Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du jeudi 11 juin 2020 à 9h00
Dispositif zéro charge pour l'embauche de jeunes de moins de 25 ans — Présentation

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Pour notre part, nous refusons qu'une génération soit sacrifiée, pour dix ans ou même pour une seule année.

Différents scénarios peuvent être élaborés à partir des chiffres de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques de mon ministère, et de l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques – des chiffres que nous avons d'ailleurs communiqués mardi dernier aux partenaires sociaux. Ils montrent que, si aucune action vigoureuse n'est menée, il pourrait y avoir, entre la fin de l'année 2019 et le second semestre de 2020, 165 000 à 320 000 jeunes chômeurs supplémentaires. Je l'affirme de nouveau avec force : il n'est pas question que les jeunes soient la variable d'ajustement de la crise. Il est donc nécessaire de proposer des réponses urgentes et ciblées pour les soutenir alors même que, dans les semaines qui viennent, près de 700 000 jeunes arriveront, comme tous les ans, sur le marché du travail.

La proposition de loi que nous examinons prévoit, en l'état, que toute entreprise qui embaucherait un jeune de moins de 25 ans en CDI ou en CDD d'une durée minimale de six mois serait intégralement exonérée de charges patronales jusqu'à 4,5 fois le SMIC, et ce pour deux ans. Cette exonération entrerait en application le 15 juin. Le coût net de la mesure, que vous calculez en vous fondant sur l'évaluation de la politique d'allégement des charges datant de 2008, serait faible.

En réalité – je ne vous opposerais pas cet argument si la mesure était efficace – , l'exonération des charges proposée serait plus coûteuse que vous le laissez entendre, tant du point de vue de la dépense globale que du coût par emploi créé. En effet, la disposition créerait un fort effet d'aubaine dans un contexte où les embauches restent malgré tout nombreuses. Hier, sur le site de Pôle emploi, il y avait 540 000 offres d'emploi. De nouvelles offres sont publiées tous les jours. Bien sûr, certains jeunes feront face à des difficultés, mais tous ne seront pas logés à la même enseigne. Je rappelle qu'avant la crise, parmi les jeunes très diplômés, il n'y avait non seulement pas de chômage, mais une pénurie de main-d'oeuvre, le taux de chômage chez les cadres étant de 2,8 %. Donc si votre mesure est destinée à aider surtout les jeunes diplômés et non les moins qualifiés d'entre eux, elle va à contre-courant de votre volonté.

Compte tenu de cette différence, l'effet d'aubaine serait plus important avec votre proposition qu'avec le dispositif « zéro charge » de 2009. Moins de créations nettes d'emplois pourraient donc lui être attribuées. De plus, en 2009, les charges patronales au niveau du SMIC atteignaient encore environ 20 points, donc le coût de l'embauche d'un jeune était beaucoup plus élevé. Depuis le 1er janvier 2019, ces charges n'existent plus ; c'est l'une des mesures que nous avons prises pour favoriser l'emploi des jeunes et celui des moins qualifiés. Dès lors, votre proposition profiterait d'abord aux plus diplômés, dont les difficultés, sans être négligeables, seront sans commune mesure avec celles des autres jeunes.

Vous venez de dire que vous envisagez de réduire le seuil, par voie d'amendement, à 2 ,5 SMIC ; mais l'effet de bord demeurera. Il serait davantage neutralisé par l'instauration d'une aide forfaitaire à l'embauche, ciblée sur les jeunes peu ou pas diplômés, ou sur les petites et moyennes entreprises, dont les contraintes de trésoreries liées au confinement sont plus fortes et qui modifient plus sensiblement leur politique d'embauche en cas de crise. L'effet sur l'emploi d'une telle mesure serait donc plus important que celui de votre proposition de loi.

Par ailleurs – je ne doute pas que vous me rejoindrez sur ce point – , il convient d'insérer la baisse du coût du travail dans une politique plus large d'accompagnement des jeunes. En effet, ce coût n'est qu'un aspect du problème et il faudra aussi prendre des mesures volontaristes en matière de formation, de qualification et d'accompagnement vers l'emploi. Dans ce domaine, avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons souhaité agir en deux temps, quoique rapidement, en s'appuyant à chaque fois sur un travail de concertation intense.

Ainsi, nous faisons dès à présent des annonces fortes en matière d'apprentissage. En effet, vous le savez, la campagne de recrutement a débuté ; compte tenu de la crise économique, sans une aide vigoureuse et rapide aux entreprises, celles-ci allaient embaucher quelque 30 à 40 % d'apprentis en moins. La crise – un facteur exogène – nous ramènerait donc, en matière d'apprentissage, au niveau que nous avons connu il y a trois ou cinq ans.

Dans le même temps, nous avons lancé une concertation plus globale sur l'emploi de jeunes. Comme je l'ai indiqué jeudi dernier, après avoir consulté les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs de l'apprentissage, nous avons décidé de mettre immédiatement en place une aide à l'embauche exceptionnelle, sans équivalent jusqu'à présent, pour soutenir la dynamique historique que la réforme avait créée l'année dernière. Nous devrions tous nous en réjouir. Notre but est d'avoir en 2021, malgré la crise, autant d'apprentis qu'en 2020. Le coût d'un apprenti pour l'entreprise sera donc quasi nul la première année. Pour les contrats signés entre le 1er juillet et le 28 février 2021, 5 000 euros par an – ce qui correspond à l'intégralité des coûts – seront versés pour les alternants de moins de 18 ans, et 8 000 euros pour ceux de plus de 18 ans, qui préparent un CAP ou une licence professionnelle. Ces sommes seront versées aux entreprises de moins de 250 salariés sans conditions, et à celles de plus de 250 salariés à la condition de s'engager à atteindre l'objectif fixé par la loi de 5 % d'alternants en 2021.

Depuis jeudi, nous croulons sous les engagements des entreprises. Celles-ci disent : « oui, nous voulons continuer à former des apprentis, c'est l'avenir ; nous ne pouvions pas le faire avant, mais maintenant nous le ferons. » Nous devons tous nous mobiliser pour réussir ce pari, c'est une question essentielle. Cette passion des métiers qui anime les jeunes apprentis qui s'engagent dans la voie d'avenir et d'excellence, il ne faut pas la décevoir.

De plus, aux jeunes qui n'ont pas encore trouvé d'entreprise, nous donnerons six mois à partir du 1er septembre pour le faire. En effet, la rencontre entre l'entreprise et le jeune n'est pas toujours facile ; d'ailleurs, avec le ministre de l'éducation nationale et la ministre de l'enseignement supérieur, nous créons une plateforme qui centralise toutes les demandes enregistrées sur Affelnet et Parcoursup. La bonne nouvelle, c'est que les jeunes ont compris la réforme et l'importance de l'apprentissage : la demande de cette voie d'excellence explose, …

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