La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt-deux heures trente.
L'ordre du jour appelle le débat sur le fonctionnement de la justice pendant la crise du covid-19.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.
La séance est reprise.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à M. Patrick Hetzel.
De très nombreux Français attendent, malgré le contexte compliqué lié à la pandémie, une décision de justice, car elle est pour eux d'un intérêt primordial. Bien que la protection sanitaire doive prévaloir et ait eu pour conséquence la fermeture de nombreux tribunaux – tant au public qu'aux professionnels – pour empêcher la propagation de l'épidémie, le respect des libertés fondamentales et des droits de tous sont, bien entendu, tout aussi essentiels.
Entre le 16 mars et le 11 mai, les procès d'assises ont été reportés, tout comme la majorité des audiences des tribunaux correctionnels ou civils. Les audiences maintenues étaient principalement les comparutions immédiates. Or, lors de votre audition devant la mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de covid-19 à l'Assemblée nationale le 8 avril dernier, vous annonciez, madame la garde des sceaux, que les tribunaux restaient ouverts pour le travail lié aux contentieux d'urgence et aux contentieux essentiels, comme les procédures concernant les violences au sein de la famille, les atteintes aux personnes, ou encore le non-respect des règles du confinement. Ce que nous avons vu, c'est une très grande disparité de fonctionnement entre les juridictions, et une application des instructions de la Chancellerie qui variait très fortement d'une juridiction à l'autre.
Ce ralentissement de l'activité des juridictions est inédit. Il est préoccupant, d'autant qu'il vient s'ajouter aux difficultés liées à la grève des avocats, que vous avez, hélas, particulièrement mal gérée en amont de la pandémie. Ce nouveau ralentissement de l'activité judiciaire tient en grande partie au manque de lisibilité dans la mise en application des plans de continuité de l'activité qui a, dans certains cas, entraîné un arrêt quasi-total des juridictions.
Ma première question est très simple : était-il indispensable de réduire à ce point le fonctionnement des juridictions, et, si oui, pourquoi ?
Pour remédier à ce ralentissement, vous expliquez que 1 000 vacataires seront recrutés, pendant trois mois, pour soutenir les greffes. Pensez-vous sérieusement que cela sera suffisant ? Manifestement non, puisque le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire prévoit d'autres mesures, à savoir la réorientation des contentieux et l'extension des cours criminelles. Dans les deux cas, on peut s'inquiéter des conséquences de ces mesures sur l'indépendance de la justice et sur les droits de la défense.
Tout cela, ce ne sont que des mesures d'économies, qui tentent de masquer le manque d'ambition véritable de ce gouvernement pour la justice judiciaire, d'autant que, dès le début du confinement, votre ministère a procédé sans ambages au remerciement de tous les magistrats exerçant à titre temporaire dans les tribunaux. Alors qu'ils avaient rendu des services importants à l'institution judiciaire, ils se sont retrouvés sans ressource, et la plupart d'entre eux n'ont d'ailleurs toujours pas touché, à l'heure où je parle, les indemnités qui leur sont pourtant dues.
Ce quasi-arrêt de l'activité judiciaire a conduit au report de plusieurs milliers d'affaires, ce qui va encore aggraver l'engorgement déjà très fort des juridictions. Madame la ministre, je vous le dis tout de go : la réponse du Gouvernement n'a, hélas, pas été à la hauteur des enjeux. Vous qui nous avez tant vanté les mérites de votre loi de programmation et de réforme pour la justice et sa modernité en matière de déploiement du numérique, comment expliquez-vous que ce plan de transformation numérique n'ait pas produit d'effets – ou si peu ? La dématérialisation des procédures civiles aurait dû permettre la poursuite des mises en état et la notification des jugements, mais force est de constater que ni les magistrats, ni encore moins les greffiers, ne peuvent tous travailler de chez eux, faute d'avoir accès à des logiciels sécurisés. En conclusion, beaucoup de justiciables pâtissent de cette absence de réponse et les dossiers ne cessent de s'amonceler dans les tribunaux.
Quelle stratégie envisagez-vous pour répondre enfin aux légitimes attentes des justiciables et des professionnels du droit qui ont besoin de réponses et de sécurité juridique ? Depuis la levée du confinement, voilà maintenant un mois, on constate en effet que la reprise de l'activité juridictionnelle n'intervient que très progressivement – c'est un euphémisme !
Le Conseil national des barreaux, qui représente les 70 000 avocats de France, a demandé une suspension totale des congés d'été dans les juridictions. Lui répondrez-vous favorablement, pour enfin faire face à l'urgence judiciaire qui succède à l'urgence sanitaire ? Il y a là des besoins impérieux. Nous attendons non seulement des réponses, mais aussi des actions de la part du Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Peut-être y a-t-il un peu de caricature dans vos propos, monsieur Hetzel.
Le confinement a évidemment et logiquement ralenti le fonctionnement des juridictions. Je souhaite cependant remercier tous les personnels judiciaires qui ont continué à travailler et à tenir les tribunaux.
J'ai vu, au tribunal de Quimper, des personnels, notamment la présidente du tribunal de grande instance, faire tout ce qu'ils pouvaient dans des circonstances extrêmement compliquées.
Il était bien sûr nécessaire de préserver au mieux les droits de chacun. C'est, me semble-t-il, ce qui a été fait. Pour cette raison, les procédures et les délais ont dû être aménagés durant la période. Tel fut l'objet des nombreuses ordonnances prises par le ministère de la justice.
Cette crise a aussi révélé des fragilités et amplifié les problèmes qui préexistaient à l'épidémie de covid-19. Je pense toutefois qu'elle peut aussi être perçue comme une occasion d'améliorer le fonctionnement de notre système judiciaire. Il importe de souligner que la continuité de certains contentieux essentiels a été assurée pendant cette période, grâce à la mobilisation des acteurs de la chaîne judiciaire.
On a également constaté, dans plusieurs domaines, une certaine créativité. Je songe par exemple au traitement des violences intrafamiliales, qui a fait l'objet d'une très forte mobilisation durant le confinement. Peut-être faut-il pérenniser certains dispositifs qui ont fait la preuve de leur efficacité, comme le signalement des violences auprès des pharmaciens, qui s'est révélé pertinent. Plusieurs autres dispositifs, comme la plateforme de logements visant à permettre l'éviction des conjoints violents ou la ligne d'écoute téléphonique à l'intention des hommes qui se sentent au bord du passage à l'acte, ont perduré et ont eux aussi montré leur efficacité.
Un des grands enseignements de cette crise fut la gestion de la question pénitentiaire, qui a présenté un certain intérêt. Peut-être devons-nous, en la matière, tirer des enseignements de cette crise. Il faut d'abord souligner que, sur le plan sanitaire, très peu de contaminations ont eu lieu en milieu carcéral. Les dangers ont été bien identifiés, et la réactivité de l'administration a permis de prévenir efficacement la crise. Les libérations anticipées, couplées à la diminution des mises sous écrou, ont permis de diminuer fortement la population carcérale, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Nous nous trouvons ainsi dans une situation assez inédite, puisque la France ne connaît pas de surpopulation carcérale.
Si seulement c'était vrai ! À Béthune, le taux d'occupation est de 140 % !
Essayons de garder ce cap et de maintenir le nombre de détenus à son niveau actuel. Chacun sait, en effet, qu'un véritable travail de réinsertion peut être mené dans les prisons dès lors qu'elles ne sont pas surpeuplées. Les surveillants avec lesquels j'ai discuté m'ont d'ailleurs clairement expliqué qu'il leur était actuellement beaucoup plus simple que d'habitude de faire un vrai travail d'insertion.
Un autre aspect positif de la crise réside dans la grande coordination entre les acteurs de la chaîne pénale, notamment entre l'administration pénitentiaire, les procureurs et les juges d'application des peines. Il faut maintenir et amplifier ces réussites.
Parmi les enseignements de la crise figure également la question du numérique. Il s'agit là d'un véritable enjeu : quel développement numérique voulons-nous pour la justice ? C'est un chantier essentiel, que vous avez déjà engagé, madame la ministre, dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice. La crise sanitaire a mis en évidence la nécessité absolue de le mener à terme. Il faudra, selon moi, repenser ce rapport au numérique…
… et amplifier le mouvement. Des questions se sont posées, comme en témoigne l'exemple des greffiers n'ayant pas eu accès au télétravail.
Nous devons progresser sur ces sujets.
Comme je l'ai déjà dit au cours des différentes auditions que nous avons menées, il faut imaginer que, de même qu'il existe à Bercy un site impots. gouv. fr, qui permet à chaque citoyen de disposer d'un état simple de son dossier… Mais je vois qu'il est temps de conclure !
La vigilance s'impose quant à l'usage du numérique et de la vidéo-audience. Il faudrait faire attention…
Le Gouvernement a pris par voie d'ordonnances un ensemble de mesures destinées à répondre à la menace de l'épidémie et à protéger les professionnels et les justiciables, tout en préservant – c'était en tout cas son souhait – la continuité du service public de la justice. Dans le domaine pénitentiaire, un constat s'impose : non seulement les prisons n'ont pas été submergées par le virus, mais nous sommes passés de 72 400 détenus à 61 000 fin avril 2020. La remise en liberté de ceux qui étaient les plus proches de leur fin de peine et la réduction du nombre des entrants expliquent cette réduction de plus de 11 500 personnes. Nous proposions d'aller plus loin en retenant la possibilité d'un examen par le juge de l'application des peines d'une libération à moins de quatre mois de la fin de peine, plutôt qu'à moins de deux mois. Je pense toujours, madame la ministre, que nous devrions aller jusque-là.
Les juges d'application des peines, les procureurs, les avocats, mais aussi, au quotidien, les surveillants pénitentiaires et leurs directions se sont mobilisés de manière exemplaire et je veux leur dire ici notre reconnaissance. Les surveillants sont allés au travail sans masque, dans un lieu de confinement où la distanciation était difficile. Ils ont géré la suppression compliquée des parloirs et organisé des circulations internes et des quarantaines pour les entrants, de telle sorte que les maisons d'arrêt, en particulier, ne soient pas de potentiels clusters.
Si nous ne voulons pas à nouveau faire subir aux détenus et aux surveillants les conséquences de la surpopulation ni encourir une nouvelle condamnation de la part de la Cour européenne des droits de l'homme, nous n'avons pas d'autre choix que de faire perdurer les mesures prises pendant la crise sanitaire. Les directeurs des centres pénitentiaires voient croître le nombre d'incarcérations et craignent un retour de la surpopulation carcérale, que la politique volontariste de régulation menée par l'intermédiaire des procureurs ne suffira pas à prévenir. Or le risque sanitaire ne nous permet pas de retrouver les chiffres que nous connaissions avant l'épidémie.
L'octroi de 40 euros de crédit téléphonique est venu compenser l'arrêt des parloirs pendant le confinement, et cela a été apprécié. Mais, on le sait bien, c'est tout le dispositif qui est anachronique et injuste, parce qu'il coûte cher aux détenus, souvent en situation précaire. L'usage d'un téléphone portable bridé serait moins coûteux et constituerait un soulagement pour les détenus comme pour les surveillants pénitentiaires.
Le temps passant, la continuité du service public de la justice n'a pas été assurée de la même manière sur l'ensemble du territoire. Quelques juridictions ont tenté, dans le respect des gestes barrières, de poursuivre leurs activités au-delà des seules urgences et du domaine pénal, et cet effort a été salué localement par les avocats et les justiciables. Le barreau de Lyon, par exemple, qui n'est pas l'un des moindres, a signalé que le tribunal judiciaire de Grenoble et la cour de Montpellier avaient mis en place un processus de dépôt de dossiers dématérialisé par l'intermédiaire de la plateforme Atlas, mais que ce n'était pas la pratique dans d'autres juridictions. De telles disparités ont porté atteinte au principe d'égalité des usagers face au service public de la justice et compliqué la lisibilité de son action. C'est d'ailleurs pour cette raison que, le 22 avril dernier, nous avions adressé au Premier ministre et à vous-même, madame la ministre, une lettre demandant de faire évoluer ce plan sans attendre la date du 11 mai et de revenir au plus tôt au fonctionnement juridictionnel normal. Les grandes et petites juridictions et les tribunaux spécialisés pourraient ainsi, selon leurs moyens, s'engager dans le traitement de dossiers de fond en concertation avec les greffiers et les avocats, dans le respect des gestes barrières qui s'imposent à nous tous.
Dans les cas où les juridictions ont réduit leur activité aux affaires judiciaires urgentes, on a pu constater que des pans entiers de l'activité juridictionnelle avaient été suspendus, tout particulièrement dans le contentieux civil et prud'homal. Au-delà des questions juridiques, ce sont pourtant les vies des justiciables qui sont en jeu. Les professionnels de la justice qui ont pu nous parler décrivent d'ailleurs des tribunaux dans lesquels des audiences pouvaient se tenir en respectant les mesures de prévention sanitaire. Le plan de continuation de l'activité a donc été un cadre limitant.
En outre, on a très vite constaté que le télétravail était impossible pour les greffiers, faute de logiciel dédié à la procédure civile et d'ordinateurs portables. Les magistrats ont rendu leurs jugements, mais ceux-ci attendent une notification. Ce que les avocats pouvaient faire avec le RPVA, le réseau privé virtuel des avocats, la justice ne le pouvait pas, faute d'un équipement suffisant en logiciels et en matériel numérique. Le pénal a moins souffert, mais le civil est aux abois. Ainsi, les chambres civiles et correctionnelles et le juge du contentieux de la protection sont en grande difficulté. Il faut désormais un an pour une première convocation en cas de divorce, ce qui n'est pas supportable pour les justiciables. Il faut donc reporter l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 23 mars 2019, et pas seulement jusqu'à janvier ou mars 2021 : optons pour une seule et même date, qui pourrait être en septembre 2021, voire en janvier 2022, afin de laisser les juridictions retrouver un rythme normal.
Enfin, nous nous interrogeons sur l'extension de l'expérimentation concernant la chambre criminelle.
Ce débat sur le fonctionnement de la justice durant la crise nous permet d'aborder trois sujets majeurs. Le premier concerne la profession d'avocat. Pendant le confinement, tous les professionnels ont dénoncé l'impossibilité de défendre leurs clients dans de bonnes conditions, en raison des dysfonctionnements des moyens électroniques, de l'absence de masques et de gel dans les prisons et les tribunaux ou des potentielles atteintes à la confidentialité des échanges avec leurs clients.
De plus, la situation économique des avocats s'est particulièrement détériorée. Ils nous ont alertés à plusieurs reprises à propos des difficultés qu'ils rencontrent : impossibilité d'accéder aux prêts garantis par l'État, en particulier pour ceux qui exercent dans le cadre d'une association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle, difficulté d'obtenir des indemnités journalières pour vulnérabilité ou garde d'enfants et, pour certains, problèmes d'accès au fonds de solidarité. Nous avons saisi le ministre de l'économie et des finances à ce sujet.
Un sondage effectué par le Conseil national des barreaux pour évaluer les conséquences de la crise sanitaire sur l'exercice de la profession, auquel plus de 10 000 avocats y ont répondu en trois jours, confirme la gravité de la situation. La quasi-totalité de ces professionnels ont vu leur activité touchée par la crise sanitaire et les mesures de confinement ; 41 % des avocats exerçant de façon individuelle ont totalement arrêté leur activité depuis le début ; 80 % ont déclaré que leur chiffre d'affaires s'était réduit de plus de 50 % et 61 % ont dû solliciter le fonds de solidarité de l'État ; 77 % des avocats individuels et des avocats associés ont déclaré qu'ils renonçaient totalement ou partiellement à leur rémunération. Ces chiffres sont éloquents, madame la ministre. Les avocats que nous avons rencontrés – comme vous l'avez sans doute fait vous aussi – sont désemparés et beaucoup pensent aujourd'hui à abandonner la profession. De nombreux cabinets devront mettre la clé sous la porte. Or les avocats ne remplissent pas seulement une mission de service public, mais ils sont aussi, et surtout, l'un des piliers de notre État de droit.
Le groupe UDI et indépendants saisit donc l'occasion de ce débat pour vous alerter : laisser dépérir de nombreux avocats serait indigne de notre démocratie.
Le deuxième enjeu est l'engorgement des juridictions, en particulier pénales. Le procureur de la République de Paris a alerté les membres de la commission des lois en indiquant avoir annulé plus de 400 audiences, ce qui représente chaque semaine 435 dossiers non examinés. Sur l'ensemble des huit semaines, ce sont 3 200 dossiers qui doivent aujourd'hui être réorientés. De grands procès ont également été reportés. Nous appelons donc de nos voeux le recrutement d'assistants de justice, de juristes assistants et de vacataires. Nous avons bien noté les mesures que le Gouvernement souhaite prendre pour la réorientation des affaires ou le jugement des crimes, mais il ne s'agit pas seulement de gérer les stocks : il faut aussi oeuvrer dans l'intérêt des justiciables.
Enfin, cette crise a montré notre réelle capacité à réguler la population carcérale. Cette tendance doit perdurer. Par conséquent, et comme nous l'avions souligné lors des débats relatifs à la loi de programmation et de réforme de la justice, il serait temps de revoir la répartition des crédits du ministère afin d'en consacrer la majeure partie à la régulation plutôt qu'à la construction de nouvelles prisons.
La crise accentue et exacerbe les failles de l'institution judiciaire. Durant le confinement, les droits de la défense n'ont pas été convenablement respectés. L'accès au juge a été réduit, voire supprimé, y compris pour ce qui concerne la privation de liberté. Nous ne pouvons nous accorder le luxe de perdre des auxiliaires de justice ou de continuer d'éviter le recrutement de personnel dans les juridictions. Comme cette crise nous le démontre, cela se fait toujours au détriment des droits fondamentaux, ce qui n'est acceptable pour personne. Si l'épidémie semble aujourd'hui contrôlée, sous bien d'autres aspects, les complications sont devant nous. La justice est une priorité et nous devons nous donner les moyens d'assurer son bon fonctionnement, sans quoi elle sortira de cette crise encore plus sinistrée qu'elle ne l'était auparavant.
Madame la ministre, vous me pardonnerez de commencer mon propos en paraphrasant, le moins maladroitement possible, je l'espère, le discours tenu en 1974 par Guy Carcassonne sur les droits de la défense, mais sa façon de faire jouer le verbe « défendre » pour savoir qui défend quoi contre qui ou contre quoi s'adapte parfaitement à la situation que connaissent actuellement certains justiciables. Depuis douze semaines, ce mot de « défense » est au coeur de leur vie. Défense ? Mais de quelle défense s'agit-il ? Celle qui interdit ou celle qui protège ? Celle qui défend de sortir de chez soi ou de détention provisoire ? Et qui défend ? Vous, madame la ministre ? Le Gouvernement ? Avec quels droits pour la défense ? Des droits menacés, entamés, des droits privés de l'intervention d'un juge pour protéger la liberté individuelle, celle du droit à la liberté et à la sûreté.
Le fonctionnement de la justice pendant la crise a conduit à poser la question de la prolongation de plein droit de toute détention sans l'intervention du juge, …
… lequel est pourtant, aux termes de l'article 66 de notre Constitution, le gardien des libertés individuelles.
La prolongation de plein droit des délais de détention porte aussi atteinte au bloc de conventionnalité, notamment à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est d'ailleurs ce qu'a relevé la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 26 mai : « Il résulte [de cet article] que lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu'elle détermine pour chaque titre concerné, la prolongation d'une mesure de détention provisoire, l'intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l'arbitraire. » Pour mémoire, la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a habilité le Gouvernement à modifier par ordonnance les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires, et l'ordonnance qui en a découlé a prévu une prolongation de plein droit des délais de détention provisoire pour des durées de deux, trois ou six mois. La chambre criminelle a considéré, entre autres, que cette ordonnance n'était pas conforme au droit à la liberté et à la sûreté protégé par la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce n'est pas vrai !
Cette inconventionnalité a eu des effets immédiats : selon les chiffres du ministère de la justice, 171 détenus ont été libérés au 29 mai 2020 et d'autres libérations devraient suivre. Comment ne pas voir ici une mise en cause des dispositions adoptées pendant l'état d'urgence sanitaire, qui mettent à mal certains droits et certaines libertés des justiciables ? D'ailleurs, notre groupe Libertés et territoires vous avait alertée à propos de ces risques.
Les juges ont aussi relevé que la France n'a pas eu recours au droit de dérogation que prévoit l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme, notamment « en cas de danger public menaçant la vie de la nation ». Pourtant, madame la garde des sceaux, l'épidémie, en raison de ses effets, le justifiait pleinement. Même si ce n'est pas une obligation, ne croyez-vous pas rétrospectivement, à l'instar du juriste Jean-Paul Costa, qu'il aurait été souhaitable, pour des raisons tant de transparence que de cohérence, que notre pays exerce ce droit ? Finalement, et je suis parfaitement d'accord avec la présidente de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris : des textes censés réguler la procédure pénale pendant cette période de crise sanitaire ont abouti à une confusion inouïe, en contradiction avec le but recherché – complexité du calcul des délais, empilement de règles, questions juridiques inédites.
Madame la garde des sceaux, je m'arrêterai un instant sur la justice dématérialisée, à propos de laquelle notre groupe vous a mise en garde, car l'humain doit être au coeur des évolutions numériques. Alors que votre ministère a bénéficié d'une levée de fonds à faire pâlir d'envie bien des start-ups du numérique – plus d'un demi-milliard d'euros sur cinq ans – , qu'en est-il de l'effectivité de cette justice de XXIe siècle, censée être plus accessible, plus rapide, plus efficace et plus transparente ? Portalis, le logiciel civil qui aurait pu être nécessaire pendant le confinement, semble perdu dans un abîme administratif.
La presse a aussi relevé la détresse des magistrats, qui vous ont suppliée, au cours de confinement, de retarder l'entrée en vigueur de la nouvelle échelle des peines, impliquant une nouvelle brique numérique dans Cassiopée, ce logiciel pénal qu'ils ont, il faut le dire, bien du mal à s'approprier. Madame la ministre, quels enseignements tirez-vous du confinement au vu des nombreux couacs que connaît une justice numérique malheureusement déshumanisée ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
J'entrerai immédiatement dans le vif du sujet : la prolongation automatique de la détention provisoire, déjà évoquée par l'orateur précédent. Dès le départ, en effet, des alertes ont été lancées par certaines organisations syndicales, qui ont indiqué que l'ordonnance était particulièrement mal rédigée, puisqu'elle prêtait à de multiples interprétations. Par la suite, au gré des remontées de certaines juridictions, une circulaire a été diffusée, qu'un mail a dû préciser ensuite.
D'ailleurs, la gestion d'instructions par courriel s'est reproduite pendant la crise du covid-19 pour l'interprétation de la loi Fauchon du 10 juillet 2000 en matière de responsabilité pénale des élus et des chefs d'entreprise.
