé le numérique au coeur de toutes les activités professionnelles et personnelles. Or plus de 90 % du contenu des équipements électriques, électroniques et informatiques des Français est importé. Environ 80 % des circuits imprimés utilisés par la filière électronique française viennent d'Asie, et il suffit qu'un composant manque pour que la production s'arrête.
Cette crise du covid-19 a aussi mis en évidence une vulnérabilité de notre appareil industriel à l'égard de certaines compétences pointues et rares dont le champ d'action est international. Nous en avons besoin pour des installations complexes comme le nucléaire ou certaines grandes installations industrielles.
Elle a aussi rappelé notre trop grande dépendance en matière d'alimentation du bétail : nous importons 60 % des protéines végétales destinées aux élevages. Cette situation nous rend vulnérables mais elle a aussi un coût écologique exorbitant : 80 % des quelque 5 millions de tonnes de soja que nous importons chaque année proviennent de régions extrêmement riches en biodiversité où sévit la déforestation.
Ces constats, ces multiples vulnérabilités doivent nous faire réfléchir sur notre rapport à la mondialisation. Leurs causes sont connues. Pendant des décennies, les chaînes de valeur ont été éclatées. En fait, la recherche permanente du prix le plus bas coûte très cher : elle nous rend vulnérables ; elle entraîne des émissions de gaz à effet de serre ; elle nuit à nos emplois et à notre pacte social.
Comment mieux garantir la sécurité et la souveraineté économiques, sanitaires et écologiques à l'avenir ?
Renforcer notre souveraineté, c'est retrouver confiance en nous-mêmes et la liberté du destin choisi. Cette souveraineté est française, mais aussi et surtout européenne. L'Europe est notre horizon et notre relais de puissance dans un monde aux incertitudes croissantes.
Je vois deux axes d'action prioritaires.
Tout d'abord, à brève échéance, il nous faut évaluer les secteurs stratégiques qui nécessitent un renforcement de notre souveraineté, ce qui passera probablement en partie par la relocalisation de certaines industries sur notre continent. Nous devons réfléchir aux secteurs pour lesquels une production permanente sur notre continent est nécessaire, mais d'autres voies sont également possibles.
Nous devons travailler à l'adaptabilité de nos industries, à des organisations agiles. Nous avons vu que nos entreprises étaient capables d'adapter leurs chaînes de production pour fabriquer du gel hydroalcoolique, des respirateurs, des masques en tissu. Nous devons apprendre à identifier les possibilités de chaque secteur, afin de savoir ce que chacun peut faire en temps de crise.
Cette souveraineté passe aussi par des actions de plus long terme, nous permettant de sortir de la crise du covid-19 plus résilients, plus autonomes et mieux préparés aux crises futures, notamment à la crise climatique. Nous devons nous y préparer en tirant les leçons de celle que nous traversons, en renforçant notre souveraineté et, par exemple, la résilience de l'agriculture.
L'agriculture française possède des atouts que la crise a révélés. Nos concitoyens se sont tournés vers les producteurs de proximité, les circuits courts, les drives à la ferme, le bio. Ces changements de pratiques doivent être encouragés pour soutenir des organisations locales plus résilientes en cas de crise. C'est une chance historique pour accélérer la transformation de la ferme France, pour garantir une alimentation sûre et saine, pour aller vers une agriculture sobre en intrants, ce qui réduirait notre dépendance aux importations d'engrais.
Être plus résilient, c'est aussi développer l'économie circulaire, afin de favoriser la réparation et le réemploi plutôt que la consommation de nouvelles ressources. Cela vaut notamment pour le numérique où la durée de vie des appareils doit être allongée, où le réemploi, le reconditionnement et le recyclage doivent être la règle. À titre d'exemple, je rappelle que 113 millions de téléphones portables dorment dans les tiroirs des Français, ce qui représente plus de 20 milliards d'euros de ressources inutilisées. Le fait de les réparer et de les reconditionner permettrait d'éviter des centaines de millions de tonnes de CO2.
Devant ces constats, mesdames et messieurs les députés, je crois qu'il est nécessaire et possible de réaliser une transformation écologique et de réduire notre empreinte carbone.
Renforcer notre souveraineté dans la durée, cela passe aussi par une véritable politique de l'énergie européenne. Nous devons sortir de la dépendance au pétrole et bâtir l'indépendance réelle des filières d'énergies renouvelables localisées chez nous, en Europe. Nous devons y développer de nouvelles générations de batteries ou de panneaux photovoltaïques, une filière hydrogène forte, les capacités industrielles de ces secteurs et la maîtrise des technologies.
Pour être souverain dans un monde en plein bouleversement, il faut également disposer des compétences pour répondre à nos besoins. Nous devons rendre les métiers désirables et former nos concitoyens aux emplois d'avenir. Le Gouvernement a déjà prévu 15 milliards d'euros d'investissements ciblés sur les publics les plus éloignés de l'emploi.
La transition écologique est porteuse d'emplois qualifiés, notamment dans les énergies renouvelables et l'écoconception. Elle est porteuse d'emplois non délocalisables, insérés dans la vie des territoires. Elle offre des emplois permettant aussi l'insertion des plus fragiles, qu'il s'agisse d'ouvrir un centre de tri ou une ressourcerie. Il faut un grand plan de formation pour préparer les compétences actuelles et futures.
Cette souveraineté doit s'assumer dans la durée car, ne nous mentons pas, l'avenir nous réserve d'autres chocs que nous n'imaginons peut-être pas encore. Je souhaite proposer aux entreprises de conduire des stress tests, des tests de résilience, à partir de différents scénarios permettant d'évaluer nos progrès dans les priorités que je viens de décliner.
Cette souveraineté doit aussi s'assumer dans notre horizon naturel : l'Europe. C'est pourquoi la France et l'Allemagne agissent ensemble pour que la relance soit durable en Europe. Nous continuerons, par exemple, à défendre un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne, afin que nos entreprises jouent avec les mêmes règles, et que nous prenions pleinement en compte le coût du carbone.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je souhaitais vous dire en quelques mots. Cette crise, qui révèle nos vulnérabilités, met aussi nos forces en lumière : une grande agilité, un service public exemplaire, une forte solidarité.
Conscients de ces forces et de ces vulnérabilités, nous devons utiliser la crise pour préparer notre avenir, en ayant la transition écologique comme fil rouge. La crise nous offre la possibilité de vivre mieux, de créer des emplois durables, de construire une société plus résiliente, plus protectrice, plus écologique et plus juste.
Certains voudraient retarder ce destin collectif. Je m'y refuse. Nous pouvons construire un autre futur, respectueux de la planète et du vivant, fait de souveraineté et de solidarité.
La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.
En ces temps graves, notre action collective doit être à la hauteur des enjeux et il est essentiel que la représentation nationale soit tenue régulièrement informée. Je vous remercie donc d'avoir organisé ce débat dont la thématique est très importante.
Au-delà des mesures d'urgence destinées à relever les défis des deux derniers mois, le Président de la République nous exhortait, dès le 12 mars 2020, à tirer les leçons du moment que nous traversons et à rebâtir notre souveraineté nationale et européenne. La défense de cette souveraineté a été le fil rouge de notre action au coeur même de la crise.
