Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du jeudi 4 juin 2020 à 15h00
Nécessité du rachat de la dette publique par la banque centrale européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

La France et l'Europe sont entrées dans une des pires récessions de leur histoire récente : selon les estimations dont nous disposons, le PIB de la zone euro reculerait de 7,7 % en 2020. Cette vague a submergé les tabous maastrichtiens.

Nous rejoignons donc le Président de la République, pour une fois, lorsqu'il déclarait en novembre dernier que la règle des 3 % du PIB était un débat d'un autre siècle. Le même déclarait le 12 mars qu'il fallait sauver notre économie « quoiqu'il en coûte » ; « Quoi qu'il en coûte », a-t-il répété.

Nous avons donc voté deux lois de finances rectificatives faisant le choix de recourir massivement à la dépense publique et à l'emprunt pour éviter un effondrement économique et social. Cet engagement était nécessaire en situation d'urgence, bien que nous pensions que les prêts bancaires que l'on a fait contracter à tous crins sont dangereux. Mais à présent, quels engagements face aux autres urgences ?

Rappelons-nous qu'en avril 2019, le chef de l'État, à une soignante qui lui demandait plus de moyens pour les hôpitaux, avait répondu : « Il n'y a pas d'argent magique. » Rappelons-nous aussi des réponses à nos demandes d'augmenter l'investissement, notamment public, pour lutter contre l'urgence climatique et environnementale.

Quoi qu'il en soit, en 2020 le déficit public devrait dépasser 10 %, tandis que la dette publique sera sans doute supérieure à 115 % ou à 120 % du PIB, cela a été maintes fois relevé.

La pandémie de covid-19 touchant les autres pays membres de l'Union européenne et de la zone euro, la Banque centrale européenne a présenté, dès le 9 mars, un programme d'achats d'urgence face à la pandémie, de 750 milliards d'euros, pour tenter de contenir les répercussions de la pandémie sur l'économie. Ce dernier vient d'être enrichi de 600 nouveaux milliards et sera prolongé jusqu'à fin juin 2021 ; cette enveloppe pourrait d'ailleurs être rallongée dans les prochains jours.

En rachetant ainsi massivement de la dette sur les marchés, la BCE tente de soulager les banques et de les inciter à maintenir, voire à relancer les prêts aux ménages et aux entreprises pour soutenir la production et l'emploi. Notons d'ailleurs que la BCE veut organiser ces rachats sur le marché de manière flexible et mettre l'accent sur certains titres souverains en grande difficulté.

À titre de comparaison, de mars 2015 à décembre 2018, la banque centrale avait acheté des titres du secteur public, pour un total de 2 600 milliards. Ces interventions se situent, nous le savons, aux limites du mandat actuel de la BCE. C'est d'ailleurs ce qui alimente la controverse avec la cour constitutionnelle allemande.

Nos collègues du groupe de La France insoumise veulent aller plus loin. Ils nous proposent que la BCE, plutôt que de racheter aux banques privées des titres de dette des États, rachète directement de la dette publique des États membres pour la stocker comme dette perpétuelle à taux nul, c'est-à-dire sans donner lieu à paiement d'intérêts.

Pour les émissions de dettes futures, ils proposent que ce soit directement la BCE qui émette de la dette publique des États à taux nul ou à des taux négatifs pour les maturités à très long terme. L'approche est intellectuellement stimulante, il faut le reconnaître ; elle repose sur le postulat du caractère exceptionnel, global et inédit de la crise actuelle. Elle alimente d'ailleurs les débats d'économistes entre les partisans de la restructuration et ceux de la monétisation. À ce stade, elle se heurte au fait que la BCE s'interdit pour le moment d'acheter de la dette d'une maturité supérieure à trente ans, y compris dans son programme d'achats d'urgence face à la pandémie.

Plus globalement – c'est au demeurant le souhait de nos collègues de La France insoumise – cela suppose de remettre sur la table les dogmes économiques de l'Union européenne, les traités qui la régissent et, enfin, les statuts et le mandat de la BCE, y compris la sacro-sainte lutte contre l'inflation.

Cette proposition de résolution sans détour a le mérite de repenser notre endettement, même si elle se confronte, cela a été aussi souligné, à de nombreux obstacles.

Les députés du groupe Libertés et territoires n'ont pas le même avis à son sujet. À titre personnel, je voterai en sa faveur, parce qu'elle a le mérite de mettre à l'agenda européen des réponses inédites aux questions liées à la dette des pays européens. Le débat doit absolument cheminer en temps de guerre.

Nos échanges au sein de notre groupe ont montré qu'au-delà de nos divergences d'approche, nous nous rejoignons sur l'impératif que l'Union européenne ne sorte pas affaiblie de cette crise, car d'autres défis nous attendent : comment financer l'indispensable transition écologique, vecteur de croissance de demain, si notre taux d'endettement à l'issue de la présente crise est trop important ? Là encore, il nous faudra dépasser certains dogmes et croyances. Il est du rôle de la France de porter une voix singulière auprès des partenaires européens, afin qu'une politique monétaire audacieuse redonne des marges de manoeuvre budgétaires pour financer l'avenir. Nous en avons besoin.

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