De très nombreux Français attendent, malgré le contexte compliqué lié à la pandémie, une décision de justice, car elle est pour eux d'un intérêt primordial. Bien que la protection sanitaire doive prévaloir et ait eu pour conséquence la fermeture de nombreux tribunaux – tant au public qu'aux professionnels – pour empêcher la propagation de l'épidémie, le respect des libertés fondamentales et des droits de tous sont, bien entendu, tout aussi essentiels.
Entre le 16 mars et le 11 mai, les procès d'assises ont été reportés, tout comme la majorité des audiences des tribunaux correctionnels ou civils. Les audiences maintenues étaient principalement les comparutions immédiates. Or, lors de votre audition devant la mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de covid-19 à l'Assemblée nationale le 8 avril dernier, vous annonciez, madame la garde des sceaux, que les tribunaux restaient ouverts pour le travail lié aux contentieux d'urgence et aux contentieux essentiels, comme les procédures concernant les violences au sein de la famille, les atteintes aux personnes, ou encore le non-respect des règles du confinement. Ce que nous avons vu, c'est une très grande disparité de fonctionnement entre les juridictions, et une application des instructions de la Chancellerie qui variait très fortement d'une juridiction à l'autre.
Ce ralentissement de l'activité des juridictions est inédit. Il est préoccupant, d'autant qu'il vient s'ajouter aux difficultés liées à la grève des avocats, que vous avez, hélas, particulièrement mal gérée en amont de la pandémie. Ce nouveau ralentissement de l'activité judiciaire tient en grande partie au manque de lisibilité dans la mise en application des plans de continuité de l'activité qui a, dans certains cas, entraîné un arrêt quasi-total des juridictions.
Ma première question est très simple : était-il indispensable de réduire à ce point le fonctionnement des juridictions, et, si oui, pourquoi ?
Pour remédier à ce ralentissement, vous expliquez que 1 000 vacataires seront recrutés, pendant trois mois, pour soutenir les greffes. Pensez-vous sérieusement que cela sera suffisant ? Manifestement non, puisque le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire prévoit d'autres mesures, à savoir la réorientation des contentieux et l'extension des cours criminelles. Dans les deux cas, on peut s'inquiéter des conséquences de ces mesures sur l'indépendance de la justice et sur les droits de la défense.
Tout cela, ce ne sont que des mesures d'économies, qui tentent de masquer le manque d'ambition véritable de ce gouvernement pour la justice judiciaire, d'autant que, dès le début du confinement, votre ministère a procédé sans ambages au remerciement de tous les magistrats exerçant à titre temporaire dans les tribunaux. Alors qu'ils avaient rendu des services importants à l'institution judiciaire, ils se sont retrouvés sans ressource, et la plupart d'entre eux n'ont d'ailleurs toujours pas touché, à l'heure où je parle, les indemnités qui leur sont pourtant dues.
Ce quasi-arrêt de l'activité judiciaire a conduit au report de plusieurs milliers d'affaires, ce qui va encore aggraver l'engorgement déjà très fort des juridictions. Madame la ministre, je vous le dis tout de go : la réponse du Gouvernement n'a, hélas, pas été à la hauteur des enjeux. Vous qui nous avez tant vanté les mérites de votre loi de programmation et de réforme pour la justice et sa modernité en matière de déploiement du numérique, comment expliquez-vous que ce plan de transformation numérique n'ait pas produit d'effets – ou si peu ? La dématérialisation des procédures civiles aurait dû permettre la poursuite des mises en état et la notification des jugements, mais force est de constater que ni les magistrats, ni encore moins les greffiers, ne peuvent tous travailler de chez eux, faute d'avoir accès à des logiciels sécurisés. En conclusion, beaucoup de justiciables pâtissent de cette absence de réponse et les dossiers ne cessent de s'amonceler dans les tribunaux.
Quelle stratégie envisagez-vous pour répondre enfin aux légitimes attentes des justiciables et des professionnels du droit qui ont besoin de réponses et de sécurité juridique ? Depuis la levée du confinement, voilà maintenant un mois, on constate en effet que la reprise de l'activité juridictionnelle n'intervient que très progressivement – c'est un euphémisme !