Tout d'abord, nous avons protégé les salariés. Nous ne voulons pas de pertes d'emplois massives qui conduiraient à une disparition pure et simple de nos compétences et de savoir-faire difficiles à acquérir. Nous avons fait le choix de défendre ce qui constitue le coeur économique de notre pays : le capital humain.
Ensuite, nous avons soutenu nos entreprises de taille moyenne, intermédiaire ou très petite – PME, ETI et TPE – qui sont les forces vives de l'économie française. Nous avons fait en sorte que ce tissu productif tienne alors qu'il subit l'une des pires crises économiques de mémoire d'homme.
Enfin, nous avons défendu notre patrimoine industriel. Nous avons massivement soutenu certaines entreprises industrielles stratégiques. Nous avons renforcé le contrôle par l'État des investissements étrangers dans les entreprises stratégiques en l'étendant au secteur des biotechnologies et en abaissant de 25 % à 10 % du capital le seuil à partir duquel il est déclenché.
Après deux mois d'action dans l'urgence, quel bilan pouvons-nous déjà tirer ?
En cette période difficile, il faut savoir reconnaître aussi ce qui est positif : la France a tenu bon. La filière agroalimentaire, le réseau logistique et les acteurs de la distribution se sont mobilisés pour répondre aux besoins des Français dans des conditions particulièrement difficiles. Ils ont été au rendez-vous et je veux leur rendre hommage.
La crise a également révélé l'adaptabilité de notre économie. En l'espace d'un mois, nous avons réorienté notre appareil productif et commercial pour satisfaire les besoins en gel hydroalcoolique, masques, blouses, visières et respirateurs afin de lutter contre le covid-19.
Nous avons également su nous adapter grâce aux outils numériques. En l'espace d'un week-end, nous avons basculé de manière massive vers le télétravail alors que nombre d'entreprises nourrissaient des préventions à l'égard de ce mode de fonctionnement. Cela a été un succès.
La crise a néanmoins révélé des faiblesses structurelles. Tant la France que l'Union européenne sont trop dépendantes de pays tiers pour l'approvisionnement en produits intermédiaires et intrants – je pense, par exemple, aux principes actifs de médicaments ou aux composants électroniques de certains produits industriels.
Cette dépendance a créé des goulets d'étranglement qui ont grippé notre production nationale et engendré des difficultés pour des chaînes de valeur globales, pas seulement dans le secteur de la santé – ce dont ont témoigné les inquiétudes des industriels pendant la période de confinement de la Chine. La question s'est alors posée de la relocalisation de certains maillons critiques des chaînes de valeur et de la gestion des stocks stratégiques.
Une conclusion s'impose alors : nous devons renforcer l'empreinte industrielle de la France. Cette ambition, nous la défendons depuis le début du quinquennat et nous la défendrons encore davantage dans le cadre du plan de relance. Pour que notre pays puisse continuer d'être souverain, tant sur le plan économique que sur le plan énergétique ou sanitaire, nous devons construire un modèle compétitif et soutenable. Nous en avons déjà posé les jalons avec le pacte productif pendant la crise sanitaire. Le plan de relance permettra d'accélérer la transformation de notre économie.
Nous avons lancé la reconquête industrielle en France avec les territoires d'industrie. Initié il y a près d'un an et demi, ce programme est à la bonne échelle pour mener des expérimentations sur-mesure en matière de capital humain, de transition écologique et de transformation digitale. Les plans de soutien sectoriels que nous élaborons en ce moment poursuivent la même ambition. Ils permettront de protéger nos industries et d'implanter de nouvelles chaînes de production en France. Je tiens d'ailleurs à être claire : les plans de soutien sectoriels s'accompagneront de contreparties en matière de relocalisation, de transition écologique et d'investissement.
Avec les acquis du pacte productif, nous allons construire l'industrie de demain. Le premier enjeu est la décarbonation. Nous n'assurerons notre souveraineté énergétique au cours des prochaines décennies qu'en réduisant notre empreinte carbone. Même si, du fait de la conjoncture, les énergies fossiles n'ont jamais été aussi bon marché, parier sur une décarbonation structurelle revient à parier sur le long terme. Plus largement, nous faisons le pari de la réduction de l'empreinte environnementale comme facteur de différenciation et de compétitivité de nos entreprises.
Le deuxième enjeu est la relocalisation des éléments critiques de nos chaînes de valeur. Elle est nécessaire si nous voulons construire demain une France et une Europe souveraines, au nom de la souveraineté solidaire évoquée précédemment. Pour cela, notre stratégie devra s'articuler autour de trois axes.
Tout d'abord, nous devrons être compétitifs et attractifs. C'est une question de coût, mais aussi une question de simplification des réglementations – si nous avons été agiles pendant la crise sanitaire, c'est aussi parce que nous avons été capables de passer outre certaines d'entre elles.
Ensuite, nous devons identifier les points critiques de notre industrie et créer de nouvelles capacités. À cette fin, nous devrons nous inscrire dans une perspective européenne, comme nous l'avons fait avec les batteries électriques avant la crise du covid-19 et comme nous le ferons avec la création d'autres IPCEI – Important Project of Common European Interest, ou projets importants d'intérêt européen commun – dans des domaines comme la santé ou l'hydrogène, qui font l'objet de discussions intenses au conseil Compétitivité et au conseil Énergie de l'Union européenne.
Enfin, la France doit devenir une économie de l'innovation de rupture. En plus de relocaliser, nous devons créer une nouvelle chaîne de valeur centrée sur les transitions numériques et écologiques. Je pense par exemple à la 5G, à l'intelligence artificielle, au calcul quantique, au stockage d'énergie à haute densité ou à l'hydrogène.
Dans cette perspective, l'Europe doit être motrice. Comme l'ont rappelé hier le Président de la République et la chancelière allemande, le plan de relance qui se chiffrera en centaines de millions d'euros est nécessaire.
Enfin, le troisième enjeu est le capital humain. Nous avons déjà lancé une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences à l'échelle nationale, mais nous devrons mobiliser plus fortement encore les instruments de la formation professionnelle et de l'apprentissage pour faciliter les transformations de l'économie et protéger les salariés.
Mesdames et messieurs les députés, la crise du covid-19 a mis à l'épreuve les capacités de résistance de la France. Loin d'invalider le diagnostic que nous avions fait, elle renforce la nécessité d'accélérer la transformation écologique et numérique de notre économie. Tel est le sens du pacte productif et l'objectif du plan de relance. Nous devons être ambitieux et cohérents pour construire une France et une Europe souveraines capables de tenir leur destin en main.
M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Barbara Pompili, M. Bruno Millienne et Mme Marguerite Deprez-Audebert applaudissent.
Nous en venons aux questions. Leur durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. François Jolivet.
