Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du mardi 7 novembre 2017 à 16h30
Commission élargie : finances - affaires culturelles - affaires étrangères

Françoise Nyssen, ministre de la Culture :

Je consacrerai une large part de ce propos liminaire à la présentation de notre projet en faveur de l'audiovisuel, et plus particulièrement en faveur de l'audiovisuel public. La défense du pluralisme et de l'indépendance des médias est l'une des missions essentielles dont le ministère de la culture est chargé ; il s'agit sans doute de l'une des missions les plus étroitement liées à la santé de notre démocratie. Mais notre politique traditionnelle est incontestablement mise au défi, depuis plusieurs années, par le virage numérique. Nous sommes déterminés à engager les transformations qui permettront d'assurer la pérennité de notre modèle.

Il s'agit d'abord d'adapter notre modèle de régulation aux nouvelles réalités du secteur. La législation et la réglementation ont vieilli ; elles ont été conçues dans les années 1980, à une époque où n'existaient que six chaînes de télévision diffusées par voie analogique. Trente ans plus tard, tout a changé : le nombre de chaînes, la profusion de contenus, le numérique, l'arrivée des géants de l'Internet, les écrans connectés en tous lieux et en tout temps. Or, si elle a été modifiée de nombreuses fois, notre législation reste marquée dans son inspiration par ce temps qui fut celui de la rareté, auquel a succédé l'ère de l'abondance.

Par ailleurs, les règles sont aujourd'hui très contraignantes – qu'il s'agisse de contenus ou de financement – pour la télévision qui n'est plus le média dominant ; elles sont en revanche quasi inexistantes pour les plateformes. Depuis mai dernier, nous avons commencé à faire évoluer notre modèle pour y intégrer les médias numériques, au niveau national comme au niveau européen

Au niveau national, nous avons conduit une consultation sur l'évolution de la réglementation en matière de publicité à la télévision ; nos services sont en train d'en examiner les réponses.

Nous avons aussi ouvert le chantier de la réforme de la chronologie des médias, qui est une priorité pour adapter notre modèle aux nouveaux usages et sécuriser l'avenir de notre système de financement des oeuvres. À cette fin, j'ai confié une mission de médiation à M. Dominique d'Hinnin, pour faire aboutir les discussions professionnelles, bloquées depuis trop longtemps. Je lui ai donné six mois pour trouver un nouvel accord ; à défaut, le Gouvernement prendra ses responsabilités et n'exclut pas de proposer une solution législative, en lien étroit avec le Parlement.

Des avancées importantes ont eu lieu au sujet de la contribution des acteurs numériques au financement de la création. Je pense notamment à l'entrée en vigueur, au mois de septembre, des taxes dites « YouTube » et « Netflix », qui élargissent la taxe vidéo affectée au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à toutes les plateformes.

Enfin, j'ai annoncé il y a quelques semaines que le Gouvernement s'engageait franchement en matière de lutte contre le piratage des oeuvres et des contenus, un fléau que nous devons combattre par tous les moyens. J'y travaille avec mon collègue Mounir Majhoubi, secrétaire d'État au numérique.

Au niveau européen, je suis engagée pour la protection du droit d'auteur et pour la reconnaissance du droit voisin au profit des organismes de presse – l'une des clés pour assurer un modèle économique viable à la presse en ligne. J'ai participé en mai aux négociations sur la directive « services de médias audiovisuels » (SMA) actuellement en discussion avec la Commission européenne et le Parlement européen. La transposition de la directive devrait avoir lieu en 2018 en France ; elle ouvrira la possibilité d'une refonte de la régulation audiovisuelle posée par la loi de 1986.

En parallèle de ces chantiers de modernisation légale et réglementaire, nous allons engager une réforme de fond de l'audiovisuel public. Cette réforme repose sur une vision, des missions prioritaires et une méthode de transformation.

Je le redis avec force : les médias de service public jouent un rôle indispensable dans le paysage médiatique et dans notre société en général. À l'heure où les sources de contenus se multiplient, où l'information circule abondamment, les médias de service public ont une valeur de référence pour nos concitoyens ; ils offrent un repère essentiel. Nous voulons conforter ce rôle dans un environnement qui évolue fortement.

Cela suppose de réaffirmer les missions prioritaires de l'audiovisuel public. Elles se sont enrichies au fil des ans. Au-delà du traditionnel triptyque « informer, cultiver, divertir », l'audiovisuel public est aujourd'hui un acteur de premier plan en matière de soutien à la création, d'information et de services de proximité et aussi de rayonnement international pour la France.

Dans le contexte de profondes mutations que nous connaissons, l'audiovisuel public a sa carte à jouer en faisant le pari de la création et en proposant des programmes qui se distinguent dans un univers d'offre surabondante ; en restant à la pointe de l'offre numérique et multicanal pour s'adapter aux nouveaux usages ; en développant une stratégie ambitieuse à l'international. Je saisis cette occasion pour saluer le lancement récent de France 24 en espagnol : c'est une très belle avancée.

Ce positionnement stratégique nécessite de profondes transformations, dont certaines sont déjà engagées par les équipes dirigeantes : le Gouvernement est déterminé à accompagner ces changements.

Ces défis devront, vous le savez, être relevés dans un contexte contraint pour les finances publiques. Le Gouvernement s'est engagé, en responsabilité, dans une politique de redressement des comptes publics ; l'audiovisuel public doit contribuer à l'effort collectif – ce qui suppose d'ajuster les dotations prévues dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM) conclus par le précédent Gouvernement.

Le budget de l'audiovisuel public sera de 3,9 milliards d'euros en 2018. L'effort d'économies demandé est réel, je ne le conteste pas : ce budget est inférieur de 36 millions d'euros à celui de 2017, et de 80 millions d'euros par rapport aux COM. Mais c'est un effort soutenable : il représente moins de 1 % du budget de l'audiovisuel public et il ne remet aucunement en cause le soutien de l'État. Le budget pour 2018 reste supérieur à celui de 2016 et de 2015.

Dans ce contexte budgétaire, j'ai fixé quatre impératifs stratégiques à court terme : soutien à la création, information de référence, transformation numérique de l'offre et rayonnement international de la France.

Mais, pour préparer l'avenir, je souhaite que l'audiovisuel public s'engage dans une dynamique de transformation plus structurelle, en prenant appui sur trois leviers : la réflexion sur le périmètre des missions et sur l'efficacité de leur mise en oeuvre, le financement et la gouvernance.

La réflexion sur le périmètre des missions et sur l'efficacité de leur mise en oeuvre fait actuellement l'objet d'un travail interministériel associant mon ministère à celui de l'économie et des finances et à celui de l'action et des comptes publics. Les sociétés de l'audiovisuel public, étroitement associées à ce travail, devraient nous faire part de leurs premières pistes de réforme d'ici la mi-novembre, et la réflexion se poursuivra jusqu'au début de l'année 2018.

À ce stade, le travail porte sur les coopérations et les synergies qui peuvent être trouvées entre les acteurs du secteur, à l'image de ce qui a été engagé avec France Info, mais nous n'écarterons aucune piste pour l'avenir. Certains considèrent qu'il faut aller plus loin, en regroupant les sociétés de l'audiovisuel public ; je souhaite que le débat ait lieu.

La transformation du secteur devra s'accompagner d'un débat sur son financement. Pour ce qui est de la contribution à l'audiovisuel public, aucun impératif financier ne justifiait une réforme à très court terme. La priorité pour le PLF 2018, vous le savez, est la réforme de la taxe d'habitation. Néanmoins, à moyen terme, l'évolution des usages amène à s'interroger sur le rendement de la contribution et sur l'équité entre contribuables. Aussi, comme je l'ai déjà dit, je souhaite qu'un débat soit ouvert, notamment sur l'élargissement de l'assiette. Nous avons lancé la réflexion à ce sujet ; elle aboutira dans les prochains mois et je souhaite pouvoir m'exprimer sur ce sujet dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019. Sachez que le Gouvernement n'est pas favorable au retour de la publicité après 20 heures sur les antennes de France Télévisions : c'est un élément fort de distinction du service public.

Le dernier chantier de transformation concerne la gouvernance de l'audiovisuel public, corollaire indispensable aux autres réformes. Nous connaissons les limites du système actuel. Je souhaite que l'on ouvre le sujet, comme le président de la République s'y est engagé pendant la campagne électorale et comme le Premier ministre me l'a demandé dans sa lettre de mission. Cela concerne d'une part les COM, dont les périodes ne sont pas alignées, d'autre part le mode de nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public.

Sur ces deux dossiers, comme sur tous ceux que je viens d'évoquer, je serai évidemment à l'écoute de vos propositions et je me tiendrai à votre disposition pour répondre à vos questions. Je tenais à prendre un peu de temps pour vous présenter ces chantiers décisifs qui traduisent notre forte ambition pour les médias de service public et qui doivent en préparer l'avenir.

Je voudrais maintenant vous exposer les grandes lignes de notre budget pour la mission « Médias, livres et industries culturelles ». À périmètre constant par rapport à 2017, les moyens de cette mission seront quasiment stables l'année prochaine.

S'agissant du soutien de la presse, le projet de budget pour 2018 sanctuarise nos deux priorités : les aides au pluralisme sont intégralement maintenues et tous les dispositifs d'aide à l'innovation et à la transformation numérique sont préservés. Nous continuerons à soutenir la filière de la distribution de la presse en tenant compte des évolutions du marché et de la restructuration du secteur. Ainsi, les moyens de l'aide au portage diminueront, pour suivre l'évolution des volumes, et les aides à la distribution sont maintenues. Pour préparer l'avenir de la filière, nous avons confié une mission de réflexion à M. Gérard Rameix.

Les moyens de l'Agence France Presse (AFP) sont légèrement ajustés, mais consolidés à un niveau supérieur au COM. Nous avons par ailleurs engagé une réflexion prospective avec l'AFP sur ses projets, ses investissements technologiques et le développement de sa marque à l'international.

Le projet de budget 2018 réaffirme par ailleurs notre soutien aux radios locales. Les moyens du fonds de soutien à l'expression radiophonique sont confortés à 31 millions d'euros, niveau historique.

S'agissant des industries culturelles, j'ai évoqué par ailleurs l'accompagnement des secteurs du livre et de la musique, mais je saisis cette occasion pour vous redire à quel point le soutien à la musique et à son rayonnement international me paraît essentiel. C'est pourquoi nous avons décidé d'augmenter significativement la contribution du ministère de la culture au Bureau Export de la musique. Cette augmentation est une première étape ; elle sera poursuivie les années suivantes, dans un effort que j'espère partagé avec les professionnels.

Pour le cinéma et l'image animée, nous allons renforcer le soutien à la création française. Le budget du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) s'établira à 724 millions d'euros, en hausse de 17 millions d'euros. Comme vous le savez peut-être, le Conseil constitutionnel a rendu, fin octobre, une décision importante sur la taxe sur les services de télévision, principale ressource du CNC et qui était contestée par les chaînes. Le Conseil a invalidé la taxe mais a reporté l'effet de sa décision au 1er juillet 2018, ce qui laisse le temps au Gouvernement et au Parlement d'apporter les corrections nécessaires et permet de sécuriser les ressources du CNC : c'est une très bonne nouvelle. Ces rectifications figureront dans le projet de loi de finances rectificative pour 2017 qui vous sera bientôt soumis. Enfin, les crédits d'impôt pour le cinéma, l'audiovisuel et les jeux vidéo sont intégralement préservés, après la forte revalorisation des deux dernières années.

Dans l'ensemble des domaines, la création française est donc soutenue de façon pérenne.

Tel est l'essentiel des orientations du projet de budget de la mission Médias, Livre et Industries culturelles pour 2018. Dans chacun des secteurs, à commencer par l'audiovisuel public, nous souhaitons porter un budget de transformation garantissant les principes intemporels que sont l'indépendance et la diversité du paysage culturel, tout en préparant l'avenir.

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