Pour ce qui est de la détention provisoire, la Cour de cassation a donné raison à tous ceux qui vous avaient alertée, madame la ministre. Vous avez mis ces alertes de côté, vous prévalant même de la décision du Conseil d'État – qui avait été saisi – pour dire que celui-ci n'a trouvé rien à y redire. Mais le Conseil d'État ne se prononce pas exactement sur le même périmètre que la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.
J'ai vu votre équipe faire « non » de la tête à l'annonce, par mon collègue, des chiffres de libérations à la suite de la décision de la Cour de cassation. Dites-nous donc combien il y a eu de libérations du fait de cette décision, et combien il y en aura à l'avenir !
En effet, ni moi ni personne ne souhaite qu'il y ait des libérations parce que vous avez mal rédigé une ordonnance. Ce serait dommage !
Les ordonnances prévoyaient également la prolongation de la garde à vue sans présentation à un magistrat, notamment pour les mineurs de 16 à 18 ans. Qu'est-ce qui a motivé cette mesure dans le contexte du covid-19, sachant qu'il n'y a pas eu des centaines de gardes à vue de mineurs de 16 à 18 ans pendant le confinement ? Quel était l'objectif de ces dispositions ? Pourquoi réduire les libertés fondamentales dans ce domaine, alors qu'on sait que les mineurs bénéficient dans notre pays d'un cadre particulier ?
De même, les hospitalisations sous contrainte font l'objet, au bout de 12 jours, d'un contrôle du juge des libertés et de la détention – JLD. Vous avez permis que ce contrôle se fasse sans audience et sans voir ni le médecin, ni la personne enfermée, ni son avocat. Comment peut-on faire une chose pareille ? C'est déjà très compliqué pour le JLD, qui n'a pas de compétences médicales particulières, de se faire un avis ; mais sans voir personne, c'est encore plus délicat.
Je suis heureux que le Conseil d'État ait décidé, à la suite de mon recours, que les visites des parlementaires au sein des prisons étaient une liberté fondamentale. C'est tant mieux, et j'espère qu'en cas de nouveau confinement, il ne faudra pas à nouveau saisir la justice pour pouvoir, nous parlementaires, visiter des établissements pénitentiaires. Nous n'étions que trois lors de ces visites – le parlementaire, son collaborateur et un journaliste – , mais cela vous a semblé trop. Lorsqu'il s'agissait de faire des reportages prévus par l'administration, il n'y avait pas de problème, tout le monde pouvait entrer ; mais quand c'était un parlementaire, c'était tout de suite plus difficile. Étrange !
Je m'arrête un instant sur l'incident avec la CGT pénitentiaire. Madame la ministre, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? J'apprends que vous refusez de recevoir la CGT pénitentiaire en entretien bilatéral – vous reprenez les entretiens bilatéraux avec les organisations syndicales – parce que ce syndicat a déposé une plainte contre vous devant la Cour de justice de la République. Ainsi donc vous refusez de voir les gens sous ce prétexte ? Qu'est-ce que c'est : de l'intimidation ? Leur demandez-vous de retirer leur plainte ? Est-ce de la discrimination syndicale ? J'aimerais avoir des explications là-dessus.
Quant au numérique, personne n'en a parlé, mais quelle idée, en plein confinement et sans demander l'avis de personne, de prendre un décret – le décret DataJust du 27 mars 2020 – définissant la manière dont les algorithmes vont aider les juges à prendre des décisions en matière de litiges et d'indemnisations ! Je comprends que vous ayez voulu prendre les dispositions en matière de procédure pénale pour éviter que des gens soient condamnés à des peines de prison de six mois et pour aménager des solutions de rechange, comme c'était prévu dans la loi de programmation et de réforme pour la justice ; mais pour le numérique, quelle était l'urgence, pendant le confinement, de prendre ce décret ? Je vous le demande !
Dernière question : ne faudrait-il pas abandonner la réforme de la justice des mineurs plutôt que d'alourdir une justice déjà à la peine ? Vous vouliez la synchroniser avec une réforme de la justice civile ; ça a l'air raté, alors autant abandonner, non ?
La crise du covid-19 a mis à rude épreuve le fonctionnement régulier de l'institution judiciaire. Je profite de cette tribune pour remercier l'ensemble des magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, fonctionnaires du ministère de la justice, mais aussi les avocats, gendarmes et policiers qui ont continué, physiquement ou à distance, à faire que ce service public fondamental continue à être assuré, souvent dans des conditions de travail difficiles. Cette crise est venue rappeler avec une grande acuité les enjeux auxquels l'institution judiciaire est confrontée, que vous aviez vous-même pointés du doigt : la numérisation et la modernisation de la justice. Dans un communiqué en date du 12 mai, le Conseil supérieur de la magistrature a alerté sur le fait que l'état d'urgence sanitaire a largement contrarié le cours normal de la justice, s'inquiétant aussi de la nécessité d'adapter tant les procédures que les méthodes de travail. Il a en outre appelé l'État à fournir à l'institution judiciaire les moyens nécessaires à son fonctionnement, malgré un contexte budgétaire difficile.
Sur ces questions, madame la ministre, il convient de rappeler le volontarisme politique que vous avez affiché. En novembre 2018, sous votre impulsion, la transformation numérique a été élevée au rang de priorité. Votre plan prévoyait notamment à l'époque un investissement de 530 millions d'euros entre 2018 et 2022, ainsi qu'un objectif ambitieux de numériser 100 % des démarches administratives. J'aimerais néanmoins que vous puissiez nous apporter des éclaircissements sur certains aspects.
Le premier concerne le matériel informatique. Le manque d'ordinateurs portables pour les magistrats et les greffiers a constitué une contrainte majeure en ce temps de crise. Vous souleviez qu'en novembre 2018, seulement 3 000 ordinateurs étaient en service pour environ 30 000 magistrats, greffiers et personnels administratifs. Durant le confinement, les greffiers n'ont pas pu exécuter leurs missions faute d'ordinateurs portables. Plus généralement, la qualité du matériel informatique des magistrats laisse à désirer.
L'utilisation de Windows 95, encore constatée par endroits, n'est plus adaptée, l'éditeur ayant mis fin il y a plus de dix-huit ans à son support technique.
De même, les outils de bureautique ne sont pas harmonisés.
Le second aspect est celui de l'augmentation des débits de connexion – une priorité affichée dans le plan de novembre 2018. Avec le basculement massif vers le télétravail, le réseau privé virtuel du ministère n'a pas supporté les connexions simultanées de 30 000 agents. Un nouveau VPN a été mis en place deux à trois semaines plus tard, mais le manque de débit a mis un frein à la multiplication des visioconférences, pourtant indispensables au travail à distance, et alors même que celles-ci pourraient constituer, à l'avenir, un moyen de rendre la justice plus accessible alors que les temps de trajet entre les tribunaux et les justiciables s'allongent. Le développement de la visioconférence dans l'administration n'est d'ailleurs pas un sujet propre au ministère de la justice ; nous avons actuellement ces débats au sein de notre assemblée. Le groupe Écologie démocratie solidarité plaide pour l'adoption d'un outil souverain et sécurisé de visioconférence pour l'ensemble de l'administration ; cela devrait être une priorité gouvernementale dans les prochains mois.
Enfin, en ce qui concerne la dématérialisation des procédures, l'impossibilité de se rendre physiquement dans les tribunaux a compliqué la tâche des avocats et des magistrats dans certaines affaires. Certaines pièces étant trop lourdes pour être communiquées par courriel, elles n'ont pu être versées au dossier, comme l'indiquait le Conseil national des barreaux. Dans votre plan de transformation, vous indiquiez que les communications électroniques civiles avec les avocats permettraient des échanges de pièces de 10 mégaoctets, contre 4 mégaoctets actuellement.
L'épidémie de covid-19 a été une tragédie nationale, nous rappelant combien nous étions vulnérables, mais les semaines qui s'ouvrent peuvent fournir une formidable occasion d'apprendre de nos failles et d'accélérer les transitions préexistantes. Madame la garde des sceaux, la transformation numérique de la justice, comme celle de l'administration tout entière, est un impératif du XXIe siècle. Elle doit se faire avec les citoyens et non contre eux, et tenir compte de la fracture numérique – souvent sociale et générationnelle – afin de ne pas éloigner le justiciable de la justice, mais bien l'en rapprocher.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Tout le monde en conviendra : la vigilance parlementaire est une exigence démocratique forte, tout particulièrement en période de crise majeure, car c'est dans l'adversité, telle que celle que nous venons de connaître, que se jauge la valeur d'un système pluraliste, respectueux des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Nous sortons d'une période d'une difficulté et d'une intensité rares. Ces difficultés, on le sait, ont affecté le fonctionnement de notre système judiciaire et pénitentiaire. Le fonctionnement de la justice pendant la période de confinement – liée à l'instauration de l'état d'urgence sanitaire – a fait l'objet de critiques ; rien de plus normal. Dès lors qu'elles ont un fondement factuel et qu'elles servent la perfectibilité de l'État de droit, les critiques sont recevables et doivent être considérées avec respect et sens des responsabilités, au regard des politiques immédiates comme de l'histoire démocratique.
Il en va ainsi notamment – cela a été dit à plusieurs reprises et mérite d'être pris en considération – du manque de moyens informatiques dont souffrent l'institution judiciaire en général et le corps des greffiers en particulier. Mais pour être objectif, il faut aussi revenir aux faits et examiner d'un oeil neutre ce qui s'est passé entre la loi du 23 mars, qui instaurait l'état d'urgence sanitaire, et celle du 11 mai, qui le prorogeait. C'est ce que je me suis efforcé de faire en analysant rigoureusement l'activité des barreaux de Montpellier et de Béziers.
Dès lors qu'on examine les choses avec objectivité, on constate que la période a été marquée par plusieurs tendances. D'abord, une grande résilience matérielle : grâce au souci de protection des agents, au recours assez systématique au télétravail et à la mise en place de permanences électroniques et téléphoniques, un certain nombre d'activités essentielles ont été maintenues. Une résilience organisationnelle également : on a réorganisé l'audiencement, mis en place des jugements en visioconférence en évitant les déplacements de personnes incarcérées et adapté l'exécution des peines aux situations. Dans le même temps, on a adapté l'activité à la réalité conjoncturelle : d'abord, lorsque cela a été nécessaire, comme à Béziers, on a fait face aux incidents de détention ; on a adapté la politique pénale en priorisant les cas de flagrant délit ou les affaires nécessitant une réponse judiciaire rapide ; on a privilégié la lutte contre les violences intrafamiliales, les sanctions du non-respect des mesures de confinement et la lutte contre les trafics en prison.
Tout ce qui pouvait légitimement être reporté a fait l'objet d'un renvoi. Cela s'est traduit par un recentrage sur les activités essentielles : les missions pénales et les urgences en matière civile et familiale. Bref, dans une situation exceptionnelle, des mesures d'exception. En plus – c'est à mettre au crédit de l'institution judiciaire en général – , on a mis à profit le temps libéré pour résorber les stocks de courrier et de dossiers d'information mis de côté, rédiger les jugements en délibéré et traiter les requêtes. En résumé, pendant cette période compliquée, la justice a eu une activité digne d'un haut niveau de performance.
Elle a ensuite assuré la transition vers la période dans laquelle nous entrons désormais et qui devra voir purger ce qui doit l'être grâce à un nouveau calendrier des audiences pour fin 2020, début 2021, la mise en place d'audiences correctionnelles supplémentaires dans les semaines qui viennent, la reprise des enquêtes préliminaires et la mise à disposition, cela a été dit, de 1 000 vacataires pour traiter les dossiers – neuf au tribunal de Béziers, ce qui est apprécié par l'institution.
Gageons que ces péripéties – qui, ne le perdons pas de vue, sont tout à fait exceptionnelles – seront bientôt un mauvais souvenir et que tous les préjudices qui auront découlé de cette conjoncture seront réparés.
Le fonctionnement de la justice pendant la crise du covid-19 a fait l'objet de nombreuses critiques.
Même en période de crise, surtout en période de crise, il appartient à l'État d'assurer la continuité du service public de la justice. Cette obligation est consubstantielle à l'État de droit et au respect des principes les plus fondamentaux du bloc constitutionnel. C'est précisément à l'aune de cette exigence qu'il convient aujourd'hui d'apprécier le fonctionnement de la justice pendant la crise.
Dès le 16 mars, en l'absence de moyens de protection, vous avez annoncé, madame la garde des sceaux, la fermeture de tous les tribunaux en France sauf pour les contentieux essentiels. Dans ce cadre, le télétravail a été généralisé. De nombreux problèmes informatiques et technologiques ont alors été signalés. Les personnels de greffe n'ont pas été dotés de moyens suffisants pour télétravailler, tandis que l'ensemble des professionnels de justice – dont les magistrats – n'ont pu avoir accès à distance à leur environnement informatique habituel ni échanger par la voie dématérialisée des pièces volumineuses.
Cette période de crise a ainsi mis en exergue l'indigence du ministère de la justice, en particulier son sous-équipement structurel en nouvelles technologies, alors même que vous n'avez cessé de vanter votre plan de transformation numérique 2018-2022 en cours d'exécution, avec l'objectif de dématérialisation intégrale des chaînes civile et pénale. Les tribunaux ont ainsi suspendu une partie importante de leurs fonctions.
Plusieurs ordonnances ont été prises pour modifier les procédures judiciaires, pénales et administratives ainsi que l'accès au droit, dont certaines ont été remises en cause par la Cour de cassation. Je pense par exemple à la prolongation de plein droit de la détention provisoire, que l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars autorisait sans intervention du juge judiciaire.
Si la majorité du contentieux civil a été abandonnée durant cette période, la partie du contentieux pénal maintenue a été profondément affaiblie et les garanties accordées aux justiciables dégradées : juge unique, audiences en visioconférence voire par téléphone, procédures sans audience et jugement en l'absence des prévenus ou retenus faute d'extraction, publicité restreinte voire supprimée… En outre, chaque juridiction a eu à déterminer, en fonction de ses moyens, la liste des contentieux essentiels dont le traitement devait être poursuivi pendant la crise sanitaire, avec des injonctions parfois paradoxales de la Chancellerie, m'a-t-on dit, et sur la base d'un périmètre simplement indicatif.
Cette gestion de crise, différente d'une juridiction à une autre, a amplifié les disparités territoriales déjà existantes et remis en cause l'équité territoriale entre les tribunaux judiciaires. Un collectif d'avocats a souligné à cet égard qu'« en refusant de prendre un plan national de continuation et maintenant de reprise d'activité », le ministère avait « régionalisé la justice, créant de graves disparités et une rupture d'égalité sans précédent entre citoyens ». En effet, l'appréciation du caractère d'urgence d'un dossier, de la mise en oeuvre d'une visioconférence ou d'une mise en délibéré sans audience a varié selon les juges de permanence ou selon les consignes des présidents de chambre et de tribunal. D'un barreau à l'autre également, les avocats ont été plus ou moins confrontés à des difficultés s'agissant des désignations pour assister les gardés à vues ou les prévenus en comparution immédiate.
Quant au déconfinement, le 11 mai, il a dû être mis en oeuvre en appliquant des consignes annoncées seulement quatre jours avant.
Aujourd'hui, le recours aux modes simplifiés, dématérialisés ou dégradés de jugement doit cesser au plus vite. Plusieurs acteurs de la justice ont exprimé des craintes à ce sujet, face à une justice confrontée à un engorgement historique et à des délais de jugement intenables. Il n'est pas acceptable que les procédures exceptionnelles mises en oeuvre par voie d'ordonnances, telles que les visioconférences ou les procédures sans audience, perdurent pour satisfaire des logiques gestionnaires ou des objectifs de diminution des stocks. Le respect des garanties de la procédure doit prévaloir dans l'intérêt du justiciable. Aussi la vie judiciaire doit-elle reprendre, avec des moyens importants permettant d'assurer le fonctionnement convenable d'une justice humaine et protectrice des libertés et des droits.
L'intérêt du justiciable comme l'intérêt général imposent aujourd'hui, plus que jamais, un véritable plan Marshall pour la justice en termes de moyens humains et matériels – mes collègues Hubert Wulfranc et Alain Bruneel m'ont d'ailleurs fait remarquer que j'aurais mieux fait de parler de Gosplan.
Rires. – Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Voilà trois mois que notre pays a été bousculé par la pandémie de covid-19. Il est tout à fait compréhensible que la justice ait été elle aussi bousculée, alors qu'elle sortait déjà de deux mois de grève des avocats. Mais force est de constater qu'elle a su, malgré tout, faire face. Je commencerai donc par rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont pris leur part dans ce travail. C'est grâce à eux que la justice n'a pas été paralysée et que notre pays est resté un État de droit, même pendant cette crise historique.
C'est aussi grâce aux moyens redonnés à la justice par notre majorité – la réforme de la justice du 23 mai 2019, que vous avez défendue, madame la garde des sceaux, a permis, en matière civile comme pénale, plus de rapidité, de simplicité et de lisibilité pour les justiciables. Pour soutenir cette ambition, nous avions décidé une augmentation sans précédent du budget de votre ministère – plus de 24 % sur cinq ans – , avec un effort spécifique de plus de 500 millions d'euros pour sa transformation numérique.
Certes, à cause du confinement, l'appareil judiciaire a vu, comme tant d'autres secteurs, sa capacité de travail limitée. Des magistrats ont dû travailler à distance, tandis que les greffiers ne le pouvaient pas à cause d'outils informatiques inadaptés. Face à ce constat, accélérons le chantier numérique pour dématérialiser davantage les procédures et développer certains outils comme la visio-audience.
Dès le 15 mars il a donc été essentiel de mettre à l'abri les personnels comme les justiciables. Des plans de continuité de l'activité – PCA – ont été mis en oeuvre, concentrés sur les urgences, avec peut-être quelques rares juridictions qui se sont retrouvées quasiment à l'arrêt quand tant d'autres savaient mobiliser leurs forces vives. Il conviendra donc d'évaluer ces PCA pour rendre l'appareil judiciaire encore plus résilient, uniformément sur tout le territoire.
Dans ce contexte, et alors que la proposition de loi de notre collègue Bérangère Couillard et des membres du groupe La République en marche est actuellement examinée au Sénat, nous saluons la priorité donnée aux violences intrafamiliales. Le confinement a exacerbé les violences conjugales et familiales, entraînant une hausse de 35 % des signalements. Il était indispensable de mettre l'accent sur la prise en charge des auteurs de violences, notamment sur leur éviction et leur hébergement hors du foyer familial. Cet effort mérite d'être prolongé, dans la suite logique des conclusions du Grenelle des violences conjugales.
Le risque sanitaire ne s'est pas arrêté là. Il ne s'est pas arrêté non plus aux portes des prisons, où il a fallu mettre en sécurité les détenus comme les personnels, dont j'ai pu constater l'esprit de responsabilité et l'engagement sur le terrain. Il faut aussi saluer les mesures d'accompagnement social des détenus, qui ont permis d'apaiser les tensions qu'un confinement strict aurait pu attiser. Avec une surpopulation de 120 % dans nos établissements pénitentiaires début mars, il était également nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles de libération anticipée permettant de retrouver un niveau normal d'occupation.
Mais je tiens à rassurer tout le monde ici : la criminalité n'a pas été déconfinée pour autant. Nous avions voté l'expérimentation de la régulation carcérale, qui a pu être déployée grandeur nature lors de cette crise. Des alternatives à la détention décidées ab initio ou des fins de peine à domicile pour des délinquants choisis et accompagnés en vue d'une meilleure réinsertion nous permettent de sortir du tout-carcéral et de ramener enfin le taux d'occupation des prisons à un niveau que nous appelons tous ici de nos voeux. Il faut désormais saisir cette opportunité unique de généraliser la régulation carcérale, et surtout ne pas réincarcérer quand le profil du délinquant ne le nécessite pas et que d'autres peines sont possibles et propices à une meilleure réinsertion.
Aujourd'hui, alors que le système judiciaire retrouve progressivement son cours normal, l'heure n'est pas au procès mais au bilan. Les outils innovants qui ont permis la continuité pédagogique initiée à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale de l'administration pénitentiaire méritent de perdurer. Nous avons tous vu, dans nos territoires, des initiatives et des bonnes pratiques qu'il faudra recenser et évaluer ; certaines visent à juguler l'embolie judiciaire que l'on pourrait craindre. Cette crise nous donne peut-être l'opportunité, à nous tous ici, de nous améliorer. Nous savons que nous pouvons compter sur vous, madame la garde des sceaux, et sur votre détermination à moderniser et soutenir votre administration, qui a été sans faille depuis trois ans. Nous ne doutons nullement que vous saurez poursuive ce travail et saisir cette opportunité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Sur proposition du groupe Les Républicains, nous sommes amenés à débattre ce soir, dans cet hémicycle, du fonctionnement de la justice lors de la crise de la covid-19. À titre personnel, j'aurais appelé ce débat qui, je l'espère, nous apportera des réponses précises de votre part, madame la garde des sceaux, « débat sur le non-fonctionnement de la justice durant la crise de la covid-19 ».
En responsabilité, nous vous avions initialement fait confiance en vous donnant, avec sagesse mais prudence, la possibilité de gouverner par voie d'ordonnances, tant le contexte le nécessitait. Vous avez usé, si ce n'est abusé – j'y reviendrai – , de cette habilitation.
En moins de deux mois, vous avez publié de nombreuses ordonnances visant à faire face à l'épidémie et à permettre à l'institution judiciaire de continuer son activité indispensable de règlement des litiges, comme nous le souhaitions tous.
Pour atteindre cet objectif, il aurait toutefois fallu le concours de plusieurs éléments cumulatifs tels que des moyens suffisants, un climat judiciaire apaisé ou des outils permettant à chacun d'assurer la continuité du service. Or, comme cela a été dit avant moi, nous avons déploré des connexions numériques défaillantes et un nombre insuffisant d'ordinateurs portables : les conditions de travail ont été déplorables pendant cette période.
Madame la garde des sceaux, l'institution n'a pas été à la hauteur. Vous avez accepté de confiner la justice : cela, personne ne peut le cautionner. Depuis trois ans, nonobstant vos lois et vos déclarations, la tension monte chez les professionnels de la justice, tant le dialogue est totalement rompu, jusqu'à ce blocage historique de l'institution judiciaire il y a quelques semaines lors de la réforme des retraites. Cette fuite en avant de la justice n'était alors plus supportable, et la covid-19 est venue donner un coup de grâce à l'équilibre plus qu'instable du service public de la justice, qui a été mis quasiment à l'arrêt.
En matière civile, par exemple, presque toutes les audiences ont été reportées, ce qui a bloqué et bloque encore bon nombre de dossiers. Les mises en l'état, qui devaient fonctionner sans difficulté, ont été également paralysées. Derrière cela, vous le savez, madame la garde des sceaux, il y a des femmes et des hommes qui attendent une décision de justice pour un litige souvent important pour leur quotidien, qu'il soit d'ordre familial, prud'homal ou commercial. Ce sont également des femmes et des hommes qui, durant des semaines, n'ont pas pu contacter les greffes tant ils étaient injoignables.