Le thème de la souveraineté économique renvoie à un concept emprunté au domaine de la défense. Sous la Ve République, c'est une circulaire fondatrice de 1959, signée par Michel Debré, qui définit la défense comme un concept global réunissant la défense militaire et la défense non militaire, dans laquelle se range la protection des intérêts stratégiques et économiques nécessaires à la continuité de l'État. Cette mission appartient, dans chaque ministère, aux hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, qui doivent veiller à ce que toutes les décisions de l'État intègrent les priorités stratégiques de la nation.
La guerre militaire, qui peut être aussi sanitaire ou économique, « c'est du brutal », comme disait Michel Audiard. Il vaut mieux être prêt, plutôt que de subir. Alors, soyons prêts ! Mais si la France avait été victime d'une attaque biologique à caractère militaire aujourd'hui, aurait-elle été prête ?
L'année dernière, conscient des tentatives de dumping sur notre économie, le Gouvernement a alerté le Parlement sur la nécessité d'abaisser de 33 % à 25 % la participation de financements étrangers dans nos entreprises. Le ministre de l'économie et des finances a récemment annoncé que ces participations ne pourraient pas désormais excéder 10 %. La priorité nationale ne doit pas se limiter à un slogan, mais reposer sur une analyse fine des besoins nécessaires à la continuité de l'État. Il faut que la France se rapproche de ses partenaires européens pour refuser le « chacun pour soi », souvent annonciateur du « toujours tout seul ». Mais la stratégie de reconquête industrielle doit d'abord être le miroir des seuls besoins indispensables de notre pays.
Madame la secrétaire d'État, le seuil symbolique de 10 % ne pourrait-il pas être maintenu pour l'ensemble des activités repérées comme stratégiques pour notre pays ? Il appartient à chaque haut fonctionnaire de défense et de sécurité de définir, auprès de son ministre, les activités ayant un intérêt vital pour la nation. Cette liste devra être votre guide pour la relocalisation industrielle.
Je vous remercie, monsieur Jolivet, d'avoir rappelé que nous avons anticipé la problématique de l'accès à des actifs stratégiques français par des pays qui n'ont pas nécessairement un intérêt pour les sites industriels, les emplois et les savoir-faire français, mais qui cherchent avant tout à s'emparer d'une technologie au profit de leur propre développement économique.
Une entreprise étrangère qui investit dans une entreprise française n'est pas un problème. Au contraire, elle favorise parfois le développement de cette dernière grâce à son accompagnement et au partage des technologies. Le Gouvernement a toujours été clair sur le sujet. Alors que de nombreuses entreprises ont besoin de fonds propres, en particulier dans la période actuelle, la France souhaite continuer de faire preuve d'une grande ouverture à l'égard des investisseurs étrangers. Cette ouverture a d'ailleurs permis que notre pays devienne la première destination européenne des investissements étrangers pour les projets industriels et les projets de recherche et développement.
En revanche, nous refusons de favoriser le démantèlement de sites industriels français. C'est la raison pour laquelle nous avons resserré notre contrôle des investissements étrangers en France avec l'appui de la Commission européenne, qui a prescrit à l'ensemble des pays européens de renforcer leurs dispositifs de contrôle, voire d'en créer s'ils n'en disposaient pas. Vous avez mentionné le seuil de 10 % : il courra jusqu'à fin décembre, date à laquelle nous apprécierons sa pertinence. À ce stade, nous entendrons continuer de privilégier une économie ouverte et coopérative. Nous avons d'ailleurs élargi les domaines accessibles aux investisseurs étrangers, parmi lesquels les biotechnologies.
Pour conclure, c'est dans un esprit à la fois d'ouverture et de vigilance que nous apprécierons, au cours des prochaines semaines, les demandes de participation dans des entreprises françaises dont nous estimerons qu'elles sont, à un titre ou à un autre, stratégiques pour notre pays.
La France est encore une grande nation industrielle forte d'innombrables succès technologiques. Grâce aux savoir-faire de ses salariés, elle innove et exporte dans tous les domaines. Mais pour gagner des marchés et financer des ruptures technologiques, nous devons créer des entreprises solides, plus intégrées à l'échelle continentale. Pour être crédible, il nous faut aussi les outils pour bâtir notre souveraineté technologique et industrielle.
Hier, à l'initiative du Président de la République et de la chancelière Angela Merkel, l'Allemagne et la France ont proposé un plan ambitieux de relance de 500 milliards d'euros…
… qui s'appuie sur un mécanisme de mutualisation de la dette. C'est un signal positif, qui montre que le moteur franco-allemand ne fait pas que ronronner.
J'aimerais donc vous interroger sur les mesures plus spécifiques que vous envisagez pour les filières industrielles stratégiques. Dans le domaine aéronautique, particulièrement intégré, les industriels ont évoqué la possibilité d'un cadre européen de filtrage des investissements étrangers dans les entreprises stratégiques. Quelles mesures seront-elles défendues par la France dans ce sens ?
Ces industriels ont aussi soutenu la création d'un fonds européen visant à recapitaliser les entreprises financées par la Banque européenne d'investissement. Le fonds de relance annoncé hier pourrait-il être mobilisé dans cette direction ?
Enfin, la décision du 5 mai de la Cour de Karlsruhe, qui a été évoquée tout à l'heure, fragilise de fait la politique de rachat d'actifs de la Banque centrale européenne, la BCE. Quelles réponses devons-nous adresser à notre partenaire allemand ?
Mme Barbara Pompili applaudit.
Je vous remercie, monsieur Larsonneur, d'avoir salué l'accord annoncé hier par la chancelière Merkel et le président Macron. Il montre, je crois, de quoi est capable l'Europe quand il s'agit d'apporter une réponse ambitieuse et adaptée à une situation critique. Cet accord s'inscrit pleinement dans la stratégie que nous défendons depuis 2017 et que le Président de la République a présentée dans son discours de la Sorbonne. Il est en parfaite adéquation avec la vision de l'Europe que nous défendions pendant les élections européennes autour des principes suivants : souveraineté sanitaire, transition écologique, transformation numérique, réforme de la politique commerciale, nouvelles règles de concurrence, protection sociale forte.
S'agissant de la décision de la Cour de Karlsruhe, elle ne remet pas en cause le programme d'achat de titres décidé par la BCE dans le cadre de la pandémie, baptisé « programme d'achat urgence pandémique », ou PEPP. Elle n'affecte pas la conduite de la politique monétaire dans la zone euro, car l'indépendance de la BCE est au coeur de l'union monétaire.
C'est d'ailleurs pour renforcer le poids des institutions européennes que le Président de la République et la Chancelière allemande ont appelé de leurs voeux une conférence pour l'Europe. Ces différents éléments attestent de la solidité du couple franco-allemand.
Quant à votre interrogation sur le secteur aéronautique – vous avez posé une question à tiroirs ! – , je rappelle que Bruno Le Maire et moi-même travaillons à un plan de soutien aéronautique au niveau national, qui permettra de renforcer le soutien aux entités de recherche et développement dans ce secteur, tout en filtrant les investissements étrangers et tout en répondant aux besoins de fonds propres des entreprises.
