L'hôpital français est un hôpital d'excellence : les médecins y sont parmi les mieux formés au monde, toutes les spécialités sont représentées, l'accès aux soins performants est possible pour tous, le personnel y est très qualifié et le matériel bien entretenu. L'hôpital français est donc, oui, un hôpital d'excellence. Oui, mais... Les hôpitaux français souffrent.
La grève lancée par les services d'urgence en mars 2019 et suivie par 250 d'entre eux s'est progressivement étendue aux autres services. Des revendications concernant l'ensemble de l'hôpital se sont fait jour : revalorisations salariales, hausse des effectifs, réouvertures de lits, amélioration des conditions et de l'organisation du travail… Alors, en septembre, le Gouvernement a présenté un pacte de refondation des urgences prévoyant le redéploiement de 700 millions d'euros d'ici à 2022. Puis, en novembre, il a présenté un plan pour l'hôpital assorti d'une hausse sans précédent de l'ONDAM – objectif national de dépenses d'assurance-maladie – hospitalier, passé de 2,1 % à 2,4 %, ce qui représente 300 millions d'euros supplémentaires en 2020 et 1,5 milliard sur trois ans, ainsi que de la reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux. De plus, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a prévu un accord sur l'évolution pluriannuelle des ressources des établissements, qui permet notamment de sécuriser la hausse continue des tarifs hospitaliers jusqu'en 2022.
Je salue bien évidemment toutes ces mesures nécessaires. Mais la crise du covid-19 n'a fait qu'accélérer la prise de conscience de tous : notre hôpital et ses agents souffrent. La réponse à cette souffrance ne peut être seulement budgétaire. Certes, il faut des moyens pour réformer l'hôpital, mais il faut aussi de la considération ; des gestions de carrière optimales ; des revalorisations de parcours ; des conditions de travail apaisées ; des organisations de soins souples et adaptables ; le renforcement de l'attractivité des carrières paramédicales ; une réforme de la tarification avec la réduction de 50 % de la TAA – tarification à l'activité – pour renforcer le financement à la qualité, plus respectueux du travail des soignants et moins ancré dans la nécessité de multiplier les actes pour dégager des recettes ; et tant d'autres propositions qui devront émerger des concertations en cours.
À cet égard, le Ségur de la santé est très attendu par les professionnels, car il contient les germes d'une promesse d'écoute attentive et de concertations poussées permettant de tirer collectivement les leçons de l'épreuve passée et de faire le lien avec le plan « ma santé 2022 ». C'est un espoir que nous ne pouvons décevoir. Nous le devons à ceux que certains ont qualifiés de héros, mais qui préfèrent se qualifier eux-mêmes de professionnels.
Cette crise sanitaire majeure pose une multitude de questions que nous devrons prendre le temps de résoudre après – après, comme une promesse d'autre chose, d'une autre façon de penser le monde.
Parmi de multiples interrogations, l'une, essentielle, porte sur la façon de penser notre système de santé, plus particulièrement notre hôpital. Avant l'épidémie, dans les enquêtes d'opinion, la santé apparaissait déjà comme l'un des sujets de préoccupation les plus importants des Français, alors même qu'aucune des trente-cinq questions que leur posait le chef de l'État dans sa lettre publiée le 13 janvier 2019 n'abordait le sujet. Aucun des quatre principaux thèmes fixés par le Gouvernement pour cadrer le grand débat ne la mentionnait explicitement. Et pourtant, de réunion publique en réunion publique, la question du juste accès au système de santé est apparue ces derniers mois comme une préoccupation majeure des Français.
Le coronavirus et ses conséquences n'ont fait que confirmer de manière dramatique le constat suivant : le système de santé français peine à assurer, dans tous les endroits, l'accueil des patients. Il est tellement fragilisé que des mesures d'accompagnement seules ne pourront suffire. Il faut désormais repenser entièrement un système qui, malgré l'immense qualité des professionnels, est à bout de souffle – et ce dans le cadre d'un plan global à long terme. Pour cela, il faut restaurer la confiance des Français – de tous les Français, patients comme professionnels, ce qui ne pourra se faire que dans le consensus. Or, pour l'atteindre, une concertation large et plurielle doit être organisée.
Dans une tribune très juste, Frédéric Valletoux, président de la FHF – Fondation hospitalière de France – , a proposé que soit organisée, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, une Conférence nationale de consensus pour bâtir ensemble l'avenir de notre système de santé. Je souscris entièrement à cette proposition que je fais mienne et qui est plus que jamais d'actualité.
Le président Emmanuel Macron a annoncé, à Mulhouse, un plan massif d'investissement et la revalorisation de l'ensemble des carrières. La réponse doit être profonde et dans la durée. En effet, il nous faut repenser l'hôpital, pas seulement sous le prisme des moyens à lui accorder, mais en le considérant comme un maillon de notre système de santé. Les interactions entre tous les acteurs de la santé devront être non seulement renforcées, mais aussi repensées. Le rôle de chacun devra être précisé, ce qui induira nécessairement des changements lourds dans les pratiques, mais aussi dans nos habitudes de consommateurs de soins. Il faudra aussi réévaluer notre rapport au risque, à l'anticipation et au principe de précaution.
Il est désormais urgent d'agir avec tous les Français. Tous, nous avons notre mot à dire sur les maux de notre système de santé. Les consultations devront être nationales, mais aussi locales, afin de repérer le plus finement possible les besoins des territoires. Intégrer tous les citoyens à la réflexion sur un problème majeur, au sujet duquel tous les Français ont des inquiétudes ou des interrogations, permettra d'imaginer une solution adaptée à chaque territoire.
La santé est un sujet trop sérieux pour le laisser aux seuls professionnels et la légitimité de la parole des Français est indéniable. Engageons ce débat, ouvrons une concertation nationale pour donner la parole aux Français et faire vivre notre démocratie, pour construire ensemble, au lendemain d'une crise qui marquera l'Histoire, un nouveau système de santé, moderne, efficace, réactif, respectueux des hommes et des femmes qui le font.