Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du lundi 15 juin 2020 à 16h00
Dette sociale et autonomie — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe, rapporteur de la commission spéciale :

Les occasions de modifier la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale ont été rares depuis son adoption en 1996, et ont toujours marqué des moments très particuliers de l'histoire des finances sociales. L'année 1996 a ainsi vu la naissance des lois de financement de la sécurité sociale, qui ont permis au Parlement d'examiner le budget selon des modalités adaptées à la nature des dépenses. La CADES a vu le jour cette même année, dans un contexte financier encore fragilisée par la crise économique et financière de 1993. En 2005 est survenue une révision de la maturité, qui a permis d'intégrer aux lois de financement l'ensemble des régimes obligatoires de base, de doubler l'exercice annuel d'une vision pluriannuelle, ou encore de détailler l'objectif national de dépenses d'assurance maladie – ONDAM – en sous-objectifs, pour mieux identifier les dépenses couvertes. Puis, en 2010, est advenue une révision de circonstance, essentiellement due à la nécessité de transférer à la CADES un montant important de dette lié à la crise de 2008-2009, dont il fallait repousser le terme et sécuriser le processus d'amortissement. Voilà qui n'est pas sans similitude avec le sujet dont nous débattons aujourd'hui. Chacun pourra donc se souvenir que face à des chocs économiques exogènes, dont la sécurité sociale n'était nullement responsable, le législateur a su décider, en responsabilité, de repousser l'horizon d'amortissement de la dette sociale.

Ce bref rappel historique éclaire les permanences et les spécificités de la révision organique qui est soumise au Parlement un peu moins de dix ans plus tard. Les permanences tiennent évidemment au contexte financier particulièrement difficile dans lequel se trouvent les finances publiques en général, et les finances sociales en particulier. Une fois encore, une crise largement exogène à la gestion de la sécurité sociale est venue accroître des difficultés structurelles d'équilibre. Une fois encore, il n'est pas question que ce surcroît de déficit – donc de dette – soit supporté par une agence qui, malgré la grande qualité de sa gestion, n'est pas l'outil adapté pour ce faire.

Les spécificités du présent texte tiennent évidemment au contexte de la crise actuelle, d'une violence inouïe, mais aussi à la manière dont nous abordons à notre tour ce problème. Tout en proposant une solution technique aux nouveaux besoins de financement de la sécurité sociale, sans laquelle le versement des prestations des Français pourrait être menacé, le projet de loi organique apporte sa pierre à la question centrale qu'est le devenir de la sécurité sociale. Il retire un premier verrou organique tenant à l'inscription des dépenses médico-sociales au sein de l'ONDAM depuis 2005, en réduisant le nombre de sous-objectifs que la loi de financement de la sécurité sociale doit présenter au Parlement. Potentiellement recentré sur les dépenses strictement sanitaires, l'ONDAM laisserait ainsi la place à un nouvel objectif de dépenses inévitablement lié à une cinquième branche, dont la commission spéciale a approuvé la création.

Lors des débats en commission spéciale, chacun de ces deux volets a fait l'objet de débats approfondis et de qualité, dans lesquels sont apparus des désaccords qu'il convient ici de reproduire et d'expliciter.

Les divergences ont d'abord tenu au concept même de dette sociale, dont tantôt l'existence, tantôt la nécessité de la rembourser ont été contestées. Je rappellerai simplement trois faits essentiels. Tout d'abord, le transfert de 136 milliards d'euros vers la CADES, avec un amortissement à l'horizon de 2033, répond à la fois au passé, au présent et à l'avenir : au passé, au titre des déficits déjà constatés jusqu'à l'exercice 2019 et d'un tiers des dettes accumulées par les établissements assurant un service public hospitalier ; le présent et l'avenir, au titre de la période difficile qui ira de 2020 à 2023.

Ensuite, la CADES a prouvé qu'elle était en mesure d'amortir des montants importants de dette, en tenant ses objectifs. La dette transférée en 2010 – 130 milliards d'euros, soit un montant comparable au transfert que nous examinons aujourd'hui – est ainsi en passe d'être remboursée entre 2024 et 2025, exactement comme prévu à l'époque. Cet amortissement ne s'est pas fait au détriment des comptes de la sécurité sociale, puisqu'il a été assuré au besoin de recettes spécifiques. Je m'inscris donc en faux contre le procès en insincérité et en illégitimité intenté à la CADES. La Caisse est un outil efficace – elle témoigne, par sa seule existence, que la dette n'est pas un moyen normal de financement de la sécurité sociale – , mais aussi un outil légitime, qui repose sur un pacte très clair avec les Français.

Enfin, l'articulation des volets consacrés à la dette sociale et à l'autonomie montre qu'on peut tout à la fois gérer l'urgence et penser l'avenir. Les ordonnances de 1945 portant création de la sécurité sociale l'avaient déjà prouvé. Gérer l'urgence nécessitait de prendre des mesures indispensables pour sécuriser la dette sociale, tandis que penser l'avenir imposait d'intégrer à ces mesures les hypothèses qui se dessinaient, avant la crise, pour les années à venir. La fable l'a déjà dit : quand, sous des prétextes divers, certains voudraient toujours repousser le départ, au risque de devoir se précipiter quelques semaines ou quelques mois plus tard, tant en matière de dette que de perte d'autonomie, je souhaite que le législateur organique sache partir à point, en posant avec prévoyance les base des débats législatifs à venir.

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