Parallèlement à ce plan, nous menons des discussions au niveau européen sur la situation du secteur aéronautique. J'ai moi-même participé la semaine dernière à une réunion du conseil Compétitivité de l'Union européenne, où j'ai défendu, auprès de mes homologues, les intérêts de ce secteur porteur de nombreux enjeux, qu'il s'agisse de la transition écologique et énergétique, avec la question de l'avion du futur et des biocarburants, ou de la relance économique elle-même.
Nous défendons tous ces sujets à la fois au plan français et au plan européen, car le niveau européen est indispensable pour réussir à développer le plan de soutien au secteur aéronautique.
Pour nos concitoyens, le choc de cette crise sanitaire terrifiante s'est doublé de la découverte de notre dépendance à des pays étrangers qui ne sont pas des pays amis. Les Français ont découvert qu'un produit aussi simple qu'un masque de protection n'était plus fabriqué dans notre pays. Ils ont découvert la fragilité d'une grande nation qui se voulait toujours la cinquième puissance du monde et qui était incapable de fabriquer des masques, des tests et des appareils de réanimation.
Ils ont découvert, enfin, et c'est le thème de ma question, que nous souffrions d'une dépendance tragique à l'égard des pays étrangers pour la production de médicament. Non seulement la Chine est devenue l'usine du monde, mais elle est aussi désormais la pharmacie du monde. Des principes actifs indispensables pour les tests font cruellement défaut, ainsi que des substances essentielles à la réanimation et aux soins palliatifs des malades en fin de vie, ce que nous découvrons aujourd'hui avec stupeur.
Je voudrais vous interroger sur la manière dont vous comptez réagir à cette situation qui n'est pas nouvelle, à la fois à long terme, afin de restaurer notre souveraineté en matière de production de médicaments, mais aussi dans l'immédiat.
Au sein de mon département, des opérations ne peuvent avoir lieu, des établissements privés ont cessé leurs interventions et l'ensemble de la communauté médicale a donné l'alerte, car l'agence régionale de santé a réquisitionné les stocks de médicaments de réanimation pour les établissements habilités « urgences réa covid » – ce qui est normal, le problème étant que les autres n'en ont plus. Des actes chirurgicaux sont reportés, ce qui entraîne une perte de chance pour certains patients, notamment des malades du cancer. Le patron du centre anticancéreux de Nice m'a fait part de son immense préoccupation à ce sujet. Madame la secrétaire d'État, quelle solution immédiate, sans parler de l'action structurelle, allez-vous apporter à ce problème ?
Je veux d'abord vous rassurer, monsieur le député : il existe une industrie du masque en France ; nous sommes l'un des rares pays européens à produire des masques, à raison de 20 millions par semaine, contre 3,5 millions en janvier – une bonne démonstration de la capacité de mobilisation de notre industrie. Nous faisons aussi partie des pays européens qui produisent des respirateurs : nous avons fabriqué en cinquante jours l'équivalent de trois ans de production, grâce à Air Liquide et à un consortium de grandes entreprises.
Vous avez parfaitement raison sur un point : nous avons eu des problèmes concernant les curares et certains médicaments utilisés en soins palliatifs, car leur consommation a augmenté de 2 000 %, ce qui n'est pas une situation classique ; la production ne pourrait sans difficultés se régler sur de tels pics. Mais nous y avons remédié, de manière solidaire avec les autres pays européens.
Vous avez également mentionné l'activation du plan blanc et la réquisition de matériel par anticipation.
Des respirateurs, nous en avons toujours eu plus que nous n'en avions besoin ; je le précise, car il y a eu une petite erreur à ce sujet.
Cela aussi est erroné : le centre hospitalier de Toronto a employé ces respirateurs dans des usages et selon des réglages différents : je vous renvoie à l'étude à ce sujet qui sera prochainement publiée par une grande revue médicale.
Les faits ne sont pas ceux que vous dites. Je termine.
La solution à long terme réside dans l'IPCEI dans lequel nous allons nous engager avec nos homologues européens, dans la mise en oeuvre de la mission Biot sur la pénurie de médicaments et dans le travail que nous menons avec Sanofi sur les principes actifs. Ce n'est pas de la Chine, en effet, que nous dépendons, mais de plusieurs pays du monde.
Certaines productions méritent d'échapper aux simples lois du marché et ne peuvent pas être confiées à d'autres pays.
C'est en substance ce qu'a martelé le chef de l'État dans les allocutions qu'il a prononcées durant le confinement.
L'orateur montre un objet.
Madame la secrétaire d'État, reconnaissez-vous ce produit ? C'est un cube de bouillon d'une marque très connue qui était fabriqué depuis cinquante ans dans mon village d'Itancourt, dans l'Aisne. En janvier dernier, le groupe Nestlé nous a convoqués pour nous annoncer la fermeture de ce site français – plutôt une délocalisation déguisée, qui va mettre 200 familles aux abois.
Le site est vieillissant, certes, mais on s'est volontairement abstenu d'y investir : comme le dit l'adage, qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! Le site n'atteint pas ses pleines capacités de production, c'est vrai ; mais, à ce sujet, on peut citer le même proverbe.
Malgré ces handicaps, le site permettait de réaliser des marges nettes – pas assez, visiblement, pour les actionnaires, mais suffisamment pour assurer sa compétitivité.
À la lumière de cet exemple précis, que faut-il entendre par souveraineté industrielle et économique ? La crise du covid-19 vient de nous montrer que nos vieilles industries agro-alimentaires et nos petites et moyennes entreprises du textile et de la broderie, sur fond de désindustrialisation, étaient toutes capables de relever le défi. Avec souplesse, grâce au mérite de leurs ouvriers, elles ont fait rempart contre la rupture d'approvisionnement alimentaire, transformé leur production pour fabriquer des masques destinés à nos concitoyens, et, en plein marasme, ôté leurs oeillères à ceux qui ne juraient que par la finance.
Certains exhument désormais les valeurs du gaullisme. Mais le gaullisme, n'est-ce pas aussi, en matière économique, la souveraineté qui nous épargne d'être à la merci des autres et garantit à nos concitoyens sécurité sanitaire, alimentaire et de l'emploi, celle qui nous permet d'être libres ? Dans la France d'après le covid-19, la souveraineté économique peut-elle passer par la préservation de nos savoir-faire industriels, par des mesures coercitives évitant les délocalisations injustifiées ? Peut-elle redessiner les règles applicables en matière de libertés économiques ?
Je vous rappelle que l'on ne produit dans l'hémicycle ni document ni objet.
Merci de ce plaidoyer en faveur de l'industrie et du développement de capacités industrielles sur le sol français. Je veux redire ici ce que le Gouvernement a apporté en ce domaine depuis trois ans.
Vous l'avez noté, nos capacités industrielles ont subi un repli de 2000 à 2016 ; …
… mais puisque vous aimez les faits, qui sont têtus, en voici d'autres : pour la première fois depuis seize ans, l'emploi industriel a redémarré en 2017, comme en 2018 et en 2019.
La France est devenue la première nation d'Europe en matière d'accueil des investissements étrangers dans l'industrie ; en 2018, 330 projets étaient concernés, soit deux fois plus qu'en Allemagne – excusez du peu !
Ce premier bilan doit maintenant se traduire concrètement dans la période de crise que nous connaissons. Nous savons que celle-ci va entraîner des restructurations et des difficultés ; dans ce contexte, c'est notre rôle que de fournir un accompagnement. Notre programme est clair : il inclut le plan d'urgence qui a été mis en oeuvre très rapidement et dont la communauté économique reconnaît l'efficacité, le plan de soutien à certaines filières, dont le tourisme – comme annoncé la semaine dernière – , l'automobile et l'aéronautique, enfin un plan de relance de l'ensemble de l'économie qui s'appuiera sur le plan de relance européen.
C'est grâce à ces outils, et en nous concentrant sur le maintien ou la relocalisation de certaines chaînes stratégiques, comme sur des projets très concrets auxquels nous travaillons tous les jours, que nous résoudrons la question de la souveraineté, laquelle ne se réduit peut-être pas à un petit cube de bouillon.
La pandémie de covid-19 a entraîné au cours des derniers mois de très graves conséquences non seulement sanitaires, mais aussi économiques, la France connaissant sa récession la plus marquée depuis 1945.
En matière d'écologie également, l'arrêt brutal des activités humaines a eu des conséquences – souvent bénéfiques – sur l'environnement et sur la biodiversité. L'économie française s'est en grande partie arrêtée, nos modes de vie ont été bouleversés et les grandes interrogations écologiques qui nous taraudaient avant la crise, loin de cesser, se sont amplifiées.
Dans ce contexte, la France a pu compter sur la coopération européenne et internationale, et a apporté en retour son aide aux autres pays. Tout ce qui a été fait en si peu de temps me paraît remarquable : notre pays, que l'on dit parfois ankylosé, a su réagir. Si la critique est facile, prendre les bonnes décisions lorsqu'il faut gérer la crise l'est beaucoup moins.
Une nouvelle page se tourne désormais, entraînant inévitablement des réflexions sur notre souveraineté nationale. Du fait de la globalisation de nos économies, nos intérêts ont pu être mis à mal ; nous devons en tirer toutes les conséquences.
En matière d'écologie, en revanche, on ne saurait parler de souveraineté : si nous devons mettre en oeuvre en ce domaine des politiques publiques ambitieuses, de rupture parfois, porteuses des bonnes décisions pour l'avenir, c'est un effort collectif international qui permettra de préserver notre planète.
Cette crise pourrait rester un simple épisode malheureux à la suite duquel l'économie et nos modes de vie reprendront leur cours antérieur, mais elle peut aussi entraîner un véritable changement de paradigme. Cela supposera d'en dresser un bilan objectif, auquel les parlementaires devront prendre toute leur part. Il nous faudra plus que jamais préserver notre fragile écosystème et définir ensemble les valeurs que nous voulons défendre. Madame la ministre, que pensez-vous de cette seconde éventualité ?
En effet, non seulement la crise sanitaire n'efface pas la crise écologique, mais la crise écologique accroît le risque de nouvelles crises sanitaires. Ainsi, 60 % des maladies infectieuses émergentes sont d'origine animale, parmi lesquelles plus des deux tiers sont issues de la faune sauvage, et 30 % seraient liées à la destruction des habitats et à la probabilité accrue qui en résulte de contacts répétés avec l'homme et les animaux domestiques.
Le changement climatique contribue également à l'expansion des maladies à transmission vectorielle telles que le paludisme ou la dengue, facilitées par des climats favorables aux moustiques.
Quant à la pollution aux particules fines, elle constitue un facteur de morbidité lors d'épidémies d'affections respiratoires.
Pour protéger notre santé, il faut donc aussi protéger la santé de la planète et celle de la biodiversité. Voilà pourquoi nous continuerons d'oeuvrer au niveau national, européen et international en faveur du climat et de la biodiversité.
Au niveau international, par exemple, nous accueillerons l'année prochaine le Congrès mondial pour la nature. À l'échelle européenne, comme l'a indiqué hier le Président de la République, nous plaidons en faveur de l'élaboration dans chaque secteur d'une feuille de route pour une relance respectueuse de l'environnement, incluant des cibles ou des conditions en matière de climat et d'environnement. Dans le cadre national, enfin, l'écologie fait partie, avec la solidarité envers les plus fragiles et l'emploi, des valeurs que la relance fournira l'occasion de réaffirmer.
La crise que nous vivons est l'illustration de notre interdépendance planétaire en matière climatique et de biodiversité, comme de la nécessité d'être solidaires pour agir.
Madame la secrétaire d'État, je veux vous interpeller au sujet des ex-Luxfer en me faisant la porte-parole d'Axel Peronczyk, ancien salarié de l'entreprise, que vous connaissez puisque vous lui avez téléphoné dès le lendemain de nos derniers échanges ici même.
Vous aviez alors rétorqué à mes questions que l'oxygène n'était pas stratégique et que les bouteilles d'acier pouvaient remplacer celles en aluminium ; ces deux affirmations sont erronées.
L'oxygénothérapie, la lutte contre les incendies, le développement de l'ambulatoire nécessitent en effet un matériel léger et résistant à la corrosion. Or l'acier, beaucoup plus lourd que l'aluminium, a tendance à se corroder. Du fait de ses usages multiples, la production d'oxygène est appelée à se développer ; il s'agit donc bien d'un produit stratégique.
Axel Peronczyk comme moi-même sommes persuadés qu'il faut assurer pour notre avenir l'indépendance sanitaire en France et en Europe, en sécurisant l'approvisionnement de certains médicaments et produits médicaux, dont l'oxygène en bouteille. Or la production de ces bouteilles n'existe plus que dans trois pays : États-Unis, Turquie, Angleterre – plus rien en Europe.
« Certains biens et services doivent être placés en dehors du marché » : si ces mots du Président de la République ont un sens, il faut passer à l'acte. Deux repreneurs sérieux au moins se sont manifestés, et leurs projets sont bien construits. Reste à obliger Luxfer à vendre son site de Gerzat. En s'y refusant, en vouant à l'échec tous les projets de manière à organiser son monopole et à augmenter honteusement ses prix comme elle l'a fait ces derniers mois, l'entreprise agit en voyou.
Vous pouvez la nationaliser temporairement : vous avez pour cela des atouts juridiques. En entravant la vente, en effet, Luxfer empêche l'arrivée d'un concurrent sur le marché européen et spécule sur des pénuries qu'elle crée de toutes pièces en accroissant ses prix en pleine crise.
Qu'attendez-vous pour agir ? Où en êtes-vous des négociations avec Luxfer et des discussions avec les deux repreneurs potentiels, notamment l'entreprise française locale, soutenue, vous le savez, par la métropole clermontoise ?
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.
Ce n'est pas la première fois, et probablement pas la dernière, que vous m'interrogez à propos de l'entreprise Luxfer.
Si le Royaume-Uni, qui produit en effet des bouteilles d'oxygène, n'est plus dans l'Union européenne, il fait encore géographiquement partie de l'Europe : gardons-nous donc de caricatures hâtives.
