L'application ne serait pas intrusive, nous dit le Gouvernement, ou du moins elle serait beaucoup moins intrusive qu'elle n'aurait pu l'être. Très bien ! La technologie évitera la géolocalisation, les données seront pseudo-anonymisées et son utilisation reposera sur une démarche volontaire.
Je ne vous parlerai donc pas de la pression sociale qui va à l'encontre du principe du volontariat ; je ne vous parlerai pas non plus du fait que les publics cibles ne sont pas équipés ; je nous vous parlerai donc pas de la fracture numérique puisque ces questions ont été réglées par la parole d'évangile gouvernementale. La foi laïque va nous sauver !
D'ailleurs, la CNIL a donné son aval. La CNIL a en effet rappelé la nécessité d'un cadre normatif précis : le dispositif doit être temporaire ; son existence doit être dûment justifiée, notamment au regard du RGPD que la garde des sceaux évoquait tout à l'heure ; sa durée et sa portée devront être proportionnées au résultat recherché ; enfin, la CNIL rappelle que l'ensemble des données devront être détruites à l'issue de la période. Tout va bien, donc !
En réalité, elle a aussi émis des réserves et formulé des demandes qu'il convient de citer. Elle souhaite assurer le suivi de l'application en lien – et il faudra trouver le moyen d'assurer leur coordination – avec le Comité de contrôle et de liaison covid-19 créé par la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.
Plus qu'un blanc-seing, c'est un mode d'emploi que délivre la CNIL, dans l'état d'esprit qui est le sien depuis plus de quarante ans. Il faut rappeler, comme vous l'avez fait, madame la garde des sceaux, que la CNIL a été créée en 1978 à la suite des interrogations suscitées par certains grands fichiers des années 1970, notamment le fichier SAFARI, dont le nom avait permis à un grand journal du soir de titrer : « SAFARI ou la chasse à l'homme ». Comparaison n'est pas raison, aussi n'en ferai-je pas, mais l'histoire peut radoter.
Le coeur de notre interrogation, ce sont les libertés publiques et individuelles. Le débat, qui n'est pas si récent, est éthique et juridique en plus d'être un débat de santé publique : les technologies sont-elles conciliables avec la protection de nos libertés et avec l'État de droit ? Cette question, qui justifie la présence de la garde des sceaux, est vieille comme le monde numérique.
Le problème est que nous nous trouvons déjà dans un état d'exception : depuis la loi du 23 mars, nous sommes en état d'urgence sanitaire, c'est-à-dire un état exorbitant du droit commun, dans lequel des pans complets de notre droit sont déjà malmenés, y compris des droits fondamentaux comme la liberté d'aller et venir.