Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Séance en hémicycle du mardi 19 mai 2020 à 15h00
Débat sur la souveraineté économique écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie et des finances :

Au-delà des mesures d'urgence destinées à relever les défis des deux derniers mois, le Président de la République nous exhortait, dès le 12 mars 2020, à tirer les leçons du moment que nous traversons et à rebâtir notre souveraineté nationale et européenne. La défense de cette souveraineté a été le fil rouge de notre action au coeur même de la crise.

Tout d'abord, nous avons protégé les salariés. Nous ne voulons pas de pertes d'emplois massives qui conduiraient à une disparition pure et simple de nos compétences et de savoir-faire difficiles à acquérir. Nous avons fait le choix de défendre ce qui constitue le coeur économique de notre pays : le capital humain.

Ensuite, nous avons soutenu nos entreprises de taille moyenne, intermédiaire ou très petite – PME, ETI et TPE – qui sont les forces vives de l'économie française. Nous avons fait en sorte que ce tissu productif tienne alors qu'il subit l'une des pires crises économiques de mémoire d'homme.

Enfin, nous avons défendu notre patrimoine industriel. Nous avons massivement soutenu certaines entreprises industrielles stratégiques. Nous avons renforcé le contrôle par l'État des investissements étrangers dans les entreprises stratégiques en l'étendant au secteur des biotechnologies et en abaissant de 25 % à 10 % du capital le seuil à partir duquel il est déclenché.

Après deux mois d'action dans l'urgence, quel bilan pouvons-nous déjà tirer ?

En cette période difficile, il faut savoir reconnaître aussi ce qui est positif : la France a tenu bon. La filière agroalimentaire, le réseau logistique et les acteurs de la distribution se sont mobilisés pour répondre aux besoins des Français dans des conditions particulièrement difficiles. Ils ont été au rendez-vous et je veux leur rendre hommage.

La crise a également révélé l'adaptabilité de notre économie. En l'espace d'un mois, nous avons réorienté notre appareil productif et commercial pour satisfaire les besoins en gel hydroalcoolique, masques, blouses, visières et respirateurs afin de lutter contre le covid-19.

Nous avons également su nous adapter grâce aux outils numériques. En l'espace d'un week-end, nous avons basculé de manière massive vers le télétravail alors que nombre d'entreprises nourrissaient des préventions à l'égard de ce mode de fonctionnement. Cela a été un succès.

La crise a néanmoins révélé des faiblesses structurelles. Tant la France que l'Union européenne sont trop dépendantes de pays tiers pour l'approvisionnement en produits intermédiaires et intrants – je pense, par exemple, aux principes actifs de médicaments ou aux composants électroniques de certains produits industriels.

Cette dépendance a créé des goulets d'étranglement qui ont grippé notre production nationale et engendré des difficultés pour des chaînes de valeur globales, pas seulement dans le secteur de la santé – ce dont ont témoigné les inquiétudes des industriels pendant la période de confinement de la Chine. La question s'est alors posée de la relocalisation de certains maillons critiques des chaînes de valeur et de la gestion des stocks stratégiques.

Une conclusion s'impose alors : nous devons renforcer l'empreinte industrielle de la France. Cette ambition, nous la défendons depuis le début du quinquennat et nous la défendrons encore davantage dans le cadre du plan de relance. Pour que notre pays puisse continuer d'être souverain, tant sur le plan économique que sur le plan énergétique ou sanitaire, nous devons construire un modèle compétitif et soutenable. Nous en avons déjà posé les jalons avec le pacte productif pendant la crise sanitaire. Le plan de relance permettra d'accélérer la transformation de notre économie.

Nous avons lancé la reconquête industrielle en France avec les territoires d'industrie. Initié il y a près d'un an et demi, ce programme est à la bonne échelle pour mener des expérimentations sur-mesure en matière de capital humain, de transition écologique et de transformation digitale. Les plans de soutien sectoriels que nous élaborons en ce moment poursuivent la même ambition. Ils permettront de protéger nos industries et d'implanter de nouvelles chaînes de production en France. Je tiens d'ailleurs à être claire : les plans de soutien sectoriels s'accompagneront de contreparties en matière de relocalisation, de transition écologique et d'investissement.

Avec les acquis du pacte productif, nous allons construire l'industrie de demain. Le premier enjeu est la décarbonation. Nous n'assurerons notre souveraineté énergétique au cours des prochaines décennies qu'en réduisant notre empreinte carbone. Même si, du fait de la conjoncture, les énergies fossiles n'ont jamais été aussi bon marché, parier sur une décarbonation structurelle revient à parier sur le long terme. Plus largement, nous faisons le pari de la réduction de l'empreinte environnementale comme facteur de différenciation et de compétitivité de nos entreprises.

Le deuxième enjeu est la relocalisation des éléments critiques de nos chaînes de valeur. Elle est nécessaire si nous voulons construire demain une France et une Europe souveraines, au nom de la souveraineté solidaire évoquée précédemment. Pour cela, notre stratégie devra s'articuler autour de trois axes.

Tout d'abord, nous devrons être compétitifs et attractifs. C'est une question de coût, mais aussi une question de simplification des réglementations – si nous avons été agiles pendant la crise sanitaire, c'est aussi parce que nous avons été capables de passer outre certaines d'entre elles.

Ensuite, nous devons identifier les points critiques de notre industrie et créer de nouvelles capacités. À cette fin, nous devrons nous inscrire dans une perspective européenne, comme nous l'avons fait avec les batteries électriques avant la crise du covid-19 et comme nous le ferons avec la création d'autres IPCEI – Important Project of Common European Interest, ou projets importants d'intérêt européen commun – dans des domaines comme la santé ou l'hydrogène, qui font l'objet de discussions intenses au conseil Compétitivité et au conseil Énergie de l'Union européenne.

Enfin, la France doit devenir une économie de l'innovation de rupture. En plus de relocaliser, nous devons créer une nouvelle chaîne de valeur centrée sur les transitions numériques et écologiques. Je pense par exemple à la 5G, à l'intelligence artificielle, au calcul quantique, au stockage d'énergie à haute densité ou à l'hydrogène.

Dans cette perspective, l'Europe doit être motrice. Comme l'ont rappelé hier le Président de la République et la chancelière allemande, le plan de relance qui se chiffrera en centaines de millions d'euros est nécessaire.

Enfin, le troisième enjeu est le capital humain. Nous avons déjà lancé une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences à l'échelle nationale, mais nous devrons mobiliser plus fortement encore les instruments de la formation professionnelle et de l'apprentissage pour faciliter les transformations de l'économie et protéger les salariés.

Mesdames et messieurs les députés, la crise du covid-19 a mis à l'épreuve les capacités de résistance de la France. Loin d'invalider le diagnostic que nous avions fait, elle renforce la nécessité d'accélérer la transformation écologique et numérique de notre économie. Tel est le sens du pacte productif et l'objectif du plan de relance. Nous devons être ambitieux et cohérents pour construire une France et une Europe souveraines capables de tenir leur destin en main.

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