En matière pénale, le constat n'est pas meilleur. Comment peut-on tolérer, par exemple, que l'on maintienne en détention une personne sans que celle-ci ait été présentée à un juge ? Comment peut-on expliquer que, sous prétexte d'un virus, vous libériez plus de 12 000 détenus à la mi-mai ? Jusqu'où cette crise sanitaire peut-elle conduire ?
À titre d'exemple complémentaire illustrant le fonctionnement de notre institution, je déplore fortement votre projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, tant l'expérimentation des cours criminelles dans un certain nombre de départements, que vous avez souhaitée, vous permet d'expédier les affaires en retard pour les sessions d'assises, de tenter de répondre aux manquements du Gouvernement en matière de justice, de remettre en cause la tradition démocratique du jury populaire et de pratiquer, une énième fois, la différenciation territoriale.
Outre ce projet de loi, le ministère de la justice a donné l'instruction à chaque juridiction de faire comme elle pouvait, laissant fatalement la place à une différence d'appréciation et de traitement des dossiers selon les territoires. Cela n'est pas acceptable.
Sur la forme, enfin, il n'est pas tolérable que le télétravail soit possible dans presque tous les secteurs professionnels en France mais que la justice, faute de moyens suffisants, ne puisse pas fournir aux services des greffes des outils numériques leur permettant de traiter les dossiers à distance et de répondre aux sollicitations légitimes des justiciables.
Les acteurs de la justice, les magistrats, les personnels de greffe, les auxiliaires de justice et les avocats ont été en panne totale au cours de cette période. Que répondre à ces professionnels et aux justiciables qui attendent, depuis plusieurs semaines, une décision ou simplement une information ? Que répondre à celles et ceux qui s'inquiètent de l'état de délabrement de notre institution judiciaire, qui s'interrogent sur l'acceptation fataliste d'une justice prédictive où l'algorithme remplacerait les magistrats ?
La gestion hasardeuse de la crise sanitaire s'agissant de l'autorité judiciaire a provoqué de l'insécurité juridique : voilà une conséquence majeure et dramatique des derniers événements pour tous les professionnels du droit comme pour les justiciables, qui ont aujourd'hui besoin d'une garde des sceaux à la hauteur des attentes de l'institution judiciaire !
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour vos observations. Chacune de vos interventions mériterait une réponse de plusieurs minutes. Ce n'est pas ainsi que je procéderai ; j'essaierai simplement de me concentrer sur quelques grands points.
En préambule, je tiens à souligner que la justice n'a pas été à l'arrêt, …
… contrairement à ce que j'ai trop souvent lu et à ce que vous venez d'affirmer, monsieur Viry. La justice n'a pas montré son « état de délabrement » – je reprends vos propos – mais, au contraire, sa capacité à agir dans le cadre d'une crise sanitaire totalement inédite.
Pour décrire cette capacité à agir, j'utiliserai une image que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer, celle de l'iceberg. Les lieux de justice sont par définition des lieux de rencontre, où les justiciables se croisent et rencontrent les avocats et magistrats. Durant la période de crise sanitaire que nous avons traversée, nous avons dû les fermer. Mais fermer un lieu de justice ne signifie pas suspendre l'activité des tribunaux. La partie immergée de l'iceberg, la plus importante, a continué à fonctionner. C'est ce que je voudrais brièvement vous exposer.
Je voudrais dresser quatre constats. D'abord, comme cela a été dit par certains d'entre vous, la justice a travaillé. Je ne citerai que quelques chiffres, pour ne pas prolonger le débat. Les urgences ont été prises en charge au pénal, au civil et au commercial de façon tout à fait correcte.
Au pénal par exemple, du 16 mars au 11 mai, les permanences du parquet ont enregistré 170 000 plaintes et engagé des poursuites devant le tribunal correctionnel dans 24 000 affaires, dont près de 4 600 en comparution immédiate. Face à de tels chiffres, peut-on dire que la justice était totalement à l'arrêt ? Les tribunaux correctionnels ont jugé pendant cette période plus de 18 000 affaires. Les juges de la liberté et de la détention ont rendu 18 175 décisions pendant le confinement, soit 7 % de plus qu'en 2019 pendant la même période. Cela a vraiment du sens, d'autant que cette activité soutenue était évidemment liée à des demandes de mise en liberté.
Au civil, selon des données encore provisoires, les juges aux affaires familiales auraient rendu plus de 5 000 décisions au mois d'avril. Enfin, un seul chiffre résume à lui seul de façon emblématique le fait que, contrairement à ce que certains d'entre vous ont dit et contrairement à ce que j'ai trop souvent lu dans la presse, les juridictions ont effectivement travaillé : à Paris, 5 650 jugements civils ont été rédigés pendant le confinement.
Deuxièmement, cette période va bien sûr conduire à allonger les délais de jugement, mais elle ne va pas nécessairement accroître fortement les stocks. En effet, si le nombre d'audiences a été considérablement baissé, à quelques exceptions près, l'activité pénale a également été réduite du fait de l'absence, ou de la forte réduction, de la délinquance de rue. Les stocks ne se sont donc pas accrus au pénal.
Pour le civil, la prudence est de mise, mais je pense que les stocks n'ont pas augmenté non plus de façon très importante. Je suis donc très claire : oui, les délais de jugement vont augmenter provisoirement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez adopté un certain nombre de décisions, relatives notamment au pénal, permettant aux procureurs de réorienter certains dossiers. En revanche, les stocks n'augmenteront pas considérablement.
Je ferai une troisième observation importante qui me permettra de répondre à Mme Forteza et à bien d'autres parmi vous : nous nous sommes mobilisés pour utiliser au mieux les technologies de l'information, même si la crise a effectivement démontré la nécessité de poursuivre nos efforts en ce domaine. Si nous avons pu faire ce que nous avons fait – audiences par visioconférence qui ont permis de limiter les extractions de détenus, liens entre les professionnels du droit – , c'est parce que nous avons érigé un socle, un réseau enfin à la hauteur. Depuis la promulgation de la loi de réforme pour la justice, que vous avez votée, pas moins de 100 millions d'euros ont été investis pour connecter 1 000 sites judiciaires à la fibre. Si cela n'avait pas existé, les magistrats n'auraient pas pu rédiger leurs jugements et nous n'aurions pas pu tenir l'ensemble des audiences, des visioconférences ou des vidéo-audiences qui se sont déroulées. Cela doit être dit. Il faut dire également, en réponse encore à Paula Forteza qui a soulevé ce sujet, qu'en quelques jours nous sommes passés de 2 500 connexions à distance – le rythme de croisière du réseau du ministère – à 40 000 connexions. Le ministère de la justice est ainsi devenu, durant le confinement, le ministère utilisant la part la plus importante du réseau interministériel de l'État.
Mesdames et messieurs les députés, j'entends les critiques et je veux bien les admettre toutes, mais il faut aussi souligner ce qui a été fait. Je vous dirai enfin une dernière chose : avant la crise, 22 000 ordinateurs ultraportables étaient en service au sein du ministère. Tous les magistrats en sont dotés.
Madame la députée Untermaier, je viens de dire que tous les magistrats…
Laissez-moi de terminer ma phrase ! Tous les magistrats sont dotés d'ultraportables ; un certain nombre de greffiers en ont reçu aussi, mais pas en nombre suffisant, je le reconnais. Il est évident que c'est sur ce point que doit porter notre effort. J'ajoute qu'outre les ultraportables dont nous disposions déjà, nous en avons distribué 4 000 de plus et que 5 000 supplémentaires seront distribués d'ici la fin de l'année 2020.
En quelques jours, nous avons également déployé avec les avocats un service applicatif qui permet de déposer à distance des dossiers importants constitués de nombreuses pièces. Il s'agit de l'outil PLEX, dont Mme Forteza a également parlé. Il fonctionne et, dès aujourd'hui, plus de 1 500 avocats l'ont déjà utilisé. Nous avons donc fait des efforts considérables pour faciliter le travail du ministère de la justice. S'il est encore un point sur lequel nous devons progresser, c'est sur la mise à disposition d'ultraportables et le déploiement d'applications en télétravail pour les greffiers. Comme vous l'avez dit les uns et les autres, il faut toujours tirer des leçons d'une crise.
Ma dernière observation porte sur la détention, sujet sur lequel nous avons également consenti un effort considérable. Je vous rappellerai que le premier objectif consistait à juguler la crise sanitaire et à éviter que la maladie ne se développe en détention. Or je crois pouvoir dire que nous l'avons atteint.
Des détenus et des agents ont bien sûr été atteints par le covid-19.
Je déplore également le décès d'un agent pénitentiaire ; nous avons bien sûr assuré sa famille de notre présence à ses côtés. Mais au-delà de ces cas, l'épidémie ne s'est pas répandue en détention grâce aux mesures qui ont été prises. Nous avons par exemple fait sortir de détention des détenus qui n'étaient qu'à quelques semaines de la fin de leur peine : près de 6 000 détenus ont ainsi bénéficié de crédits de réduction de peine ou d'une libération anticipée avec assignation à domicile. Par ailleurs, avec la diminution de l'activité pénale, certaines personnes qui auraient pu entrer en détention n'y sont pas entrées. Au 4 juin 2020, nous enregistrions 58 908 détenus, soit 13 667 détenus en moins. Le taux de population carcérale s'établit ainsi, dans l'ensemble des établissements, à 96 % contre 119 % à la date du 16 mars 2020. J'ai bien dit que ce taux s'entend tous établissements confondus et je ne nie en aucun cas les fortes disparités qui existent.
J'insiste sur le fait que nous avons bien conduit et contrôlé ce processus car, vous le savez, j'ai refusé que soient votées des lois d'amnistie générale, afin que chaque situation soit traitée de manière individuelle. Nous devons continuer à le maîtriser ; c'est l'objectif de la régulation carcérale à laquelle doivent concourir les dispositions que vous avez adoptées dans la loi de 2019 et le travail soutenu que nous conduisons avec les juridictions et l'administration pénitentiaire.
J'aimerais dire un dernier mot au sujet de la détention provisoire, que plusieurs d'entre vous ont évoquée. C'est un sujet extrêmement délicat et je partage évidemment – je fais même plus que partager – l'avis rendu par la Cour de cassation : tout placement en détention doit évidemment se faire sous le contrôle d'un juge. Mais contrairement à ce que certains d'entre vous ont dit ici, la Cour de cassation n'a pas du tout déclaré que les dispositions que nous avions prises étaient contraires à la convention européenne des droits de l'homme. Aux termes de son arrêt, que je vous invite à lire, la Cour le juge au contraire compatible avec l'article 5 de la convention, sous réserve que le prévenu ait pu voir un juge dans un délai qu'elle a fixé.
Je n'invente rien, monsieur le député : la formule figure dans l'arrêt. Les dispositions que vous avez adoptées allaient précisément en ce sens et sont restées applicables entre le 25 mars et le 11 mai : ce sont environ 3 000 détentions provisoires qui ont ainsi été prolongées de plein droit. Parmi les personnes concernées, monsieur Bernalicis, seules 161 ont fait l'objet d'une libération parce qu'elles n'avaient pas pu voir un juge. Cela signifie que toutes les autres personnes ont pu rencontrer un juge, comme le demande la Cour de cassation.
Lorsque je vous ai dit tout à l'heure, monsieur le député, que les juges de la liberté et de la détention avaient eu une activité importante pendant la période du confinement, c'est précisément parce qu'ils ont examiné les demandes de mise en liberté que tous les prévenus pouvaient à tout moment formuler. C'est ce dispositif que nous avons mis en place, non pas pour nous faire plaisir, …
… mais parce que nous savions qu'en raison du confinement, tous les magistrats ne pouvaient être présents et que les débats contradictoires ne pouvaient pas tous être assurés. La Cour de cassation l'a dit : ce dispositif était bien compatible avec l'article 5 de la convention européenne des droits de l'homme, sous réserve que les détenus puissent voir un juge.
Mesdames et messieurs les députés, je ne suis pas ici pour vous dire que tout a formidablement fonctionné. Je suis ici pour vous décrire la réalité. Les magistrats, les greffiers et les personnels des juridictions, ceux des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse ont continué à travailler – certes de façon différente de celle dont ils avaient l'habitude, mais ils l'ont fait. C'est le message que je voudrais vraiment que vous contribuiez à diffuser car c'est la fierté de notre service public. Si vous aviez été à ma place, qu'auriez-vous fait de plus ? Qu'auriez-vous décidé ? Auriez-vous suspendu les parloirs ou les auriez-vous laissés perdurer, alors que l'épidémie se propageait ? Qu'auriez-vous fait au sujet de la détention ? Qu'auriez-vous fait concernant les juridictions ? N'auriez-vous pas fermé les tribunaux, qui sont des lieux de rencontre, alors que l'épidémie se propageait ? Je vous l'assure, nous avons vraiment essayé de répondre au mieux aux exigences du service public et je pense qu'avec le concours de ses personnels, nous avons réussi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Christophe Euzet et Mme Paula Forteza applaudissent aussi.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Éric Pauget.
Madame la garde des sceaux, par une circulaire du 20 mai dernier dédiée à la régulation carcérale, vous avez décidé, au prétexte d'adapter les réponses pénitentiaires à la situation épidémique, la non-exécution des courtes peines d'emprisonnement et le recours à des mesures d'aménagement pour accélérer les sorties sans suivi effectif. Ces mesures de justice en mode confiné avaient déjà été anticipées par les juges de l'application des peines, les directions des établissements pénitentiaires, les parquets et les services de probation et d'insertion. Quelques semaines de confinement ont donc suffi pour voir la diminution du nombre d'entrées en prison du fait de la baisse de certaines formes de délinquance : pas moins de 13 000 détenus qui ont été libérés, faisant mécaniquement baisser notre densité carcérale. Le nombre de détenus, qui s'élève à un peu plus de 61 000, est désormais inférieur au nombre de places dans nos prisons.
Ainsi le covid-19 devient une sorte de régulateur carcéral et le révélateur des méthodes de gestion pénitentiaire de la chancellerie. Vous semblez vous servir de l'épidémie comme d'une variable d'ajustement pour ralentir les flux d'incarcération. Le signal envoyé par cette politique de court terme ne répond pas à une menace sécuritaire qui, nous le savons tous, reste très élevée dans notre pays.
Avec un taux d'occupation toujours proche de 100 %, le niveau de la population carcérale demeure très préoccupant. La réalisation de l'objectif annoncé par le Gouvernement de création de 7 000 places de prison durant le quinquennat et de 8 000 places supplémentaires d'ici 2027 pourrait de facto s'en trouver repoussée. Cela doit nous interroger quant au respect des objectifs et des trajectoires fixés par la loi de programmation 2018-2022 et la réforme de la justice en matière de crédits et d'effectifs.
Ce qui importe à nos concitoyens, ce qui importe au groupe des Républicains, madame la ministre, c'est bien la sécurité des Français, la lutte contre la récidive et le respect des engagements pris ici même. Ma question sera simple, madame la ministre : pouvez-vous affirmer que les objectifs fixés et votés seront tenus en matière de création de places de prison et, plus généralement, de moyens donnés à la justice pour son bon fonctionnement ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Permettez-moi de vous reprendre sur un point, monsieur le député. Évoquant la politique globale que nous avons conduite pendant cette période de crise sanitaire en matière pénale, notamment en matière de détention, vous dites que 13 000 détenus ont été libérés : ce n'est pas exact. S'il y a bien aujourd'hui 13 000 détenus en moins, seuls 6 800 environ ont été effectivement libérés.
Vous dites être attentif à la sécurité des Français : soyez sûr que cela fait également partie de mes objectifs. J'y ajoute un autre objectif : la protection des libertés publiques et individuelles, dont j'ai tout particulièrement la charge, comme vous d'ailleurs. Pour parvenir à concilier libertés et sécurité, la lutte contre la récidive – je vous rejoins sur ce point – est un facteur déterminant.
De ce point de vue, une politique pénale adaptée est un élément clé. Contrairement à ce que vous avez affirmé, je ne souhaite pas ralentir les flux d'incarcération : je souhaite simplement que la peine la plus adaptée soit prononcée contre l'auteur d'une infraction. La peine la plus adaptée, la plus pertinente, celle qui a le plus de sens peut être l'incarcération mais ce peut être aussi bien d'autres peines. Je ne pense pas, notamment pour les courtes peines, que l'incarcération soit la meilleure solution. Il me semble que c'est en procédant ainsi qu'on pourra lutter contre la récidive.
Je dirai pour terminer, monsieur le député, que je tiendrai bien entendu mes engagements en matière de construction de 7 000 places de prison supplémentaires d'ici 2022, même si la crise du covid a entraîné un peu de retard.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la garde des sceaux, la période de crise sanitaire dont nous espérons sortir rapidement a suivi une longue période de crispation de nombre des acteurs de la justice en raison de la réforme des retraites. Le bras de fer qui a opposé les avocats, en particulier, au Gouvernement a conduit ces professionnels pourtant animés d'un sens profond du service qu'ils rendent à leurs clients à manifester et à suspendre leurs activités pendant une période d'une durée sans précédent. Cela s'est traduit pour nos concitoyens par une accumulation de retards dans le traitement de leurs dossiers, mais aussi dans l'audiencement des affaires et le rendu des décisions.
J'ai déjà eu l'occasion de vous interroger sur un sujet qui m'a particulièrement marqué au cours de cette période : le rendu des décisions des juges aux affaires familiales. J'ai été saisi de très nombreux cas de parents qui ont tenté en vain de se voir notifier les décisions prises par le JAF mais qu'il n'avait pas signées du fait des difficultés rencontrées pendant plusieurs semaines en matière de dématérialisation des transmissions au greffe. Vous m'avez alors répondu que vous accélériez l'avancée de ces procédures. Dont acte, mais trouvez-vous normal qu'une mère n'ait reçu que le 30 mai une décision concernant la garde de son enfant rendue par le JAF en mars ? Ce n'est qu'un cas parmi tant d'autres. Ces retards font naître des angoisses, des tensions, rendent impossible d'organiser ou de réorganiser sa vie et l'existence déjà profondément bouleversée d'enfants.
La confiance en notre justice passe par la fluidité des procédures et la réforme du système mais personne ne peut comprendre qu'une simple absence d'annotation numérique ait des conséquences aussi graves.
Votre question porte sur deux points différents. Vous avez évoqué le rôle des avocats et des professions réglementées. J'ai eu tout au long de cette période des contacts extrêmement réguliers – quasiment tous les dix jours – avec les représentants de l'ensemble des professions réglementées et des auxiliaires de justice. Ces contacts nous ont permis de construire un mécanisme d'aide et de soutien en faveur de ces professions. Celui-ci peut prendre des formes diverses : les avocats par exemple peuvent bénéficier des dispositifs de droit commun mis en place par le Gouvernement pour aider les petites entreprises. J'espère avoir contribué ainsi à les aider à passer ce cap – je reviendrai sur ce sujet.
Vous avez ensuite évoqué les retards intervenus dans la notification d'un certain nombre de décisions prises en matière civile. Je l'ai dit, les tribunaux ont continué à fonctionner en matière civile, d'abord pour prendre les décisions urgentes, notamment dans le domaine des affaires familiales ou pour édicter des ordonnances de protection contre les violences conjugales. Je vous ai dit aussi que 5 000 décisions ont été rendues par les JAF durant cette période : ce n'est pas négligeable.
Il est vrai que la notification des décisions, qui relève des greffiers, a rencontré des difficultés, du fait, je l'ai déjà dit en réponse à certains de vos collègues, que nous ne les avons pas suffisamment dotés en matériel informatique ni en applications logicielles : c'est l'axe majeur de progrès sur lequel je dois désormais travailler. Nous pouvons avancer assez vite dans ce domaine.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune, pour le groupe Socialistes et apparentés.
Madame la ministre, notre système judiciaire a lui aussi été affecté par la crise. Celle-ci a contribué à fragiliser encore ce service public essentiel, déjà affecté par les derniers mouvements de protestation à l'encontre de la réforme des retraites. Des tribunaux ont été fermés, des procès ajournés.
Des plans de continuité ont été mis en oeuvre afin de permettre au système judiciaire de fonctionner sur la base d'un service minimum. Vous avez également édicté plusieurs ordonnances autorisant notamment le recours à la vidéo-audience, à l'assistance téléphonique ou aux notifications par courrier électronique. Ces mesures exceptionnelles se sont heurtées à de nombreuses difficultés, et d'abord à l'accompagnement largement insuffisant des chefs de juridiction par leur ministère de tutelle, déjà pointé par la commission des lois du Sénat. Ils ont notamment souffert de l'absence de délimitation claire du périmètre des contentieux concernés.
Même quand la présence physique en juridiction était réduite au minimum, l'activité juridictionnelle a pu exploser. Le juge de l'application des peines a ainsi été sollicité à l'excès par des détenus qui craignaient la contagion.
Cet épisode sanitaire a surtout aggravé des difficultés déjà identifiées et dénoncées depuis plusieurs années. S'il peut être opportun de se saisir des opportunités offertes par le numérique, la dette numérique résultant du manque de moyens a empêché une fois encore ces mesures exceptionnelles de produire tous leurs effets. Les magistrats n'avaient pas accès à leur environnement informatique habituel ni les greffiers au réseau privé virtuel justice tandis qu'on ne pouvait pas accéder à distance au logiciel permettant de procéder à la mise en état des dossiers.
Cette crise a ainsi révélé comme jamais auparavant toute la misère de l'institution judiciaire mais elle a également contribué à fragiliser encore les cabinets d'avocats qui craignaient déjà pour leur survie avant la crise. Le Gouvernement entend-il octroyer au système judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre de fonctionner même en période de crise ? Vous devez entendre les professionnels de justice, notamment les avocats, si vous voulez éviter que cette crise sanitaire ne se transforme en crise existentielle.
Vous êtes évidemment tout à fait libre dans le choix des termes que vous utilisez, madame la députée, mais parler de « misère de l'institution judiciaire », tout de même ! Misère de l'institution judiciaire, alors qu'il n'y a plus un poste de magistrat vacant ? Misère de l'institution judiciaire, alors que nous ne cessons de recruter toujours plus d'assistants de justice ou d'agents des services pénitentiaire d'insertion et de probation ?
Exclamations sur les bancs du groupe SOC.
Misère de l'institution judiciaire alors que nous investissons plus de 530 millions d'euros dans le numérique ? Permettez-moi de récuser ce terme !
Vous dites que l'accompagnement des chefs de juridiction par le ministère de tutelle a été largement insuffisant. Il faut être très clair : le plan de continuation de l'activité que nous avons mis en place est un socle commun à toutes les juridictions. Ce socle commun comprend des règles d'organisation et des contentieux prioritaires, comme celui des libertés individuelles ou ceux touchant à la sécurité des Français – la comparution immédiate, la permanence des parquets – et à la protection des personnes, notamment des enfants.