Vous le savez, j'ai eu non pas un seul échange, mais plusieurs avec les représentants des salariés de l'entreprise, comme d'ailleurs avec ceux des salariés d'Air Liquide, et nous avons tenu une série de réunions avec les dirigeants de Luxfer. Deux projets industriels ont en effet été élaborés.
Je le répète : il n'y a pas eu de tensions sur l'approvisionnement en bouteilles d'oxygène – cela ne veut pas dire que le sujet n'est pas important – …
… car nous avions anticipé la situation et, parmi les mesures que nous avons prises en réponse à la crise ces dernières semaines, un chapitre a été consacré à ce problème.
En revanche, nous sommes d'accord pour dire qu'il serait intéressant de faire revenir en France une industrie spécialisée dans les alliages métalliques. Car l'enjeu est moins l'approvisionnement en bouteilles d'oxygène que la fabrication de ces alliages métalliques aux propriétés particulières. Luxfer, ancien site de Pechiney, dispose d'une expérience de haut niveau en la matière. C'est pour cette raison que nous sommes prêts à soutenir d'éventuels projets industriels.
Nous sommes pleinement engagés aux côtés des porteurs de projet, même si l'interruption de la circulation entre la France et les autres pays a parfois rendu difficile la tenue de réunions. Nous y travaillerons dans les prochaines semaines et nous espérons aboutir. Ce qui nous intéresse, c'est que le projet industriel soit solide ; nous ne voulons pas nationaliser l'entreprise pour un projet irréalisable.
À mesure que la crise sanitaire s'atténue et que ses conséquences économiques se révèlent, un enseignement majeur se dessine clairement : la relocalisation des activités considérées comme stratégiques, notamment dans le domaine de la santé, doit être une priorité si nous ne voulons plus subir de pénurie de masques, de médicaments ou encore de principes actifs consécutive aux délocalisations d'usines et à la mondialisation du secteur pharmaceutique.
Dès 2018, l'État avait identifié cette faiblesse en créant le dispositif Territoires d'industrie, destiné à redynamiser 148 territoires et doté d'une enveloppe de 1,3 milliard d'euros. Plus qu'un défi, cet objectif est devenu une exigence, qui devra se décliner sur le plan national et sur le plan européen. Les collectivités territoriales disposent d'un savoir-faire en la matière : la région Aquitaine a contribué à l'installation d'une usine pilote de conception et de fabrication de batteries pour véhicules électriques et, tout récemment, la région Île-de-France a soutenu l'installation en un temps record d'une usine de fabrication de masques au Blanc-Mesnil, qui produit depuis cette semaine un million de masques FFP1 et FFP2 par jour.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, cette crise sanitaire, conjuguée au dérèglement climatique, doit nous amener à repenser la ville de demain. La métropolisation a montré ses limites ; en témoignent les problématiques liées à la gestion de la densité humaine et des mobilités. La crise doit aussi nous permettre de réinventer en profondeur l'aménagement du territoire, l'organisation économique et les modes de production du pays. Les villes moyennes et le milieu rural constitueront des leviers de relance de l'activité à condition de réduire définitivement la fracture numérique et de mettre à leur disposition des outils agiles et adaptables.
Ma question est simple : allons-nous tirer les enseignements de la crise en plaçant les collectivités territoriales au coeur de la grande bataille de reconstruction des filières industrielles, elles qui sont les mieux placées pour réussir l'aménagement du territoire ?
Merci, madame la députée, de mettre en valeur le dispositif Territoires d'industrie, lancé par le Gouvernement le 22 novembre 2018. Il a prouvé son efficacité, malgré les quelques réticences qu'ont pu manifester les collectivités territoriales au départ, et montré qu'en mettant en relation les dirigeants des entreprises, les représentants des collectivités territoriales et les régions qui ont la compétence exclusive du développement économique, et en veillant à faire accompagner par la Banque des territoires des dispositifs d'ingénierie pour ceux qui en ont besoin, on arrive à mener à bien des projets concrets qui répondent aux spécificités des territoires. C'est ce que nous avons fait en leur apportant l'appui des services de l'État et de ses opérateurs.
La délégation aux territoires d'industrie travaille à intégrer au plan de relance un chapitre spécialement consacré à ce programme. Dans les semaines et les mois à venir, nous nous appuierons sur les projets les plus aboutis, ceux qui présentent le plus de potentiel en matière d'emploi et de transformation productive, pour accélérer la transformation numérique de l'industrie.
Le plan action coeur de ville procède de la même démarche en proposant d'accompagner la transition numérique d'artisans et de petits commerçants. On l'a vu, ceux qui s'étaient organisés ont mieux su limiter la diminution de leur chiffre d'affaires que ceux qui, malheureusement, n'avaient pas formé de coalition pour affronter les difficultés.
Je veux vous rassurer : nous allons nous appuyer sur ces deux leviers pour organiser la relance de l'économie.
Ce débat permet d'aborder la politique écologique et climatique, non pas sous l'angle environnemental, mais à travers sa dimension stratégique. Car la maîtrise des chaînes de valeur des technologies bas carbone est un enjeu stratégique de compétitivité, de développement économique et de création d'emplois, et la transition énergétique comporte indéniablement des enjeux de souveraineté.
Si notre dépendance à l'égard des importations d'énergies fossiles nous expose au jeu politique international et à l'extrême volatilité des marchés pétrolier et gazier, la production locale d'énergies renouvelables nous permet de mieux maîtriser notre politique énergétique, avec toutes les conséquences économiques et sociales que cela entraîne. Il convient à ce propos de mentionner la question de la production de certaines composantes essentielles, comme les aimants permanents pour l'éolien en mer, qui nécessitent l'utilisation de métaux critiques et de terres rares largement importés de Chine.
La transition vers une technologie bas carbone implique des investissements, des progrès technologiques et des transformations qui ne pourront être pilotés qu'à l'échelle européenne. Malheureusement, les politiques publiques communautaires ont privilégié jusqu'à présent le dogme de la concurrence, quitte à empêcher la constitution de champions européens qui auraient assuré à l'Europe une situation de leadership technologique. Je voudrais donc vous poser quatre questions.
La première : quelle stratégie la France entend-elle défendre au niveau européen pour construire des filières industrielles stratégiques ?
La deuxième : où en est le projet d'« Airbus des batteries » et les moyens mis à disposition de ce consortium permettront-ils de rattraper le retard ?
La troisième : quelle est l'action de la France en faveur d'une révision du droit européen de la concurrence ?
La quatrième : pour lutter contre le dumping environnemental, la France va-t-elle défendre auprès des institutions européennes la taxation carbone aux frontières ?
Vous avez raison, monsieur le député, de souligner qu'en toile de fond de la crise sanitaire qui frappe notre pays et l'ensemble de la planète, il y a une crise énergétique. L'effondrement du prix des énergies fossiles, qui peut mettre en cause les politiques énergétiques nationales, succède à d'autres crises, comme la flambée du baril de pétrole que nous avons connue à l'automne 2018 et dont chacun a les conséquences sociales en tête. Je pense que la crise actuelle doit plus que jamais nous inciter à nous affranchir de la dépendance aux énergies fossiles.
Je confirme notre détermination à avancer dans la politique de diversification de notre mix énergétique et à développer les énergies renouvelables, comme le prévoit la programmation pluriannuelle de l'énergie dont le décret a été publié il y a quelques semaines.
Nous voulons retrouver notre souveraineté dans les technologies des énergies renouvelables, qu'il s'agisse des batteries – je vous confirme que ce projet avance à l'échelle européenne, avec nos partenaires allemands – ou des projets d'implantation de technologies photovoltaïques et de développement de filières hydrogène que nous allons soutenir pour les secteurs de la mobilité, de l'industrie ou de l'énergie.
Nous suivrons les axes présentés hier par le Président de la République et la chancelière Angela Merkel. C'est dans ce sens que nous voulons avancer pour bâtir notre souveraineté technologique, avec des champions industriels européens qui nous permettront de maîtriser et de produire sur notre territoire les technologies d'avenir dont nous avons besoin.
Ce matin, en commission des finances, Bruno Le Maire nous a expliqué qu'en matière de relocalisation ou de souveraineté, il ne fallait pas se payer de mots et qu'il fallait du concret. Alors, je vous apporte du concret.
Si j'ai bien compris, à chaque fois que nous vous donnons un exemple, comme celui de Luxfer tout à l'heure, soit vous répondez qu'il est trop tard et que l'entreprise n'existe plus, soit vous dites que le produit est fabriqué ailleurs.
Je prendrai donc l'exemple d'une entreprise qui existe bel et bien, au sujet de laquelle j'ai interrogé le Gouvernement plusieurs fois, et fabrique un produit absolument indispensable : c'est l'entreprise Péters Surgical à Bobigny. Cette entreprise, qui fabrique des sondes de Motin indispensables pour les respirateurs, fermera en juin.
La preuve qu'elle sert à quelque chose, c'est que ses salariés – heureusement qu'ils étaient encore sur place il y a un mois – ont fait les trois-huit pour augmenter la production de 10 000 à 40 000 sondes. Je n'ose pas imaginer ce qui se serait passé si le projet de délocalisation en Inde, prévu par le fonds de pension qui possède cette entreprise, avait eu lieu avant le confinement : avec l'interruption de tous les échanges commerciaux internationaux, les Indiens auraient peut-être gardé les sondes de Motin qui leur étaient utiles ; elles ne seraient pas arrivées en France et, sans sondes, vous auriez eu encore davantage de problèmes. L'entreprise fermera pourtant en juin.
Qu'attendez-vous pour réquisitionner cette société, qui fait des profits ? Comptez-vous faire quelque chose pour Péters Surgical avant qu'il ne soit trop tard ? Le sort de cette entreprise soulève directement la question de la sécurité sanitaire.
L'entreprise de masques Honeywell l'avait déjà posée en 2018 : les Américains avaient alors préféré tronçonner les machines plutôt que de les laisser être utilisées par la concurrence, raison pour laquelle les masques nous ont manqué. Mais le Président de la République semble ne pas s'en être aperçu ; sans doute nous dira-t-il bientôt que la Terre est plate. J'attends néanmoins de votre part une réponse sérieuse.
C'est la première fois que vous m'interpellez à propos de Péters Surgical, monsieur le député Coquerel, mais vous m'aviez écrit à son sujet. Nous nous sommes donc renseignés.
L'entreprise fabrique des sondes de Motin, qui sont particulièrement utiles en réanimation, mais je vous rassure : une autre entreprise française produit ces sondes, l'entreprise Vygon. Si votre question était de savoir si nous risquions de perdre définitivement l'accès à la production de sondes pour la réanimation, la réponse est non.
Deuxièmement, nous avons vérifié si l'entreprise était détenue par un fonds de pension ; en l'occurrence, ce n'est pas le cas.
C'est une entreprise qui a choisi de se développer en France en investissant, sur ses autres sites, dans des produits à plus forte valeur ajoutée.
Cela m'amène à une troisième remarque. La question qui se pose à nous, dans le cadre de la politique de santé, est de savoir dans quoi il faut réinvestir et quel prix payer pour les différents biens. Sur ce point, je rejoins votre analyse et je reconnais que nous avons peut-être trop longtemps cherché à payer les prix les plus bas pour les médicaments et les dispositifs médicaux dans l'optique d'améliorer les finances de la santé et d'assurer l'équilibre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous n'avons pas porté sur la question un regard industriel qui aurait permis, en payant un peu plus, de garantir de l'emploi dans les territoires.
Le conseil stratégique des industries de la santé, qui s'est tenu en juillet 2018, a engagé la démarche opposée en se fixant l'ambition d'apporter une réponse industrielle aux sujets de santé pour ne pas s'enfermer dans une approche comptable. Nous avons donc accordé, pour la première fois depuis longtemps, une enveloppe de 3 % destinée à financer les innovations médicales. Nous allons également élaborer un plan pour les dispositifs médicaux. Croyez bien que nous continuerons dans cette direction.
Je souhaite vous interroger au sujet de la défense de notre souveraineté industrielle, notamment s'agissant de notre filière automobile, en vous posant des questions déterminantes pour la France – en particulier pour la Normandie et la Seine-Maritime, comme les usines Renault de Cléon et Sandouville et l'usine Renault Alpine de Dieppe en sont l'illustration.
Madame la secrétaire d'État, savez-vous quel est le pourcentage de véhicules particuliers que le groupe Renault fabrique en France ? Il est de 17 % aujourd'hui, alors qu'il était de 54 % en 2004. Savez-vous que la Clio, dont les 132 000 exemplaires vendus en font le véhicule Renault le plus vendu en France et dans les pays limitrophes, arrive par camions entiers depuis la Turquie notamment, où le centre de production tourne à 130 % alors même que toute la production a été stoppée en France il y a un an ? Savez-vous que les ingénieurs de Renault ont travaillé sur le projet EV3, une toute petite voiture électrique, ultralégère, dédiée aux courtes distances, qui présente un coefficient de pénétration dans l'air inégalé, donc une faible consommation et, de fait, une petite batterie, ce qui la rend deux fois moins chère que la Zoé ? Si on le décidait, cette voiture pourrait être produite sur un site français, à Flins par exemple : la production d'un seul tiers des 100 000 exemplaires de ce véhicule y garantirait plus de 1 000 emplois.
En matière de véhicule faiblement émetteur de CO2, mais plus autonome et permettant donc de plus longs parcours, il n'y a actuellement rien de mieux que l'hybride. Savez-vous que Renault développe trois projets de ce type, une Clio hybride qui sera produite en Turquie, une Captur hybride rechargeable et une Mégane, qui seront toutes deux produites en Espagne ? Savez-vous qu'au-delà du seul moteur, la voiture électrique représente un nombre important d'emplois, notamment dans l'électronique de puissance ? Seulement, aujourd'hui, c'est l'Asie – la Corée et la Chine en particulier – qui domine ce marché. Pouvez-vous nous dire dans quelle escarcelle, en définitive, tomberont les millions d'euros que coûtera la prime pour l'achat d'un véhicule peu gourmand en CO2 que le ministère s'apprête à annoncer ?
