Intervention de Jérôme Lambert

Séance en hémicycle du mercredi 3 juin 2020 à 15h00
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

Pour compléter l'intervention que j'ai faite il y a quelques minutes lors de la présentation de la motion de rejet préalable, je reprends la parole au nom du groupe Socialistes et apparentés, pour vous indiquer que ce projet de loi ne doit pas être le cadre d'expérimentations ou de mesures dont le caractère exceptionnel déroge de façon excessive au droit en vigueur, particulièrement lorsqu'il s'agit de réformes concernant la réorganisation de la justice, la réorientation des procédures et le droit des étrangers. Je souhaiterais revenir brièvement sur chacun de ces points.

S'agissant des cours criminelles départementales, ce projet de loi ne doit pas étendre des formes d'expérimentation dont l'évaluation n'a, par ailleurs, pas encore été menée. Créées par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, les cours criminelles sont expérimentées depuis peu. L'objectif poursuivi par la chancellerie consistait à réduire les délais de jugement pour certaines affaires criminelles, en ne faisant siéger que des magistrats professionnels, sans jurés populaires.

Conformément à l'article 63 de la loi de programmation, cette expérimentation a été mise en oeuvre dans une dizaine de départements. Or le Gouvernement profite aujourd'hui de l'état d'urgence sanitaire pour demander une habilitation lui permettant d'étendre cette expérimentation à dix-huit nouveaux départements.

Nous sommes attentifs au principe d'oralité des débats et donc extrêmement inquiets de cette extension, alors même qu'aucune évaluation de l'expérimentation n'a été élaborée. La seule justification donnée par l'étude d'impact repose sur l'annulation des sessions d'assises durant la période de crise sanitaire et sur le retard ainsi pris dans les audiencements. Or un tel projet d'extension d'expérimentation ne saurait reposer sur les deux mois de crise épidémique majeure, sans évaluation d'une expérimentation non achevée.

S'agissant de la réorientation des procédures contraventionnelles ou correctionnelles, le projet de loi autorise le président du tribunal judiciaire ou le juge par lui délégué, sur requête du procureur de la République, à décider, par ordonnance prise dans l'intérêt de la bonne administration de la justice au moins un mois avant la date prévue pour l'audience, de renvoyer la procédure au ministère public afin que celui-ci apprécie à nouveau la suite à y donner. Cela ne semble pas être une bonne mesure d'administration judiciaire.

Concernant enfin le droit des étrangers, les titres de séjour ont certes été prorogés mais je souhaiterais revenir sur une autre disposition : la suppression par le Sénat, dans la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de la mention de la délivrance par l'administration de récépissés lors du dépôt d'une demande de titre de séjour ou lors de son renouvellement. Avec la dématérialisation de ces documents provisoires, la fixation des conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à séjourner en France pendant l'instruction de leur demande serait ainsi renvoyée au pouvoir réglementaire, dont elle relève. Cela ne semble pas être une mesure favorable aux étrangers, même si resterait toutefois maintenue dans la loi la mention explicite que les réfugiés et les titulaires de la protection subsidiaire bénéficient du droit d'exercer la profession de leur choix, eu égard à l'importance de ce droit.

En conclusion, je souhaiterais attirer votre attention sur un autre volet très préoccupant du projet de loi, celui relatif au droit social. L'état d'urgence ne doit pas aboutir, comme c'est le cas avec ce projet de loi, à un assouplissement et à une flexibilité accrue du droit du travail en ce qui concerne la prolongation des CDD, le recours au prêt de main-d'oeuvre entre entreprises ou l'intérim. Un ensemble de dispositions contenues dans ce projet de loi dérégule ces différents domaines ; cela ne doit pas être accepté, même si c'est provisoire. L'urgence ne doit pas préfigurer la banalisation de l'exception. Comme je le disais tout à l'heure, on sait quand commencent les mesures exceptionnelles, mais on ne sait jamais vraiment quand elles risquent de prendre fin. Ce projet de loi ne doit pas être la préfiguration de ce que serait le droit du travail dans quelques années. Ce sont les raisons pour lesquelles le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte.

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