Voilà pour le cadre général, mais, madame la députée, nous avons affirmé ensemble – vous vous êtes largement prononcé en ce sens et cela rejoignait mes préoccupations – que la justice devait rester une justice de proximité et qu'il devait donc y avoir des tribunaux de proximité. Pensez-vous vraiment que le tribunal de Paris fonctionne de la même manière que celui de Mende, celui de Montluçon de la même manière que celui de Clermont-Ferrand ? Non ! Ils n'ont pas les mêmes moyens. Il est arrivé au cours de cette crise sanitaire que tous les magistrats d'un petit tribunal soient dans l'impossibilité d'être physiquement présents, ce qui n'a évidemment jamais été le cas à Paris en raison de l'importance des effectifs.
Nous avons donc mis en oeuvre un principe d'adaptation et de subsidiarité : je ne vois pas comment on pouvait faire autrement à partir du moment où nous avons ensemble décidé de maintenir une justice de proximité.
Les professionnels de la justice que sont les avocats sont nécessaires à notre État de droit.
Vous le savez, et j'aurai peut-être l'occasion d'y revenir, nous avons pris des dispositions pour que l'aide juridictionnelle puisse bénéficier d'une avance de 50 millions d'euros.
Il est minuit, madame la garde des sceaux, et je voulais commencer mon intervention en vous remerciant, vous-même et vos collaborateurs, d'être ici à cette heure afin de répondre aux questions des députés. Même si je sais que le Gouvernement doit être à la disposition du Parlement, je me réjouis que dans la période que nous vivons, vous passiez ainsi une soirée à répondre à nos sollicitations. On ne le dit pas souvent alors que cela fait du bien !
M. Yannick Favennec Becot et Mme Nicole Trisse applaudissent.
Ma question a trait aux tribunaux de commerce. Il y a quelques semaines, à l'occasion des questions d'actualité, je vous avais interrogé sur la nécessité de sécuriser la relance économique et de limiter l'incertitude juridique de celles et ceux qui exercent des responsabilités, chefs d'entreprise, artisans, commerçants, directeurs d'établissement scolaire ou d'établissement de santé.
Les tribunaux de commerce, notamment leur président, peuvent jouer de ce point de vue dans la période que nous vivons un rôle déterminant, et d'abord en matière de médiation. Compte tenu des imbroglios administrativo-judiciaires auxquels nos concitoyens peuvent être confrontés, notamment les chefs d'entreprise, artisans, commerçants, qu'ils soient à la tête de PME, d'entreprises de taille intermédiaire ou de grands groupes, il serait intéressant de renforcer le rôle de médiation du président du tribunal de commerce.
Mon deuxième point concerne la pérennité financière de ces structures. Les trente et un juges du tribunal de commerce de Rennes par exemple disposent d'un budget annuel de 1 800 euros, soit 4,88 euros mensuels par juge : est-il raisonnable qu'en 2020 nos tribunaux de commerce et leurs présidents disposent de moyens aussi faibles ?
Merci, monsieur le député, pour vos remerciements ! Les tribunaux de commerce jouent effectivement un rôle clé, tout particulièrement en ce moment, pour éviter les défaillances d'entreprises et accompagner celles qui se trouvent en difficulté du fait de la crise économique déjà amorcée. Il y a quelques jours, je me suis d'ailleurs rendue au tribunal de commerce de Paris pour tenir une table ronde ; je l'ai trouvée absolument passionnante, tant l'investissement des juges, des greffiers et de l'ensemble des professions qui interviennent dans ce domaine est fort.
Nous avons pris plusieurs ordonnances pour accompagner les entreprises, d'abord en mars et, pour la plus récente, le 20 mai. Elles visaient deux objectifs. Il s'agissait d'une part d'enclencher des procédures permettant aux tribunaux de commerce de continuer à rendre des jugements pendant le confinement. De fait, ils ont maintenu une activité extrêmement soutenue, notamment grâce aux visio-audiences – les exemples de Paris ou de Rennes en témoignent. D'autre part, l'ordonnance du 20 mai concernait spécifiquement l'appui aux entreprises, avec, là encore, deux objectifs : prévenir les difficultés des entreprises – un rôle accru étant confié au président du tribunal de commerce – , et apporter un appui aux entreprises en difficulté. L'extension aux procédures collectives de la conciliation préalable a ainsi été actée, tout comme, entre autres exemples, le maintien du crédit inter-entreprises. Grâce à l'ensemble de ces éléments, j'espère que nous pourrons accompagner les entreprises confrontées aux difficultés économiques qui s'annoncent.
Alerté par Jean Lassalle, le groupe Libertés et territoires est particulièrement inquiet des conséquences du confinement pour les jeunes placés auprès de l'aide sociale à l'enfance dans le cadre d'une mesure éducative. Selon une disposition de votre circulaire du 14 mars, seuls les services de la protection judiciaire pouvaient proposer le retour des enfants en famille, en se fondant sur un critère qui nous paraît flou, celui des mineurs en bonne santé. Notre groupe a aussi été surpris que soient exclus de ce dispositif les auxiliaires de justice, interlocuteurs privilégiés des juges, ainsi que les avocats représentant les familles et les enfants. Pendant le confinement, aucun dialogue n'a été noué avec certains juges des enfants, alors qu'il était matériellement possible – par visioconférence, par exemple – d'organiser des débats pour examiner ces situations. Certains enfants se sont trouvés brutalement plongés dans un isolement total, du fait de la suppression des retours en famille le week-end et des visites médiatisées. Ils ont subi une déscolarisation totale, sans aucune possibilité de suivre des cours par internet, faute d'ordinateur ou de tablette. Qu'en est-il de leur état sanitaire et psychologique ? Madame la ministre, pourquoi n'avez-vous pas facilité le dialogue pourtant nécessaire entre les familles légitimement inquiètes, leurs avocats et les juges des enfants ?
Votre ordonnance du 25 mars a par ailleurs fixé des délais qui heurtent les libertés. L'urgence ne peut pas tout justifier ! Comment accepter que des enfants placés pour une durée de six mois restent loin de leur famille six mois supplémentaires, sans nouvelle décision judiciaire ni réexamen de leur situation ? Dans un État de droit, est-il acceptable que des placements décidés en dehors d'un contexte d'urgence soient prolongés jusqu'à un mois après la fin de l'état d'urgence ?
Cette question nous a fortement mobilisés, aux côtés des services de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ. Durant le confinement, notre préoccupation première a été d'assurer la continuité de la prise en charge éducative des enfants relevant de la PJJ en milieu fermé. Dans les centres éducatifs fermés, les centres éducatifs renforcés et les hébergements collectifs, nous avons globalement maintenu une activité à peu près identique à celle qui préexistait au confinement. Je dois reconnaître que nous avons rencontré davantage de difficultés dans la prise en charge des enfants en milieu ouvert, ou prise en charge de jour : non seulement nos personnels étaient le plus souvent indisponibles, mais encore nous devions appliquer les recommandations de distanciation physique liées à la crise sanitaire. De fait, durant une certaine période, les enfants n'ont pas été suivis dans les établissements concernés. Toutefois, l'ensemble des éducateurs de la PJJ étaient mobilisés, en télétravail ou par téléphone, pour assurer un contact permanent avec ces jeunes et leurs familles. C'est ainsi que nous avons constamment maintenu une continuité éducative avec les enfants qui nous étaient confiés.
Pendant le confinement, j'ai également dialogué avec Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France, et son entourage, ainsi qu'avec Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, et la PJJ, pour réfléchir à une meilleure organisation du signalement des enfants en difficulté. Nous avons décidé de travailler ensemble. La PJJ accordera des moyens aux cellules de recueil d'informations préoccupantes afin que nous améliorions dès que possible le signalement de ces enfants. J'espère ainsi que nous avons fait au mieux pour assurer la continuité éducative des jeunes.
Dans vos réponses précédentes, madame la ministre, je n'ai pas bien compris ce qu'il en était des discussions avec les organisations syndicales de l'administration pénitentiaire. Je pense en particulier à la CGT pénitentiaire, à qui vous avez signifié que vous ne la recevriez pas, contrairement aux autres organisations syndicales, au motif qu'elle avait déposé une plainte à votre encontre devant la Cour de justice de la République. C'est tout de même extraordinaire, vu les responsabilités qui vous incombaient dans la gestion de la crise du covid-19 ! Les masques n'ont pas été distribués immédiatement, des instructions ont fait savoir que les agents qui portaient un masque alors qu'ils ne le devaient pas s'exposaient à des sanctions disciplinaires… Mais ne refaisons pas l'histoire – j'espère que la Cour de justice de la République la démêlera, et qu'elle nous permettra d'examiner ces questions au fond. Qu'attendez-vous donc de la CGT pénitentiaire : qu'elle retire sa plainte – ce qui serait une intimidation ? Confirmez-vous votre refus de la recevoir – ce qui serait une discrimination syndicale ? Quelle est votre préférence, entre l'intimidation et la discrimination ? Pourquoi avoir pris cette décision ?
Il semble aussi que durant l'épidémie de covid-19, certains fondamentaux propres à l'État de droit, à la séparation des pouvoirs et à l'indépendance de la justice aient disparu comme par magie. Ainsi le chef de l'État, président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire au nom de la Constitution, vous a-t-il demandé de vous enquérir de la situation de la famille Traoré dans la procédure qui la touche avec la justice – et ce, alors qu'un juge d'instruction est chargé de l'affaire ! Situation extraordinaire, la famille Traoré a dû décliner votre invitation au nom de l'indépendance de la justice ! Comment en est-on arrivé là ?
Mme Caroline Fiat applaudit.
Vous m'interrogez sur le dialogue social qui s'est construit pendant la période de crise du covid-19 – puisque c'est bien l'objet de notre débat.
Au cours de cette période, j'ai organisé chaque semaine des audioconférences ou des visioconférences avec les neuf organisations syndicales représentatives, dont la CGT. J'ai présidé deux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. J'ai également tenu un comité technique ministériel, et le prochain est programmé dans quelques jours ; la CGT, comme l'ensemble des organisations syndicales, y sera bien entendu présente. Je n'évoquerai pas ici les nombreuses autres réunions que mes directeurs ont tenues avec les organisations syndicales et l'ensemble des instances concernées, pas plus que je n'évoquerai les visioconférences et audioconférences que j'ai organisées très régulièrement avec les personnels du ministère. Monsieur le député, il n'y a strictement aucune intimidation ou discrimination de ma part : chacun est libre de porter plainte comme il le veut, quand il le veut, devant qui il le veut et pour le sujet qu'il souhaite. Je suis simplement attentive, dans les rencontres bilatérales, à ne pas me trouver avec une organisation qui a porté plainte à mon endroit. Cela ne témoigne ni d'une discrimination, ni d'une intimidation.
La France a été condamnée à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour la surpopulation de ses prisons. Or pour la première fois depuis plus de vingt ans, la quasi-totalité des prisons n'est plus surpeuplée. Surtout, les acteurs de la prison sont unanimes : les conditions d'incarcération se sont améliorées, les tensions se sont réduites, les agressions de surveillants ont reculé, et ces mêmes surveillants n'ont jamais eu autant le sentiment de faire leur travail correctement. Pourtant, les mises sous écrou repartent déjà à la hausse, et la surpopulation guette à nouveau.
La période que nous venons de vivre doit nous inciter à approfondir notre réflexion sur la lutte contre la surpopulation carcérale et sur les mesures alternatives en milieu ouvert, insuffisamment utilisées bien qu'en la matière, beaucoup de nos voisins européens montrent l'exemple. La récidive est toujours moindre lorsqu'on recourt à ces mesures. Quand 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans suivant leur sortie, peut-on considérer que la prison protège la société ? À l'heure où tous les acteurs de la justice adressent une lettre ouverte au Président de la République afin de saisir ce moment pour en finir avec la surpopulation carcérale, comprenons que chaque échec – comme celui que montrent les statistiques de la récidive – et que chaque crise – comme celle que nous vivons actuellement – fournit des informations précieuses pour rechercher des mesures qui remettent l'humain au centre, y compris en matière de politique carcérale. Des solutions plus humaines, moins coûteuses et plus efficaces que la prison existent ; elles bénéficient aux personnes détenues et à leurs proches, mais aussi aux personnels pénitentiaires. Madame la ministre, saurons-nous tirer les enseignements de cette crise, pour éviter que la population carcérale reparte à la hausse ?
Je partage pleinement vos objectifs, comme j'ai eu l'occasion de le dire à de très nombreuses reprises. Après la baisse de la population carcérale, vous constatez que les mises sous écrou repartent à la hausse. Ce n'est pas une surprise, puisque, je le répète, la diminution de la population carcérale constatée durant le confinement résultait amplement de la très forte baisse de la délinquance de rue. Le déconfinement arrivant, cette délinquance repart. Pour avoir contacté différents procureurs ces derniers jours, ils m'ont fait part d'une reprise de cette délinquance, notamment en matière de stupéfiants. De toute évidence, nous savons donc qu'il y aura de nouvelles incarcérations.
Toutefois, je le répète, je partage pleinement votre objectif. Pour l'atteindre, il me semble qu'il convient d'utiliser l'ensemble des dispositions que vous avez adoptées dans la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, dispositions qui sont entrées en application au mois de mars dernier. Je pense en particulier à la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine, appliquée depuis le mois de juin dernier, ainsi que de la possibilité de prononcer, pour équivalent d'une peine de prison d'une durée de six mois, une assignation à domicile, du recours plus fréquent au bracelet électronique et aux peines alternatives. Nous avons fait, vous le savez, un effort tout à fait considérable en matière de travail d'intérêt général, puisque nous avons créé une agence qui propose des postes et une application pour que l'on puisse prononcer aisément cette peine. Nous travaillons avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SPIP, pour faire des enquêtes sociales rapides qui permettent aux juridictions et aux tribunaux correctionnels de prononcer les peines.
Bref, nous sommes totalement mobilisés pour trouver la peine la plus juste.
L'injonction sanitaire « Restez chez vous ! » a résonné différemment pour les victimes de violences conjugales. Avec la secrétaire d'État Marlène Schiappa, vous avez, madame la ministre, très vite pris des mesures complémentaires et allégé certains dispositifs pour venir en aide à ces personnes durant cette période singulière que fut le confinement.
Outil majeur de lutte contre ce fléau, les ordonnances de protection font l'objet d'un comité de pilotage national chargé d'en évaluer l'efficacité. En outre, le Grenelle contre les violences conjugales a eu pour effet une augmentation de 20 % des demandes d'ordonnances de protection entre 2018 et 2019, avec un taux d'acceptation par le juge de 65 %, ce qui nous rapproche de l'Espagne, où ce taux est de 70 %.
Cependant, un décret pris le 27 mai dernier soulève quelques inquiétudes. En effet, si le juge ne précise pas qu'il informe le conjoint qu'une ordonnance de protection a été demandée par la victime, c'est cette dernière qui doit prévenir ledit conjoint. Le décret indique que la victime dispose de vingt-quatre heures pour notifier la date d'audience à son conjoint sous peine que la décision soit rendue caduque. Du fait des délais nécessaires ne serait-ce que pour saisir un huissier en urgence, c'est toute l'efficacité du dispositif qui s'en trouve fragilisée.
L'amendement présenté cet après-midi par notre collègue Rossignol lors de l'examen au Sénat de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales me paraissait intéressant, ou du moins proposer une piste de réflexion dans la perspective d'une modification de ce décret.
Madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer sur cette disposition inscrite dans le décret et nous transmettre un premier bilan de la lutte contre les violences conjugales pendant le confinement ?
Monsieur Houbron, vous mettez l'accent sur ce que j'ai toujours considéré comme étant l'une des priorités de mon ministère, à savoir la lutte contre les violences intrafamiliales. Comme vous l'avez indiqué, j'ai souhaité, durant la période du confinement, que les juridictions continuent à statuer au pénal sur ces questions. Pour ce qui concerne les ordonnances de protection, vous avez rappelé les chiffres : leur nombre augmente, il est passé de 3 000 à 4 000 en un an. Toutefois, ce n'est pas suffisant. Nous devons poursuivre nos efforts en vue de développer la demande d'ordonnances par les avocats et leur délivrance.
Le décret dont vous faites état était nécessaire pour appliquer la loi du 28 décembre 2019 que vous avez adoptée. Il vise à assurer la délivrance des ordonnances de protection dans les six jours – c'est le délai que vous avez fixé. Ce délai est très court et pour qu'il soit respecté, il faut que chaque étape de la procédure s'adapte à lui. Or, dans le cadre de la délivrance d'une ordonnance de protection, on doit bien entendu respecter le principe du contradictoire. C'est pourquoi nous avons fixé un délai de vingt-quatre heures pour signifier la date de l'audience au défendeur afin que celui-ci puisse préparer sa défense.
J'ai toutefois entendu les observations qui ont été faites. Dès demain, la haute-fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes va recevoir les associations et les professionnels, notamment les huissiers, pour examiner comment l'aide juridictionnelle peut venir à l'appui de ce système. Nous allons regarder s'il y a des choses à faire évoluer. Je le dis clairement : si cela s'avère nécessaire, je les ferai évoluer sans hésiter, et je le ferais vite pour que l'objectif visé, à savoir la délivrance d'ordonnances de protection, soit atteint, dans le respect du principe de contradictoire.
M. Dimitri Houbron applaudit.
Alors que les robes noires et plus généralement les professionnels de la justice avaient déjà de très bonnes raisons d'être en colère en raison de la très discutable réforme de la justice et de la réforme injuste des retraites, les voici maintenant frappés de plein fouet par la crise sanitaire liée au covid-19.
Un avocat des Hauts-de-France déclarait récemment qu'il ne savait pas quelle catastrophe il faudrait pour que les autorités s'aperçoivent que la justice est dans le même état de délitement que l'hôpital. En plein coeur de la crise sanitaire, de nombreux barreaux ont dû se substituer à la puissance publique pour fournir aux avocats qui assuraient les audiences urgentes des masques et du gel hydroalcoolique, et cela grâce à des dons reçus. Certains personnels des tribunaux ont même apporté des draps pour fabriquer, en interne, des masques ! Le télétravail s'avère compliqué car les greffiers et les magistrats ne peuvent, faute de sécurisation, se connecter à certains logiciels à distance pour statuer sur des affaires en cours. Il faut, encore une fois, faire appel à la débrouillardise, au bricolage, pour colmater les failles.
Depuis le début de la crise du coronavirus, l'appareil judiciaire tourne au ralenti, laissant de nombreux détenus sur le carreau. Audiences expédiées ou reprogrammées, détentions provisoires prolongées automatiquement : ce temps de coronajustice rend la situation encore plus difficile. On entrevoit le spectre d'une crise judiciaire profonde.
Comment une justice épuisée par le manque de moyens, qui a déjà du mal, en temps normal, à traiter les affaires courantes, va-t-elle faire pour affronter une vague de nouveaux dossiers, du fait de la probable augmentation des contentieux liés au coronavirus, par exemple devant les prud'hommes ? Voilà la question que je vous pose, madame la ministre.
Mme Caroline Fiat applaudit.
Vous me pardonnerez, monsieur Bruneel, de ne pas être totalement d'accord avec vous.
S'agissant des avocats, nos relations avec eux ont été, je le répète, très fréquentes durant cette période – j'ai essayé d'y être attentive. Nous avons fait en sorte qu'ils puissent avoir accès à l'ensemble des dispositifs mis en place par le Gouvernement : le chômage partiel pour les salariés, le fonds de solidarité à destination des petites entreprises, etc. – je ne peux les citer en détail ici. Le ministère de la justice a en outre décidé une avance exceptionnelle d'aide juridictionnelle à hauteur de 50 millions d'euros, applicable dès maintenant. Nous avons donc essayé d'être attentifs. Je rappelle par ailleurs que la mission sur l'avenir de la profession d'avocat, son équilibre économique et ses conditions d'exercice, présidée par Dominique Perben, doit rendre prochainement ses conclusions.
Pour ce qui concerne l'approvisionnement des avocats en masques, vous avez dressé un tableau absolument apocalyptique. Je vous signale qu'il n'y a plus aujourd'hui aucun problème de fourniture de masques.
D'autre part, nous avons suivi la décision du Conseil d'État, qui nous a demandé de mettre les avocats en relation avec les fournisseurs. C'est ce que nous avons fait, et les choses se sont ainsi arrangées.
Vous évoquez le spectre d'une crise judiciaire profonde. Je l'ai dit tout à l'heure : je pense que si la crise du covid-19 va allonger pendant un certain temps les délais d'audiencement, les stocks ne se sont pas particulièrement accrus durant cette période. L'organisation que nous avons adoptée et les mesures que vous avez votées devraient nous permettre de faire face à la nouvelle situation.
Comment imaginer hier, alors avocate, qu'aujourd'hui députée j'aurais l'honneur de clamer une nouvelle attendue depuis des décennies ? Il y a, en France, moins de détenus que de places de prison disponibles. Enfin, nos prisons respirent ! Afin d'éviter la propagation du virus en détention, les parquets et les juges d'application des peines se sont emparés de l'ordonnance du 25 mars 2020 et ont procédé à la libération avec réduction de peine de nombre de détenus. Ajoutée à la baisse de la délinquance inhérente au confinement, cette mesure a permis de réduire de manière drastique le nombre de détenus – vous avez rappelé les chiffres, madame la ministre.
Il convient de tout faire pour que cette situation inédite se maintienne et ne soit pas qu'une respiration. La surpopulation est en effet la première cause de dysfonctionnements en prison. La baisse du nombre de détenus a provoqué un apaisement généralisé dans les lieux de détention au bénéfice des agents pénitentiaires comme des détenus, résultat d'un cercle vertueux : fin du dédoublement et présence d'un seul détenu par cellule, conditions de détention plus satisfaisantes, diminution des tensions et de la violence, amélioration des relations entre détenus et personnel pénitentiaire. Ces conditions se dégraderont de nouveau si l'on revient à une situation de surpopulation carcérale. La meilleure façon de désengorger les prisons, c'est de moins placer en détention.
Entendons-nous bien : les Français ont droit à la sécurité, et l'emprisonnement doit bien évidemment être prononcé lorsque les faits sont graves ou en raison de la dangerosité du délinquant. Dans les autres cas, en revanche, des outils doivent être mis à la disposition des juges pour sanctionner autrement. Les peines alternatives, par exemple le travail d'intérêt général promu par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, doivent être davantage utilisées par les magistrats. La régulation carcérale pourrait également être un outil pertinent.
Êtes-vous, madame la ministre, favorable à ce que le taux d'occupation carcérale devienne un critère permettant de déterminer la peine au même titre que le casier judiciaire ou le parcours du détenu ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Madame Untermaier est d'accord avec vous, madame Galliard-Minier : c'est formidable ! Je n'ai donc plus qu'à me rallier à votre proposition – ce que je fais bien volontiers.
Sourires.
Vous l'avez démontré : la surpopulation carcérale n'est pas une fatalité et, avec un taux d'occupation de 96 % tous établissements confondus – 108 % si l'on tient compte des maisons d'arrêt pour hommes – , nous avons atteint une situation qui permet effectivement de travailler correctement. Néanmoins, je ne suis pas obsédée par les chiffres : ce qui m'importe, ce ne sont pas les résultats chiffrés, c'est de mener une politique pénale adaptée aux situations que nous avons à gérer. Or, vous l'avez dit, nous avons mis en place toute une série de peines alternatives : nous développons les travaux d'intérêt général – 21 000 postes sont désormais disponibles – , les bracelets électroniques, etc. Tout cela offre d'autres solutions que l'emprisonnement.
Je pense aussi qu'il est tout à fait important que les juridictions, les services pénitentiaires d'insertion et de probation, les directeurs des établissements pénitentiaires travaillent ensemble, juridiction par juridiction, pour analyser la situation grâce aux outils et tableaux de bord que nous allons leur fournir, …
… construire une politique pénale adaptée, et ainsi mener une politique de régulation carcérale. Telle est mon ambition, telle est ma volonté, que je m'efforce de faire partager à l'ensemble des personnels qui travaillent dans mon administration ainsi qu'aux magistrats. Je pense que c'est ainsi que nous mènerons une politique pénale efficace.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Le constat que nous dressions en 2017 concernant le fonctionnement de la justice était sans appel : l'accès à la justice était trop compliqué pour de nombreux Français. Nous nous étions alors engagés à apporter des solutions adaptées, et c'est ce que nous avons fait à travers la loi de programmation et de réforme pour la justice.
En adoptant ce texte, nous avons non seulement décidé d'augmenter de manière significative le budget de la justice, celui-ci passant de 6,7 milliards d'euros en 2017 à 8,3 milliards d'euros en 2022, mais aussi de simplifier la vie des citoyens et la justice du quotidien. Cet accès facilité à la justice passe par des procédures plus simples et plus rapides, par une plus grande proximité et, surtout, par une dématérialisation des démarches à hauteur de 100 % en 2022.
La crise sanitaire que nous traversons depuis bientôt trois mois nous a poussés à repenser collectivement notre façon de travailler. Cela s'applique aussi, bien entendu, aux métiers de la justice. En effet, les contraintes liées au confinement ont conduit à d'importantes adaptations afin d'assurer la continuité des activités pour les avocats et les justiciables, ainsi que pour les magistrats et les agents. Cette crise aura mis en exergue les avantages et les besoins de la numérisation de la justice au quotidien.
Il faut tenir compte de ce bilan pour améliorer cet aspect désormais incontournable du fonctionnement de la justice. Pouvez-vous, madame la ministre, nous confirmer que la dématérialisation engagée avec la loi de programmation et de réforme pour la justice s'accompagnera bien d'une dotation en matériel en bon état, fiable, de qualité et sécurisé, ainsi que d'un service d'aide informatique dédié, afin de faciliter le travail des personnels de justice et de garantir un accès à la justice pour tous nos concitoyens ?
La crise sanitaire a mis en évidence l'apport capital du numérique, mais aussi les voies à suivre pour nous adapter ; je n'y reviens pas. Permettez-moi seulement de citer quelques chiffres que je trouve symboliques. Nous disposons aujourd'hui de plus de 85 applications utilisables en télétravail, contre 25 avant la crise, ainsi que de 2 200 systèmes de visioconférence. Notre réseau virtuel privé, que j'évoquais tout à l'heure, est passé en quelques jours de 2 500 à plus de 40 000 connexions, et il fonctionne ! Nous avons déployé la messagerie sécurisée Tchap, acquis 200 ponts téléphoniques pour réaliser des audioconférences. Notre parc d'ultraportables du dernier modèle est passé de 22 000 unités à 25 000 à la date du 8 juin ; il en est prévu 35 000 à la fin de l'année.
À compter du 11 mai, un système de cybercaméras a été mis à disposition en vue des audiences avec des avocats, des experts. L'entrée en service de la plateforme PLEX permet la transmission dématérialisée de dossiers volumineux par les avocats. Encore une fois, ces dispositifs ne sont pas à venir : ils fonctionnent maintenant, au moment où je vous parle. Nous avons autorisé la signature électronique des actes notariés. Depuis mai, le TGI de Paris expérimente l'utilisation d'IPWEB pour les injonctions de payer.
Le ministère de la justice est l'un des principaux utilisateurs de moyens numériques, et même le premier s'agissant du réseau privé virtuel, des services de visioconférence etc. Pourtant, ce travail n'est pas achevé ; nous devons encore progresser. Mais nous avons beaucoup fait, et la gestion de la crise aurait été bien plus difficile sans ce socle acquis, sans les applications que nous avions déjà développées. Je ne parle même pas ici de la procédure pénale numérique, expérimentée à Amiens et à Blois : très bientôt, elle changera la vie des magistrats et des greffiers.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue le mercredi 10 juin à zéro heure trente, est reprise à zéro heure trente-cinq.
L'ordre du jour appelle le débat sur l'austérité dans la santé et la casse de l'hôpital public.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Caroline Fiat.
La crise sanitaire que nous venons de vivre est inédite à l'ère contemporaine. Par bien des aspects, elle ébranle nos certitudes et réclame davantage d'humilité face à la responsabilité de chacun d'entre nous.
Le 16 mars, le Président de la République a opté pour un discours offensif, guerrier. Toute guerre demande des soldats et des équipements. Les soldats, nous les avions : ils se sont distingués durant cette période déroutante, anxiogène, violente, meurtrière ; ce sont les professionnels de santé. Envoyés sans munitions en première ligne, ils ne demandent aujourd'hui ni tambours ni trompettes, mais de quoi sortir de l'abattement où les a plongés cette crise traversée à bout de souffle, à bout de bras, à bout de nerfs. Combien ont été victimes de la covid-19, combien ont contaminé leurs proches, leurs patients, faute de protections, c'est-à-dire faute de capacités d'anticipation et de réaction suffisantes de l'État ?
Cette crise n'aura rien révélé de nouveau concernant l'état de la fonction publique hospitalière, le quotidien des soignants et des personnels hospitaliers. Elle n'a fait que mettre en évidence ce que les professionnels dénonçaient depuis des années. À l'appui de mes propos, je vais vous lire le témoignage d'Estelle, infirmière puéricultrice et membre du collectif Inter-Urgences :
« Dépitée : adjectif qualifiant l'état d'esprit dans lequel je suis aujourd'hui concernant l'évolution de ma profession au sein de l'hôpital public. Après plus d'un an de mouvements de grève aux quatre coins de France pour alerter un cruel manque de moyens humains et matériels ainsi qu'une perte de sens dans l'exercice de nos professions, je suis désappointée. Cette crise sanitaire sans précédent n'a pourtant fait que le confirmer. Malheureusement, ils n'ont rien compris… et tentent de nous embarquer dans leurs élucubrations.
« Je n'ai jamais demandé ni prime, ni médaille ou d'être mise à l'honneur ; et encore moins que la population me fasse don de ses jours de repos pour partir en vacances. Cela relève de l'indécence la plus totale ! Ces propositions gouvernementales, comme les actions d'appels aux dons émanant de nos directions ou agences régionales de santé durant la crise, m'ont fait mourir de honte. Ce n'est pas ce que je représente, je ne veux pas être associée à cela et encore moins que la population si soutenante me prenne pour une petite fille capricieuse par la suite.
« Comme vous tous, j'ai de la famille, des amis, des connaissances qui ont souffert et qui souffrent encore de cette crise. Je ne les ai jamais oubliés, il en est de même pour tous ceux qui ont continué de nourrir, servir, … la population. Alors oui, aujourd'hui, je suis désabusée de la tournure que cela prend, mais je tiens à dire que je ne lâcherai rien. Je continuerai à crier pour pouvoir exercer correctement, pour vous prendre en charge et vous accompagner dignement, vous, vos familles, vos amis, …
« C'est pourquoi, humblement… je demande une revalorisation salariale de tous les paramédicaux pour rendre les métiers plus attractifs et que nous puissions exercer en nombre suffisant dans les services de soins à vos côtés. Je demande l'arrêt de la fermeture des lits des structures ainsi qu'une réouverture des lits nécessaires dans votre intérêt. Car il m'est intolérable de vous voir "végéter" ou dormir sur des brancards. Je demande la stagiairisation de tous les contrats précaires permettant également la stabilité des effectifs leur donnant accès aux formations et à un meilleur encadrement. Constatez donc que je ne suis ni une héroïne, ni une capricieuse mais bien une personne comme vous, attachée à sa profession, soucieuse de vouloir l'exercer décemment dans votre intérêt. »
Madame la secrétaire d'État, je ne sais pas si vous aviez lu cette lettre ; à présent, je suis du moins certaine que vous l'aurez entendue. Si l'on s'en tient uniquement à la dernière décennie, l'hôpital public est devenu un laboratoire pour technocrates, un terrain de jeu pour les apprentis sorciers de l'austérité. Les agences régionales de santé, les ARS, comme le COPERMO, le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins, n'ont été que des outils de transcription du service public hospitalier en écriture comptable, de négation de sa vocation. J'en veux pour preuve le CHRU – centre hospitalier régional et universitaire – de Nancy, sous le coup d'un plan visant à supprimer 600 postes et à fermer 200 lits. Si l'exécution de ce plan est suspendue, c'est en raison de la communication inconsciente du directeur de l'ARS ; mais l'avenir du CHRU est toujours incertain.
Il faut des engagements concrets : cela devrait être la finalité du Ségur de la santé, dont les débuts ne rassurent personne. Le ministre a viré ceux qui en disaient trop au sujet de vos plans, mais ce que les Français vous demandent, c'est de tirer un trait sur l'austérité généralisée. La dénonciation de la situation dans les EHPAD vaut aussi pour l'hôpital public, vidé de son sens, réduit à faire la course avec les structures privées qui, elles, peuvent choisir leurs patients. La France qui soigne tout le monde est une France du public. Mesurez l'urgence : les unités de réanimation manquent pour faire face à l'aggravation d'une situation donnée, épidémie de covid-19 ou autre. Comprenez le besoin d'information, d'échéances, des patients et de leurs proches. Pour basculer dans une société du soin, il ne faudra pas des promesses, mais des moyens ; il faudra aussi que vous redonniez votre confiance aux professionnels de santé.
Durant l'été 2017, je suis montée à cette même tribune pour vous énoncer les quatorze besoins fondamentaux de Virginia Henderson. Vous ricaniez, à l'époque. Aujourd'hui, le soin apparaît comme un débouché politique prioritaire ; dans ce cadre, la réalisation des besoins est essentielle. L'hôpital public doit être au coeur de l'architecture de la santé de demain, et si nous voulons dessiner celle-ci, il est urgent de changer de méthode. Le plan « ma santé 2022 » a été une catastrophique coquille vide, revenant à maintenir les solutions du passé ; même Emmanuel Macron en a reconnu l'échec.
Chaque année, l'hôpital voit ses charges augmenter d'environ 4 % et son budget croître de 2 % : le compte n'y est pas. En 2018, les hôpitaux devaient réaliser 960 millions d'euros d'économies, malgré des ressources en hausse ; en 2019, 650 millions. Lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2020, en dépit de l'annonce en grande pompe d'un vaste plan pour l'hôpital, 800 millions d'économies étaient demandés aux établissements hospitaliers, 4,2 milliards à l'assurance maladie. Depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, on totalise ainsi 12 milliards d'économies sur les dépenses de santé ! Les chiffres font froid dans le dos, la réalité davantage encore. Combien de morts auraient pu être évitées si les moyens avaient été à la hauteur des enjeux, si vous n'aviez pas supprimé des lits à tour de bras, année après année ? Si l'épidémie avait dépassé les niveaux qu'elle a atteints dans le Grand Est et en Île-de-France, le cataclysme devenait inévitable.
Vous bénéficiez d'un système qui, malgré vos détricotages, se ressent encore de l'ambition de nos aînés. Nous avons la chance d'avoir des soignants qui ont tout fait pour que les services tiennent le coup. Mais vous avez fait de notre protection sociale une risible caricature des solidarités. Des soignants portant des sacs poubelles à défaut de blouses, des médecins et des praticiens à domicile sans matériel, des consignes contradictoires : voilà votre gestion de la crise. À l'annonce du confinement, vous aviez toute la confiance et la bienveillance de la nation ; vous avez menti aux Français et privé les hôpitaux de moyens. J'oubliais : vous avez tout de même su vous flatter de l'augmentation du nombre de places en réanimation. Vous aviez triplé la capacité d'accueil dans les services de réanimation ! Pas trop mal au dos ? Les lits n'étaient pas trop durs à pousser, les réanimateurs à déplacer ? Cet exploit, ce sont les services hospitaliers, les services techniques, les personnels soignants, jusqu'aux personnels administratifs encadrants et aux directions, qui l'ont accompli.
Vous avez fait quelque chose, néanmoins : vous avez ouvert les vannes du financement. C'est cela qui a permis aux hôpitaux de tenir vaille que vaille, mais de tenir. Combien de fois vous ai-je dit de leur donner plus de moyens financiers ? Mme Buzyn répondait que nos organisations n'étaient plus adaptées, les personnels pas assez formés ; qu'elle mettait un point d'honneur à ne pas vivre sur le dos de ses enfants, à ne pas leur laisser de dettes. Pendant la crise, le mot d'ordre est devenu : « Quoi qu'il en coûte ». Quel gâchis ! Au sein de la fonction publique hospitalière, on propose des salaires indécents. Dans ma circonscription, comme dans beaucoup de régions frontalières, les soignants sont souvent contraints d'aller travailler à l'étranger pour obtenir une meilleure rémunération, et les directeurs des hôpitaux se désolent de ne pas réussir à pourvoir leurs postes.
Il est temps de refermer cette honteuse parenthèse. Même Martin Hirsch, qui préfère d'habitude l'économie à la santé, a tiré la sonnette d'alarme. Mes chers collègues, renouons avec notre identité. L'identité de la France, c'est le service public ; l'identité de la France, c'est la possibilité pour chacun de ne pas s'inquiéter du lendemain. L'hôpital public est au coeur des jours heureux. Entre 1945 et 1960, en créant les CHRU, nous avons fait sortir de terre un réseau hospitalier dont le maillage s'est étendu sur tout le territoire à mesure que croissaient les besoins de la population. L'augmentation de l'espérance de vie, et surtout de l'espérance de vie en bonne santé, dépend de cette offre hospitalière. Sous le régime de l'austérité, cette espérance de vie en bonne santé diminue, particulièrement chez les plus faibles d'entre nous.
L'épidémie de covid-19 est un test à prendre au sérieux : plus rien ne doit être comme avant. Ce changement de paradigme ne se fera pas naturellement ; il faut provoquer le monde de demain. Les centaines de médecins démissionnant de leurs fonctions administratives, les grèves des blouses blanches, le désarroi des urgences, le délaissement de la psychiatrie, la marchandisation et la privatisation des EHPAD, sont les maux de notre époque, et fermer le livre de l'austérité doit constituer notre objectif minimal. Les « jours heureux » ne sont pas un slogan, mais un programme politique ; l'union nationale ne peut se réaliser que sur les conquêtes sociales.
M. Adrien Quatennens applaudit.
Le 27 février dernier, lors de sa visite à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, le Président de la République a été interpellé par un médecin de l'hôpital. « Il faut sauver l'hôpital public ! », disait ce dernier. Ce cri d'alarme poussé par le personnel soignant, que je remercie une nouvelle fois pour son engagement sans faille, n'est pas nouveau. Depuis maintenant plusieurs années, les hôpitaux publics traversent une crise profonde et très inquiétante. Plusieurs grèves, y compris concernant les établissements publics de santé mentale, ont mis en évidence une situation financière critique. Je l'avais démontré dans les conclusions d'une mission flash menée en 2019 sur le financement de la psychiatrie, distinctes du rapport parlementaire que j'ai corédigé avec Caroline Fiat.
Les soignants manquent de moyens, mais sur le plan de la gouvernance aussi, l'hôpital est en souffrance. Les alertes répétées depuis près de dix ans ont trouvé un écho important lors de la crise inédite que nous venons de connaître et les soignants seront à nouveau dans la rue pour être entendus le 16 juin.
Le système de santé français est très largement basé sur le secteur hospitalier. Il est donc urgent de donner aux hôpitaux les moyens nécessaires pour leur permettre de répondre aux attentes légitimes en matière de santé publique. Les soignants n'attendent ni médailles ni remerciements de la part des politiques, ils attendent des mesures et des moyens concrets pour pouvoir travailler dignement. L'ouverture récente du Ségur de la santé constitue à mon sens une occasion à saisir.
Il est temps d'agir concrètement pour améliorer la situation du service public hospitalier. Encore une fois, je le déplore, il aura fallu une crise comme celle du covid-19 pour que le Gouvernement soit placé devant cette impérieuse exigence. L'hôpital est en grand danger et il doit être doté de moyens importants, loin d'une tarification à l'activité inadaptée. Les soignants, quant à eux, doivent être mieux rémunérés et pouvoir redonner du sens à leur métier.
Comment est-il possible d'expliquer le manque de masques pour les soignants durant une telle crise sanitaire ? Comment expliquer le manque de blouses et de lunettes de protection, comment expliquer le manque de lits de réanimation ? Comment des pays comme la Grèce ont-ils pu traverser cette crise en comptabilisant quarante fois moins de décès que nous ? Les questions sont nombreuses et le Gouvernement devra tirer toutes les leçons nécessaires de la période pour construire un hôpital qui ne subisse plus les crises sanitaires de plein fouet. Alors que les soignants auraient dû être les premiers protégés, ils ont payé un tribut inacceptable, tant physique que psychique.
L'hôpital est un service public qui doit fonctionner en synergie avec les autres infrastructures médicales et médico-sociales du territoire. Arrêtons une bonne fois pour toutes de suivre une logique financière déconnectée des projets médicaux et optons pour un hôpital humain, dont l'objectif premier redeviendrait l'accès à des soins de qualité pour tous. Pour cela, faisons évoluer la tarification à l'activité, qui entraîne toutes ces dérives. La France est l'un des pays européens qui rémunère le moins bien ses soignants hospitaliers : la revalorisation salariale doit être sensible et durable. Après une crise comme celle que nous avons connue, le retour à un schéma salarial antérieur serait une véritable honte. Dans le même état d'esprit, la revalorisation des carrières et des perspectives d'évolution doit être améliorée.
C'est aussi à la crise administrative et organisationnelle qu'il faut s'attaquer. Trop de gestion administrative a entraîné démotivation du personnel soignant et absentéisme. Revenons à la mission de base des hôpitaux : le soin des patients, de tous les patients. Pour cela, le retour à un hôpital humain est primordial. Aussi et surtout, afin de décharger les hôpitaux, une nouvelle organisation territoriale de la santé doit être envisagée. La lourdeur du système actuel nous oriente inéluctablement vers la faillite de notre service public. Favorisons donc le passage progressif aux soins ambulatoires et mettons en place des partenariats public-privé favorisant des parcours de soins cohérents.
En résumé, le groupe Écologie Démocratie Solidarité souhaite des choix forts : plus d'investissements dans les structures, plus de moyens pour les soignants, une revalorisation salariale à la hauteur de leurs missions, et la remise des soins et de l'humain au centre des préoccupations de l'hôpital, tant dans le MCO – médecine, chirurgie, obstétrique – que dans la psychiatrie. Madame la secrétaire d'État, le Ségur sera-t-il suffisant pour assurer toutes ces réponses ?
L'hôpital français est un hôpital d'excellence : les médecins y sont parmi les mieux formés au monde, toutes les spécialités sont représentées, l'accès aux soins performants est possible pour tous, le personnel y est très qualifié et le matériel bien entretenu. L'hôpital français est donc, oui, un hôpital d'excellence. Oui, mais... Les hôpitaux français souffrent.
La grève lancée par les services d'urgence en mars 2019 et suivie par 250 d'entre eux s'est progressivement étendue aux autres services. Des revendications concernant l'ensemble de l'hôpital se sont fait jour : revalorisations salariales, hausse des effectifs, réouvertures de lits, amélioration des conditions et de l'organisation du travail… Alors, en septembre, le Gouvernement a présenté un pacte de refondation des urgences prévoyant le redéploiement de 700 millions d'euros d'ici à 2022. Puis, en novembre, il a présenté un plan pour l'hôpital assorti d'une hausse sans précédent de l'ONDAM – objectif national de dépenses d'assurance-maladie – hospitalier, passé de 2,1 % à 2,4 %, ce qui représente 300 millions d'euros supplémentaires en 2020 et 1,5 milliard sur trois ans, ainsi que de la reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux. De plus, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a prévu un accord sur l'évolution pluriannuelle des ressources des établissements, qui permet notamment de sécuriser la hausse continue des tarifs hospitaliers jusqu'en 2022.
Je salue bien évidemment toutes ces mesures nécessaires. Mais la crise du covid-19 n'a fait qu'accélérer la prise de conscience de tous : notre hôpital et ses agents souffrent. La réponse à cette souffrance ne peut être seulement budgétaire. Certes, il faut des moyens pour réformer l'hôpital, mais il faut aussi de la considération ; des gestions de carrière optimales ; des revalorisations de parcours ; des conditions de travail apaisées ; des organisations de soins souples et adaptables ; le renforcement de l'attractivité des carrières paramédicales ; une réforme de la tarification avec la réduction de 50 % de la TAA – tarification à l'activité – pour renforcer le financement à la qualité, plus respectueux du travail des soignants et moins ancré dans la nécessité de multiplier les actes pour dégager des recettes ; et tant d'autres propositions qui devront émerger des concertations en cours.
À cet égard, le Ségur de la santé est très attendu par les professionnels, car il contient les germes d'une promesse d'écoute attentive et de concertations poussées permettant de tirer collectivement les leçons de l'épreuve passée et de faire le lien avec le plan « ma santé 2022 ». C'est un espoir que nous ne pouvons décevoir. Nous le devons à ceux que certains ont qualifiés de héros, mais qui préfèrent se qualifier eux-mêmes de professionnels.
Cette crise sanitaire majeure pose une multitude de questions que nous devrons prendre le temps de résoudre après – après, comme une promesse d'autre chose, d'une autre façon de penser le monde.
Parmi de multiples interrogations, l'une, essentielle, porte sur la façon de penser notre système de santé, plus particulièrement notre hôpital. Avant l'épidémie, dans les enquêtes d'opinion, la santé apparaissait déjà comme l'un des sujets de préoccupation les plus importants des Français, alors même qu'aucune des trente-cinq questions que leur posait le chef de l'État dans sa lettre publiée le 13 janvier 2019 n'abordait le sujet. Aucun des quatre principaux thèmes fixés par le Gouvernement pour cadrer le grand débat ne la mentionnait explicitement. Et pourtant, de réunion publique en réunion publique, la question du juste accès au système de santé est apparue ces derniers mois comme une préoccupation majeure des Français.
Le coronavirus et ses conséquences n'ont fait que confirmer de manière dramatique le constat suivant : le système de santé français peine à assurer, dans tous les endroits, l'accueil des patients. Il est tellement fragilisé que des mesures d'accompagnement seules ne pourront suffire. Il faut désormais repenser entièrement un système qui, malgré l'immense qualité des professionnels, est à bout de souffle – et ce dans le cadre d'un plan global à long terme. Pour cela, il faut restaurer la confiance des Français – de tous les Français, patients comme professionnels, ce qui ne pourra se faire que dans le consensus. Or, pour l'atteindre, une concertation large et plurielle doit être organisée.
Dans une tribune très juste, Frédéric Valletoux, président de la FHF – Fondation hospitalière de France – , a proposé que soit organisée, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, une Conférence nationale de consensus pour bâtir ensemble l'avenir de notre système de santé. Je souscris entièrement à cette proposition que je fais mienne et qui est plus que jamais d'actualité.
Le président Emmanuel Macron a annoncé, à Mulhouse, un plan massif d'investissement et la revalorisation de l'ensemble des carrières. La réponse doit être profonde et dans la durée. En effet, il nous faut repenser l'hôpital, pas seulement sous le prisme des moyens à lui accorder, mais en le considérant comme un maillon de notre système de santé. Les interactions entre tous les acteurs de la santé devront être non seulement renforcées, mais aussi repensées. Le rôle de chacun devra être précisé, ce qui induira nécessairement des changements lourds dans les pratiques, mais aussi dans nos habitudes de consommateurs de soins. Il faudra aussi réévaluer notre rapport au risque, à l'anticipation et au principe de précaution.
Il est désormais urgent d'agir avec tous les Français. Tous, nous avons notre mot à dire sur les maux de notre système de santé. Les consultations devront être nationales, mais aussi locales, afin de repérer le plus finement possible les besoins des territoires. Intégrer tous les citoyens à la réflexion sur un problème majeur, au sujet duquel tous les Français ont des inquiétudes ou des interrogations, permettra d'imaginer une solution adaptée à chaque territoire.
La santé est un sujet trop sérieux pour le laisser aux seuls professionnels et la légitimité de la parole des Français est indéniable. Engageons ce débat, ouvrons une concertation nationale pour donner la parole aux Français et faire vivre notre démocratie, pour construire ensemble, au lendemain d'une crise qui marquera l'Histoire, un nouveau système de santé, moderne, efficace, réactif, respectueux des hommes et des femmes qui le font.
Le 30 avril 2019, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine déposait une première proposition de loi. Après un tour de France des hôpitaux entamé en janvier 2018, nous indiquions que le grand débat national, dont nous sortions à l'époque, avait délibérément écarté la santé, pourtant en tête des préoccupations des Français, et cause des 1 700 mouvements de grève recensés à cette date depuis 2017 – ici pour sauver une structure hospitalière, là pour s'opposer aux réductions de personnel. En 2019 encore, vous choisissiez un budget prolongeant l'asphyxie des hôpitaux : vous leur vous aviez demandés 960 millions d'euros d'économies en 2018, ils devraient en réaliser 910 millions en 2019.
Lors d'une semaine de contrôle identique à celle-ci, mon collègue Alain Bruneel interpellait la ministre de la santé en ces termes : « Les restructurations et les concentrations sauvages voient des GHT – groupements hospitaliers de territoire – mastodontes côtoyer les déserts médicaux. Les salariés sont épuisés [et] les plans d'économies continuent alors que l'on manque déjà cruellement de personnel, de lits et de matériel. Cela met en danger les soignants comme les patients. »
À cette proposition de loi, au contrôle de l'action gouvernementale, aux questions et interpellations multiples dans l'hémicycle, votre réponse et celle de la majorité fut : circulez, il n'y a rien à voir ! Ou plutôt si : le plan « ma santé 2022 », présenté en septembre 2018, qui ne prévoyait pas de financements nouveaux et, pire encore, poursuivait la transformation d'hôpitaux généralistes en coquilles vides, sans maternité, sans activité chirurgicale et sans urgences.
Alors, le 16 octobre 2019, nous déposions une proposition de loi contenant quarante-trois mesures qui, sans que je la cite de manière exhaustive, devrait résonner à vos oreilles. L'article 1er prévoyait l'extinction progressive, en deux ans, de l'allègement de cotisation patronale d'assurance maladie afin de dégager 22 milliards d'euros pour l'hôpital. L'article 4 proposait l'exonération des établissements publics de santé et des EHPAD publics de taxe sur les salaires, pour redéployer 4 milliards d'euros supplémentaires. L'article 7 instaurait un moratoire sur les fermetures de lits et services hospitaliers. L'article 10 définissait l'hôpital de proximité comme un établissement assurant obligatoirement des activités de médecine d'urgence, de chirurgie et d'obstétrique. L'article 24 instaurait des tarifs réglementés pour l'hébergement en EHPAD. L'article 25 prévoyait un ratio d'encadrement de six agents pour dix résidents en EHPAD. L'article 34 lançait un programme public de production et de distribution de médicaments essentiels concernés par des ruptures d'approvisionnement et des arrêts de commercialisation. L'article 38 redéfinissait la psychiatrie comme discipline médicale à part entière.
Ces quelques articles, parmi les quarante-trois du texte, criaient l'urgence, une nouvelle fois, comme le criaient les contributions de nos collègues de la France insoumise et du groupe socialiste. Et rien, rien ! Jusqu'à ce qu'au coeur de la crise, le 15 mai dernier, à la Pitié-Salpêtrière, le président Macron reconnaisse, « une erreur dans la stratégie ».
Ce soir, si l'on s'en tient à la définition du mot stratégie, nous contrôlons donc une erreur, une faute politique reconnue. Pourtant, vous continuez de manoeuvrer contre l'opposition, contre le groupe communiste en particulier, et de le bâillonner dans l'exercice de son droit à créer une commission d'enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid-19.
Eh bien, nous vous le disons : l'opposition est fatiguée de contrôler du vent, et notamment votre vent mauvais. Quels sont les éléments dont nous avons besoin ? Nous vous l'avons dit et nous l'avons répété au ministre de la santé cet après-midi : de quels éléments de négociation dispose Mme Notat, la comtesse de Ségur, pour le Ségur de la santé ? C'est de cela que nous voulons discuter, c'est cela que nous voulons contrôler, avec les salariés et avec les Français.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Rhumatologue, chef de service, puis chef de pôle à l'hôpital d'Orléans de 2005 à 2017, j'ai pu vivre et subir les politiques hospitalières successives : celle du président Sarkozy qui, en 2007, promettait qu'à la fin de son mandat, il n'y aurait plus d'établissement public de santé en déficit, prônant alors l'hôpital-entreprise, la tarification à l'activité à 100 %, les économies structurelles. Plus de dix ans plus tard, force est de constater que le bilan s'éloigne grandement des promesses.
Puis, avec les équipes hospitalières, j'ai subi la politique du président Hollande, qui a certes changé les mots, mais omis de changer la réalité, empêchant les investissements nécessaires. En 2016, Marisol Touraine, alors ministre de la santé, le reconnaissait elle-même et déclarait : « Je sais que le déficit des hôpitaux augmente un peu. Je connais la difficulté de respecter un ONDAM qui, même s'il progresse, n'a jamais aussi peu progressé. »
Nous avons ainsi hérité de plus d'une dizaine d'années de politiques contraignantes, qui ont transformé la gestion des hôpitaux, les conditions de travail des professionnels de santé et empêché les investissements nécessaires.
Depuis 2017, pour répondre au besoin de changement de logiciel de notre système de santé, nous avons défendu des mesures fortes, pour redonner du sens, travailler à une meilleure articulation entre la médecine de ville et le secteur hospitalier, et favoriser des réponses adaptées à chaque territoire. C'est par exemple autour des communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS – que nous réorganisons de manière efficace le lien entre la ville et l'hôpital. Durant la crise, nous avons d'ailleurs pu observer que dans les territoires où ces structures étaient le mieux implantées, le suivi et la prise en charge des patients ont été facilité.
Miser sur le collectif, sur l'initiative des professionnels, sur le dialogue et les atouts de nos territoires est le choix de la majorité et du Gouvernement.
Il semble aujourd'hui que la crise, les acteurs de terrain et les patients valident ce choix. Et alors que ce soir, résonnent dans l'hémicycle les mots « austérité » et « casse » de l'hôpital, je m'interroge : où est cette austérité depuis 2017 ? Où est l'austérité, quand on sait que nous avons voté ici-même, en novembre, une augmentation de 1,5 milliard d'euros du budget de l'hôpital ? Où est l'austérité dans l'augmentation des tarifs hospitaliers en 2019, qui constitue une première depuis dix ans ? Où est l'austérité lorsqu'on prévoit plan de 750 millions d'euros pour les urgences ?
La crise nous impose évidemment d'en faire plus, d'aller plus vite, d'être réactifs, mais ne laissons pas des voix crier que nous regardons l'hôpital s'effondrer sans rien faire. Ce serait nier nos efforts, nos engagements et nos valeurs, et je n'y verrai qu'une amnésie parlementaire. Une rupture idéologique suivie de faits concrets : telle est bien l'ambition que nous avons depuis 2017. Le Président de la République l'a d'ailleurs lui-même rappelée dans son adresse aux Français, le 12 mars dernier. Il a alors déclaré que la santé n'a pas de prix et qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.
Vous le savez, le vaste chantier du Ségur de la santé s'est ouvert le 26 mai. Il réunit tous les acteurs pour qu'ils avancent rapidement et ensemble vers la revalorisation des métiers, le financement des soins, la simplification des organisations et la coopération territoriale. Ce chantier permettra, nous le souhaitons, de lever les tabous bien trop enfouis de notre système de santé. Le Ségur est chargé de promesses et d'ambitions : si l'augmentation de la rémunération est bien entendu l'un des enjeux cruciaux, ces semaines de concertation sont également l'occasion de créer un nouvel environnement, pour que la confiance dans les acteurs du soin soit renforcée.
Les acteurs du système de santé n'ont besoin ni de nouvelles contraintes ni de nouvelles règles ni de nouveau formulaires à remplir, mais bien de liberté, pour être autonomes dans l'organisation des services, pour innover ; ils ont besoin de liberté pour soigner, tout simplement. Cette liberté, j'en suis convaincue, permettra aux acteurs de santé de retrouver du sens dans l'exercice de leur métier et de reconstruire la confiance aujourd'hui mise à mal.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous confirmer que vous vous engagez à redonner de la liberté aux acteurs et de la souplesse au financement, et à réaliser le choc de simplification aujourd'hui attendu ? Mes chers collègues, le changement de paradigme qui vient s'opérer grâce au Ségur de la santé permettra de tirer les leçons de la crise et de remettre à notre système de santé à la place qu'il mérite.
Pour parler de l'hôpital en France, je me suis risquée à comparer la part du produit intérieur brut – PIB – consacrée à la santé en France et en Allemagne. Chacun des deux pays consacre 11,5 % de son PIB à la santé, mais derrière cette donnée identique se cache une différence de taille : les dépenses pour l'hôpital sont de 3,2 % en Allemagne, contre 4,3 % en France, soit 1,1 % de plus. Malgré cela, les médecins, les infirmiers, les soignants, sont mieux rémunérés en Allemagne qu'en France. Comment expliquez-vous ces disparités ? Notre organisation régionale est-elle adaptée ?
Madame la secrétaire d'État, cela fait bien longtemps déjà que l'hôpital public, dans notre pays, est malade. Si les causes sont multiples, la crise sanitaire que notre pays connaît a inévitablement mis en lumière toutes les problématiques rencontrées dans nos territoires. Ainsi, je voudrais, au nom du groupe Les Républicains, saluer le courage, l'engagement et le professionnalisme de nos soignants, que ce soit à l'hôpital, à domicile ou en EHPAD.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Caroline Fiat applaudit également.
Les applaudissements nourris, tous les soirs, partout en France, ont attesté de notre reconnaissance, mais le système hospitalier français était à la limite de la rupture. Le point d'orgue fut, et restera, la nécessité de transférer des malades en réanimation dans toute la France, que ce soit en avion, en train ou par la route, car c'est la démonstration de l'incapacité notre système à absorber une crise sanitaire d'ampleur.
De plus, les médecins, et plus globalement les équipes soignantes, ont parfois dû faire des choix liés à l'âge ou aux antécédents des patients, voire en croisant ces deux critères. Pourtant, ce n'est pas dans l'éthique des médecins, qui apprennent dès le début de leur cursus à toujours sauver un malade. Prendre de telles décisions a été pour eux un réel traumatisme, car l'éthique n'est pas une science qui s'enseigne, mais bien un questionnement personnel : sélectionner les malades pour affecter un lit de réanimation est un choix douloureux.
Aujourd'hui, le défi de notre système de santé réside non seulement dans la revalorisation des rémunérations de toute la chaîne des soignants – même si elle paraît nécessaire – , mais également dans l'obligation de reconsidérer le maillage territorial, afin de mettre fin aux déserts médicaux. Le Haut-Jura, avec la succession de fermetures de services orchestrée à l'hôpital de Saint-Claude, en est un exemple flagrant.
Il faut désormais traiter les inégalités territoriales, tant en termes d'équipement que de moyens humains, pour constituer un réseau équilibré d'hôpitaux présents dans tous les territoires, et pas seulement dans les grandes villes. Il ne s'agirait pas de de conforter les CHU mais, dans le même temps, de fermer les services de proximité. La majorité a accéléré ce processus…
… et le résultat est inquiétant : nous avons frôlé la catastrophe. En prévision d'un grand nombre de malades contaminés, partout, dans chaque département, les préfets ont par exemple envisagé, en lien avec les présidents de départements et les services départementaux d'incendie et de secours – SDIS – des réquisitions de salles – parfois même de salles des fêtes ! – pour les transformer en hôpitaux de campagne.
Quelle image, et quelle indécence dans cette approche !
Madame la secrétaire d'État, notre pays doit être doté d'un service hospitalier qui garantisse des soins de qualité et de proximité à l'ensemble de la population, sans exclure les plus fragiles ou les plus vulnérables.
Après la crise sanitaire, il est l'heure d'en tirer tous les enseignements. J'ai identifié trois priorités : la première est de garantir la présence d'hôpitaux de proximité sur tout le territoire ; la deuxième est de prévoir un nombre suffisant de lits de réanimation par département, et non par région. Par exemple, nous avons pu constater que dans un département rural de 260 000 habitants, seuls douze lits de réanimation pouvaient être mobilisés : un tel chiffre, vous en conviendrez, est dérisoire en période de pandémie. La troisième priorité est d'assurer l'indépendance de notre filière pharmaceutique, car aujourd'hui, nous sommes face à une rupture de stock de produits anesthésiants, ce qui contraint nos soignants à repousser encore des interventions urgentes et graves, qui avaient déjà été déprogrammées en raison du coronavirus.
Madame la ministre, serez-vous au rendez-vous pour relever ce défi et travailler sur ces trois priorités, afin de permettre à notre hôpital de garder le cap lors d'une prochaine tempête ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Tout d'abord, je voudrais féliciter nos hôpitaux, qui ont tenu le choc et réalisent encore aujourd'hui à travail formidable. Pendant la crise sanitaire, nous avons pu mesurer la résilience de notre système de santé et l'engagement de nos professionnels de soins : je souhaite leur dire merci et bravo. Paul-Valéry écrivait : « L'homme n'en sait pas assez sur l'homme pour ne pas recourir aux expédients ». Selon lui, c'est ainsi que « les solutions grossières, vaines et désespérées se proposeraient ou s'imposeraient au genre humain ». Je n'oserais dire que nos collègues de la France insoumise méconnaissent l'humain, car je sais que c'est faux, mais ils nous donnent souvent des raisons de nous interroger sur leur recours aux expédients, notamment en matière d'économie.
Le mot « austérité » est terrifiant…
… et sans rapport avec la réalité que nous vivons en France. Mon propos ne vise évidemment pas à affirmer que tout va pour le mieux et que rien n'est à remettre en question dans l'organisation de notre système de santé, loin s'en faut. Mais je ne connais pas beaucoup de pays qui, comme la France consacrent chaque année plus de 200 milliards d'euros à leurs dépenses de santé – soit plus de 12 % du PIB français – le tiers de ce montant étant directement consacré à l'hôpital public. Ce niveau de financement des dépenses de santé fait de la France le pays de l'Union européenne qui, avec l'Allemagne, consacre la part de PIB la plus élevée à la santé. Elle se situe largement au-dessus de la moyenne européenne, qui s'établit quant à elle à 9,8 %. Le coeur du sujet n'est donc pas uniquement le budget que nous allouons au système de santé et à l'hôpital public ; c'est aussi la manière dont nous l'utilisons. Nous pouvons ainsi nous questionner sur le ratio entre personnels soignants et personnels administratif dans nos hôpitaux, et sur le niveau des salaires pratiqués.
Cette deuxième problématique est en effet ressortie avec vigueur lors de la crise sanitaire, qui a jeté une lumière vive sur nos difficultés. Pourtant, nous ne les découvrons pas aujourd'hui : c'est justement pour y répondre qu'en septembre 2018, le Président de la République a lancé la stratégie « ma santé 2022 », qui propose une vision d'ensemble et des réponses globales aux défis auxquels est confronté le système de santé français. Il s'agit notamment de favoriser une meilleure organisation et de fluidifier la coopération entre l'hôpital et la médecine de ville, mais également de redonner aux médecins du temps pour soigner, en s'appuyant sur la nouvelle fonction d'assistant médical. Enfin, il s'agit de faire de la qualité et de la pertinence des soins, le fil rouge de la transformation.
L'offre hospitalière s'organise, quant à elle, autour de deux piliers. D'une part, comme cela vient d'être signalé, des hôpitaux de proximité pour assurer les soins du quotidien. Le vieillissement de la population et l'augmentation des maladies chroniques rendent plus que jamais ces hôpitaux indispensables. D'autre part, des hôpitaux recentrés sur leur mission première de soins très techniques, nécessitant des équipements adaptés et de pointe.
Au-delà de cette stratégie nationale, une meilleure organisation de notre système de santé repose également sur une meilleure prise en compte de la prévention, qui reste le parent pauvre. Ainsi, la première priorité de la stratégie nationale de santé 2018-2022 est d'accorder une plus grande attention à la politique de promotion de la santé et à la politique de prévention à tous les âges de la vie, et pour tous les groupes de population.
Il est aussi évident que la fin de la participation de la médecine générale aux gardes de nuit ou de week-end et aux petites urgences – activités qui ne leur ont jamais été assez reconnues – n'aura jamais été anticipée, ce qui a contribué à la désorganisation des urgences. Puisque nous parlons de l'organisation de l'hôpital et que vous connaissez mon engagement de longue date pour la recherche en santé, je me permettrai, avant de conclure, une légère digression sur le continuum entre recherche et soins, incarné par le CHU – centre hospitalier universitaire – , et son importance dans nos territoires.
La crise de covid-19 nous a démontré, s'il en était besoin, l'importance de l'innovation en santé, qui doit être menée jusqu'au lit du patient. Elle a également montré qu'il est urgent de renforcer la coordination territoriale de la recherche entre universités, établissements de santé, professionnels de santé libéraux, établissements publics à caractère scientifique et technologique, et autres organismes de recherche. Le CHU, qui est souvent le plus gros opérateur local, aurait ainsi toute légitimité à s'inscrire au coeur de cette coordination. Cela aurait par exemple permis d'identifier rapidement les outils de diagnostic de type PCR – polymerase chain reaction – , dont on a tant parlé, présents sur un territoire donné, mais aussi de partager des savoir-faire ou des plateformes technologiques. Cela fait partie des enjeux qui mériteraient d'être débattus dans la prochaine loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Vous l'aurez compris, il n'y a pas plus de casse de l'hôpital public que d'austérité. Il y a, bien au contraire, une volonté de mieux agencer et de réorganiser notre système de soins pour offrir aux professionnels de nos hôpitaux les meilleures conditions d'exercice possible, et permettre à nos patients de bénéficier les soins dont ils ont besoin.
À l'initiative du groupe La France insoumise, nous débattons cette semaine de la politique d'austérité menée dans la santé et de ses conséquences désastreuses pour l'hôpital public.
Voilà maintenant trois décennies que la France mène une politique d'austérité en matière de santé. Cela a commencé dans les années 1990, sous le gouvernement d'Alain Juppé, avec la création de l'ONDAM. À l'époque, le Gouvernement avait décidé, par voie d'ordonnance, de fixer un plafond aux dépenses de santé qui, comme nous le savons, est défini chaque année dans la loi de financement de la sécurité sociale. L'objectif, clairement assumé par le gouvernement Juppé, était de réduire de 100 000 lits, soit près du tiers de sa capacité, le parc hospitalier français.
Dans un premier temps, ce sont donc les plus petits établissements de santé qui ont fermé, délaissant par là même les territoires reculés et augmentant de fait la désertification médicale. À ce titre, entre 2003 et 2016, plus de 60 000 places d'hospitalisation à temps complet ont disparu, dont près de la moitié en médecine et en chirurgie. Depuis, les gouvernements se sont succédé, le plafond de dépenses qu'est l'ONDAM devient de plus en plus coercitif. Or, parallèlement, la population française augmente et vieillit, ce qui accentue le nombre de personnes fragiles.
Cette politique d'austérité s'est poursuivie en 2007 lors du second mandat de Jacques Chirac. Son ministre de la santé Jean-François Mattei a ainsi présenté en 2004 une réforme de la santé dans le cadre du plan Hôpital 2007 qui a institué la tarification à l'acte, responsable de la logique marchande à l'oeuvre dans le secteur de la santé en France.
Une nouvelle fois mise en oeuvre en ayant recours à des ordonnances, cette réforme modifie le mode de financement des hôpitaux. Ces derniers reçoivent un budget en fonction du nombre d'actes qui y sont réalisés. Chaque acte a une tarification particulière. Plus il y en a, plus le budget augmente. Exeunt, donc, les notions de service public, d'aide rendue à la population et de soutien apporté aux territoires. Cette réforme, qui a privilégié les actes techniques et quantifiables, a eu pour effet de délaisser le travail de suivi, d'accompagnement et d'échange avec les patients. Les hôpitaux et les soignants ont donc été soumis à plus de pression et à une politique de rentabilité désastreuse.
C'est également avec le plan Hôpital 2007 que Jean-François Mattei a poussé les hôpitaux à s'endetter pour se moderniser et renouveler leurs équipements, des dépenses certainement nécessaires mais rendues possibles par de l'emprunt sur les marchés financiers. Or, avec la crise économique de 2008-2009, ces emprunts se sont souvent révélés toxiques et ont fortement dégradé la situation financière de nos hôpitaux publics.
Entre 2002 et 2012, la dette de ces derniers a été multipliée par trois en France. En 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la ministre de la santé Roselyne Bachelot a fait voter une nouvelle loi sur la santé qui a renforcé la centralisation hospitalière. La même démarche a été adoptée par la ministre Marisol Touraine en 2016, de sorte que la réduction du nombre de lits et la fermeture de services au sein des hôpitaux ont été encouragées pour réduire l'endettement hospitalier. Voilà une grave erreur qui se paie encore aujourd'hui à l'hôpital, même si le précédent quinquennat aura au moins eu le mérite de rétablir les comptes sociaux et d'assainir les finances de la sécurité sociale.
Depuis 2017, cette politique d'austérité a été renforcée par des ONDAM trop bas à chaque vote de PLFSS, projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors que la reprise économique aurait permis une autre politique pour l'hôpital. De même, la loi Ma santé 2022 a eu pour effet de renforcer la centralisation hospitalière, la fermeture d'hôpitaux ruraux et de services dans différentes hôpitaux dits de proximité – je pense en particulier à la gériatrie alors que les personnes âgées sont les principales victimes du covid-19.
En 2018, à grand renfort de communication, vous annonciez la fin du numerus clausus et une vague de nouveaux médecins pour les prochaines années. J'ai vérifié quel était le niveau de l'augmentation des étudiants admis en médecine cette année : il est similaire à celui des années précédentes. Pas d'augmentation du nombre de médecins en perspective. Par conséquent, voici peut-être ce qui définit le mieux le macronisme : les grandes annonces face caméra et les petites décisions dans le silence.
Pour faire face à la crise des urgences, des hôpitaux et des EHPAD, ces deux dernières années, le Gouvernement a annoncé à l'automne 2019 un grand plan pour l'hôpital. Celui-ci s'est traduit par des mesures insignifiantes et insuffisantes : pas de hausse des salaires, pas de réouverture de lits, pas de recrutement. Aujourd'hui, alors que l'encre de votre dernier plan pour l'hôpital n'est pas encore sèche, vous lancez un Ségur de la santé. Sans doute accouchera-t-il lui aussi d'une souris : toujours pas de hausse des salaires ni de réouverture de lits ni de nouveau recrutement en vue.
Mme Caroline Fiat applaudit.
Le Covid-19 s'est abattu soudainement sur le monde et bien entendu sur notre pays, suscitant le même état de sidération que l'effondrement de nos armées en trois semaines en 1940. Et voilà nos élites complètement perdues, personne ne sachant ce qu'il convient de faire. Nous avons retrouvé les réflexes acquis lors de l'épidémie de grippe espagnole qui, au lendemain de la Première Guerre mondiale, fit presque autant de morts que cette dernière. Les anciens dans nos villages se souviennent encore de cette époque où, déjà, on éternuait dans son coude, on se tenait à trois mètres de distance, on renonçait à l'office religieux.
Depuis, nous n'avons pas avancé… C'est surtout au cours des quarante dernières années que nous avons reculé, à mesure que s'effaçait notre modèle démocratique, qui restera à mes yeux certainement l'un des plus beaux – on a parlé du modèle athénien, qui ne dura pas longtemps et n'était pas non plus parfait mais le nôtre ne fut pas si mauvais. Un système féroce se mit en route après la chute du mur de Berlin. Nous étions alors les vainqueurs, mais au lieu de continuer notre quête démocratique engagée depuis si longtemps et notre lente montée en civilisation, nous lançâmes soudain une opération portes ouvertes en faveur du capitalisme le plus féroce de tous les temps.
Dès lors, et malgré les protestations de toutes les femmes et de tous les hommes de bonne volonté, Mme Bachelot, Mme Touraine puis la championne du monde toutes catégories, Mme Buzyn, se sont abattues tour à tour sur nos hôpitaux, sur nos maternités, avec le succès que nous connaissons tous. Nous ne comptons plus les enfants qui, chez nous, naissent au bord des routes, comme jadis, au XIXe siècle, ils naissaient dans la rue, parce que les voitures n'ont pas le temps d'arriver au centre hospitalier le plus proche.
J'espère que ce drame nous servira d'avertissement. Ce ne serait pas inutile. Cela se terminera-t-il comme la crise des gilets jaunes, par une petite centaine de réunions animées dans toute la France par M. le Président de la République face à des maires en tenue de gala ou comme la funeste soirée qui mit à terre Notre-Dame-de-Paris et qui ne fut suivie d'aucune conclusion sur les travaux à mener ? J'espère que non, car il se fait tard – et je ne parle pas seulement de l'heure à laquelle nous débattons en ce moment, monsieur le président – , il se fait tard parce que les peuples n'en peuvent plus de subir pareil traitement.
Nous avons tous découvert que nous étions des colosses aux pieds d'argile. Nous ne disposons d'aucune protection. Si un problème de cette envergure se présente à nous de nouveau, il nous fera encore tomber. Mais, cette fois-là, nous relèverons-nous ?
Je vous rappelle enfin que le pacte de refondation des urgences annoncé par M. le Président de la République en septembre 2019, représentant 750 millions d'euros, n'a donné lieu qu'à des redéploiements de crédits existants, que la reprise de la dette hospitalière, à hauteur de 10 milliards d'euros en trois ans, annoncée en novembre 2019, n'est toujours pas à l'ordre du jour, et que les primes sont accordées aux soignants – ces malheureux soignants tant applaudis– en fonction des hôpitaux dans lesquels ils travaillent : s'ils ont la chance d'exercer dans un hôpital territorial, ils y ont droit, mais s'ils exercent dans un hôpital plus petit, ils n'en bénéficient pas. Chez moi, à Oloron-Sainte-Marie, ils attendent tous mais ils ne recevront rien.
Je fais tout ce que je peux, monsieur le président ! Je souhaite que nous relancions la recherche. La France est le pays de la recherche, fondamentale ou appliquée. L'expertise vient des hommes et les femmes de terrain : qu'on ne les contraigne pas, qu'on ne les oublie pas, qu'on ne les humilie pas ! À cette condition, la France, pays où l'on soigne bien, retrouvera la place qui était la sienne : la première.
La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur Berta, permettez-moi de m'associer aux remerciements que vous avez adressés à l'ensemble de nos professionnels soignants qui ont oeuvré, et qui continuent à le faire, dans la gestion de cette crise.
Madame Fiat, il y a eu des munitions pendant la crise. 700 millions de masques ont été distribués aux soignants, il ne faut pas l'oublier. Les soignants ont fait preuve d'un engagement sans faille. Nous ne le nions pas, nous les avons remerciés, à juste titre.
Monsieur Lassalle, quelle que soit la taille de la structure, tous les soignants des hôpitaux publics toucheront une prime d'au moins 500 euros pour leur participation à la gestion de la crise du Covid-19. La différence se fait uniquement entre les établissements situés dans les territoires les plus fortement touchés par l'épidémie et les autres.
Ce n'est pas ce que j'ai compris. Vous leur expliquerez, à Oloron-Sainte-Marie !
Concernant la gestion de la crise, nous n'avons jamais menti, madame Fiat. Nous avons été transparents en donnant régulièrement les chiffres à propos de l'épidémie mais aussi à propos des masques.
Je rappelle également que nous devons la reconnaissance aux soignants. Personne ne considère qu'il s'agit d'un caprice. Une revalorisation de tous les métiers est bien prévue par le Ségur de la santé, rendez-vous historique destiné à reconnaître pleinement les soignants et à réarmer notre système de santé.
La casse de l'hôpital public n'a jamais été à l'ordre du jour, pas plus aujourd'hui qu'hier. Le Ségur aboutira, nous l'espérons tous, à des accords de la santé. Néanmoins, sans attendre ce qui naîtra de ces concertations dans les prochaines semaines, permettez-moi de rappeler ce qui a été fait depuis 2017, parce que nous aimons l'hôpital public et y sommes attachés comme à un trésor national.
Ce gouvernement a conduit une campagne tarifaire en totale rupture avec un cycle de baisse de tarifs qui perdurait depuis plus de dix ans : où est la casse de l'hôpital public ? Le Gouvernement a procédé au dégel intégral des crédits mis en réserve en 2018 et en 2019 : où est la casse de l'hôpital public ? Le Gouvernement a pris des engagements sans précédent sur la pluriannualité pour redonner enfin de la visibilité aux hôpitaux : où est la casse de l'hôpital public ?
Monsieur Aviragnet, l'assainissement des comptes sociaux lors du précédent quinquennat s'est fait au détriment de l'hôpital. Le déficit de la sécurité sociale s'est réduit pendant que celui des hôpitaux se creusait. Nous redressons l'hôpital depuis plus de trois ans. À cet égard, je voudrais remercier Mme Rist qui a rappelé les mesures qu'a prises le Gouvernement en faveur de notre système de santé…
… mesures que vous avez largement enrichies par vos travaux, puisque le Parlement a voté une loi d'organisation et de transformation du système de santé pour réduire les inégalités sociales et territoriales dans l'accès aux soins et pour favoriser de manière inédite l'exercice coordonné, avec une meilleure articulation entre l'hôpital et la médecine de ville. Aujourd'hui, ce Gouvernement travaille avec tous ceux qui font vivre notre système de santé pour construire ensemble une nouvelle donne, pour reconnaître nos soignants dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils font.
Voilà, brossé à grands traits, le bilan de ce que nous avons accompli, telles sont les ambitions qui nous ont guidés jusqu'à aujourd'hui. Je ne sais pas si nous pouvons en être fiers…
… mais je sais que nous n'avons pas à en rougir.
Par ailleurs, j'ai eu la curiosité de consulter ce que proposait, en matière de santé, le programme de La France insoumise, L'Avenir en commun. Votre première proposition concerne la priorité accordée à la prévention. Or nous avons justement entrepris une petite révolution culturelle en mettant l'accent sur la prévention, de la petite enfance à la stratégie de prévention d'autonomie pour nos aînés. Votre programme mentionne à juste titre la nécessité d'une prévention accrue contre les risques de l'alcool et du tabac.
Pour ne donner qu'un seul chiffre, nous comptons aujourd'hui 1,6 million de fumeurs quotidiens en moins qu'en 2017. C'est une baisse rapide du nombre de fumeurs qui traduit l'efficacité conjointe des politiques sanitaires mais aussi fiscales en la matière.
Dans votre programme, vous appelez de vos voeux la prise en charge à 100 % des soins par l'assurance maladie.
Nous avons conçu le dispositif 100 % santé et la complémentaire santé solidaire pour abolir les freins financiers à l'accès aux soins, un enjeu central en matière de santé publique mais aussi de politique sociale – on sait par exemple combien le manque de soins dentaires peut être considéré comme un stigmate social.
Votre programme prévoit également qu'« une réforme progressiste et globale de l'offre de soins s'impose pour affronter efficacement le défi des maladies chroniques en intégrant les différents compartiments de l'offre de soins aujourd'hui cloisonnés de façon à ce que la coopération remplace la concurrence ».
Le plan « ma santé 2022 » est entièrement bâti sur l'exigence d'un exercice coordonné des pratiques médicales et d'une meilleure articulation entre l'hôpital et la médecine de ville.
Le décloisonnement est la pierre angulaire de la loi d'organisation et de transformation du système de santé qui a été votée au Parlement.
Je pourrais continuer à égrener les mesures de votre programme, L'Avenir en commun, …
… mais une chose me frappe : au-delà de nos divergences bien réelles sur de nombreux sujets, nous avons des ambitions communes en matière de santé, même s'il y existe des nuances.
Depuis maintenant deux semaines, nous discutons avec tous les acteurs de la santé sur la méthode, le calendrier et les objectifs principaux.
Nous travaillons avec tous…
… à une meilleure valorisation des carrières et des métiers, au développement de nouveaux parcours professionnels à l'hôpital et dans les EHPAD. Nous voulons relancer l'investissement et de nouveaux modèles de financement, rendre notre système de santé plus souple et plus simple. Quant à la question que vous posez, madame la députée, sur le nombre de lits en réanimation, elle sera traitée dans le cadre du Ségur.
Il s'agit aussi de mettre en place des organisations plus proches des territoires et associant de manière plus collective l'hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social, sans parler des hôpitaux de proximité sur lesquels j'aurais certainement à répondre à vos questions.
Nous avons mis en place des concertations nationales, des sessions de partage d'expériences au sein des territoires de santé. Un espace d'expression dédié aux professionnels de santé est en ligne depuis hier.
Enfin, vous m'interrogez sur le calendrier. À la mi-juillet, nous tirerons les conclusions de ces concertations auprès des professionnels sur la crise sanitaire, afin d'apporter des réponses ajustées aux besoins et aux attentes, et de construire un système plus fort, plus résiliant, qui prenne mieux soin de ceux qui prennent soin de nous.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Adrien Quatennens.
La France les a applaudis ; à présent, vous devez les entendre. Voilà plus d'un an et demi que le personnel soignant et non-soignant de l'hôpital vous alerte par tous les moyens, par la grève et la manifestation.
Le diagnostic est clair : notre système de santé et l'hôpital public – sans doute notre bien le plus précieux, admiré à travers le monde – sont à bout de souffle. Ce n'est pas le fruit du hasard. Depuis des décennies, ils subissent la politique de libéralisation et de privatisation qui a transformé petit à petit les lits en ligne de fichiers Excel, les patients en temps chronométré, les soins en actes quantifiés et valorisés et, en définitive, l'hôpital en une banale entreprise.
Il aura donc fallu une pandémie et une crise sanitaire sans précédent pour que vous prétendiez enfin leur apporter l'attention qu'ils réclament en lieu et place des coups de matraque ou des tirs de gaz lacrymogène qu'ils ont connus.
Mais soyez prévenus : l'attention ne suffira pas, vous êtes attendus au tournant. Fini les plans santé prétendant injecter de l'argent alors qu'ils ne font qu'amoindrir les économies demandées. Moins d'économies, cela reste des économies. Or des économies sur la santé et les lits à l'hôpital, on sait désormais trop bien comment cela se termine : 69 000 lits de moins en quinze ans, période pendant laquelle la Commission européenne exigeait des États membres qu'ils fassent des économies dans le secteur de la santé.
Pendant cette crise sanitaire, le personnel de l'hôpital aura été exemplaire dans sa capacité d'adaptation et d'auto-organisation. L'humain gère mieux l'hôpital que les calculatrices.
Je disais que la France les a applaudis et que vous devez les entendre. En fait, c'est bien plus que cela. Vous devez donner suite à leurs revendications et traduire celles-ci dans la loi. Telle doit être l'issue de votre nouveau tour de passe-passe nommé Ségur de la santé car il n'y a pas besoin de refaire le diagnostic : il est établi.
Allez-vous, oui ou non, augmenter les salaires ? Allez-vous, oui ou non, embaucher pour soulager les effectifs ? Allez-vous, oui ou non, en finir définitivement avec la politique de fermeture de lits ? Allez-vous, oui ou non, augmenter de façon importante le prochain budget de la santé ?
J'appelle tous les Français qui ont applaudi les personnels de santé tous les soirs à vingt heures à leur fenêtre, à descendre dans la rue mardi prochain, le 16 juin, pour les accompagner. Le moment est venu pour vous de céder enfin.
Mme Caroline Fiat applaudit.
J'ai parlé à l'instant d'ambitions communes. Le chantier est vaste et nous avons organisé les travaux selon différents axes que je vais rappeler : mieux valoriser toutes les carrières et tous les métiers ; développer de nouveaux parcours professionnels à l'hôpital et dans les EHPAD. Comme le ministre l'a dit sans détour, cela passera par une hausse des salaires à l'hôpital et en EHPAD.
Cela passera aussi par une remise en question de certains carcans qui empêchent ceux qui le souhaitent de travailler davantage ou différemment, sans remettre en cause les statuts. Cela passera encore par une meilleure valorisation du travail en équipe, donc des compétences acquises et des missions exercées.
Nous allons travailler à une relance de l'investissement et à de nouveaux modèles de financement. La reprise du tiers de la dette des hôpitaux représente un effort de 13 milliards d'euros pour la nation, ce qui permettra de réinvestir, de reconstruire, de rouvrir, de moderniser. Nous discuterons également d'un nouveau plan d'investissements pour les établissements de santé et les EHPAD.
Enfin, nous voulons rendre notre système plus souple et plus simple. La norme pour la norme, la bureaucratie pour la bureaucratie n'ont pas de sens. Tout devra être revu notamment à l'aune des enseignements de la crise du covid-19.
Il y a tant de choses à dire sur l'hôpital, ses besoins et son budget, que même les sept semaines prévues pour le Ségur de la santé n'y suffiront pas.
J'aimerais aborder l'urgence du recrutement, le non-sens de remplacer l'humain par le numérique, la nécessaire lutte contre le gaspillage, l'inévitable réorganisation, l'hyper-féminisation des professions de santé et ses conséquences salariales, etc. Mais je n'ai que deux minutes.
Pour illustrer le fait qu'il est essentiel de penser l'hôpital public dans sa globalité, je vais prendre exemple du nombre de lits en réanimation. Entre mars et mai, nos capacités sont passées de 5 000 à 12 000 lits en réanimation.
Les appels à des ouvertures supplémentaires de lits en réanimation sont donc parfaitement compréhensibles. Ils sont dans certaines zones parfaitement justifiés, moins dans d'autres où, même en période de crise sanitaire, des lits sont restés inoccupés un certain temps dans le secteur privé, par manque de concertation et surcharge administrative conduisant à de coûteux transferts de patients.
En revanche, des services de réanimation éphémères, rapidement opérationnels et faisant preuve d'une énorme élasticité, ont été mis en place partout. Tous les soignants ont su s'adapter partout à cette situation exceptionnelle, malgré le manque d'équipements, de médicaments, de personnels et bientôt de sommeil – un peu comme nous en ce moment, sauf qu'eux n'avaient pas le choix. Je vois que tout le monde m'écoute puisque je parle de vous tous et que personne ne réagit.
Les soignants ont montré sur le terrain que des locaux plus modulables et adaptables permettent d'agrandir rapidement les capacités d'accueil. Chaque établissement peut élaborer un plan de montée en charge de ces soins critiques tout en s'appuyant sur un réseau territorial capable de répartir les ressources et les compétences médicales et soignantes de manière harmonieuse, car les solutions ne peuvent être imposées verticalement.
Il sera indispensable d'embaucher des soignants et de les rémunérer à leur juste valeur. Il faut avoir une approche fine dans la réorganisation et le processus de décision : pour réduire les coûts de l'hôpital public tout en renforçant son fonctionnement, il faut des personnels soignants plus polyvalents grâce à une formation plus adéquate, des soins plus pertinents et plus ciblées. Il faut surtout écouter les propositions émises par les soignants, leur faire confiance, pas uniquement en temps de crise.
Voilà ce que propose le groupe Écologie Démocratie Solidarité : soigner notre hôpital malade et – pourquoi pas ? – le guérir. Nous suivrez-vous, madame la secrétaire d'État ?
Tout d'abord, je voudrais vous remercier pour l'ensemble des propositions que vous avez formulées. Les modalités de concertation doivent nous permettre de recueillir toutes les idées qui nous aideront à tirer les enseignements de l'épidémie que nous avons traversée et à donner de nouvelles perspectives à notre système.
Des axes d'action que vous tracez, je retiens ceux-ci : la valorisation des compétences et l'engagement de nos professionnels ; le développement de compétences et de nouvelles perspectives de carrière, notamment pour les paramédicaux et les infirmiers ; la nécessaire simplification du fonctionnement de l'hôpital. Toutes ces propositions seront discutées dans le cadre du Ségur de la santé.
Vous évoquez aussi l'enjeu des soins critiques. Une réflexion globale sur les capacités d'accueil dans les services de soins critiques doit avoir lieu et elle aura lieu. Il sera question de la réactivation de lits, de l'agilité des services de soins critiques, de la prise en compte de la dimension territoriale, de ressources humaines dédiées, de notre capacité à mobiliser une réserve de soignants, de la formation, de la reconnaissance et de la valorisation des compétences.
Toutes vos propositions ont été remises au ministre…
… et à l'équipe nationale d'animation du Ségur de la santé, conduite par Nicole Notat. Elles seront pleinement intégrées aux travaux.
Nous sommes réunis cette nuit pour débattre de l'avenir de l'hôpital public, ce qui donne à chacun d'entre nous l'occasion de remercier les personnels soignants pour l'engagement sans faille dont ils ont fait preuve pendant la crise sanitaire. En ce début d'année, cette crise a mis en lumière la nécessité d'un investissement massif et d'une réorganisation pour transformer notre système hospitalier. Au-delà de la question des moyens et de l'organisation interne, elle pose aussi celle de l'articulation entre l'hôpital public et son environnement – je pense notamment aux centres hospitaliers locaux en zones rurales. Si l'hôpital public fonctionne globalement bien, il peut en effet être déconnecté de son environnement. Nous avons tous en tête la manière dont le dramatique arrêt des gardes de nuit profonde par les médecins généralistes a engorgé les urgences.
Pour ma part, je voudrais parler de l'articulation entre l'hôpital public et les collectivités qui, historiquement, ont beaucoup contribué à la santé publique par leur action en matière d'hygiène, d'assainissement de l'eau et de prévention. Certains vont jusqu'à dire que l'augmentation de l'espérance de vie doit plus à l'action des collectivités qu'à celle de notre système de santé.
Or les liens entre l'hôpital public et les collectivités se sont parfois distendus, en raison notamment de la transformation des conseils d'administration en conseils de surveillance. Anciens maires et présidents de conseil de surveillance, nous sommes quelques-uns ici à avoir pu constater les limites de notre action dans ce domaine. En outre, la création des GHT a transféré beaucoup de pouvoir dans des mégastructures qui peuvent poser des problèmes de gouvernance locale.
À présent, chacun ressent bien la nécessité de donner plus de place aux collectivités qui ont fait leurs preuves pendant la crise avec la création de centres covid-19 ou même la fourniture de surblouses comme ce fut le cas pour une communauté de communes des Monts du Lyonnais.
Selon vous, madame la secrétaire d'État, quelle doit être la place de l'hôpital public dans les territoires, notamment en zone rurale ? Avez-vous des idées concrètes sur la manière de mieux intégrer l'hôpital dans son environnement et de mieux associer les élus locaux à son fonctionnement ?
Monsieur le député, votre question porte sur un sujet cher à notre ministère. Depuis plus de trois ans, nous travaillons à améliorer l'accès aux soins, à consolider la place des hôpitaux dans les territoires.
La réforme des hôpitaux de proximité, mesure phare de la stratégie de transformation du système de santé, vise à améliorer l'accès aux soins pour les usagers sur l'ensemble du territoire. Vous avez été associés aux nombreux travaux menés en 2019 : la définition de leur mission et de leur périmètre d'activité ; le renforcement du lien avec la ville ; l'élaboration de leur nouveau modèle de financement.
Les hôpitaux de proximité assurent le premier niveau de la gradation des soins, et ils partagent des missions définies avec les professionnels de ville et les acteurs du territoire. L'objectif est d'apporter une réponse structurée et coordonnée aux besoins de santé des populations.
Les hôpitaux de proximité bénéficieront d'une garantie pluriannuelle de financement qui tiendra compte de leur participation à l'offre de soins territoriale. Ce financement permettra de valoriser les liens avec les professionnels exerçant en ville, à travers la création de la dotation de responsabilités territoriales.
Sans anticiper sur les conclusions du Ségur de la santé, nous portons toujours cette grande ambition pour les hôpitaux de proximité et les centres hospitaliers locaux. Le quatrième pilier du Ségur de la santé, qui s'intitule « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers », fait l'objet d'un travail spécifique lié à la gouvernance. Les territoires, donc les collectivités territoriales et les centres hospitaliers de proximité, ont et auront toujours toute leur place dans la politique que nous conduisons.
Nous constatons tous qu'il existe un profond malaise dans les établissements de santé, les hôpitaux et les EHPAD. Nous entendons des cris de révolte et d'alerte. Des manifestations sont organisées depuis plus de deux ans. Nous constatons aussi que l'on ne répond pas forcément aux besoins et aspirations de ces personnels soignants : au cours de la seule année 2019, de septembre à octobre, quatre plans ont été mis en place pour le personnel soignant, sans résultat.
À présent, le Ségur de la santé est lancé à la suite de la crise du covid-19 et du mouvement de solidarité avec tous les personnels des hôpitaux et des EHPAD, de la femme de ménage au chef de pôle. Quelque chose de très grand et de très fort s'est exprimé. Comment le Ségur de la santé va-t-il répondre à toutes ces questions et aspirations ?
Les professionnels de la santé sont assez méfiants puisqu'ils manifesteront de nouveau le 16 juin et qu'ils organisent des mardis de la colère pour monter leur détermination à aller au bout de leur expression et de leur mobilisation jusqu'au moment où ils seront écoutés.
Combien d'argent mettez-vous sur la table pour répondre à toutes ces revendications ?
Mme Caroline Fiat applaudit.
Monsieur le député, nous partageons nombre des constats de votre groupe sur ces sujets. Ce plan est en construction avec l'ensemble des acteurs et des parties prenantes du système de santé dans le cadre de cette grande concertation d'un mois qu'est le Ségur de la santé.
Notre ambition est notamment de tirer collectivement les leçons de l'épreuve que nous avons traversée et de faire le lien avec les orientations du plan « ma santé 2022 ». Au moyen de solutions fortes et concrètes, nous voulons bâtir les fondements d'un système de santé encore plus moderne et plus résiliant, toujours à l'écoute des professionnels, des usagers et des territoires.
Vous posez la question des moyens et du financement nécessaires pour faire vivre cette ambition : ils sont évidemment prévus. Je rappelle que le Ségur de la santé est guidé par deux objectifs principaux : transformer les métiers et revaloriser les personnels soignants. Il s'agit de définir une nouvelle politique de financement et d'investissement au service du soin. Les mots ne peuvent pas être plus clairs.
Vous comprendrez cependant que nous ne souhaitions pas préempter les concertations et les débats en cours, auxquels vous aurez d'ailleurs l'occasion de participer puisque des sessions de travail avec les parlementaires sont programmées. Elles permettront de débattre des différents piliers du Ségur de la santé sans exclure aucun sujet. La rémunération des professionnels de santé, le parcours professionnel, les carrières, le développement des compétences, les modalités d'exercice, mais aussi les modèles de financement, seront au coeur des débats. Comment sortir de la tarification à l'activité ? Quels sont les nouveaux leviers de financement de l'investissement ? Comme le ministre de la santé s'y est engagé, nous ferons connaître les résultats des discussions sur ces différents sujets au fur et à mesure de la concertation.
Le monde connaît aujourd'hui de profondes mutations, auxquelles n'échappe pas le secteur de la santé. La pandémie liée à la covid-19 a révélé les failles d'un système de santé dont nous avons tous conscience qu'il est à repenser. L'hôpital a connu non seulement une augmentation de son activité de plus de 14 % en dix ans, doublée d'une inflation des comorbidités liées à l'âge, d'un afflux important dans les services d'urgence et donc d'une intensification du travail, mais il est aussi devenu le lieu d'une vision managériale et d'une prolifération bureaucratique qui, tel un lit de Procuste, génèrent des situations conflictuelles et de la souffrance pour le personnel soignant, qui ressent cette situation comme contraire à l'éthique professionnelle.
Si les mesures prises par le Gouvernement en amont de la crise, dans le cadre de la loi relative à l'organisation et la transformation du système de santé – « ma santé 2022 » – , témoignent d'une réelle prise de conscience du malaise dans les hôpitaux, avec la hausse de l'ONDAM, la reprise annoncée d'un tiers de la dette des hôpitaux et le fléchage des crédits dédiés à l'investissement du quotidien, beaucoup reste à faire, en particulier pour une remédicalisation de la gouvernance des hôpitaux, un financement à la qualité, une revalorisation des carrières et des salaires, la formation et le renforcement du lien ville-hôpital.
Reconnaissance, confiance, subsidiarité, réactivité, simplification administrative : voilà ce qu'attendent aussi les soignants, dont il faut souligner l'engagement exemplaire face à la pandémie.
Comment relever ces défis et répondre aux attentes du monde de la santé ? Comment faire face aux aléas à l'aune de la pandémie ? Comment instruire le virage ambulatoire de la médecine en l'orchestrant d'une nécessaire interface ville-hôpital pour en finir avec « l'hospitalo-centrisme » et pour que le Ségur de la santé ne se réduise pas à un Ségur de l'hôpital ?
Je sais, monsieur Delatte, que vous avez remis votre blouse durant la crise sanitaire, comme bon nombre de députés et de professionnels qui avaient quitté le secteur médical et paramédical. Je vous remercie, à titre personnel, d'avoir, les uns et les autres, été aux côtés des soignants pendant cette épreuve.
L'hôpital tiendra évidemment une place particulière dans le Ségur de la santé. Les professionnels de ville et le secteur médico-social sont aussi étroitement associés à la concertation, ce dont témoigne la présence de 300 acteurs du monde de la santé lors du lancement du Ségur de la santé par le Premier ministre et le ministre de la santé, deux mois jour pour jour après le discours de Mulhouse. Je vous épargne la liste de tous ces acteurs, mais toutes les filières étaient représentées et continueront de l'être lors de chaque réunion organisée au ministère. Il faut le dire, cela faisait longtemps que l'ensemble des acteurs de la santé n'avaient pas été réunis par-delà les clivages et les corporatismes.
Le Ségur de la santé s'ouvre donc pour un mois de concertation. Jusqu'à la fin du mois de juin, les acteurs du système de santé, de la ville, de l'hôpital et du secteur médico-social, des projets tels que les CPTS, la télémédecine, les métiers du grand âge ou l'amélioration de l'accès aux soins feront l'objet d'échanges. Si nous apportons une attention particulière aux établissements de santé, c'est précisément parce que nous voulons voir émerger un système de santé plus fort. Je sais pouvoir compter sur vous dans cette entreprise.
Madame la secrétaire d'État, dans le cadre du Ségur de la santé que vous piloterez jusqu'à la présentation des conclusions attendue à la mi-juillet, il est un enjeu majeur sur lequel j'aimerais m'attarder : la pérennisation de services d'urgences fluides.
Les services d'urgences de nos hôpitaux sont trop souvent saturés et les médecins urgentistes peinent à prendre en charge les cas d'urgence réelle. Plusieurs pistes doivent être explorées, parmi lesquelles le renforcement des plateformes téléphoniques d'accompagnement à distance – je sais que le Gouvernement y travaille activement.
Quel rôle les professions paramédicales auront-elles à jouer dans la future organisation des services d'urgences ? On estime que près d'un patient des urgences sur cinq est atteint d'un problème musculo-squelettique léger. Fin 2019, le ministère de la santé a donc pris de premières mesures fortes afin de désengorger ces services. Une part significative des passages aux urgences s'explique par l'accessibilité aux soins que permet l'hôpital, y compris en cas de traumatologie douloureuse. Celle-ci est aisée à soigner mais il faut, pour consulter un kinésithérapeute, une prescription du médecin traitant. Parce qu'il faut souvent plusieurs jours pour obtenir une consultation, les personnes concernées se tournent spontanément vers les urgences pour résoudre leur problème rapidement tout en bénéficiant d'une prise en charge par l'assurance maladie.
Envisagez-vous d'inclure davantage les professionnels paramédicaux, tels que les infirmiers en pratique avancée ou d'éventuels kinésithérapeutes de garde, dans la gestion des services d'urgence, aux côtés des médecins urgentistes des hôpitaux ?
Vous savez, madame la députée, l'attention que nous portons aux services des urgences. Ce sujet vous tient également à coeur et je ne doute pas que vous participerez aux travaux le concernant.
Les Français sont profondément attachés aux urgences, auxquelles ils accordent, à juste titre, une grande confiance. L'activité des urgences a connu une augmentation continue en France comme partout ailleurs en Europe. En 2017, 21 millions de passages ont été enregistrés dans les services d'urgences français. Cette hausse de fréquentation engendre, vous le savez, des tensions croissantes dans les services, plaçant les patients et les soignants dans des situations difficiles.
Le Gouvernement partage de longue date ce diagnostic avec tous les acteurs : il est au coeur des priorités gouvernementales depuis plusieurs mois. Les mesures du pacte de refondation des urgences se déploient depuis septembre 2019 et des changements importants et positifs sont déjà intervenus. Pendant la crise sanitaire liée au covid-19, les urgences ont tenu. Certains professionnels ont innové et initié de nouvelles organisations. Je pense notamment aux médecins libéraux qui ont participé au SAMU, service d'aide médicale urgente. La crise nous invite à examiner ce type d'initiative d'un oeil neuf. Tel est précisément l'ambition du Ségur de la santé : transformer les métiers, revaloriser ceux qui soignent, fédérer les acteurs de la santé dans les territoires, au service des usagers.
Dans le cadre du Ségur de la santé, dont les deux piliers sont transformer et revaloriser, nous avons l'opportunité d'aller plus loin dans les pratiques avancées, dans le renforcement du lien entre la ville et l'hôpital, dans l'organisation des soins non programmés et dans l'accès aux soins. Le Ségur de la santé ne vise pas à remettre en cause les mesures prises pour les urgences depuis septembre 2019 ; il va nous permettre de travailler avec les professionnels, parmi lesquels les professionnels paramédicaux, afin de faire encore plus et encore mieux dans ce domaine, au bénéfice des patients.
Alors que nous débattons de l'austérité dans la santé et de la casse de l'hôpital public, les organisations syndicales et professionnelles appellent à une journée de mobilisation nationale pour la défense de l'hôpital public. C'est dire si, à peine sortis de la crise sanitaire liée au covid-19 et du mouvement de soutien populaire qu'elle a engendré à l'égard des soignants, notre débat est d'actualité. En même temps, il n'est pas nouveau…
Depuis 2012, avec mes collègues du groupe Les Républicains, nous ne cessons de contester, au sein de la commission des affaires sociales et dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale, l'absence de prise en compte des difficultés de l'hôpital public et les déficits abyssaux qu'elle génère. Ces carences sont apparues au grand jour pendant la crise du covid-19. Il est clair, aujourd'hui, que sans le professionnalisme et le dévouement des soignants, notre système de santé aurait vraisemblablement explosé.
Au moment où nous nous demandions encore comment notre système de santé allait tenir, le Président de la République annonçait à Mulhouse, à l'issue de la crise, « un plan massif d'investissement et de revalorisation des carrières » pour l'hôpital. Deux mois après jour pour jour, le 25 mai 2020, le Premier ministre et le ministre de la santé ont donné le coup d'envoi du Ségur de la santé.
Il apparaît aujourd'hui que la concertation avec les personnels soignants s'annonce limitée et que le Ségur de la santé engendre déjà beaucoup de déceptions parmi les personnels soignants et leurs organisations professionnelles.
Quinze jours après son lancement, nous ne disposons d'aucunes données chiffrées.
Madame la secrétaire d'État, envisagez-vous vraiment une revalorisation des salaires des personnels soignants des hôpitaux publics, des établissements médico-sociaux et des établissements pour personnes âgées dépendantes, et de toutes les personnes qui interviennent au domicile des patients, sans oublier évidemment les aidants familiaux ? Si oui, avec quels moyens financiers ? Comment financerez-vous la nécessaire restructuration des hôpitaux publics ? Quels investissements avez-vous prévus ?
Monsieur Lurton, vous êtes favorable, comme nous, à une politique de relance du système de santé, de soutien à l'hôpital public et de revalorisation des salaires des soignants. Je ne reviendrai pas sur les mesures prises par le Gouvernement depuis qu'il est aux responsabilités ; je les ai déjà citées.
S'agissant du soutien à l'hôpital, nous avons infléchi la tendance de l'ONDAM, qui avait atteint des niveaux très bas pendant le précédent quinquennat, et nous l'avons revalorisé. Par ailleurs, nous avons créé plusieurs dispositifs afin de soutenir les territoires en tension et les professionnels en début de carrière.
Vous l'avez souligné : lors de son discours à Mulhouse, le Président de la République a pris un engagement fort auprès des professionnels mobilisés dans la gestion de la crise sanitaire liée au covid-19, que viendront concrétiser les travaux du Ségur de la santé. Cette concertation, qui mobilise l'ensemble des acteurs du secteur, nous permettra de connaître les besoins, donc de déterminer une enveloppe budgétaire.
Madame la secrétaire d'État, aux différentes questions qui vous sont posées, vous répondez : Ségur de la santé ! Nous avons toujours demandé davantage de concertation, de consultations et d'écoute du monde syndical. Toutefois, après trois projets de loi de financement de la sécurité sociale et l'adoption de la loi « ma santé 2022 », qui contenait les promesses de campagne du candidat Macron mais aussi bon nombre de mauvaises surprises, après aussi le plan d'urgence pour l'hôpital public de l'automne 2019, que comptez-vous entendre que vous ne sachiez pas déjà ? Qu'est-ce que les syndicats, les professionnels de santé et les associations de patients ne vous ont pas déjà dit ?
Prévoir davantage de lits d'aval à l'hôpital, améliorer la rémunération des soignants et l'attractivité des carrières, augmenter le nombre de recrutements pour un meilleur fonctionnement des hôpitaux, améliorer la prise en charge des soins à domicile pour les personnes âgées dépendantes, prévoir un financement important pour la dépendance : toutes ces mesures sont déjà sur la table. La crise sanitaire n'a fait qu'aggraver une situation d'ores et déjà délétère à l'hôpital public, dont ont témoigné deux années de mobilisation sans précédent à l'hôpital public et dans les EHPAD.
La question à laquelle le Gouvernement est aujourd'hui confronté est celle de l'action après les grandes envolées lyriques du Président de la République lors de son intervention télévisée du 12 mars 2020 : « Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » ; « La santé n'a pas de prix. Le Gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre charge les malades, pour sauver des vies quoi qu'il en coûte. » C'est ce « quoi qu'il en coûte » qu'ont entendu les soignants et tous les Français qui les soutiennent.
Je me fais le porte-parole du Comminges et du Savès et je vous demande, madame la secrétaire d'État : combien de recrutements supplémentaires pour l'hôpital de Saint-Gaudens ? Quelles hausses de salaire pour les soignants du centre de rééducation fonctionnelle des hôpitaux de Luchon ? Combien de lits d'aval supplémentaires pour l'hôpital de la fontaine salée de Salies-du-Salat ? Ces questions précises appellent des réponses précises !
Les soignants nous disent – presque avec gêne, tant cela peut sembler paradoxal – que, ces dernières semaines, ils sont nombreux à avoir retrouvé le goût de leur métier, la passion des débuts.
Dans l'épreuve extrême, ils ont fait front, tendus vers un seul objectif : soigner et soigner bien.
La crise, qui a servi d'accélérateur et de révélateur dans bien des domaines, doit aussi conduire à accélérer la mise en oeuvre des mesures qui les concernent. C'est l'objet de la concertation menée dans le cadre du Ségur de la santé. Il s'agit de partir des acteurs, des territoires, de l'expérience du terrain où certaines digues ont pu sauter, par exemple lorsque nous avons fait travailler ensemble des services qui n'en avaient pas l'habitude – collectivités, préfecture, services internes aux ARS – pour trouver des réponses adaptées.
Les soignants veulent également être écoutés. La concertation permet aussi de le faire et de prendre en considération leurs demandes relatives à leur métier et à sa pratique.
Je le répète, aucune enveloppe n'est prédéfinie : définissons d'abord les besoins, nous adapterons ensuite les financements.
Pendant trois mois, les soignants ont été applaudis par les Français tous les soirs à vingt heures. Un hommage national leur sera rendu le 14 juillet. Après les symboles, les personnels des établissements hospitaliers ont besoin d'une vraie reconnaissance, d'une revalorisation salariale et de conditions de travail plus satisfaisantes.
Alors que la première vague épidémique s'achève, on ne peut que saluer la réactivité et la capacité de mobilisation et d'adaptation des personnels soignants, paramédicaux et administratifs des établissements hospitaliers, malgré un manque de moyens humains et financiers que j'ai dénoncé à plusieurs reprises ici même. Ils ont fait face, et nous ne les en remercierons jamais assez.
Au-delà de ces remerciements, il est plus urgent que jamais de rompre avec la vision qui fait de l'hôpital une entreprise et de replacer la logique médicale au coeur du système de santé.
Depuis longtemps, les équipes hospitalières dénoncent la déconnexion entre le financement des hôpitaux et le coût réel des soins ainsi que la dépendance des établissements vis-à-vis du système bancaire. L'endettement des hôpitaux, auquel s'ajoute l'absence de perspective pluriannuelle sur leurs ressources, obère leur capacité à recruter et à investir. Leur donner plus de visibilité et de moyens permettra d'améliorer les conditions de travail à long terme, de moderniser les équipements et, ainsi, de garantir la qualité des soins.
Pour toutes ces raisons, le Ségur de la santé a suscité de vifs espoirs. Toutefois, après dix jours de concertation, nos héros du quotidien sont dubitatifs et craignent un simple effet d'annonce consécutif à la crise.
Pouvez-vous nous assurer qu'une véritable transformation de notre système de santé va s'engager à l'issue des discussions ? Le Ségur de la santé sera-t-il suffisamment à la hauteur des attentes des soignants pour leur redonner confiance, dans l'intérêt des patients ? La pluriannualité du financement des hôpitaux sera-t-elle enfin garantie, ainsi que l'adaptation de l'offre de soins aux patients et aux territoires ?
Votre question est tout à fait légitime. Je donnerai d'abord quelques exemples de ce que nous avons fait pour l'hôpital public.
En septembre 2019, le plan « ma santé 2022 » a été appliqué aux urgences et un pacte ambitieux mis au point pour améliorer la situation de ces services en tension. Le volet « investir pour l'hôpital » a été lancé le 20 novembre pour accélérer les transformations et mieux accompagner les hôpitaux. De premières solutions ont été apportées au problème de l'attractivité des métiers grâce à la valorisation des métiers et des territoires en tension. De premiers leviers ont été activés : l'ONDAM hospitalier a été porté de 2,1 à 2,5 % ; il est prévu d'investir 150 millions d'euros par an pour satisfaire les besoins quotidiens ; la dette fait l'objet d'une reprise massive, à hauteur de 10 milliards d'euros. Les tarifs hospitaliers sont à la hausse pour la première fois depuis dix ans. Des crédits ont été entièrement dégelés pour donner un peu d'air à l'hôpital public, comme nous le demandaient les soignants et l'ensemble des professionnels.
Mais nous devons aller plus loin, et c'est le sens du Ségur de la santé. Vous l'avez compris, ses ambitions sont grandes : il s'agit, comme je l'ai dit, de tirer les leçons de l'épreuve que nous avons traversées et de les articuler aux orientations de « ma santé 2022 » afin de bâtir les fondations d'un système de santé encore plus moderne, résilient et innovant, toujours à l'écoute des soignants, de sorte qu'ils aient plaisir à venir prendre leur poste, qu'ils travaillent en équipe – sans opposition entre administration et soin – et qu'ils soient reconnus.
S'agissant de la visibilité pluriannuelle, je rappelle la signature il y a quelques mois du protocole d'accord sur l'évolution pluriannuelle des tarifs hospitaliers. Quant à la revalorisation et à l'attractivité des métiers, elles seront au coeur du Ségur de la santé.
Depuis une vingtaine d'années, 95 hôpitaux ont été fermés et 69 000 lits supprimés. La politique de santé adoptée par les gouvernements successifs – le vôtre ne fait pas exception, madame la secrétaire d'État – , fondée sur le modèle des flux tendus, sur la rentabilité et sur la délocalisation, s'est fracassée sur le mur des réalités. Mise en oeuvre des 35 heures, tarification à l'acte, gestion comptable des hôpitaux, discrète mais réelle captation de l'offre de soins au profit des grands groupes : depuis toutes ces années, nous sommes enfermés, au détriment des patients, dans une approche comptable de la santé. Au coeur des réformes successives, au lieu de la qualité des soins et de la prise en charge du patient : le coût du système et la prise en charge des différentes prestations.
En parallèle, l'inflation administrative et la bureaucratie galopante ont détourné les médecins de leur mission première. Il n'existe pas moins d'une trentaine d'instances nationales relatives à la santé. Parmi elles, les ARS sont devenues de véritables États dans l'État où peuvent régner copinage et profusion de normes délirantes. Le bilan de leur gestion de l'épidémie de covid-19 se résume en deux mots : impréparation et amateurisme.
Et que dire de l'accueil au sein des urgences de nos hôpitaux, où le personnel se fait parfois insulter, voire agresser, où il faut parfois patienter une journée entière pour être vu par un médecin, avant de finir par passer trois jours sur un brancard dans un couloir ?
Que faites-vous pour nos médecins de ville, qui en disparaissent après avoir déjà déserté les campagnes ? Vous n'avez même pas été capables de leur fournir des masques pour leur permettre de se protéger convenablement !
Quand romprez-vous avec cette spirale infernale de la marchandisation de la santé pour raviver l'excellence de la médecine française, que le monde entier nous enviait ? Quand redonnerez-vous aux médecins les moyens d'accomplir sereinement leur mission ?
Vous avez raison, monsieur le député, et ce sont les constats que vous dressez qui nous ont amenés à prendre les mesures que nous mettons en oeuvre depuis 2017 pour l'hôpital. Le mal-être y a grandi ces dernières années. Des discours, des lois, des logiques comptables ont en effet pu lasser et décourager. Les métiers du soin répondent à une vocation et supposent une formation difficile et longue. Les soignants sont confrontés à la maladie, au handicap et à la mort. Ils peuvent enchaîner des journées et des nuits, endurer le stress, et cependant, ils doivent être toujours à la hauteur du triple engagement consistant à apporter aux malades confort physique, psychologique et social. Quand ils parlent de perte de sens, quand ils dénoncent une régression de ce qui constitue leur priorité et devrait donc être la nôtre – le soin, la bienveillance, le bien-être – , cela doit nous faire réagir. D'où l'ambition de « ma santé 2022 », que prolonge le Ségur de la santé.
Vous avez évoqué la suppression des lits ; permettez-moi d'ajouter que 25 000 places ont été créées dans nos hôpitaux : aucun gouvernement n'en avait fait autant depuis plus de dix ans.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Débat sur le rapport d'information de la commission des finances sur le printemps de l'évaluation ;
Discussion du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 10 juin 2020, à deux heures dix.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra