Si c'était à refaire, nous ne ferions pas autrement, car, lorsque des vies sont en jeu, on affronte une épreuve de vérité collective, dans laquelle les circonstances demandent d'indiquer où se situent nos valeurs les plus fondamentales.
L'article 2 a soulevé beaucoup de questions en commission et suscitera, vu le nombre d'amendements déposés, des discussions dans l'hémicycle. Le débat porte sur la prolongation de la durée de conservation de certaines données collectées par les systèmes d'information, telle qu'elle est prévue par l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Si l'adoption, avec l'appui des médecins, de la stratégie de « contact tracing » a permis de sortir du confinement, nous ne reviendrons pas sur les engagements pris concernant les données – non seulement sur ceux pris envers les Français, mais également sur ceux, concernant le secret médical, pris envers les professionnels de santé. Nous ne reviendrons pas non plus – c'est d'ailleurs le sens des travaux en commission – sur les délais de conservation des données identifiantes, qui seront détruites. Dans les maladies à déclaration obligatoire, les données identifiantes sont conservées plusieurs mois puis sont « pseudonymisées », c'est-à-dire que les informations potentiellement identifiantes sont supprimées. Ces données pseudonymisées sont ensuite conservées, en vue d'accroître les connaissances épidémiologiques et d'améliorer le suivi de ces pathologies souvent mortelles. La durée de conservation peut atteindre vingt-cinq ans ; c'est notamment le cas pour la plupart des maladies à déclaration obligatoire et à investigation, comme la tuberculose. Vingt-cinq ans !
La loi a rendu obligatoire la déclaration du covid-19 : c'est d'ailleurs vous, parlementaires, qui êtes à l'initiative de cette très bonne disposition. C'est la raison pour laquelle l'article 2 propose un allongement cohérent de la durée de conservation des données, sous une forme « pseudonymisée » et aux seules fins de surveillance de l'épidémie et de recherche, dans l'objectif de mieux comprendre le virus. Ces données sont en effet indispensables à la production d'indicateurs fiables de suivi de l'évolution de l'épidémie dans le temps, comme le taux d'incidence de la maladie, destiné à vérifier si celle-ci repart ou non dans certains territoires, ou l'immunité collective. Nous utilisons ces données tous les jours : elles nous permettent d'estimer l'évolution de l'incidence par territoire, de calculer le facteur de risque R effectif, qui est le facteur de reproduction du virus, et d'évaluer, territoire par territoire, la situation épidémique.
En pratique, supprimer ces données pseudonymisées trois mois après leur collecte seulement priverait les experts de précieux outils d'analyse, et notre pays de la possibilité de réagir rapidement en cas de reprise de l'épidémie. Je prends ici le pari que si tel était le cas dans quelques mois et que nous étions dépourvus d'outils épidémiologiques d'analyse, vous ne seriez pas les derniers à nous en faire le reproche.
Contrairement aux données collectées dans le cadre de maladies à déclaration obligatoire, comme la dengue ou le chikungunya, et parce que la situation actuelle est singulière, les avis préalables et publics du Comité de contrôle et de liaison covid-19 et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – garantiront que la prolongation de la durée de conservation, arrêtée par décret, sera limitée au strict nécessaire, pour les finalités retenues. Dès lors, la durée maximale de conservation des données après pseudonymisation qui est proposée, à savoir six mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire, ne porte atteinte ni au secret médical ni à la vie privée des personnes, puisqu'elle ne concerne que des données « pseudonymisées » et qu'elle est bien inférieure à celle des maladies à déclaration obligatoire – la durée de vingt-cinq ans pour la tuberculose n'a d'ailleurs jamais été contestée par aucune des assemblées.
Des débats riches et intéressants ont eu lieu dans cet hémicycle à l'occasion de la création des fichiers SIDEP – système d'information et de dépistage – et Contact covid. Ils portaient en particulier sur les conditions de respect du secret médical et les atteintes à la vie privé. Certains groupes politiques avaient exprimé un vote négatif. Or, quelques semaines après le déploiement de ces outils, je n'ai pas entendu parler de scandale, de restriction des libertés individuelles et collectives ou de remise en question de ces dispositifs, que nous utilisons tous les jours pour fournir aux Français et aux médecins des informations indispensables pour comprendre l'épidémie et la suivre. Si nous regardions un peu en arrière, nous verrions que certaines craintes, aussi légitimes fussent-elles, se sont révélées infondées.
Mesdames et messieurs les députés, c'est dans la santé de nos concitoyens et les solidarités, afin que chacun soit protégé, que le Gouvernement a situé les valeurs fondamentales de notre nation ces dernières semaines. S'il y a des décisions qui coûtent, certains enjeux n'ont pas de prix. L'état d'urgence sanitaire va prendre fin, mais notre vigilance doit demeurer intacte. Cette vigilance n'est ni de la frilosité ni la marque d'un attachement par plaisir à l'état d'exception – de quel plaisir s'agirait-il, d'ailleurs ? C'est notre responsabilité collective.