En quoi le plan à venir sera-t-il souverain ? Alors que l'emploi dans la filière automobile est fragile, que prévoyez-vous pour vous assurer qu'en contrepartie de l'argent public versé, des emplois seront créés en France ? L'État, actionnaire de Renault, va-t-il exiger le rééquilibrage de la fabrication au bénéfice de notre souveraineté industrielle nationale ?
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.
Comme vous l'avez très bien dit, depuis bien avant 2008, l'industrie automobile a beaucoup délocalisé…
… pour faire face à une compétition mondiale effrénée et parce que nos concitoyens ne sont pas prêts – ils n'en ont d'ailleurs pas nécessairement le budget – à payer une voiture 1 000 euros de plus. En effet, à modèle équivalent, le coût de production d'une voiture en France est supérieur d'environ 1 000 euros à celui d'une production non pas en Chine ou dans un pays lointain, mais chez nos voisins, au Portugal ou en Espagne.
Pour ce qui est de la chaîne logistique, la Turquie présente plus de difficultés, et ce serait d'ailleurs un argument en faveur d'une relocalisation.
Vous avez raison, il faut lutter contre cette évolution, mais avec de véritables armes. Or, au cours des derniers jours, nous avons créé un plan d'urgence soumis à certaines conditions s'agissant des enjeux écologiques et énergétiques. Les contreparties du plan de soutien sont très claires : la transition écologique, la protection des compétences – notamment en matière de recherche et développement, un élément extrêmement important pour maintenir des productions géographiquement proches – et l'accompagnement de la sous-traitance à leur transformation, tant en investissements qu'en fonds propres. En effet, seule cette transformation en usine du futur permettra d'assurer la productivité supplémentaire, nécessaire pour justifier le maintien de la production en France. Or, pour cela, il faut investir dans des robots, des cobots, des machines à fabrication additive et à commande numérique. Tout cela nécessite beaucoup d'argent, à un moment où les entreprises en manquent.
Ce sera donc donnant-donnant : chacun apportera sa pierre à l'édifice, mais nous devrons accompagner la transformation de notre flotte automobile. C'est tout l'enjeu de la partie du plan qui concerne les contreparties. Nous allons regarder quelles parties des différents modèles sont produites en France : il n'est pas impossible que cela inspire nos décisions.
Il aura donc fallu cette crise pour vous voir ouvrir les yeux et vous entendre parler de métropolisation, de relocalisation, de réindustrialisation, et même pour voir apparaître, dans la bouche du concepteur de la « start-up nation », le mot de souveraineté. Bien sûr, comme toute personne qui découvre un concept, il fait des erreurs. En particulier, il oublie qu'ainsi que le rappelle l'article 3 de la Constitution, la notion de souveraineté est intrinsèquement liée à celle de peuple : de fait, de la même manière qu'il n'existe pas de peuple européen, il ne peut y avoir de souveraineté européenne. Mais ne soyons pas trop durs avec ce nouveau converti !
J'en profite pour remercier le groupe majoritaire d'avoir mis ce sujet à l'honneur dans un débat. Qui aurait cru que les plus fervents supporters de la mondialisation sauvage en viendraient un jour à parler de souveraineté ? Cependant, permettez-moi de regretter le temps perdu : combien de fois vous avons-nous alertés à ce sujet ? Combien de fois avons-nous souligné les graves conséquences, pour les Français, des abandons successifs de souveraineté que vous et vos prédécesseurs avez sciemment organisés et adoptés, y compris au mépris du peuple ? Rappelez-vous le référendum de 2005 !
Alors que la crise sanitaire actuelle souligne à nouveau les limites de la mondialisation, vous découvrez l'importance de la souveraineté et envisagez notamment de durcir les règles en matière d'investissements étrangers. Il faut dire que, dans la situation actuelle, bon nombre de nos entreprises, en particulier les plus innovantes, sont des proies pour les vautours de la finance ou pour les pays qui voient en elles un intérêt stratégique. Certes, vous avez déjà renforcé le fameux décret relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, dit décret Montebourg. Je ne peux que me réjouir de cet outil, qui me paraît utile et efficace, mais le problème, c'est que vous ne l'utilisez pas ! Pourquoi ne pas l'avoir utilisé pour Alstom ? Certes, ce n'était pas vous, mais Emmanuel Macron. Pourquoi, alors, ne pas l'avoir utilisé pour Photonis ou Latécoère, pour ne reprendre que les derniers exemples ? Pourquoi feriez-vous donc demain ce que vous n'avez pas fait hier ?
Madame la secrétaire d'État, allez-vous défendre la souveraineté française que vous avez tant affaiblie par le passé, y compris en engageant avec l'Union européenne la nécessaire partie de bras de fer ? Allez-vous enfin appliquer le patriotisme économique que nous préconisons depuis des années pour défendre nos entreprises, nos emplois et la liberté de notre pays ?
La politique de reconquête industrielle est au coeur de notre politique économique et il me semble que c'est une chose que nous avons souvent répétée sur ces bancs depuis trois ans ! Nous avons d'ailleurs obtenu des résultats en matière de création d'emplois, ce qui n'était pas arrivé entre 2000 et 2016…
Pourtant, c'est Emmanuel Macron qui était ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique !
… – cela vous avait peut-être échappé. La politique économique que nous menons en matière industrielle et au service de la souveraineté de notre pays s'appuie sur 18 contrats stratégiques de filières, conclus autour d'activités et de projets d'innovation, de R& D et de compétences, 146 territoires d'industrie – nous en avons déjà parlé – et plus de 1 000 projets permettant de créer de l'emploi en France.
Le travail que nous avons mené pour améliorer l'attractivité du pays a permis de faire aujourd'hui de la France le premier pays d'attractivité des investissements étrangers. En France, pas moins de 330 projets industriels ont ainsi vu le jour en 2018, soit deux fois plus qu'en Allemagne, cette grande nation industrielle. Ces chiffres sont des faits : ce ne sont ni des paroles, ni des gimmicks, ni des slogans.
Pour rebondir sur vos propos relatifs aux investissements étrangers, qui a renforcé le décret Montebourg ? Il me semble bien que c'est le Gouvernement actuel !
Qui a permis d'étendre son champ d'application en adoptant la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi PACTE ? C'est la majorité actuelle, et c'était bien avant le coronavirus, car ces sujets ne nous avaient pas échappé !
S'agissant de l'utilisation du décret, nous examinons tous les mois des dizaines de dossiers, et nos travaux nous permettent de négocier, même si le secret des affaires ne nous permet pas toujours d'afficher le résultat de ces négociations sur la place publique. Soyez assurée que la Commission européenne ne s'y est pas trompée, qui cite en exemple ce décret et l'utilisation que nous en faisons.
Enfin, je crois qu'il ne faut pas opposer souveraineté française et souveraineté européenne, parce que c'est précisément en nous battant ensemble, collectivement et solidairement, que nous gagnerons la bataille économique face à la Chine et aux États-Unis.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Débat sur le thème : « Le déconfinement, quelle mise en oeuvre après une semaine ? ».
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra