La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.
Au mois de mars, dans une situation d'urgence que chacun connaît, nous vous avons proposé de bâtir un régime d'exception pour faire face à une catastrophe sanitaire d'exception. Il le fallait, et nul ne pense aujourd'hui, après toutes ces semaines de lutte sans relâche contre un virus mortel, que l'état d'urgence sanitaire était une fantaisie injustifiée.
Un état d'exception a une durée, justifiée par les circonstances ; il a un début et une fin.
Nous devons tous rester extrêmement vigilants et organiser notre vie commune avec la présence de ce virus. Le suivi de la situation sanitaire, qui nous donne une idée très fine de la circulation du virus, des nouvelles contaminations et des zones à risque, nous le confirme tous les jours : dans les territoires encore épidémiques comme la Guyane et Mayotte, dans le cas de contaminations groupées, comme celles recensées en Normandie et en Occitanie, ou dans des lieux de diffusion virale, comme à Sarcelles, dans le Val-d'Oise, notre vigilance doit rester totale pour prévenir la diffusion du virus et, surtout, prendre des mesures adaptées.
Vous le savez, ces mesures reposent sur le respect des gestes barrières, la distanciation sociale et notre stratégie de tests, qui permet de déployer des programmes de diagnostic et de dépistage très larges. Des mesures plus poussées pourraient être décidées si la situation épidémique revenait. Si le gros de la vague épidémique est derrière nous, cela ne signifie pas que l'épidémie soit terminée ou qu'elle ne puisse pas reprendre un jour dans notre pays.
En ce sens, l'analyse de la situation doit nous permettre non seulement d'anticiper, comme en Asie notamment, une éventuelle reprise épidémique, mais surtout de renforcer notre niveau de vigilance. La Chine a fermé toutes les écoles de Pékin et a suspendu tous les vols commerciaux, ce qui montre que personne n'est à l'abri d'une reprise épidémique. Des outils sont nécessaires pour la combattre. Grâce à cette approche, nous pourrons mieux suivre et contrôler la circulation du virus dans la durée.
Le Gouvernement ne demandera pas de nouvelle prolongation de l'état d'urgence sanitaire. Celui-ci prendra fin le 11 juillet prochain, date choisie par les parlementaires. Cette sortie de l'état d'urgence sanitaire doit cependant être organisée, parce que la vigilance reste de mise et que de nombreuses mesures demeurent nécessaires dans les prochains mois. Nous devons faire preuve de responsabilité : s'il n'apparaît plus justifié de conserver l'intégralité des mesures liées à l'état d'urgence, abandonner certaines d'entre elles reviendrait à penser que les risques de reprise de l'épidémie sont nuls. Or ces risques existent, et une sortie précipitée de l'état d'urgence sanitaire ne ferait que les augmenter.
De nombreuses dispositions de ce projet de loi ont été débattues ou ont fait l'objet d'amendements. Certaines ont été modifiées. Parmi celles-ci figure la fin du régime transitoire, que nous avions fixée au 10 novembre et que les députés de la majorité ont souhaité avancer au 30 octobre. Dans le régime transitoire subsistent des mesures dont la pertinence apparaît à tous, y compris à ceux – nous sommes nombreux dans ce cas-là – qui ne sont pas épidémiologistes.
Quelles sont ces mesures ? Il y a, d'abord, la limitation des déplacements et la réglementation de l'usage des moyens de transports ; ensuite, l'encadrement de l'ouverture des établissements recevant du public ; enfin, les restrictions de rassemblement. La plupart des autres mesures de l'état d'urgence sanitaire pourront s'appliquer, mais dans les conditions du droit commun du code de la santé publique ou du code de commerce, notamment pour la réglementation des prix. L'ensemble du dispositif devra, en tout état de cause, être réexaminé d'ici au 1er avril 2021, date à laquelle le Parlement a prévu la caducité de l'ensemble du régime d'état d'urgence sanitaire, afin qu'il puisse être repensé à la lumière de l'expérience acquise et, si tout va bien, alors que la crise sanitaire sera derrière nous.
La sortie de l'état d'urgence que nous construisons à travers ce projet de loi n'est pas une sortie « sèche », parce que nous ne voulons pas faire comme si nous étions définitivement à l'abri du risque épidémique ; d'ailleurs, aucun des pays similaires au nôtre ne le fait. L'état d'urgence sanitaire a été voté par les députés, qui se sont toujours montrés, à juste titre, très vigilants et exigeants.
L'état d'urgence sanitaire a eu des conséquences très lourdes sur l'économie et, surtout, sur la vie quotidienne et personnelle de nombreux Français. Le Président de la République n'a pas manqué de rappeler que nous avions fait passer la santé de nos concitoyens avant tout le reste.
Si c'était à refaire, nous ne ferions pas autrement, car, lorsque des vies sont en jeu, on affronte une épreuve de vérité collective, dans laquelle les circonstances demandent d'indiquer où se situent nos valeurs les plus fondamentales.
L'article 2 a soulevé beaucoup de questions en commission et suscitera, vu le nombre d'amendements déposés, des discussions dans l'hémicycle. Le débat porte sur la prolongation de la durée de conservation de certaines données collectées par les systèmes d'information, telle qu'elle est prévue par l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Si l'adoption, avec l'appui des médecins, de la stratégie de « contact tracing » a permis de sortir du confinement, nous ne reviendrons pas sur les engagements pris concernant les données – non seulement sur ceux pris envers les Français, mais également sur ceux, concernant le secret médical, pris envers les professionnels de santé. Nous ne reviendrons pas non plus – c'est d'ailleurs le sens des travaux en commission – sur les délais de conservation des données identifiantes, qui seront détruites. Dans les maladies à déclaration obligatoire, les données identifiantes sont conservées plusieurs mois puis sont « pseudonymisées », c'est-à-dire que les informations potentiellement identifiantes sont supprimées. Ces données pseudonymisées sont ensuite conservées, en vue d'accroître les connaissances épidémiologiques et d'améliorer le suivi de ces pathologies souvent mortelles. La durée de conservation peut atteindre vingt-cinq ans ; c'est notamment le cas pour la plupart des maladies à déclaration obligatoire et à investigation, comme la tuberculose. Vingt-cinq ans !
La loi a rendu obligatoire la déclaration du covid-19 : c'est d'ailleurs vous, parlementaires, qui êtes à l'initiative de cette très bonne disposition. C'est la raison pour laquelle l'article 2 propose un allongement cohérent de la durée de conservation des données, sous une forme « pseudonymisée » et aux seules fins de surveillance de l'épidémie et de recherche, dans l'objectif de mieux comprendre le virus. Ces données sont en effet indispensables à la production d'indicateurs fiables de suivi de l'évolution de l'épidémie dans le temps, comme le taux d'incidence de la maladie, destiné à vérifier si celle-ci repart ou non dans certains territoires, ou l'immunité collective. Nous utilisons ces données tous les jours : elles nous permettent d'estimer l'évolution de l'incidence par territoire, de calculer le facteur de risque R effectif, qui est le facteur de reproduction du virus, et d'évaluer, territoire par territoire, la situation épidémique.
En pratique, supprimer ces données pseudonymisées trois mois après leur collecte seulement priverait les experts de précieux outils d'analyse, et notre pays de la possibilité de réagir rapidement en cas de reprise de l'épidémie. Je prends ici le pari que si tel était le cas dans quelques mois et que nous étions dépourvus d'outils épidémiologiques d'analyse, vous ne seriez pas les derniers à nous en faire le reproche.
Contrairement aux données collectées dans le cadre de maladies à déclaration obligatoire, comme la dengue ou le chikungunya, et parce que la situation actuelle est singulière, les avis préalables et publics du Comité de contrôle et de liaison covid-19 et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – garantiront que la prolongation de la durée de conservation, arrêtée par décret, sera limitée au strict nécessaire, pour les finalités retenues. Dès lors, la durée maximale de conservation des données après pseudonymisation qui est proposée, à savoir six mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire, ne porte atteinte ni au secret médical ni à la vie privée des personnes, puisqu'elle ne concerne que des données « pseudonymisées » et qu'elle est bien inférieure à celle des maladies à déclaration obligatoire – la durée de vingt-cinq ans pour la tuberculose n'a d'ailleurs jamais été contestée par aucune des assemblées.
Des débats riches et intéressants ont eu lieu dans cet hémicycle à l'occasion de la création des fichiers SIDEP – système d'information et de dépistage – et Contact covid. Ils portaient en particulier sur les conditions de respect du secret médical et les atteintes à la vie privé. Certains groupes politiques avaient exprimé un vote négatif. Or, quelques semaines après le déploiement de ces outils, je n'ai pas entendu parler de scandale, de restriction des libertés individuelles et collectives ou de remise en question de ces dispositifs, que nous utilisons tous les jours pour fournir aux Français et aux médecins des informations indispensables pour comprendre l'épidémie et la suivre. Si nous regardions un peu en arrière, nous verrions que certaines craintes, aussi légitimes fussent-elles, se sont révélées infondées.
Mesdames et messieurs les députés, c'est dans la santé de nos concitoyens et les solidarités, afin que chacun soit protégé, que le Gouvernement a situé les valeurs fondamentales de notre nation ces dernières semaines. S'il y a des décisions qui coûtent, certains enjeux n'ont pas de prix. L'état d'urgence sanitaire va prendre fin, mais notre vigilance doit demeurer intacte. Cette vigilance n'est ni de la frilosité ni la marque d'un attachement par plaisir à l'état d'exception – de quel plaisir s'agirait-il, d'ailleurs ? C'est notre responsabilité collective.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.
La parole est à Mme Marie Guévenoux, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
L'examen du projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire s'engage. Le texte dont nous sommes saisis est issu d'un travail important effectué par la commission des lois, qui a souhaité clarifier et encadrer le dispositif transitoire proposé par le Gouvernement pour l'après-10 juillet.
Si l'état d'urgence sanitaire a fait ses preuves durant le confinement et le déconfinement progressif, tout le monde s'accorde à dire que les conditions de catastrophe sanitaire n'étant plus réunies, il est temps d'en sortir. Faut-il pour autant, à l'issue de ces seize semaines, le faire sèchement ? Le Conseil scientifique a clairement recommandé de maintenir des mesures collectives afin de maintenir notre vigilance et d'être en mesure de réagir à tout moment, le virus évoluant vite.
Je vous le dis sans détour : le droit commun n'est pas suffisant pour faire face à cette crise d'une dimension extraordinaire. Certes, la situation s'est améliorée, mais il est de notre responsabilité de faire en sorte que l'amélioration se confirme dans les semaines et les mois à venir.
La situation étant complexe – vous avez, monsieur le ministre, fait référence à l'Occitanie, au Val-d'Oise et aux territoires d'outre-mer – , gardons-nous des discours faciles qui voudraient nous faire croire que les choix auxquels nous sommes confrontés sont binaires : crise épidémique incontrôlée ou retour total à la normale ; prorogation de l'état d'urgence sanitaire ou sortie sèche de ce dernier. À défaut de faire l'unanimité, le dispositif transitoire qui nous est proposé constitue la seule option crédible.
La discussion du projet de loi en commission a toutefois permis d'affiner ledit dispositif. Celui-ci s'appliquera du 10 juillet au 30 octobre, et non jusqu'au 10 novembre comme cela était initialement prévu. Les mesures que sera amené à prendre le Premier ministre dans ce cadre le seront aux seules fins de lutter contre le covid-19. Elles auront trait à la circulation des personnes, à l'accueil du public dans certains établissements et aux rassemblements.
Pour ce qui concerne ces derniers, j'ai proposé une nouvelle rédaction, qui est à mon avis plus adaptée à l'évolution de la situation sanitaire et qui prend en considération les recommandations du Conseil scientifique et l'ordonnance rendue samedi dernier par le Conseil d'État. Cette rédaction, adoptée en commission, distingue les réunions et rassemblements à caractère spontané dans l'espace public des manifestations organisées en application de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure.
Dans le premier cas, les réunions et les rassemblements ne pourront faire l'objet que d'une réglementation en vue notamment d'assurer le respect des mesures barrières ou d'encadrer le nombre de participants. Dans le second cas, un régime d'autorisation préalable permettra de s'assurer que les organisateurs ont mis en oeuvre les mesures barrières. Cette obligation n'a qu'un seul but : protéger les personnes participant à la manifestation et celles qui pourraient se trouver en contact avec elles.
Si les précautions nécessaires sont prises – celles-là mêmes que nous demandons aux Français d'appliquer chaque jour – , alors la manifestation pourra se tenir dans les conditions prévues par le droit commun. Un tel dispositif, garant de la santé publique et de la sécurité de tous, ne pourrait être mis en place par un arrêté du ministre de la santé pris en application de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Il est donc nécessaire de le prévoir dans la loi.
La discussion des amendements à l'article 1er m'offrira l'occasion de détailler les autres dispositions utiles adoptées en commission : restriction du champ d'application des mesures individuelles ; renforcement de la transparence des mesures prises par les préfets ; précision des modalités de recours au juge des référés ; maintien du comité de scientifiques tout au long de la période transitoire.
S'agissant de l'article 2, les réactions des commissaires lorsqu'ils ont pris connaissance du dispositif initial ont parfois été vives. Toutefois, nous sommes parvenus à un accord entre les groupes qui ne s'étaient pas opposés à la création d'un système d'information lors de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Cet accord repose sur la différence fondamentale, que chacun peut apprécier, entre, d'une part, des données identifiantes, éventuellement collectées sans le consentement des personnes concernées, et, d'autre part, des données pseudonymisées et collectées, avec le consentement desdites personnes, aux seules fins de recherche et de surveillance épidémiologique. Pour ces dernières données – et seulement elles – , une prolongation du délai de conservation sera possible, jusqu'au mois de janvier prochain au plus tard, avec le consentement des personnes concernées.
Il me semble que la commission a fait oeuvre utile lors de l'examen du texte. Je remercie M. le ministre des solidarités et de la santé, ainsi que nos collègues, pour nos échanges de vues ainsi que pour les progrès réalisés.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
J'ai reçu de Mme Valérie Rabault et des membres du groupe Socialistes et apparentés une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Hervé Saulignac.
La fin de l'état d'urgence sanitaire ne doit pas faire oublier l'essentiel. Les débats que nous aurons lors de la présente séance publique ne doivent pas faire oublier les 29 547 morts déplorés en France, les 10 500 malades toujours hospitalisés, celles et ceux qui souffrent de séquelles de la maladie, ainsi que les milliers de familles atteintes dans leur chair. Ici et maintenant, je pense à eux. Ce bilan effroyable nous oblige à la retenue. Il n'autorise aucune fierté, aucun sentiment d'autosatisfaction. La victoire tant espérée sur le virus, lorsqu'elle adviendra, n'effacera rien de ce drame national.
Lorsque j'ai constaté que le présent texte était inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée, j'ai pensé : « Enfin, nous y sommes ! Nous allons quitter l'état d'urgence sanitaire, qui place la France dans un état juridique d'exception. Quel soulagement de savoir que nous allons retrouver la liberté et le régime du droit commun ! ». Mais, à la lecture du texte, quelle déception ! En réalité, le retour à la vie normale, ce n'est pas pour tout de suite.
J'aurais dû me méfier du titre étrange que vous avez choisi d'attribuer au projet de loi, monsieur le ministre : « Projet de loi organisant la fin de l'état d'urgence sanitaire ».
Que je sache, un état d'urgence est en vigueur ou ne l'est pas ; un état d'urgence, on le déclare ou on le lève.
Si vous ne le levez pas, assumez donc que vous le maintenez !
En réalité, vous prolongez tout bonnement un état d'urgence qui ne dit pas son nom, sous le couvert d'un titre subtilement choisi et redoutablement trompeur, et ce d'autant plus que le Gouvernement avait préparé le terrain. En effet, la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions fixait sa levée au 10 juillet prochain. Le Président de la République et le Premier ministre ayant annoncé de concert que cette échéance serait tenue, les Français se sont accoutumés à l'idée d'un retour à la vie normale sous le soleil de juillet. C'était sans compter une petite supercherie qui vous permet, à travers le présent texte, de prolonger l'état d'exception tout en sortant formellement du cadre de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
Certes, vous pourrez toujours m'opposer, avec raison, que nous avons connu plus grave par le passé, notamment en 2017, lorsqu'il s'était agi de sortir de l'état d'urgence visant à renforcer la lutte contre le terrorisme. Le Gouvernement avait alors opté pour l'intégration de mesures d'exception dans le droit commun. Tel n'est pas tout à fait le cas ici – je vous en fais volontiers crédit. Vous inventez plutôt une sorte de variante, plus « light », consistant à pratiquer le régime d'exception à durée déterminée. C'est là une curieuse troisième voie, que le Gouvernement entend faire adopter. Il existait le droit commun et l'état d'exception ; il existe désormais un nouveau régime dérogatoire au droit commun. Nous pensons, quant à nous, que l'on ne peut pas brouiller l'exercice du pouvoir en laissant penser que l'exécutif choisit à la carte les moyens dont il se dote.
Pour faire passer la pilule, on avance l'argument imparable du caractère transitoire des dispositions proposées. Le transitoire, on sait quand il commence ; on aimerait bien savoir quand il prend fin !
Initialement fixée au 10 novembre prochain, l'échéance de la période transitoire a été ramenée au 30 octobre par la commission. Qu'en sera-t-il si le virus circule toujours en France ou en Europe à la fin du mois d'octobre ? Si le maintien de l'état d'exception se justifie pendant près de quatre mois, comment ne pas imaginer que sa prolongation s'imposera bien au-delà du 30 octobre ?
On aurait pu imaginer un texte répondant réellement à l'exposé des motifs. Le virus circule toujours et chacun ici sait, de manière responsable, combien il est nécessaire de renforcer notre vigilance, notamment en mobilisant les moyens permettant d'observer la circulation du virus et de surveiller le taux de contamination, ainsi qu'en veillant à ce que nous disposions de tout ce qui nous a fait défaut au printemps dernier : masques, respirateurs, tests, lits de réanimation en quantité suffisante. Or on ne trouve rien de tout cela dans votre projet de loi. Les pouvoirs exorbitants conservés par l'exécutif ciblent directement les libertés publiques – comme si leur restriction allait permettre d'améliorer notre vigilance !
De ce point de vue, votre texte ne fait pas seulement preuve d'incohérence ; il donne le sentiment – ce qui est plus grave – que la puissance publique garde sous la main des pouvoirs hors du commun, au détriment des Français, auxquels on ne restitue pas en totalité les libertés qu'on leur a enlevées. Ainsi, jusqu'au 30 octobre 2020, le Premier ministre pourra, par décret et sans l'approbation du Parlement, interdire la circulation des personnes et des véhicules, réglementer les conditions d'usage des transports, ordonner la fermeture provisoire des établissements recevant du public, interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature.
Pourquoi créer ce nouveau régime juridique, alors même que le code de la santé offre la possibilité de recourir à des pouvoirs très larges en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles ? Madame la rapporteure, vous avez indiqué à plusieurs reprises que le texte ne créait pas un nouveau régime dérogatoire au droit commun, sans toutefois faire la démonstration de ce que vous avanciez. Dans son article L. 3131-1, le code de la santé confère en effet au ministre des solidarités et de la santé le pouvoir de prendre « toute mesure » nécessaire, non seulement pour répondre à une menace sanitaire, mais aussi « après la fin de l'état d'urgence sanitaire [… ], afin d'assurer la disparation durable de la situation de crise sanitaire ». À l'issue de nos débats en commission, j'ai relu cet article à plusieurs reprises. Aucun doute ne subsiste : dans ce cadre, le ministre peut prendre toute mesure « proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances ». Pourquoi ne pas s'en contenter ? Pourquoi le droit commun ne vous satisfait-il pas ?
Parmi les mesures prorogées par le présent texte, on trouve celles qui sont relatives au droit de se rassembler et de manifester. Curieuse décision que de conserver les restrictions en la matière : on ne perçoit pas vraiment en quoi elles permettent de renforcer notre vigilance ! Il s'agit là d'un droit fondamental, à la garantie duquel chacun est très sensible.
Alors que les Français aspirent à retrouver toute leur liberté, après avoir vécu une période de privation sans précédent, voilà qu'on la leur restitue par petits bouts ! Voilà qu'on leur dit qu'il faudra attendre encore un peu pour retrouver leurs libertés perdues !
Monsieur le ministre, vous savez comme moi que notre démocratie est malade, que la parole citoyenne souffre du peu de place qu'on lui accorde, et que les processus décisionnels de l'action publique sont toujours plus contestés. Dans ces conditions, la liberté de se rassembler pour manifester son opinion est plus que jamais une liberté fondamentale de notre démocratie. La suspendre, même provisoirement, suppose d'avoir des raisons impérieuses de le faire. Or, dans le cas d'espèce, ces raisons nous échappent. Dès lors, beaucoup verront dans l'état d'urgence sanitaire un simple prétexte pour limiter les libertés à des fins qui intriguent. Alors même que la France a besoin d'apaisement, de concorde, de confiance, de liberté retrouvée et de droits nouveaux, vous lui infligez des mesures malvenues et guère justifiées !
Comment la vie démocratique peut-elle reprendre son rythme, l'ordre du jour du Parlement s'étoffer et les annonces du Président se multiplier si, dans le même temps, la vox populi se trouve menacée de censure ? La vie démocratique ne saurait reprendre ses droits par petites étapes bancales ! Le Conseil d'État lui-même a rétabli la liberté de manifester, nonobstant l'état d'urgence sanitaire. Sur ce point, votre texte s'apparente à une provocation à son endroit.
Monsieur le ministre, le déconfinement des libertés publiques ne peut pas être remis à plus tard. Si des circonstances particulières, notamment une seconde vague épidémique, devaient survenir, vous pourriez à tout moment rétablir l'état d'urgence sanitaire par un simple décret pris en Conseil des ministres. Les Français, qui ont fait la preuve de leur civisme, comprendraient bien mieux que vous adoptiez une telle démarche, plutôt que présenter ce projet de loi, suspendu au-dessus de leurs têtes et disproportionné sans raison valable.
Le Président de la République nous a invités à tirer toutes les leçons de la crise. Permettez-moi d'en retenir trois, parmi tant d'autres. Premièrement, lorsqu'un péril menace la nation, nos compatriotes savent faire corps, dans un esprit de responsabilité et de solidarité. Deuxièmement, la démocratie a besoin d'air. Alors même qu'il lui faut d'urgence un respirateur, vous maintenez une sorte de pression risquant à tout moment de susciter les débordements que vous prétendez chercher à contenir. Troisièmement, l'engagement des Français pour certaines causes est viscéral, culturel, intouchable. Rien ne les empêchera de braver des mesures bridant leur liberté. De ce point de vue, si des manifestations doivent avoir lieu, elles auront lieu. Votre gouvernance par l'exception rencontrera alors ses limites.
Pour toutes ces raisons, il nous semble urgent de sortir de l'urgence. Un régime d'exception étouffe toujours la démocratie, et porte en lui la menace de devenir la règle. Ce texte n'est qu'une nouvelle illustration du « en même temps » : d'un côté, le Président de la République affirme que la vie reprend ses droits et que les jours heureux sont à venir ; de l'autre, le Premier Ministre ajoute : « Oui, mais pas tout de suite quand même ! »
De cette façon d'agir, les Françaises et les Français ne sont plus dupes. Ils aspirent à un rétablissement plein et entier du droit commun. Nous le leur devons. Si la prudence est une vertu, elle n'autorise pas tout, et certainement pas un numéro de bonneteau consistant à faire croire à la fin de l'état d'urgence sanitaire alors même qu'on en conserve l'essentiel.
Pour cette raison, et pour toutes celles que je viens d'exposer, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir rejeter le texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et FI. – M. Paul Molac applaudit aussi.
Monsieur Saulignac, je ne répondrai pas en détail à votre intervention, car je me suis déjà exprimé et nous allons avoir un débat.
Toutefois, je dois dire que votre dernière phrase me pique un peu.
Et elle piquerait aussi les Français, sans doute, s'ils étaient amenés à prendre connaissance du texte par son seul truchement.
Vous dites que nous conservons, dans ce texte, l'essentiel de l'état d'urgence sanitaire.
Mais, monsieur Saulignac, l'essentiel de l'état d'urgence sanitaire, au cours des dernières semaines, c'était le confinement ; c'était la limitation des libertés individuelles et collectives, ainsi que celle du droit d'entreprendre ; c'était l'impossibilité de se marier, de réunir sa famille pour des funérailles, de prendre le métro pour aller travailler, d'aller au restaurant, d'ouvrir son commerce, d'emmener ses enfants au parc lorsqu'il faisait beau et chaud. C'était cela, l'essentiel de l'état d'urgence sanitaire – et cela disparaît, dans le texte que nous vous proposons.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Certes, on peut tout dire, on peut essayer de vendre ce que l'on veut en usant de tous les arguments. Néanmoins, et je le dis sans ironie, je connais la propension à la modération des Ardéchois – que j'apprécie. Faites-en preuve, monsieur Saulignac !
Vous pouvez critiquer le texte. Je répondrai d'ailleurs à l'argument selon lequel il serait préférable de recourir à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. C'est que nous avons dû agir dans l'urgence ; et nous avons dû ensuite sécuriser le dispositif sur le plan juridique.
Nous nous sommes présentés devant le Parlement, auquel nous avons soumis un premier projet de loi, puis un second – j'y étais. Nous avons entendu les arguments des parlementaires.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Nous aurions pu en rester aux arrêtés que j'ai signés dans mon bureau et qui instauraient le confinement. Nous avons fait un choix différent. Nous sommes le seul pays dans lequel le Parlement a été réuni pour obtenir son approbation.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Les mots ont un sens. Lorsque vous dites que ce texte conserve l'essentiel de l'état d'urgence sanitaire, c'est faux !
Mêmes mouvements.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à Mme Martine Wonner.
Tandis que sous les ors de la République s'organise le déclin des droits les plus fondamentaux, tandis qu'ici, au Parlement, organe essentiel et vital, symbole de la diversité du dialogue populaire, nous nous apprêtons à renoncer à notre fonction même, que faisons-nous collectivement pour vous protéger, enfants de France, aujourd'hui et demain ?
Combien de vos aïeux sont tombés sous les coups pour défendre ce qu'ils avaient de plus cher ? Combien d'entre vous connaissent un grand-oncle, un grand-père, ou une lointaine parente qui a versé des larmes de révolte face à l'indicible ?
Murmures sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Enfants de France, qu'allons-nous faire ? Allons-nous nous battre pour notre confort quotidien ou pour votre avenir d'hommes et de femmes libres ? Tandis que notre pays sort étourdi d'une crise sanitaire dont la gestion pose de nombreuses questions légitimes, nous, parlementaires, risquons de commettre l'irréparable pour la première fois : abdiquer face à l'exécutif et renoncer à notre rôle organique, celui d'équilibrer la démocratie, et cela, en contradiction avec la Constitution. L'état d'exception qu'instaure le texte serait une prise d'otages démocratique progressive, déguisée sous des prétextes flous et, au fond, absurdes.
Mes chers collègues, face à l'état d'urgence démocratique, nous ne pouvons rester les bras croisés. Face à la tentative de l'exécutif de nous leurrer, nous ne pouvons laisser le peuple que nous représentons se dépouiller du pouvoir. Assumons notre état de droit, soyons convaincus et forts, et soyons ensemble optimistes pour l'avenir. Nous allons sûrement vivre avec ce virus ou d'autres pour longtemps. Ce ne sera plus jamais l'exception.
Enfants de France, vous serez fiers car, en ce jour, nous aurons su protéger vos libertés fondamentales. Le groupe Écologie, démocratie, solidarité soutiendra la motion de rejet.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas avancer de tels arguments. Au nom de la lutte contre l'épidémie et de l'importance de celle-ci, vous minimisez la gravité des mesures que vous prenez.
Vous prétendez avoir été exemplaires en convoquant chaque fois que nécessaire l'Assemblée.
Je note que celle-ci s'est réunie dans des conditions un peu spéciales pour examiner des textes que les députés découvraient quelques heures avant leur discussion – mais qu'importe.
En l'espèce, concrètement, vous prolongez un état d'exception – car l'état d'urgence est un état d'exception en vertu duquel l'exécutif dispose de pouvoirs bien plus larges que le pouvoir législatif. Il permet au premier de se dispenser de l'approbation du second.
Emmanuel Macron a indiqué, dans son allocution dimanche dernier, que la fin des mesures prises lors du confinement serait la règle, sauf pour les rassemblements. Désolé, mais je refuse de donner un blanc-seing à l'exécutif pour que celui-ci se décerne un satisfecit en matière de libertés publiques par rapport aux autres pays européens. Vous n'avez pas été les meilleurs dans ce domaine, monsieur le ministre. Pourtant, vous rejouez la même scène en vous appuyant sur la légitime émotion des Français face à l'épidémie.
Nous ne pouvons pas supporter de prolonger l'état d'exception et de transformer l'état d'urgence en loi commune. Point barre. C'est un principe auquel nous tenons.
L'enjeu du projet de loi qui nous est soumis est ce que le Président de la République a appelé le retour à la vie normale. Ce retour à la vie normale, nos concitoyens l'attendent, bien évidemment, mais nous ne pouvons nier l'état sanitaire de notre pays. Certes, l'épidémie a été bien gérée et les chiffres montrent une amélioration progressive. Néanmoins, l'abandon, de manière inconséquente, des mesures sanitaires serait fatale.
La préservation de la vie occupe les plus hautes marches sur l'échelle des libertés. Le Gouvernement doit pouvoir agir dans le sens qui convient, sous le contrôle de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Le texte prévoit en effet que toutes les mesures devront leur être soumises et qu'ils pourront interroger le Gouvernement à leur sujet.
Certaines questions restaient posées au regard des libertés fondamentales, notamment sur les données personnelles ainsi que sur la durée du dispositif transitoire. S'agissant des premières, la commission des lois a bien travaillé et fait évoluer le texte pour répondre aux préoccupations qui s'étaient exprimées. Quant à la seconde, nous l'avons réduite pour la mettre en adéquation avec les besoins de notre pays.
Nos concitoyens ne nous pardonneraient pas de risquer leur vie pour des considérations de principe. Les principes de proportionnalité et de nécessité sont respectés dans le texte. C'est pourquoi, sans difficulté aucune, le groupe Agir ensemble votera contre la motion de rejet préalable, …
… qui, de surcroît, ne laisse pas de place au débat.
Je conclus par une citation de Peter Drucker : « Chaque fois que vous voyez une entreprise qui réussit, dites-vous que c'est parce qu'un jour quelqu'un a pris une décision courageuse ». Prenons cette décision courageuse, aujourd'hui, ensemble.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Aux arguments avancés par mes collègues et relevant des libertés publiques, j'en ajouterai un, qui fondera mon intervention dans la discussion générale et qui tient à ce qui ne figure pas dans le texte.
Je vous invite, chers collègues, à porter attention à ce que le texte signifie en creux. Il interroge la confiance que les Français peuvent placer dans la gestion de droit commun de l'état sanitaire de notre pays par un exécutif dont nous tenterons d'établir qu'il est désormais affaibli. Or on ne confie pas les libertés publiques à un exécutif faible.
Le groupe La République en marche n'est évidemment pas favorable à cette motion de rejet.
Celle-ci est en effet parfaitement inadaptée à la situation et à la volonté de nos compatriotes, lesquels, comme chacun d'entre nous, monsieur Saulignac, n'oublient pas les victimes de cette crise terrible.
Nos concitoyens nous demandent aujourd'hui de sortir dès que possible de la situation que nous avons connue avec le confinement, puis le déconfinement progressif et contraignant, autrement dit de sortir de l'état d'urgence sanitaire ; mais nous devons le faire en garantissant la sécurité de tous, notamment lors des rassemblements.
Si jamais une zone de notre territoire devait subir un retour en force du virus, elle devrait pouvoir être identifiée grâce aux données disponibles et isolée ; les rassemblements devraient y être contingentés.
La situation en Chine nous montre que nous ne sommes pas à l'abri d'un événement de cette nature. L'ordre du jour est au retour de notre mode de vie, de nos libertés, de notre art de vivre, de ce qui fait la France, pour reprendre les mots du Président de la République, mais aussi à la vigilance et à la sécurité, pour que ce retour s'inscrive dans la durée.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est un sujet de mécontentement – je ne vous le cache pas – et d'interrogation ; c'est un OPNI, un objet politique non identifié. Si je faisais la publicité d'un produit qui se vend peut-être un peu moins aujourd'hui, je le comparerai à du Canada Dry – cette boisson qui ressemble à une autre, mais qui n'en est pas réellement.
Bien sûr, il faut être prudent. Bien sûr, le covid-19 est loin d'être derrière nous ; de trop nombreuses personnes sont encore hospitalisées, nous déplorons encore des morts et les événements en Chine peuvent inciter à la prudence.
Cependant, vous proposez un texte très byzantin, qui proclame la fin de l'état d'urgence, mais qui réintroduit immédiatement des mesures relevant de celui-ci. En outre, le texte revient sur l'accord important que nous avions trouvé, non pour des raisons politiciennes, mais au nom de la protection de nos concitoyens, sur la durée de conservation des données de santé.
Vous tenez un double langage : d'un côté, vous prétendez que tout va bien et qu'il faut préparer l'avenir ; de l'autre, vous continuez à empêcher, sous certaines conditions, les manifestations et à limiter la liberté de circulation si besoin est. Vous confinez Mayotte et la Guyane jusqu'à la fin du mois d'octobre, donc au moins jusqu'à l'automne, alors que vous auriez pu prévoir des clauses de revoyure.
Il faut certes préparer l'avenir, mais en le faisant étape par étape. Non seulement le texte vous octroie un blanc-seing pour quatre mois, ce qui paraît très long, mais il ne nous semble pas à la hauteur pour préparer l'avenir, contrairement à ce que vous affirmez.
Certes, gouverner, c'est prévoir, mais pas sous une telle forme. C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera pour la motion de rejet.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Chers collègues à droite et à gauche, j'avoue que j'ai un peu, si ce n'est énormément, de mal à vous comprendre.
Nous venons de sortir d'une période de véritable limitation des libertés publiques. C'est sans doute, dans l'histoire de l'humanité, l'une des décisions les plus sévères en la matière.
… en respectant un double principe qui a souvent été mis en avant sur vos bancs : le principe de précaution et de prudence. Le texte instaure plusieurs dispositifs applicables jusqu'au 10 novembre. M. Coquerel a argué de ce que le texte inscrivait des mesures dans le droit de manière définitive. Jusqu'au 10 novembre, c'est très loin d'être définitif !
C'est jusqu'au 30 octobre, et j'ai parlé d'une inscription dans le droit commun. Faut lire le texte, monsieur Balanant !
Nous faisons preuve de prudence et de précaution. Imaginons que nous oubliions ces deux principes, que nous décidions de sortir définitivement de l'état d'urgence et que, au mois d'août, alors que nous profitons tous d'un moment de repos mérité, nous devions réunir le Parlement : je vous entends nous dire que nous aurions été imprudents et inconséquents.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM et LaREM – Exclamations sur les bancs des groupes LR et LT.
Soyons sérieux ! Rien ne porte atteinte aux libertés publiques dans ce texte. Il vise simplement à organiser le retour à la vie normale.
Mêmes mouvements.
Monsieur le ministre, vous êtes très occupé et je vous pardonne de ne pas avoir écouté l'intégralité de mon propos. Si vous l'aviez fait, peut-être auriez-vous mieux apprécié ma tempérance et ma sagesse, mais vous avez écouté la fin seulement et vous en avez retenu une phase que vous avez montée en épingle, faisant ainsi un effet de tribune auprès de vos partisans.
Je le réaffirme : vous conservez des éléments essentiels de l'état d'urgence.
Vous en conservez la privation d'une liberté fondamentale, celle de se rassembler et de manifester. De toute évidence, cette liberté ne vous apparaît pas essentielle.
Vous en avez le droit, mais nous sommes un certain nombre à considérer que la France aspire à retrouver le droit commun et que, dans une démocratie, la liberté de manifester selon son opinion est absolument essentielle.
C'est mon cas, et c'est précisément ce qui fait la différence entre l'exécutif et certains députés de l'opposition.
Je reconnais, monsieur le ministre, que vous ne retenez pas toutes les dispositions de l'état d'urgence sanitaire. Encore heureux que l'on puisse retourner au restaurant ou sortir dans la rue ! Toutefois, je m'offusque que vous mainteniez certains autres éléments sans motif valable. La réalité, c'est que vous maintenez un état d'urgence – et vous n'échapperez pas au procès d'abus de pouvoir.
Oui à la vigilance ; non à des mesures totalement décorrélées des motifs exposés dans le projet de loi.
Mmes Claudia Rouaux et Martine Wonner applaudissent.
Il n'est pas dans les habitudes du groupe Libertés et territoires de voter pour des motions de rejet préalable, tant nous aimons débattre. Il est toutefois rare que tous les membres de notre groupe soient opposés à un texte. En l'espèce, c'est le cas, car le droit en vigueur est suffisant. En effet, je rappelle que la possibilité de déclarer l'état d'urgence sanitaire ne disparaîtra que dans un an et qu'il peut, d'ici là, être réactivé par un simple décret. Nous avons également tout ce qu'il nous faut avec les dispositions prévues à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique.
Le présent projet de loi ne sert donc à rien, sinon à limiter la vie politique de notre pays et la possibilité de manifester ; voilà le problème.
Les mariages et tout ce qui a trait à la vie familiale seront rétablis, mais s'agissant de la vie collective et de la liberté de défendre ses idées, qui passe nécessairement par les manifestations, il y aura bien des restrictions. Et l'on ne nous propose rien de moins que de l'approuver benoîtement jusqu'au mois de novembre. Ben voyons ! C'est encore pire que pour les lois instituant puis prorogeant l'état d'urgence, puisque là, on nous demande de le prolonger de quatre mois d'un coup !
Si jamais, par exemple au mois d'août, cela s'avérait nécessaire, le Gouvernement serait déjà à même de prendre toutes les mesures qui s'imposent. Nous n'avons pas besoin de ce projet de loi ; il est profondément inutile.
En 2017, lorsque nous sommes entrés en fonctions, je me souviens que l'on nous avait assurés que nous n'allions pas voter de loi inutile et que nous allions faire de la simplification administrative. Avec ce texte, nous n'en prenons franchement pas le chemin, c'est le moins que l'on puisse dire ! Nous voterons donc pour la motion de rejet préalable.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
Face à cette crise sans précédent, l'état d'urgence sanitaire aurait pu être beaucoup plus utile. C'est ainsi que je souhaite débuter ma prise de parole : en regardant ce qui a été accompli dans le cadre des lois ayant institué puis prorogé l'état d'urgence. Pour que celui-ci soit utile, il aurait fallu qu'il soit utilisé à bon escient et de manière efficace pour lutter contre la crise sanitaire, ainsi que contre ses conséquences sociales et économiques.
Il y avait pourtant de très nombreuses décisions urgentes et utiles à prendre, comme réorienter l'industrie en réquisitionnant et nationalisant les entreprises et les sites de production dont nous avions besoin. Or, contrairement au Président de la République, qui s'est adressé dimanche un autosatisfecit, je n'ai constaté aucune réorientation de l'industrie. Le laboratoire Famar Lyon, l'entreprise Luxfer ou encore le site de Bobigny de Péters Surgical, dédié à la confection de sondes de Motin, fabriquaient en effet des produits à usage médical absolument nécessaires, mais ils ont été fermés, en 2019 pour les deux premiers et en juin pour le troisième. Vous n'avez rien fait pour l'empêcher. Et quand vous parlez de réorientation industrielle, j'espère que vous ne vous référez pas à la véritable tragicomédie qu'a constitué l'alliance entre Air Liquide et PSA en vue de produire 10 000 respirateurs, lesquels ont servi à tout sauf à soigner des patients atteints du covid-19.
Vous auriez également pu utiliser l'état d'urgence sanitaire pour pallier la pénurie de masques FFP2, lesquels continuent de manquer aux soignants – mais vous ne l'avez pas fait.
Vous auriez pu l'utiliser pour produire et fournir gratuitement des masques au grand public, au lieu de laisser le marché dicter ses conditions et ainsi voir les prix des masques exploser au moment même où ils devenaient obligatoires – mais vous ne l'avez pas fait.
Vous auriez pu bloquer les prix des produits alimentaires, interdire les licenciements dans les entreprises bénéficiaires des aides de l'État, mieux planifier le déconfinement et ses conséquences, ou encore réaliser de véritables relocalisations, se traduisant par autre chose que par de simples baux immobiliers – mais vous ne l'avez pas fait non plus.
Je me demande, dès lors, à quoi sert de prononcer l'état d'urgence si vous en faites un si mauvais usage et si vous n'instaurez pas les mesures d'urgence nécessaires à l'intérêt général, non seulement sur le plan sanitaire, mais aussi en matière sociale et économique.
Et pourquoi faudrait-il maintenant en prolonger encore la durée ? Car c'est bien de cela dont il s'agit. Ce que vous appelez « organisation de la sortie de l'état d'urgence » n'est rien d'autre que la prolongation, qui ne dit pas son nom, d'un état d'exception. Après l'avoir prorogé de deux mois fin mars, vous voudriez cette fois ajouter trois mois et demi de plus – et non quatre mois, monsieur Balanant – , mais sans l'admettre et au prétexte que seules certaines dispositions seraient maintenues.
Or cette zone grise absurde entre état d'urgence et droit commun est presque pire qu'une simple prolongation ; c'est en effet une atteinte à l'État de droit. Ce que recouvre votre choix ne correspond à rien de logique ou de stratégique en matière de gestion de crise ou au regard de la situation sanitaire. Je l'ai dit, vous jetez aux oubliettes tout ce qui aurait pu permettre d'instaurer des mesures économiques et sociales utiles, et vous voudriez conserver tout ce qui permet de porter atteinte aux libertés fondamentales. En effet, vous ne gardez que les mesures de restriction des libertés prévues à l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, alors qu'il existe dans le droit commun, à l'article L. 3131-1 dudit code, les outils qui vous permettraient, monsieur le ministre, de faire face à une crise qui s'aggraverait.
Nous ne pouvons pas accepter qu'une fois de plus la gravité d'une situation serve de prétexte pour faire entrer, petit à petit, un état d'exception dans le droit commun, et cela d'autant moins que ce n'est pas la première fois qu'on nous fait le coup. Au fond, la logique était la même lors de l'état d'urgence sécuritaire, dont vous avez intégré des dispositions dans le droit commun, au travers de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Vous avez utilisé la lutte contre les actes terroristes, qui sont si graves que n'importe quelle mesure d'urgence en la matière est au-dessus de toute critique, pour porter atteinte aux libertés publiques, notamment au droit de manifester. C'était pourtant sans rapport, vous l'admettrez, avec le terrorisme, donc avec l'objet du texte.
Avec ce projet de loi, c'est le même schéma qui se reproduit. Dans votre dernière intervention, vous avez dit, monsieur Véran, que cela vous « piquait » qu'on puisse vous accuser de faire de telles choses. Pourtant, vous passez d'une prorogation de l'état d'urgence à la création d'une zone grise entre état d'urgence et situation normale. La prochaine étape risque d'être la pérennisation des mesures les plus dangereuses pour nos libertés. Le collègue du groupe La République en marche qui est intervenu tout à l'heure l'a d'ailleurs confirmé, lorsqu'il a convenu que si l'épidémie devait revenir il faudrait faire quelque chose : vous continuerez par conséquent à proroger cet état de fait.
Nous ne pouvons pas accepter qu'une telle méthode devienne une habitude. Nous ne pouvons pas accepter que vous utilisiez la crise sanitaire et les peurs légitimes qu'elle a engendrées pour faire ce qui vous chante de nos lois et de nos droits. Vous avez transformé cette épidémie en grave crise sanitaire et économique du fait de votre impréparation et des politiques d'austérité que vous avez menées. Je refuse que vous osiez de surcroît vous en servir pour confiner nos libertés fondamentales.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui en première lecture est censé organiser la fin de l'état d'urgence, mais est-ce réellement le cas ? Sommes-nous encore en état d'urgence ? À nos yeux, rien d'autre que ce dernier ne justifie de déléguer au Gouvernement des décisions à ce point constitutives des libertés fondamentales que sont celles de circuler, d'entreprendre, de se réunir et de manifester.
Malgré nos interrogations, aucune réponse convaincante ne nous a été apportée en commission. Nous avons pourtant essayé de comprendre votre raisonnement, tout comme nous avons voulu faire preuve de responsabilité et entendre les besoins concrets que le Gouvernement nous exposait. Le risque d'une seconde vague épidémique n'est en effet pas à exclure, même si aucune information scientifique et épidémiologique ne nous permet à ce jour de dire si elle surviendra. Les nouveaux cas en Chine et le reconfinement de plusieurs quartiers de Pékin doivent, à cet égard, nous alerter. Nous ne fermons pas les yeux : la période estivale qui s'ouvre peut apporter de nouveaux risques.
Le groupe Écologie, démocratie, solidarité n'était donc pas opposé à l'idée de trouver des solutions pour que le Gouvernement puisse déclencher certaines mesures d'exception, le temps de s'assurer de la réussite absolue de la sortie de crise. Nous sommes même prêts à envisager, par un amendement d'appel, une prorogation de l'état d'urgence qui soit beaucoup plus courte, plus encadrée et concentrée sur les besoins indispensables du moment. Ce dispositif a en effet le mérite d'avoir été codifié et approuvé par le Conseil constitutionnel, d'être juridiquement solide et d'être plus respectueux de la séparation des pouvoirs. À nos yeux, tout est préférable à des mesures restreignant nos libertés fondamentales prises par voie réglementaire et pour une durée de quatre mois, sans qu'aucun autre passage devant le Parlement ne soit prévu.
Nous le redisons haut et fort : nous sommes contre tout dispositif qui impliquerait une régression de la place des libertés fondamentales dans la hiérarchie des normes.
Nous ne pouvons pas accepter de déléguer les libertés fondamentales au pouvoir réglementaire. Or, dans ce texte, le Gouvernement retranche du domaine de la loi certaines mesures afférentes à ces libertés, ce qui réduit le contrôle du Parlement sur elles et l'empêche de saisir le Conseil constitutionnel.
Le texte ne prévoit que l'information du Parlement et non un contrôle effectif de sa part, ce qui constitue pour nous une ligne rouge, que les travaux en commission n'ont pas permis de lever.
D'autre part, s'agissant des besoins que vous nous exposez, monsieur le ministre, nous aimerions obtenir des réponses à nos interrogations. En quoi les dispositions déjà prévues par le code de la santé publique, notamment aux articles L. 3131-1 et L. 3131-13, ne sont-elles pas suffisantes ? L'article L. 3131-1 dispose expressément que « le ministre chargé de la santé peut [… ] prescrire [… ] toute mesure proportionnée [… ] afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population », et ce y compris « après la fin de l'état d'urgence sanitaire [… ] afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ».
Quant à l'article L. 3131-13, il dispose que « l'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres », ce qui permet une réactivation immédiate en cas de besoin pendant l'été. Pourquoi nous dirigeons-nous vers un texte hybride, vers un état d'urgence qui ne dit pas son nom et qui comporte, à bien des égards, des zones d'ombre, lesquelles représentent autant de risques juridiques pour nos libertés fondamentales ?
Les travaux en commission n'ont malheureusement pas permis de répondre à nos craintes et les aménagements apportés au texte ne sont que symboliques. En somme, alors que les annonces présidentielles et l'intitulé du projet de loi nous invitent à sortir de l'état d'urgence sanitaire, le contenu du texte nous propose, quant à lui, d'y rester d'une façon détournée. C'est pourquoi les membres du groupe Écologie, démocratie et solidarité voteront contre.
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS. – M. Paul Molac applaudit aussi.
On dit qu'on vote contre avant même de commencer le débat ? C'est nouveau, ça !
La semaine dernière, le groupe Agir ensemble soulignait que nous nous trouvions dans une phase transitoire décisive. Une fois encore, nous débattons de dispositifs au double visage.
D'une part, il y a la nécessité de maintenir des mesures sanitaires eu égard au caractère particulièrement imprévisible de l'épidémie, lequel n'a pas empêché certains spécialistes de formuler des prédictions. Il nous faut maintenir cet esprit et des règles sanitaires de bon sens pour nous prémunir d'un virus dont nous ne connaissons pas encore dans le détail les multiples facettes.
D'autre part, il y a la nécessité de permettre ce que nous appelons communément le retour à la vie, qui se matérialise notamment par l'exercice de nos libertés, comme celles de circuler, d'entreprendre, ou de commercer. Le Conseil d'État est d'ailleurs récemment intervenu en ce sens, s'agissant de la liberté de manifestation, dans le respect des gestes barrières.
Le présent projet de loi constitue la matrice principale de ce qui guide l'action publique depuis quelques semaines, à savoir la reprise prudente d'un quotidien malgré tout en sursis. Il s'agit d'un équilibre, car nous devons veiller à la préservation de nos droits fondamentaux dans la durée. Dit autrement, toute entorse à ces droits devient de moins en moins acceptable à mesure que le virus semble perdre du terrain.
Le groupe Agir ensemble est attentif au respect des droits fondamentaux : les dernières restrictions à ces droits doivent être motivées uniquement par des raisons sanitaires.
C'est pourquoi, lors de l'examen en commission des lois, nous avons estimé nécessaire, en accord avec le groupe La République en marche et celui du Mouvement démocrate et apparentés, d'encadrer davantage la possibilité de prolonger la durée de conservation des données personnelles collectées, en la limitant à la seule finalité de surveillance épidémiologique et de recherche sur le virus. Il s'agit d'une garantie complémentaire, qui rassure notre groupe, d'autant que l'on devra recueillir le consentement de la personne concernée, qui sera informée sans délai de la possibilité d'exercer son droit d'opposition et son droit à l'effacement des données.
Cependant, nous demeurons soucieux quant à la durée pour laquelle sera créé un régime spécifique permettant la prise d'un certain nombre de mesures très restrictives des libertés de circulation et de rassemblement.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Ne vous en faites pas, chers collègues, vous pourrez vous exprimer tout à l'heure.
La création en tant que telle de ce régime transitoire nous apparaît justifiée et nécessaire au regard des circonstances sanitaires, qui demeurent prégnantes en dépit du déconfinement et du retour à la vie économique et sociale. Le fait que ce régime soit aux mains du Premier ministre après remise d'un rapport par le ministre de la santé ne nous apparaît pas non plus de nature à soulever des inquiétudes, dans la mesure où le texte prévoit que l'Assemblée nationale et le Sénat seront informés sans délai des mesures prises en vertu de ce régime et pourront demander des informations complémentaires.
C'est bien la durée d'application de ce régime qui nous apparaît trop longue. D'ailleurs, la commission des lois a justifié le raccourcissement de cette durée, dont le terme a été fixé au 30 octobre au lieu du 10 novembre, …
… par le fait qu'il est « souhaitable que ces mesures temporaires s'éteignent dans le délai le plus court ».
Nous aurions souhaité raccourcir plus significativement cette durée, …
… mais notre volonté s'est heurtée aux arguments selon lesquels la tenue d'une session extraordinaire en septembre était hypothétique et qu'il convenait de tenir compte des élections sénatoriales. Nous nous en remettons donc à la sagesse du Gouvernement pour appliquer ce régime dans le respect des règles définies et nous informer de son usage.
Compte tenu des garanties apportées pour encadrer ce régime transitoire, le groupe Agir ensemble votera pour le projet de loi.
Tout d'abord, ayons à l'esprit que le présent débat est le fruit et la conclusion espérée de la mobilisation sans faille des soignants durant de nombreux mois, ainsi que du civisme responsable de nos concitoyens.
Le présent projet de loi devrait signer la sortie d'un régime d'exception, signifier que le pays retrouve confiance en lui-même et en des relations sociales et des échanges apaisés ou revivifiés par le débat d'idées ou l'opposition des intérêts propres à toute vie publique et démocratique. Vous le savez, la séquence qui s'est ouverte dans le pays est lourde de contentieux économiques et sociaux, à l'échelle tant individuelle que collective.
Dans ces conditions, comment interpréter le maintien, jusqu'à la fin du mois d'octobre prochain, de prérogatives permettant à l'exécutif de suspendre la liberté de déplacement et de circulation, l'ouverture des établissements publics et la faculté de se rassembler et de manifester ? L'argument selon lequel il convient de proroger un temps un filet de protection à la seule main de l'exécutif pour faire face à une éventuelle résurgence de l'épidémie est préoccupant, et voici pourquoi.
Nous savons bien qu'il n'y a pas de risque zéro et que des foyers épidémiques resurgissent ; c'est notamment le cas depuis quarante-huit heures en Normandie, dans ma circonscription – vous y avez fait allusion, monsieur le ministre. Mais n'avez-vous pas, désormais, l'entier contrôle de la situation ? L'organisation du suivi épidémiologique de la population, la surveillance, la détection, la prise en charge ne sont-elles pas totalement opérationnelles, de sorte que vous n'auriez guère de raison de mettre fin sans coup férir aux libertés fondamentales, si une situation localisée – je reprends le qualificatif utilisé par la rapporteure elle-même – se faisait jour ? Compte tenu du retour d'expérience de ces derniers mois en France et chez nos voisins européens, n'êtes-vous pas désormais prêts à faire face, normalement et avec les outils du droit commun, au retour d'une circulation plus ou moins active du virus ?
Si la réponse est oui, l'hypothèse de la suspension des libertés fondamentales n'a pas sa place dans ce projet de loi – à la différence des dispositions relatives à la robustesse et à la transparence sanitaire du suivi du covid-19, qui y ont toute la leur. Si la réponse est non, c'est très inquiétant d'un strict point de vue sanitaire, et vous n'auriez d'autre choix que de décréter un nouvel état d'urgence sanitaire sur le territoire national.
Pour notre part, nous vous demandons plutôt de continuer à consolider l'armature de notre système de soins à court et long terme. C'est là que réside la véritable réponse aux risques sanitaires, à celui du covid-19 comme à tous les autres. Il faut remédier aux carences en moyens matériels, des plus simples aux plus sophistiqués, et aux carences en personnel à l'hôpital, dans la médecine de ville et dans les établissements médico-sociaux. C'est pourquoi nous vous bousculons pour que vous mettiez sur la table, avant l'été, les dotations financières supplémentaires nécessaires pour notre système de soins et l'ensemble de ses agents.
Nous voyons bien vos atermoiements quant aux réponses à apporter, ainsi que votre fébrilité, car vous savez que notre économie et notre société seraient définitivement et fondamentalement remises en question si l'on était obligé de recourir à un deuxième confinement. La question est donc très politique.
Dans ces conditions, vous maintenez trois dispositions essentielles, d'ailleurs très disparates, en matière de libertés publiques. Or la simple réalité concrète des quatre prochains mois rend à elle seule ces dispositions totalement inopérantes.
Il s'agit de la réglementation, de la limitation, voire de l'interdiction, premièrement, des déplacements et de l'accès aux moyens de transport, alors même que les Français seront en vacances aux quatre coins du pays ou ailleurs ; deuxièmement, de l'ouverture des établissements recevant du public, y compris lors de la rentrée de septembre, alors que la vie sociale et quotidienne des Français reprendra dans toute son intensité ; troisièmement, des rassemblements et des réunions publiques, alors que des tensions sociales existent.
Dès lors, est-il surprenant que vous soyez interrogés sur la cohérence et le sens véritable du maintien de ces épées de Damoclès au-dessus des libertés ?
Pour nous, ce texte est celui d'un pouvoir faible et affaibli, troublé par sa propre action, déboussolé par le bilan de sa gestion de la crise et défiant à l'égard des Français. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas pour.
Le 10 juillet prochain, l'état d'urgence sanitaire aura été appliqué sur l'ensemble du territoire national pendant près de treize semaines. Sa mise en oeuvre a permis au Gouvernement de prendre les mesures indispensables à la gestion de la crise sanitaire et d'organiser la reprise progressive de l'activité.
Si la situation sanitaire est en voie d'amélioration, la crise n'est pas pour autant derrière nous. Hier, 16 juin 2020, 10 535 personnes étaient encore hospitalisées pour infection au covid-19 et 820 cas graves nécessitaient des soins lourds de réanimation. Une vigilance particulière reste donc nécessaire dans les prochaines semaines.
Les débats d'aujourd'hui et ceux en commission des lois le montrent : certains d'entre nous n'ont pas remarqué que, depuis le début du déconfinement, le 11 mai, plus de 200 clusters sont apparus. Regardons simplement ce qui se passe en Guyane… La situation est désormais sous contrôle, sans doute, mais elle est sensible, et nous savons qu'elle peut déraper.
Nous ouvrons effectivement un nouveau cycle dans la gestion de l'épidémie du covid-19. Cette nouvelle gestion doit permettre à la fois de répondre à l'aspiration collective au rétablissement du droit commun et de garder la capacité d'agir rapidement face à une éventuelle dégradation de la situation sanitaire. Les mesures contenues dans ce texte sont strictement limitées à cet objectif. Nous devons cette exigence de limitation à nos concitoyens – je pense aux victimes et à leurs familles. Cette exigence est celle de la nécessité publique, de l'intérêt général.
J'entends les oppositions ; nous pouvons avoir des désaccords. Certains d'entre vous estiment que la crise a été mal gérée. Nous aurons un débat à ce sujet, mais le procès d'intention caché est d'une inconséquence grave, car on fait ainsi passer le message que la crise est passée ; or on ne peut pas tenir un tel discours à nos concitoyens.
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État estime que le régime transitoire tel qu'il est envisagé, pour une durée limitée, est « de nature à répondre aux nécessités de sortir de manière prudente, graduée et contrôlée du régime mis en place pour faire face à l'état d'urgence sanitaire ». C'est assez éclairant.
Je me souviens des interventions en commission des lois, notamment des propos complotistes – « Vous voulez détruire les libertés publiques ! » – , des dramatisations dérisoires – «Vous voulez un droit absolu d'interdire les manifestations ! » – et des approximations politiciennes, avec une référence incantatoire à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, pourtant très éloigné des besoins actuels.
Vous êtes dans le déni de la réalité, celle d'un virus qui est toujours là. Vous êtes dans le déni de ce qu'il faut lire dans ce projet de loi, lequel vise simplement à laisser la possibilité au Premier ministre de prendre, aux seules fins de protection de la santé publique, des mesures de préservation de la santé de nos concitoyens.
Le projet de loi organise, après le 10 juillet 2020, une période transitoire…
… pendant laquelle une vigilance particulière reste nécessaire pour faire face à une éventuelle résurgence de l'épidémie de covid-19. Il apparaît évidemment souhaitable que ces mesures temporaires s'éteignent dans le délai le plus court qui soit, compte tenu des contraintes liées. C'est pourquoi le groupe La République en marche a souhaité avancer la fin de ces mesures au 30 octobre 2020, au lieu du 10 novembre. Ce n'est que dix jours, certes, mais vous vous êtes extasiés de ce que le Sénat avait réduit cette durée de treize jours !
Laissez-moi achever mon propos, s'il vous plaît.
Si nous avons calibré ainsi le délai, c'est tout simplement parce que nous voulons que le Sénat soit lui aussi en mesure d'examiner les faits et de faire son travail. Or, après les élections sénatoriales, il aura besoin des quinze premiers jours d'octobre pour installer l'ensemble de ses organes.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
D'autre part, demander si nous sommes en état d'urgence sanitaire ou non, comme vous l'avez fait tout à l'heure, monsieur Saulignac, revient à convoquer le virus devant l'Assemblée pour le sommer de dire s'il existe ou non. Les choses ne marchent pas comme cela ! Le virus est toujours là, il peut revenir, et nous avons besoin d'une période transitoire, d'un entre-deux durant lequel il n'est pas indispensable de conserver l'ensemble des prérogatives de l'état d'urgence sanitaire. Nous débattrons d'ailleurs de la question ultérieurement, puisque nous devrons concevoir un véritable régime d'état d'urgence sanitaire applicable après le 1er avril 2021.
Le projet de loi permet en outre d'allonger la durée de conservation des données collectées dans le cadre des systèmes d'information instaurés pour lutter contre l'épidémie. Notre groupe a souhaité limiter cette prolongation à la seule finalité de surveillance épidémiologique et de recherche sur le virus. Le texte est donc désormais plus protecteur.
Certains critiquent le compromis que nous avons trouvé à l'article 2, estimant que la pseudonymisation des données, qui n'est pas leur anonymisation, est insuffisante. Or des critères très stricts sont fixés pour l'anonymisation des données : celle-ci consiste à supprimer non seulement les éléments directement identifiants – nom, prénom, coordonnées personnelles – , mais aussi tous les éléments même indirectement identifiants : dates, lieux, etc. Lorsque l'on souhaite utiliser des données à des fins de recherche médicale, pour mieux comprendre le virus et s'y adapter – ce qui est fondamental pour que nous puissions retrouver une vie normale – , une anonymisation au sens strict n'est ni possible, ni faisable, ni souhaitable. C'est pourquoi les données seront, en l'espèce, pseudonymisées.
Pour conclure, nous avons adopté en commission deux articles additionnels visant à adapter les mesures à la situation en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Il nous revient de donner à nos concitoyens l'outil juridique nécessaire au retour progressif et serein à une vie normale.
Mme Isabelle Florennes applaudit.
Il est des moments où mieux vaudrait éviter de vouloir entrer dans l'histoire ! Enfermer tous les Français chez eux pendant deux mois n'est pas une décision dont on puisse se vanter au point de vouloir absolument que notre nom y soit attaché dans les livres d'histoire. Pourtant, c'est bien ce qui s'est passé : on a enfermé les Français chez eux pendant deux mois. Je ne dirai pas que dans le même temps, 13 500 détenus ont été relâchés, néanmoins le parallèle mériterait d'être fait.
Or les raisons qui ont conduit à cette décision apparaissent de plus en plus floues : le président du Conseil scientifique – comme il convient désormais de le désigner au vu de l'accumulation des textes de loi sur le sujet – avouait lui-même il y a quelques jours que la décision de confinement avait été prise pour la seule et unique raison que nous n'avions ni masques ni tests.
Ah ? C'est ce que le président du Conseil scientifique a dit ?
Voilà ce que nous devons dire aux Français : ils ont été enfermés chez eux, parce que nous n'avions ni masques ni tests. Nous avons stoppé la vie économique du pays, parce que nous n'avions ni masques ni tests. Nous avons étouffé la vie démocratique du pays, …
… ce qui vous arrange bien, monsieur le ministre, parce que nous n'avions ni masques ni tests. Voilà ce qu'il nous revient de dire au moment où vous voulez, non pas sortir de l'état d'urgence, mais proroger des dérogations exorbitantes du droit commun, qui confient tant de pouvoirs au Premier ministre et au Gouvernement, sans réel contrôle de nos assemblées populaires.
Eh bien, le groupe Les Républicains s'y opposera. Et vous devrez rendre compte aux Français de votre gestion de la crise, comme de la situation économique et sociale dramatique dans laquelle nous allons nous trouver au fur et à mesure que le pays se déconfinera.
En prolongeant l'état d'urgence – puisque, de fait, c'est ce qu'il fait – , ce texte s'inscrit dans la continuité de votre stratégie, rondement élaborée, de communication politique sur cette crise. Celle-ci a été institutionnalisée lorsque, tous les soirs, les Français attendaient, devant les chaînes d'information en continu, que le directeur général de la santé leur livre ses chiffres morbides, sans que jamais ceux-ci soient réellement mis en perspective ; jamais, on ne nous a donné de clarifications ou d'explications précises sur ce qui se passait, afin que nous puissions comprendre, on s'est contenté d'annoncer une suite d'actions dont on a perdu au fur et à mesure le sens.
Nous voilà maintenant placés face à des contradictions encore plus fortes, dans une période de déconfinement régie par des décisions qui parfois imposent le port d'un masque, et parfois non. Si vous allez dans un restaurant, il faut mettre un masque pour circuler entre les tables, mais quand vous vous asseyez, vous pouvez le retirer – et pour cause : si vous êtes dans un restaurant, il faut bien ouvrir la bouche pour déjeuner ou dîner.
Allez expliquer ces contradictions ! Elles ont une conséquence : le consentement à l'autorité publique est en train de se déliter ; voilà ce qu'il reste de l'acceptation du rôle de l'État. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, vous avez une responsabilité terrible dans la nécessité de restaurer chez nos concitoyens la reconnaissance du rôle et de l'autorité de l'État, parce que vos mesures ne sont plus comprises, et pour cause : elles sont incohérentes.
J'entends certains collègues faire référence à ce que nos voisins ont fait, mais ceux-ci n'ont pas employé du tout la même stratégie.
Vous feriez cette déclaration sous serment ? Vous racontez n'importe quoi !
Ils n'ont pas imposé un confinement aussi strict que celui que nous avons connu. Je suis député d'une circonscription frontalière avec l'Allemagne et particulièrement proche de la Suisse ; mes administrés ont vu comment cela se passait en Allemagne et en Suisse, où la crise a engendré moins de drames.
Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Les citoyens y ont certes vécu une période de restriction des libertés, mais pas aussi forte qu'en France ; la vie sociale et la vie économique se sont poursuivies et ces pays connaîtront un déconfinement économique et social bien plus efficace que celui de la France.
Mes chers collègues, parce que la gestion de crise a été catastrophique, et parce que vous voulez continuer à vous arroger des prérogatives exorbitantes du droit commun et liberticides, nous voterons contre ce texte.
Rappelons-nous les conditions dans lesquelles nous nous sommes réunis au mois de mars dernier, pour débattre du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, lequel a créé l'état d'urgence sanitaire. Il nous fallait alors construire un cadre juridique pour agir rapidement et efficacement. Notre action était subordonnée à l'urgence de la situation. Néanmoins, nous ne lui avons pas sacrifié le débat démocratique, garant du respect des libertés de nos concitoyens – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Nous voici de nouveau réunis, cette fois pour sortir du régime d'exception. L'état de la crise sanitaire est tout autre : les derniers chiffres publiés par Santé publique France et par la direction générale de la santé révèlent un recul du virus dans notre territoire. D'autres urgences ont par ailleurs déjà pris le relais de la crise ; la relance économique de notre pays, la sauvegarde des emplois et la refonte de notre système de santé sont autant de sujets qui doivent désormais nous occuper. Il nous faut donc aujourd'hui un texte qui nous permette de tirer les leçons de cette crise, en matière de gestion politique et administrative, ainsi que sur le plan scientifique ; un texte qui accompagne le retour à une vie normale.
À mon sens, le présent projet de loi répond à ces deux impératifs. L'état des connaissances sur le virus et la situation internationale – je pense notamment à ce qui se passe en Amérique du Sud et en Chine – incitent à la plus grande prudence. Nul ne peut affirmer que la crise est derrière nous et que la propagation du virus ne reprendra pas. Il est donc absolument nécessaire de maintenir un encadrement des déplacements, des rassemblements sur la voie publique et de l'accueil du public au sein d'établissements dont la configuration ne permet pas le respect des gestes barrières.
J'entends les craintes exprimées quant à ces restrictions, mais j'entends aussi les scientifiques et les soignants qui se montrent extrêmement prudents. Je rappelle à ceux qui les auraient oubliés les milliers de morts à travers le monde, les familles endeuillées – pour lesquelles j'ai une pensée – et nos concitoyens qui se battent encore et qui souffrent de séquelles. Nous leur devons de faire preuve de responsabilité et de vigilance – lesquelles n'empêchent en rien la recherche d'un équilibre et le respect des droits et libertés de chacun.
C'est dans cet esprit que nous avons oeuvré en commission avec la rapporteure, donc je salue le travail, pour trouver un compromis concernant les rassemblements sur la voie publique. Nous le savons, les tensions sociales n'ont pas disparu avec le confinement, bien au contraire ; certaines ont été exacerbées, et il importe de permettre leur expression dans un cadre sanitaire sécurisé. Il est de notre responsabilité aussi de garantir à nos concitoyens la possibilité d'exercer le droit de manifester ; puisque ce texte encadre la phase transitoire dans laquelle nous nous trouvons, il doit créer les conditions pour que ces manifestations puissent avoir lieu.
S'agissant de la conservation des données recueillies par les deux systèmes d'information, nous avons bien conscience qu'elle a suscité de nombreuses inquiétudes. Là encore le travail de Mme la rapporteure doit être souligné, pour avoir répondu aux interrogations, légitimes. Point de cheval de Troie : seules les données pseudonymisées et destinées à la surveillance épidémiologique et à la recherche pourront être conservées. L'objectif visé est bien le progrès scientifique et médical ; il n'en sera pas autrement, nous nous y engageons. Les problématiques afférentes à la collecte et à la gestion de données personnelles sont extrêmement sensibles. Indirectement, cette crise sanitaire nous oblige à nous interroger sur nos pratiques numériques pour l'avenir ; ne créons pas d'accoutumance à la collecte de données et travaillons à plus de transparence, sans quoi nous ne ferons qu'accroître la défiance des citoyens à l'égard de ces procédés.
L'avenir : voilà à quoi nous devons maintenant travailler. Ce texte y contribue. Il faut l'envisager comme une transition entre l'avant et l'après crise – telle est la période dans laquelle nous nous trouvons ; elle a ses exigences auxquelles il serait imprudent de vouloir échapper. Ne nous dérobons pas à la responsabilité qui est la nôtre, car nous mettrions l'avenir de nos concitoyens en danger.
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés, vous l'aurez compris, est favorable à ce projet de loi.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.
Nous sortons d'une période dramatique. Les Français ont vécu dans l'angoisse durant des mois, à cause de ce virus inconnu. Le Gouvernement nous annonce qu'étant donné l'état sanitaire, l'état d'urgence ne sera pas prolongé au-delà du 10 juillet 2020. Bien évidemment, nous nous réjouissons ; mais, en fait, quand on examine le texte en détail, on s'aperçoit que le Gouvernement invente une curieuse troisième voie : il y avait le droit commun et l'état d'exception, il y a maintenant un nouveau régime dérogatoire, appelé « transitoire » – une transition qui dure quand même jusqu'au mois d'octobre. Contrairement à ce qu'il prétend, le texte ne vise pas à organiser la fin de l'état d'urgence ; il vise à prolonger ce dernier, sous une autre forme.
La loi du 11 mai 2020 prorogeait le régime d'exception jusqu'au 10 juillet. Il fallait évidemment prévoir la suite. Or on constate que la plupart des dispositions exceptionnelles sont prolongées jusqu'au 30 octobre. Comme vous l'avez déjà compris à travers les propos de mon collègue Saulignac, le groupe Socialistes et apparentés s'étonne de cette procédure un peu oblique, qui invite en réalité le pouvoir législatif à continuer à déléguer ses compétences élémentaires au pouvoir exécutif, donc à ne plus exercer son rôle de protection des libertés individuelles. Jusqu'au 30 octobre, c'est donc le Premier ministre qui pourra réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage, ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public : on voit que des libertés fondamentales sont ainsi confiées à l'exécutif.
En revanche, la commission des lois a réécrit les dispositions qui permettaient au Premier ministre de limiter ou d'interdire les rassemblements sur la voie publique, ainsi que les réunions de toute nature. Il faut dire que le Conseil d'État a récemment réaffirmé que la liberté de manifester, qui avait été restreinte pour des motifs sanitaires, était un aspect fondamental de notre démocratie. La rédaction de la commission des lois propose un cadre intermédiaire, de compromis : les rassemblements spontanés ne pourront pas être interdits – ce qui est d'ailleurs difficile dès lors qu'ils sont spontanés… – , mais ils pourront faire l'objet d'un encadrement du nombre de participants et d'une réglementation afin d'assurer le respect des gestes barrières ; quant aux manifestations sur la voie publique, elles pourront faire l'objet d'un régime d'autorisation adapté.
On comprend qu'il faille réduire le nombre des manifestations importantes ; il n'en est pas moins problématique de vous voir confisquer un droit fondamental en créant ce cadre transitoire. Nos concitoyens, qui se sont montrés extrêmement disciplinés en acceptant sans rechigner une privation de liberté sans précédent, aspirent à se retrouver libres. Or vous leur demandez d'attendre encore un peu.
Une autre mesure, qui figure à l'article 2, me semble problématique : le Gouvernement pourra prolonger par décret la durée de conservation de certaines données médicales. Quand nous avons voté l'autorisation de conserver ces données, vous avez présenté la mesure comme exceptionnelle et précisé que son application serait brève. Mais, comme d'habitude, vous voulez recourir au décret pour allonger et élargir le traçage.
Vos raisons sont sans doute légitimes. Reste que nous n'entrons pas sans crainte dans une société où des données personnelles sensibles seront conservées plus longtemps et utilisées plus largement. Nous devons apporter à nos concitoyens toutes les garanties en matière de protection des données et de secret médical.
Certes, nous reconnaissons que vous avez fait face dans des conditions difficiles à une crise grave et inédite. C'est pourquoi, au cours de cette période, nous avons voté un certain nombre de textes que vous avez présentés. Ce ne sera pas le cas pour ce projet de loi. Le groupe Socialistes et apparentés souhaite le rétablissement plein et entier du droit commun et du respect des libertés ; c'est pourquoi nous ne pourrons pas vous suivre.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Je ne débattrai pas de la gestion de la crise, même si tout n'a pas été parfait dans ce domaine, loin de là. Je songe à la communication du Gouvernement aux conseils qu'il a donnés à nos concitoyens – notamment en matière d'utilisation des masques. Mais nul ne pouvait anticiper la crise et il a fallu gérer avec les moyens du bord. Je regrette seulement le manque de réactivité face aux alertes lancées aux pouvoirs publics et au Gouvernement par les élus, qui témoignaient de ce qui se passait sur le territoire. Nous avons déjà pointé les défaillances de l'administration et des agences régionales de santé, les ARS.
Quel effet d'annonce que ce titre : projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ! On peut soit maintenir, soit abroger l'état d'urgence ; mais on ne peut pas inventer une troisième voie, par le biais d'un texte qui paraît éphémère, mais contient à l'évidence la possibilité de faire durer le provisoire.
Si le Conseil d'État n'était pas intervenu, vous auriez même codifié ce régime hybride. On sait pourtant qu'un régime de crise ne peut être dissocié de la crise qui l'a engendré – à moins que l'on aille vers une pérennisation.
Désireux de maintenir jusqu'en novembre des mesures exorbitantes du droit commun, vous faites le choix de vous passer du Parlement pendant une longue période. Ne l'avons-nous pourtant pas assez répété ? Celui-ci n'est pas une option dont on pourrait se dispenser, spécialement en temps de crise. Vous le savez mieux qu'un autre, monsieur le ministre, puisque vous avez siégé sur nos bancs. Vous ne pouvez pas nous demander de nous dessaisir continuellement de nos prérogatives.
Par l'article 2, vous souhaitez nous faire revenir sur une décision que nous avons votée ici même, il y a très peu de temps, au terme d'un débat long et complexe. Comment pourrions-nous nous satisfaire de siéger dans un Parlement qui abandonnerait ses droits à l'exécutif ?
Compte tenu des annonces du Président de la République visant à nous rassurer, nous aurions pu attendre au moins du Gouvernement qu'il diminue les atteintes aux libertés. Il n'en est rien. Les mesures qu'il propose relèvent de l'état d'urgence sanitaire. Seule la réquisition et la quarantaine n'y figurent pas. Elles restent applicables, conformément au régime de droit commun du code de la santé publique.
Nous sommes conscients que l'épidémie n'est pas derrière nous. Le retour progressif à la normale ne signifie pas que tout danger est écarté. Si le virus devenait de nouveau virulent, vous pourriez à nouveau compter sur le Parlement pour qu'il se réunisse, vous soutienne, vous aide et débatte des mesures à prendre. Mais à quoi tend réellement le texte ? Non à apaiser la peur liée par une éventuelle résurgence de l'épidémie et, le cas échéant, à protéger nos concitoyens, mais à permettre au Gouvernement, dans un tel contexte, de s'arroger des pouvoirs qui ne lui reviennent pas.
Deux des quatre articles du projet de loi, introduits en commission, concernent l'outre-mer : ils tendent à adapter le dispositif d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Cependant, l'article 3 ne répond que partiellement aux demandes de nos collègues calédoniens Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, car, s'il apporte un assouplissement nécessaire sur la question de la quarantaine, il ne résout pas le problème de l'articulation des compétences. Il aurait fallu effectuer au préalable un travail avec les autorités locales.
Nous avons donc déposé un amendement tendant à récrire l'article afin de leur laisser le pouvoir de prendre les dispositions nécessaires sur un sujet aussi important. Concernant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, il conviendra de poursuivre la discussion au Sénat, mais nous comptons d'ores et déjà sur vous pour voter notre amendement.
Mon collègue Pascal Brindeau l'a indiqué en commission : à défaut d'un effort de votre part, nos collègues ultramarins s'abstiendront sur le texte. La majorité de notre groupe votera contre.
Avant toute chose, je tiens à rendre un hommage appuyé à l'ensemble des forces vives de notre pays, qui nous ont permis de traverser la crise sanitaire. J'ai une pensée toute particulière pour nos personnels soignants qui ont manifesté leur colère hier à quelques encablures de notre hémicycle, afin d'obtenir une revalorisation fort légitime de leur statut, ainsi que de meilleures conditions de travail.
Le projet de loi soulève de véritables interrogations. Je m'arrête un instant sur une incohérence que vous n'avez pas manqué de relever. Ce texte était initialement intitulé « projet de loi organisant la fin de l'état d'urgence sanitaire » ; celle-ci a été insidieusement rebaptisée lors de nos travaux en commission « sortie de l'état d'urgence », ce qui nous laisse songeurs. En effet, nous constatons que l'on est loin de nous proposer un retour à un régime de droit commun. Et nous le regrettons.
La fin de l'état d'urgence est désormais souhaitable et correspond à la situation sanitaire du pays. Elle répond à la nécessité d'une reprise économique rapide. Pourtant, le texte laisse à la disposition du Premier ministre la possibilité de prendre des mesures d'exception au-delà de la période d'exception liée à la crise sanitaire, c'est-à-dire pendant près de quatre mois.
Il est impératif de s'interroger sur cette durée et sur la proportionnalité des mesures envisagées, pour ne pas entériner une prolongation déguisée de l'état d'urgence sanitaire, qui ne serait pas justifiée.
Nous éprouvons à ce sujet une inquiétude particulière : celle que ce texte n'ouvre la porte à l'entrée progressive dans le droit commun de mesures liberticides, ce qui s'est produit pour d'autres textes. Nous redoutons en effet de voir surgir en octobre un autre projet de loi qui les ferait entrer dans le droit commun. C'est ce qui s'est passé pour les dispositions destinées à lutter contre le terrorisme… Notre crainte n'est donc pas sans fondement.
Comme a pu le dire mon collègue Charles de Courson lors de son intervention contre l'application StopCovid, le Gouvernement nous conduit insidieusement à accepter un « pacte faustien qui consiste à nous vendre plus de sécurité sanitaire contre moins de libertés ». Or, s'il est certain qu'à terme, nous aurons moins de libertés, je ne suis pas sûr que nous gagnions en sécurité.
Dangereux pour nos libertés, le projet de loi est en outre inutile. Comme a pu l'indiquer le Conseil scientifique dans son avis du 8 juin, l'épidémie est aujourd'hui sous contrôle. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires considère que le régime le plus adapté pour accompagner la sortie de l'état d'urgence sanitaire est simplement le droit commun.
Dans son avis du 9 juin 2020, le Conseil d'État indique que « les dispositions du code de la santé publique relatives à la menace sanitaire prévues aux articles L. 3131-1 et suivants pourraient être activées. Si celles-ci s'avéraient insuffisantes, le Gouvernement aurait la faculté de déclarer l'état d'urgence sanitaire ». Cette institution vous a d'ailleurs repris sur le respect d'autres droits fondamentaux, comme la liberté de culte et la liberté de manifester.
Pour que tout le monde comprenne de quoi il est question, je tiens à citer l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. » Je souligne : « toute mesure ». Autant dire que le droit actuel est suffisant.
Vous l'aviez presque dit vous-même, monsieur le ministre, lorsque nous avons examiné, en mars, le projet de loi visant à instaurer l'état d'urgence sanitaire. Vous aviez alors indiqué qu'en cas de résurgence de l'épidémie, le mieux serait de réactiver immédiatement l'état d'urgence sanitaire. Autant dire que nous avons tout ce qu'il faut dans notre droit.
Si vous disposez de la législation nécessaire pour faire face à des foyers de contamination, voire à une reprise de la pandémie, pourquoi nous proposer des mesures inutiles, alors même que l'épidémie est sous contrôle ? Pour donner aux Français l'impression qu'on s'occupe d'eux ? Ils ne sont pas dupes. D'excellents articles du Monde ou de Mediapart délivrent toutes les informations nécessaires. Il y a peu, vous m'avez accusé d'aller chercher mes informations sur Twitter. Désolé ! J'ai d'autres lectures, qui me semblent très importantes pour la démocratie.
Parce que nous l'estimons inutile, et même attentatoire aux libertés, nous voterons contre ce projet de loi.
Le Conseil scientifique a estimé il y a peu que l'amélioration de la situation et la dynamique à la fois hypothétique, localisée et probablement maîtrisable d'une reprise de l'épidémie justifiaient une sortie de l'état d'urgence sanitaire. Dans ce contexte, nous ne devrions même pas être réunis aujourd'hui. La fin de l'état d'urgence sanitaire étant prévue pour le 10 juillet, pourquoi voter un nouveau texte si, comme on nous le répète depuis quelques jours, la situation est sous contrôle ?
Pourtant, vous avez jugé nécessaire de ménager une étape transitoire. Pour quelles raisons ? Au nom de notre sécurité sanitaire ? Cet argument massue ferait hésiter le plus téméraire d'entre nous.
Qui ici prendrait le risque de voir l'épidémie repartir de plus belle, sans l'avoir anticipée, sans avoir prévu les réponses pertinentes et adaptées à une situation hors du commun ? Personne, bien sûr. C'est pour répondre à cette angoisse d'une nouvelle vague épidémique que le Gouvernement souhaite instaurer une phase de transition, ou plutôt devrais-je dire de liberté conditionnelle pour tout notre pays.
Il prévoit, pour cela, des restrictions de la circulation des personnes et des véhicules ainsi que de l'accès aux moyens de transport, qui pourraient aller jusqu'à la fermeture provisoire au public de certains établissements. Dernière mesure, mais non des moindres : ce texte prévoit de réglementer les rassemblements sur la voie publique, ainsi que les réunions de toute nature, qui seront soumis à autorisation jusqu'au 30 octobre.
Bref, pour parler clairement, il s'agit d'instaurer un nouvel état d'urgence qui ne dit pas son nom. On aurait pourtant espéré qu'après avoir demandé aux Français d'immenses sacrifices, avec leur cortège de conséquences économiques mais aussi sociales, et éducatives, pour nos enfants, le Gouvernement ne choisirait pas les mêmes armes. Les mesures prises dans l'urgence ont certes sauvé des vies, mais vont en laisser beaucoup sur le bord du chemin. Je parle bien sûr des entreprises en faillite, des salariés, artisans, professionnels libéraux, qui vont perdre leur travail, si ce n'est pas déjà fait. Je parle bien sûr de l'immense fragilité de notre pays, qui croule sous le poids d'une bureaucratie et d'un centralisme toujours plus prégnants, nonobstant les incantations du Président de la République sur le rôle essentiel des élus locaux, et autres couples maire-préfet.
Comment ne pas s'offusquer qu'à l'heure de choix cruciaux, vitaux, qui engagent plusieurs générations, le Gouvernement ne trouve rien de plus urgent que de programmer pour les jours prochains la discussion d'un projet de loi visant à permettre aux couples de femmes et aux femmes seules de recourir à la procréation médicalement assistée – PMA – , privant ainsi délibérément un enfant de son père ? Comment ne pas en être choqué ? D'ailleurs, nos concitoyens le sont, puisque, selon un des derniers sondages, réalisé par l'IFOP, sept Français sur dix sont opposés à cette mesure. Comment ne pas remarquer que cette discussion tombe à pic pour vous, puisqu'en plein état d'urgence sanitaire, les manifestations restent bien évidemment interdites ?
De même, à l'heure où notre pays se fracture, se communautarise, à l'heure où notre police est décriée, agressée, abandonnée, on lit dans la presse des articles sur les cent propositions des députés de la majorité pour les deux années qu'il leur reste. Ainsi, vous proposez de créer un service indépendant d'enquête et d'inspection des forces de l'ordre – l'IGPN, l'inspection générale de la police nationale, appréciera ; d'encourager la multiplication des contacts entre écoles et entreprises – à ce degré de généralité, on croit rêver ; ou encore de créer une formation sur les « stéréotypes de genre » – une urgence absolue, vous l'admettrez, à l'heure où le déficit public français s'élève à 11,4 % du PIB, et où la dette est évaluée à 115 % du PIB. Quelle honte !
Le costume est décidément trop grand pour vous. L'économie est asphyxiée, sous respirateur artificiel, maintenue en vie par un endettement sans précédent, et votre priorité n'est pas de vous attaquer au réel ; c'est l'idéologie.
Je vous mets en garde : dimanche soir, Emmanuel Macron invoquait « l'énergie du jour qui vient » ; mais à force de vous montrer si déconnectés de la réalité que vivent les Français, à force de les mépriser, et tout simplement à cause de votre indécence, cette énergie qui vient risque d'être bien destructrice – pour la France. Il n'y a qu'à regarder l'actualité pour s'en rendre compte. Je voterai donc contre ce texte, qui témoigne seulement de votre double langage, de ce « en même temps » devenu votre marque de fabrique, et qui n'est décidément pas à la hauteur.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Mon propos sera bref, mais j'espère qu'il sera entendu. Je soulignais tout à l'heure l'importance de garantir à nos concitoyens la possibilité d'exercer leur droit de manifester dans un cadre sanitaire sécurisé. Cet engagement ne doit pourtant pas nous faire oublier que, depuis deux ans et demi, d'autres acteurs subissent les débordements des nombreuses manifestations : les commerçants et les artisans.
Au-delà de l'aide économique, qui doit leur permettre de rebondir après les dégâts de la crise sanitaire, il nous faut les protéger des cessations temporaires d'activité en cas de manifestations. Nous devrions donc réfléchir à des mesures très pratiques, comme la diversification des parcours des manifestations, en particulier dans les métropoles, pour les prémunir notamment des dégradations. Ce travail devra évidemment être mené avec les organisations syndicales.
Il n'est pas acceptable que les commerçants, après deux années difficiles, aient encore à subir de tels désagréments. Agir est dans l'intérêt de tous, car sans cela, leurs établissements risquent la fermeture définitive, augmentant in fine le chômage. Or c'est un angle mort du droit actuel, auquel il me semble urgent de prêter attention, avec les services du ministère de l'économie et des finances, qui semblent réceptifs, ceux du ministère de l'intérieur, et, sur le terrain, les préfectures.
Même si cette question n'entre pas dans le champ de ce projet de loi, je profite de son examen pour vous interpeller à ce propos.
L'article 1er n'apparaît pas opportun aux membres du groupe Libertés et territoires, ni sur le fond, ni sur la forme, comme M. Paul Molac l'a indiqué. Nous avons donc déposé un amendement de suppression, ainsi que des amendements de repli visant à en limiter la portée, en substituant au dispositif d'interdiction de circulation des personnes et des véhicules et à celui de fermeture provisoire des établissements recevant le public de simples réglementations de la circulation et des horaires d'ouverture.
Pourquoi ajouter ces dispositions, alors que le cadre législatif en vigueur est adapté à la situation actuelle, celle d'une épidémie sous contrôle, selon le Conseil scientifique ? Le droit actuel ne serait pas moins adapté à une éventuelle résurgence de l'épidémie – que nous ne souhaitons évidemment pas – puisque les dispositions du code de la santé publique relatives aux menaces sanitaires pourraient être appliquées. S'il faut évidemment toujours rester vigilant face au virus, il n'est pas nécessaire d'ajouter encore de nouvelles dispositions.
Je vous appelle également à conserver le sens de la mesure. Nécessité et proportionnalité : tels sont les maîtres mots qui devraient guider l'examen de cet article.
L'article 1er pose bien des difficultés aux membres du groupe Les Républicains. Nous nous nous sommes évidemment montrés responsables en votant au mois de mars en faveur de la loi instaurant un état d'urgence sanitaire – certains ont fait référence tout à l'heure à cette séance impressionnante, pleine d'émotion, pour chacun d'entre nous.
Nous avons aussi voté en faveur de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, parce que nous estimions, de façon responsable à nouveau, qu'il n'y avait aucune raison de ne pas accompagner le Gouvernement pour faire face à une crise sans précédent.
Aujourd'hui, cependant, le contexte a changé. Certes, la crise sanitaire perdure, des familles sont endeuillées, le nombre de personnes en réanimation – même en baisse – reste trop élevé et des foyers nous sont signalés çà et là en France mais aussi en Chine et ailleurs. Pourtant, nous ne sommes plus dans la situation de crise maximale qui nécessitait l'état d'urgence ; il faut donc y mettre fin – nous sommes d'accord.
Or vous nous proposez une vraie-fausse sortie, une sortie en trompe-l'oeil. Le 10 juillet, l'état d'urgence serait levé mais des dispositions complètement exorbitantes du droit commun seraient maintenues ; elles ne permettraient plus de se réunir – la liberté d'association serait restreinte – , ni de manifester – ou moyennant des conditions très restrictives – , ou encore de circuler – la liberté d'aller et de venir serait atteinte. Ce n'est pas l'état normal d'un État démocratique.
D'autres possibilités existent : des collègues ont fait référence au code de la santé publique, et le droit positif contient d'autres dispositions permettant aux préfets et à d'autres instances d'intervenir. C'est pour toutes ces raisons que nous ne pourrons pas nous accorder sur cet article 1er que nous jugeons très liberticide et à contretemps.
Je suis saisi de neuf amendements identiques de suppression de l'article, nos 10, 11, 25, 31, 36, 39, 46, 61 et 75.
La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l'amendement no 10 .
Ce texte organise moins la fin de l'état d'urgence sanitaire qu'il ne confère au Gouvernement toutes les prérogatives pour prolonger une situation exceptionnelle. Après plusieurs mois de paralysie, vous entendez prévoir une nouvelle fois le blocage du pays, en plus des contraintes et restrictions des libertés fondamentales qu'une telle prorogation engendrerait. Vous prenez à nouveau le risque de porter sévèrement atteinte à l'équilibre économique de la France.
La situation de récession catastrophique dans laquelle le pays sera plongé ne saurait connaître une nouvelle accélération. Une telle perspective, qui plus est délibérée, risque de mettre en danger des milliers de foyers français. Sous couvert d'amorcer la fin de l'état d'urgence, ce texte ne fait qu'en encourager la prolongation. C'est à dénoncer cette hypocrisie que vise mon amendement.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 11 .
Je l'ai dit lors de la discussion générale : le dispositif que vous nous proposez n'est ni plus ni moins qu'un état d'urgence qui n'en porte pas le nom mais qui en a toutes les caractéristiques et qui en produit tous les effets. Laisser autant de pouvoir au Gouvernement au nom de l'urgence sanitaire est tout à fait contraire à l'esprit de l'état de droit. Ce projet met entre parenthèses trop de libertés fondamentales – la liberté de réunion, la liberté d'association, la liberté de circulation, qui sont au coeur de la vie civique du pays dans un contexte très différent.
En réalité, ce texte prévoit un état d'urgence sanitaire déguisé, attentatoire aux libertés et d'autant plus étonnant que le chef de l'État a lui-même vanté, dans son intervention télévisée de dimanche soir, le retour à la normale.
Je suis très à l'aise pour dénoncer ce texte car, comme bon nombre d'entre nous, j'ai voté en faveur de l'instauration de l'état d'urgence sanitaire en mars, puis de sa prorogation. Depuis, la situation a radicalement changé et le projet de loi ne tient pas compte de ce changement. Le droit commun suffit. Si l'épidémie devait reprendre, ce que je ne souhaite naturellement pas, le Parlement et le Gouvernement disposeraient de tous les moyens nécessaires pour prendre des décisions en urgence. Encore une fois, ce texte ne présente aucun intérêt, et il est attentatoire aux libertés.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour soutenir l'amendement no 25 .
Dès la semaine prochaine, tous les députés pourront à nouveau être présents en séance publique. Or on nous propose de passer outre les prérogatives du Parlement en confiant au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels qui, en réalité, ne lui reviennent pas. Vous souhaitez mettre fin à l'état d'urgence mais conserver tous les pouvoirs qu'il vous conférait !
La première des raisons pour lesquelles il faut s'opposer à ce texte tient à notre qualité de parlementaires : il s'agit de prérogatives qui appartiennent aux députés. Nous avons été élus par nos concitoyens pour porter leur parole. Nous devons nous réunir pour débattre de dispositions sur le fond, et non pour donner un blanc-seing au Gouvernement.
En présentant ce projet de loi, vous me faites penser à ces personnes qui se promènent dans la rue avec un parapluie alors qu'il ne pleut plus, mais qui justifient ce parapluie resté au-dessus de leur tête au motif qu'il reste quelques nuages. En réalité, vous avez le parapluie entre les mains et vous pouvez l'ouvrir à tout moment si jamais il se remet à pleuvoir.
Sans verser dans l'excès de prudence, vous tenez aux Français un propos que vous souhaitez absolument rassurant : il faut être vigilant, il faut tout mettre en oeuvre, il faut faire preuve de responsabilité… Chacun ici convient du bien-fondé de ces formules mais vous les traduisez par des mesures sans aucun lien avec ces propos – et même sans aucun sens.
Vous invoquez souvent votre responsabilité. La seule responsabilité qui vaille consiste à sortir pleinement de l'état d'urgence – ou d'assumer que nous n'en sortons pas complètement, mais alors dites-le ! Exposez-nous les raisons pour lesquelles il vous paraît important de maintenir certaines dispositions de l'état d'urgence qui, de notre point de vue, ne sont plus justifiées. Le code de la santé est plutôt bien ficelé : il permet d'ouvrir très rapidement et efficacement le parapluie. Et vous ne nous expliquez aucunement quelles sont les failles du droit commun !
Ce projet de loi prévoit en effet un état d'urgence qui ne dit pas son nom. L'amendement de suppression vise à éviter que nous n'entrions dans la zone grise où vous voulez nous mener. Vous avez instauré l'état d'urgence sanitaire le 23 mars ; il a été prorogé le 11 mai pour une durée de deux mois. À l'époque, nous avions déjà formulé de nombreuses critiques : aucune mesure sociale n'est prévue alors que la crise économique bat son plein et que près de 500 000 emplois ont été supprimés au premier trimestre. Incapable de planifier le déconfinement, le Gouvernement organise le confinement des libertés. Il a décidé de ne pas prolonger officiellement l'état d'urgence sanitaire au-delà du 10 juillet mais ce projet de loi doit permettre au Premier ministre, hors état d'urgence sanitaire, de restreindre les libertés jusqu'au 30 octobre.
Quel est l'intérêt de créer ce nouveau régime alors que le droit commun, en l'occurrence l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, offre déjà au ministre de la santé de très larges pouvoirs en cas de circonstances exceptionnelles ? Encore une fois, vous créez une zone grise entre l'état d'urgence et le droit commun.
Pourquoi créer cet entre-deux sinon pour restreindre la circulation des personnes et empêcher les rassemblements ? Par cet article 1er ne sont prolongées hors état d'urgence que les mesures de restriction des libertés. C'est une habile façon de s'octroyer la possibilité d'interdire les manifestations, notamment les manifestations contre les violences policières et celles des soignants, qui nourrissent quelques griefs à votre égard.
En revanche, toutes les mesures pouvant être utiles pour faire face à la crise économique et sociale – réquisitions, encadrement des prix et ainsi de suite – ne sont pas retenues. Au fond, par ce projet de loi, vous confirmez le retour à l'anormal !
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 46 .
L'état d'urgence sanitaire est un régime tout à fait exorbitant du droit commun. Nous sommes convenus que cet état juridique et démocratique particulier n'était pas destiné à se prolonger. Après bien des discussions, nous nous sommes mis d'accord sur une date : le 10 juillet. Le groupe Les Républicains, qui incarne une opposition toujours soucieuse de l'intérêt collectif et des pouvoirs de contrôle du Parlement, préférait un rendez-vous mensuel – le 24 juin, puis le 24 juillet et ainsi de suite. C'est la sortie de l'état d'urgence le 10 juillet qui a été décidée ; soit, mais encore faut-il qu'il ne sorte pas par la porte pour rentrer par la fenêtre !
Or c'est un peu ce que vous nous proposez – une entrée par effraction, qui plus est, car les moyens employés sont problématiques. Il ne s'agit pas simplement de restreindre telle ou telle activité mineure de la vie quotidienne mais, excusez du peu, des droits fondamentaux : la liberté d'aller et de venir, la liberté d'association, la liberté de manifester ; il vous serait possible rétablir le confinement, sous certaines conditions. Les soignants veulent se faire entendre ; d'autres manifestations sont prévues qui, même si je les désapprouve, me paraissent légitimes du point de vue de la liberté d'expression dans une démocratie.
Nous allons entamer en juillet un débat sur la bioéthique – alors qu'il n'était pas attendu à cette date ; ce forcing pourrait susciter une volonté de manifester qui, comme en octobre, me semblerait bien légitime. De même, la rentrée de septembre pourrait bien être un peu compliquée voire chaude ; il ne faudrait pas que sous des prétextes fallacieux – car ce pourrait bien être le cas, même si je ne veux instruire aucun procès d'intention – et moyennant quelques souplesses, on empêche les gens de manifester.
C'est pourquoi nous proposons la suppression pure et simple de l'article : elle évitera bien des déboires juridiques et démocratiques !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Cet amendement vise à supprimer l'article 1er prévoyant que le Gouvernement se substitue au Parlement pour réglementer la circulation des personnes, la fermeture d'établissements recevant du public et les rassemblements sur la voie publique.
Nous ne contestons pas le fait, monsieur le ministre, qu'il puisse être encore nécessaire de prendre des mesures sanitaires à tel ou tel moment. Du reste, certaines vont perdurer. En revanche, nous contestons la légitimité qu'aurait le Gouvernement à agir sans passer devant le Parlement. En cas de retour de l'épidémie, le droit commun suffit pour prendre les mesures nécessaires, comme cela a déjà été dit. S'il s'avérait insuffisant, nous n'accepterions pas que le Gouvernement décide seul en matière de libertés fondamentales et constitutionnelles ; ce serait très grave.
Certes, les mesures de confinement ont déjà été levées – encore heureux ! En revanche, non, il n'est pas acceptable que nous remettions les clés des libertés fondamentales entre les mains du Gouvernement.
Ce projet de loi vise deux libertés fondamentales : la liberté de réunion – et donc de manifestation – et la liberté de déplacement. Elles ont été difficiles à obtenir au fil de l'histoire ; elles sont essentielles. Or le Gouvernement a déjà limité le droit de manifester en imposant l'autorisation préalable, ou plutôt la possibilité de l'interdiction administrative de manifester.
En l'occurrence, vous allez plus loin encore, et je m'interroge. Je connais les Français : croyez-vous vraiment que le jour où ils voudront vraiment manifester, il suffira d'une loi pour les en empêcher ?
Les dernières manifestations ont bien montré que non : celles contre le racisme se sont tenues, celles des infirmiers et infirmières aussi.
Autrement dit, vous proposez une mesure qui ne sera pas appliquée et qui aggravera le discrédit de la puissance publique, puisque vous donnerez l'impression de prendre des décisions sans être capables de les mettre pleinement en oeuvre. Croyez-moi : vous serez pris dans ce jeu-là !
Permettez-moi de faire une réponse un peu longue afin que nous puissions aller plus vite ensuite, même si je reviendrai naturellement sur les détails si nécessaire.
Nous sommes nombreux ici à avoir participé à l'examen du projet de loi instaurant l'état d'urgence sanitaire et de celui par lequel il a été prorogé. Pendant les seize semaines de confinement puis de déconfinement progressif, bon nombre de nos décisions ont été éclairées par l'avis du Conseil scientifique. Avant d'entamer le débat sur l'article 1er, il me semble important de se pencher sur l'avis que le Conseil scientifique a émis le 8 juin.
Cet avis établit « que l'épidémie est contrôlée avec cependant un virus qui continue de circuler » ; il dit très clairement que nous ne sommes plus en situation de catastrophe sanitaire. C'est pour cette raison que nous nous apprêtons à sortir de l'état d'urgence sanitaire : il prendra fin le 11 juillet, comme l'énonce le début de l'article 1er, et avec lui la possibilité d'un reconfinement strict. Cependant, le Conseil scientifique précise bien que « cette situation n'exclut pas une reprise de l'épidémie ». Des quatre scénarios qu'il envisage, même les plus favorables imposent la poursuite de mesures collectives, comme le port du masque dans les transports en commun. En cas de surgissement de foyers de contamination, voire de résurgence de l'épidémie, la nécessité de limiter la circulation ou de fermer certains lieux est également évoquée.
Le Conseil scientifique nous a également alertés au sujet de la période estivale qui s'ouvre : elle doit faire l'objet d'une vigilance particulière, puisque les vacances vont entraîner une augmentation des déplacements des Français. Les départements insulaires, du littoral ou de montagne ne sont pas tous équipés de structures de soin adaptées au nombre de personnes qui séjourneront alors dans ces territoires. Enfin, il a émis l'observation suivante, que nous devons garder à l'esprit : en cas de résurgence localisée de l'épidémie, le temps de réaction des autorités sera déterminant pour la maîtriser.
Vous voyez bien, mes chers collègues, que dans ces conditions, une sortie sèche de l'état d'urgence sanitaire est tout bonnement impossible. Le droit commun permettrait-il de prendre les mesures recommandées par le Conseil scientifique ? Je vais répéter ce que j'ai déjà répondu à cette question en commission des lois ; j'espère être plus convaincante cet après-midi. L'article L. 3131-1 du code de la santé publique mentionne un simple arrêté du ministre chargé de la santé et se limite donc à l'aspect strictement sanitaire de la gestion d'une telle crise. En d'autres termes, aucune des mesures de police sanitaire que je viens d'évoquer ne pourrait être prise sur le fondement de cet article, dont l'avis du Conseil d'État estime qu'il « ne donnerait pas aux mesures envisagées par le Gouvernement une base légale suffisamment solide dans le contexte d'une sortie de crise ».
Voilà pourquoi nous examinons aujourd'hui ce dispositif transitoire. Je tiens à dire à nos collègues qui se sont exprimés sur ce point que ce dispositif ne constitue pas un régime d'exception, qu'il n'est pas dénué de garanties, qu'il ne sera pas pérenne. L'article 1er contient des garanties ; certaines figuraient déjà dans le texte proposé par le Gouvernement, mais nous les avons complétées en commission. Ainsi, nous l'avons borné au 30 octobre au lieu du 10 novembre.
Il ne sera pas codifié, et ne sera donc pas pérenne ; les mesures prises ne pourront l'être qu'à seule fin de lutter contre le covid-19, et leur contrôle sera assuré par le juge des référés. Le droit de manifester sera garanti. Le Conseil scientifique continuera de rendre des avis publics sur l'état de la situation et l'opportunité des mesures. Enfin, le Parlement, informé sans délai des mesures prises et pouvant requérir toute autre information utile, exercera pleinement son contrôle.
Gardons-nous de l'outrance, et prenons ce texte pour ce qu'il est. Le 10 juillet, l'état d'urgence prendra fin. Nous aimerions tous pouvoir revenir à la vie d'avant le covid-19, mais ce ne sera pas le cas : la situation sanitaire ne le permet pas. Nous sommes dans un entre-deux. L'activité reprend progressivement ; tout le monde peut constater que le Gouvernement, le Président de la République, sans doute aussi l'ensemble des députés ici présents, souhaitent que cette reprise soit la plus large et la plus rapide possible, mais qu'elle nécessite néanmoins certaines mesures afin que la situation ne redevienne pas critique. Avis défavorable.
À la mi-février, alors que le premier foyer de contamination français venait d'être identifié aux Contamines-Montjoie, nous avons testé tous les malades et tous les cas contacts, hospitalisé cinq personnes, fermé des écoles, isolé une partie de la commune. Je n'étais pas encore ministre ; mais si je m'étais alors présenté devant le Parlement pour vous soumettre les dispositions que nous vous proposons aujourd'hui d'adopter, j'imagine les débats que nous aurions eus, légitimement d'ailleurs. « Comment ? Pour cinq patients en Haute-Savoie, dont aucun n'est mort, le Gouvernement nous demande de pouvoir prendre en urgence des mesures de protection des populations ? C'est disproportionné ! C'est trop ! Revenez nous voir dans un mois, si la situation s'aggrave. » Je suis certain que j'aurais entendu cela.
La grande différence avec la mi-février, c'est que, sur l'ensemble du territoire national, nous n'en sommes plus à dépister 5 malades dans une commune. Hier, nos hôpitaux ont admis 143 personnes en raison de la sévérité que présentait chez elles la maladie due au covid-19, 14 nouveaux malades en réanimation, dans un état grave. D'un point de vue sanitaire, cette différence est criante. Les deux situations ne sont pas comparables.
Je ne conteste nullement, je le redis, la légitimité de ce débat. Mais nous organisons la sortie de l'état d'urgence sanitaire : nous perdons la possibilité de confiner la population, de restreindre les libertés individuelles et collectives, comme nous avons dû le faire en urgence au mois de mars ; nous mettons fin aux dispositions qui contreviennent à la liberté d'entreprendre. J'estime que ce texte est non seulement plus que mesuré, mais aussi adapté à la situation. Nous devons rester en permanence dans un état de vigilance, d'attention, ainsi que nous l'avons fait depuis le début. J'entends les critiques ; je ne veux pas entrer dans des polémiques au sujet de la gestion de la crise : cela ne m'intéresse pas et ne constitue pas l'objet du débat. Toutefois, pour répondre aux propos quelque peu excessifs qu'a tenus tout à l'heure M. Schellenberger, …
Sourires.
… je ne peux m'empêcher de souligner que si les deux tiers de l'humanité ont été soumis à un confinement total, ce n'est peut-être pas uniquement parce que la France manquait de masques et de tests. Je laisse chacun retrouver le sens de la mesure et de la modération. Monsieur Schellenberger, je préfère me souvenir de ce que vous écriviez le 6 mars, dix jours avant le confinement : « Jamais dans notre histoire, nous n'avons été mieux préparés à lutter contre une pandémie ».
Rires et applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Monsieur Saulignac, je serais trop heureux qu'il ne reste dans le ciel que quelques nuages, et que le parapluie ne nous protège que des dernières gouttes attardées ; mais je ne peux vous dire ce qu'il adviendra, dans un mois, de la situation sanitaire. Nous mettons tout en oeuvre pour qu'elle soit aussi stable et maîtrisée que possible. Mais au mois d'août, lorsque vous prendrez des vacances, au demeurant méritées, loin du Parlement, j'ignore si le virus sera également en vacances. Considérer que, puisque le Parlement ne siège pas, nous nous passerons de lui, serait-ce très respectueux de la représentation nationale ? L'article L. 3131-1 du code de la santé publique me permet de prendre un certain nombre de mesures ; en quoi le fait d'y recourir serait-il plus respectueux de la démocratie, plus transparent vis-à-vis de la population française ? En quoi ?
Chacun doit faire preuve de responsabilité, comme je sais que vous le faites tous, même si nous avons des désaccords. Si vous adoptez ces amendements de suppression, à la minute où l'état d'urgence prendra fin, c'est-à-dire à la date du 11 juillet que vous avez vous-même déterminée, le port du masque cessera d'être obligatoire dans les transports en commun, les discothèques seront autorisées à rouvrir, 1 500 ou 2 000 personnes pourront allègrement y danser, profiter de l'été retrouvé, se tousser dessus, éventuellement se contaminer. C'est ce qui est arrivé dans d'autres pays, dont certains, monsieur Schellenberger, n'avaient jamais manqué de tests ni de masques ; ils ont dû reconfiner leur population en toute hâte pour remédier à des situations qu'ils n'avaient pas anticipées.
Vous avez la possibilité de nous aider à anticiper, de nous accorder votre confiance afin que nous puissions anticiper au jour le jour, avec mesure, durant les prochaines semaines. Ainsi, la France ne connaîtra pas la même situation qu'un certain nombre de pays que vous citiez volontiers en exemple, semaine après semaine, et qui sont aujourd'hui contraints d'appliquer des mesures bien plus strictes que celles contenues dans ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Je conclurai sur une note plus légère, par une citation que j'aime bien : « On fait plus pour désarmer ceux qu'on craint que pour obliger ceux qu'on aime. »
Mêmes mouvements.
Le ministre s'est exprimé de façon très juste ; je n'ajouterai pas grand-chose.
Je pense que vous en convenez, monsieur Saulignac. Vous avez parlé de parapluie, d'un parapluie que nous garderions ouvert sous un ciel dégagé.
Vous êtes ardéchois, je suis breton. Après une tempête, je préfère avoir mon ciré à portée de main ; on n'est jamais à l'abri d'une averse sous un ciel de traîne. En effet, ce texte est un parapluie : nous le garderons sous le bras, prêt à être déployé en cas de risques nouveaux.
Par ailleurs, il y a un paradoxe dans votre argumentation. Vous nous demandez quel besoin nous avons de ce projet de loi alors que les dispositions législatives du code de la santé publique nous permettraient de prendre toutes les mesures nécessaires. J'ai du mal à comprendre…
… que vous nous accusiez d'attenter aux libertés publiques, aux libertés collectives, par ces mêmes mesures. Le droit commun autoriserait donc le ministre, par un simple arrêté, à prendre des mesures attentatoires aux libertés ? Ici, nous avons un débat, une explication, des arguments étayés, scientifiques ; il en ressort un impératif : soyons prudents.
Les scientifiques ont bon dos. Nous avons entendu Mme la rapporteure s'embourber dans des explications laborieuses et tenter de se cacher derrière l'avis des experts pour expliquer à quel point ce projet de loi était censé nous protéger. Revenons-en au droit commun. Nous sommes plusieurs à vous avoir signifié que l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, et un décret pris en conseil des ministres, pourraient suffire pour prendre les mesures nécessaires. Les parlementaires ne sont pas les seuls à considérer que ce projet de loi est un ovni juridique. De nombreux juristes, des enseignants en droit public, le syndicat des avocats de France partagent cet avis.
D'ailleurs, pas plus tard qu'hier, les professionnels de santé ont pu défiler grâce au Conseil d'État, qui a levé l'interdiction de leurs manifestations, en vous rappelant que le droit de manifester figurait parmi les libertés fondamentales.
Je ne doute pas que le Conseil d'État saura à nouveau vous rappeler à la raison si, par malheur, ce projet de loi était adopté, car il représente un net recul pour les libertés publiques.
La question du respect des règles sanitaires n'est qu'un leurre. Vous nous parlez de parapluie, de temps couvert, mais vous n'hésitez pas à faire défiler nos enfants à la queue leu leu dans les écoles. Si le Conseil d'État ne m'avait pas permis de me rendre à cette manifestation des professionnels de santé, j'aurais très bien pu me rendre au parc d'attraction du Puy du Fou et tousser sur tous les visiteurs.
Vos arguments sanitaires, sans aucune cohérence, ne tiennent pas et vos arguments juridiques manquent de sérieux. Nous voterons contre cet article, bien entendu.
M. Schellenberger a repris tout à l'heure les éléments de langage que son parti développe aujourd'hui.
Une partie de son parti.
Nous aurions décidé de confiner la population parce que nous n'avions ni masques ni tests ! La volonté de critiquer systématiquement le Gouvernement est telle qu'il n'y a plus de limite à l'outrance, à l'ignorance, à l'indécence, voire au ridicule. Pourquoi ?
Vous le savez, monsieur Schellenberger, la très grande majorité des pays frappés par l'épidémie ont pris des mesures de confinement. Le ministre vous l'a rappelé. Ceux qui ne l'ont pas fait ont un taux de mortalité supérieur au nôtre même si leur pays a été peu touché par le virus. Ainsi, la Suède a 10 % de décès de plus que la France alors qu'elle a été moins touchée.
Enfin, vous savez aussi que les masques sont fabriqués en Chine. Or, quel pays a pris les mesures de confinement les plus strictes ? La Chine. Vos arguments n'ont pas de sens, vous le voyez bien.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Celui-ci est arrivé dans la région d'Europe la plus dense qui soit, la région parisienne, cinq fois plus dense que Berlin et quatre fois plus que Londres. Il s'est propagé à la suite d'événements très particuliers, qui n'ont pas leur équivalent à l'étranger : le fameux rassemblement de Mulhouse, la campagne électorale un mois avant le 15 mars et le salon de l'agriculture. Arrêtez donc de raconter n'importe quoi.
Jusqu'à maintenant, vigilance et attention, prudence et précaution, ont permis au Gouvernement de réussir le déconfinement. Nous devons conserver le même état d'esprit pour sortir de l'état d'urgence.
Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Le 6 mars dernier, le préfet du Haut-Rhin décidait seul, parfois au terme de discussions difficiles avec les ministères concernés, des premières mesures de restriction de liberté : l'interdiction des rassemblements de plus de cinquante personnes, l'interdiction des rassemblements ou des manifestations sportives, l'interdiction des visites dans les EHPAD et la fermeture d'une centaine d'établissements scolaires.
C'est moi qui ai signé.
Le 6 mars dernier, nous étions bien loin de la promulgation, le 23 mars suivant, de l'état d'urgence sanitaire. Et ce 6 mars-là, monsieur le ministre, nous faisions confiance au préfet du Haut-Rhin, au Gouvernement. Mais, c'est vrai, monsieur le ministre, vous n'étiez ministre que depuis trois semaines et vous veniez de succéder à une ministre qui, alors qu'elle avait été informée de la situation sanitaire mondiale dès la fin de l'année 2019, a dû voler au secours d'une campagne électorale parisienne mal engagée.
Ce 6 mars là, nous vous faisions confiance mais nous ne savions pas encore que vous aviez dilapidé le stock stratégique.
Murmures sur quelques bancs du groupe LaREM.
Nous ne savions pas encore que vous n'aviez pas mis à profit les mois précédents, au cours desquels vous étiez au courant de la situation sanitaire mondiale, pour préparer l'arrivée de cette crise en France.
Ce 6 mars, nous avions la naïveté de vous faire confiance, monsieur le ministre. Nous appelions la population au calme, dans le Haut-Rhin, en les invitant à vous faire confiance. Nous avons eu tort et c'est bien parce que nous ne vous faisons plus confiance que nous nous opposons à l'adoption de cet article 1er.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 13 .
L'économie générale de l'article 1er pose problème : ses cinq premiers alinéas prévoient d'autoriser le Premier ministre à réglementer, voire à interdire, la circulation des personnes et des véhicules, l'accès aux moyens de transport et l'accès aux établissements ouverts au public. Nous sommes, une nouvelle fois, dans l'entre-deux, le fameux « en même temps ». En effet, soit la crise sanitaire est derrière nous, sous contrôle, et il n'y a plus de raison de maintenir l'état d'urgence sanitaire. Soit nous sommes en pleine crise sanitaire et il n'y a pas de raison de ne pas restreindre la liberté des Français.
Quoi qu'il en soit, les mesures privatives de liberté ne peuvent être admises sur des hypothèses, quand bien même il serait question d'une deuxième vague épidémique. Elles doivent être prises lorsqu'elles sont strictement nécessaires, en fonction d'un contexte particulier, de données concrètes, et, bien entendu, sous le contrôle du Parlement.
J'ai déjà expliqué en quoi la situation contrastée dans laquelle nous nous trouvons imposait de prendre des mesures nuancées. Avis défavorable.
L'amendement no 13 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Ce projet de loi ne prévoit pas la fin de l'état d'urgence sanitaire le 10 juillet 2020 ; il proroge cet état d'exception jusqu'à la date du 10 novembre 2020.
S'il peut paraître indispensable de prévoir des mesures d'accompagnement de la sortie de l'état d'urgence le 10 juillet 2020, celles-ci doivent être contrôlées par le Parlement.
Ce projet de loi porte atteinte aux libertés fondamentales et crée de l'insécurité juridique ; ce nouveau statut, par de nombreux aspects, présente des garanties moindres que l'état d'urgence sanitaire tel qu'il est prévu par le code de la santé publique.
Les quatre mois de confinement que nous avons vécus étaient nécessaires mais, durant ces quatre mois, le Parlement n'a pas fonctionné correctement. Dans beaucoup d'autres pays du monde, des votes à distance ont été organisés. Nous ne l'avons pas fait, contrairement à l'Assemblée parlementaire du conseil de l'Europe, par exemple. Pendant quatre mois, nous avons vécu avec un semblant de Parlement où les amendements étaient défendus par des collègues qui n'y croyaient pas, où le vote par scrutin public était impossible. Je veux défendre notre rôle, devant vous, aujourd'hui. Ce régime hybride, entre un état d'urgence codifié et le droit commun, est dangereux. Dès lors, il convient de le limiter dans le temps. Vous nous appelez à la prudence mais je vous invite à la mesure en vous proposant d'adopter cet amendement qui tend à substituer la date du 30 septembre 2020 à celle du 30 octobre 2020.
Nous discutons là de la durée de l'état transitoire : initialement de quatre mois, son échéance a été ramenée, par l'adoption d'un amendement en commission, au 30 octobre. J'ai entendu beaucoup de remarques à ce propos, notamment pour invoquer l'impossibilité de réunir le Parlement pendant les vacances parlementaires. Cela étant, il est probable que les vacances se finissent le 31 août, et que le Parlement soit convoqué en session extraordinaire en septembre, comme d'habitude, avant d'engager la session ordinaire du 1er octobre. Pourquoi, dans ces conditions, retenir la date du 30 octobre ? Cet amendement, très généreux, tend à remplacer cette échéance par celle du 30 septembre, qui correspond au début de la session ordinaire. Il ne tiendrait qu'à moi, j'aurais proposé le 31 août.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 47 .
Avant de présenter cet amendement, j'aimerais rappeler le contexte dans lequel mon collègue Raphaël Schellenberger a été pointé du doigt pour avoir tenu des propos rassurants le 6 mars dernier. Le lendemain, le 7 mars, le Président de la République et Brigitte Macron se rendaient au théâtre et se baladaient. Je pourrais vous chanter Joe Dassin mais le sujet est trop sérieux pour se balader ainsi dans Paris, les mains dans les poches. Le Président de la République nous invitait donc à ne pas nous départir de notre bon sens et à continuer à vivre, à sortir. Certes, vous pouvez railler mon collègue, mais dans ce cas, n'épargnez pas non plus le Président de la République qui, le lendemain, tenait les mêmes propos.
Je vous invite à faire preuve de modération pour que nous ne finissions pas par nous envoyer quelques noms d'oiseaux au visage, ce qui serait mal venu. Cela étant, si le premier des Français, avec son épouse, en appelle à nouveau à notre bon sens et nous demande d'aller au théâtre, nous pourrons peut-être nous poser des questions.
J'en viens à l'amendement. La durée initialement prévue était beaucoup trop longue puisqu'elle s'étendait sur quatre mois, jusqu'au 10 novembre. Nous vous proposons, par cet amendement de repli, de retenir une date qui coïncide, non avec l'arrivée d'un Parlement renouvelé puisque seule une partie du Sénat aura été nouvellement élue, mais le début d'une nouvelle session ordinaire, ce qui laisse déjà beaucoup de temps. Nous admettons en effet que le mois de septembre puisse être compliqué à gérer, même si le Parlement peut se réunir en tout lieu et en tout temps. Pour paraphraser le serment du jeu de paume, disons que nous pouvons nous réunir partout où les circonstances l'exigent.
N'exagérons pas cette sortie en sifflet. La date du début de la session ordinaire me paraît la moins mal adaptée.
Nous avons débattu de cette question en commission et nous avons fini par adopter un amendement de M. Guillaume Vuilletet, ramenant ainsi la date du 10 novembre au 30 octobre. Je souhaite que nous en restions là car nous avons adopté cet amendement pour répondre à la nécessité de limiter la durée de cet état transitoire tout en tenant compte des contraintes du mois de septembre, qu'il s'agisse des élections sénatoriales, de l'installation du Sénat en partie renouvelé, de la navette parlementaire, ou encore d'une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel.
Je serai donc défavorable à toute proposition qui viserait à avancer la date car elle ne serait pas réaliste.
Je comprends bien les arguments de Mme la rapporteure mais ce n'est pas parce que nous avons eu ce débat en commission qu'il est définitivement tranché. Nous exerçons là notre pouvoir de contrôle. Vous prétendez qu'il faut prendre le temps de sortir correctement de l'état d'urgence sanitaire mais cette période de sortie finit par durer plus longtemps que l'état d'urgence sanitaire lui-même ! C'est d'autant plus surprenant que vous voulez conférer au Gouvernement, durant cette période, les mêmes pouvoirs de restreindre les libertés que durant l'état d'urgence sanitaire.
Nous considérons, au contraire, que la période de sortie de l'état d'urgence sanitaire ne peut pas être plus longue que l'état d'urgence sanitaire lui-même. La date du 1er octobre, qui correspond au début de la session ordinaire, suffirait donc.
Du reste, nous avons accordé au Gouvernement, en votant la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, toutes les armes pour affronter une résurgence dramatique de l'épidémie, et ces outils juridiques sont valables jusqu'au 23 mars 2021. Il n'y a donc aucune raison de conférer au Gouvernement jusqu'au 30 octobre, c'est-à-dire pour une période plus longue que l'état d'urgence sanitaire lui-même, des pouvoirs exorbitants de droit commun.
L'amendement no 47 n'est pas adopté.
Monsieur le ministre, un consensus a émergé pendant la crise autour des mesures à adopter dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, mais il faudra bien que celui-ci prenne fin à un moment ou à un autre. Vous devez faire confiance aux Français et à leur sens des responsabilités.
Vous préférez la prolongation de l'état d'urgence sanitaire à un éventuel retour devant l'Assemblée nationale si le besoin s'en faisait sentir, avec l'argument suivant : si demain cinq cas se déclarent à tel ou tel endroit, nous n'allons tout de même pas demander au Parlement d'adopter de nouvelles mesures. Mais que ferez-vous au mois de décembre ou en janvier prochain si, malheureusement, cinq cas se déclarent ? Vous n'allez pas éternellement faire vivre les Français sous l'état d'urgence.
L'état d'urgence permanent – il aura duré huit mois au terme de la rallonge que vous nous demandez de voter – finit par poser un problème de constitutionnalité. Il faudra bien que l'État cesse de vouloir tout régler dans la vie des Français alors qu'il en est parfaitement incapable. Je pense ici à l'incohérence qui consiste à obliger les Français à porter un masque dans les transports en commun tout en justifiant le maintien de la fermeture des salles de spectacle par le fait que l'on ne peut pas faire s'asseoir les gens côte à côte, même masqués. Tout cela est d'une incohérence absolue, vous le savez très bien ; mais l'État ne peut pas s'empêcher d'essayer de tout réglementer – alors qu'il en est incapable.
La question de la confiance que l'État doit accorder à nos compatriotes devra, à terme, être posée. Plus vite nous parviendrons à un système reposant sur la confiance, mieux cela vaudra pour les libertés publiques.
Il vise à supprimer l'alinéa 2, qui permet de « réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ».
Le projet de loi fixe la sortie de l'état d'urgence au 10 juillet. À partir du moment où les gestes barrières, dont le port du masque, sont bien respectés par les usagers, il convient de respecter l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui consacre la liberté de circulation et le droit pour tout individu de se déplacer librement dans un pays.
La reprise totale de l'activité économique prime désormais sur la gestion de la crise sanitaire, dont l'ampleur a été réduite grâce aux gestes barrières et aux masques accessibles à tout le monde. Les entreprises appliquent des recommandations sanitaires très onéreuses et l'État s'est énormément engagé pour les soutenir. Le travail de chacun doit donc reprendre et, avec lui, la liberté de circuler. La France se trouve dans une situation économique des plus graves ; l'augmentation du chômage mettra beaucoup de nos concitoyens en difficulté. Ils doivent de nouveau avoir accès aux services publics.
Avis défavorable. L'alinéa que vous proposez de supprimer concerne la réglementation de la circulation. Concrètement, il vise à permettre, par exemple, la réglementation de l'activité des navires de croisière en période estivale, ou encore la limitation de la circulation vers des départements fragiles à la capacité de soins limitée. Puisque la période transitoire prévue dans le projet de loi s'achève le 30 octobre, il permettrait également d'imposer le port du masque pour l'accès aux transports en commun, dont nous mesurons actuellement la nécessité.
Nous abordons un stade du débat durant lequel un argument risque de devoir être répété fréquemment. Les deux amendements considèrent que les mesures que nous nous apprêtons à adopter seront forcément appliquées partout, tout le temps, au degré maximal. Je rappelle néanmoins que la fin de l'alinéa 1er de l'article est ainsi rédigée : « le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique [… ] ». Cela signifie que l'action sera limitée dans le temps et dans l'espace, y compris pour les transports.
Si jamais, dans une commune, cinq personnes forment un mini-cluster à une date donnée, alors oui, nous devons être en mesure d'y limiter la circulation sans avoir à convoquer le Parlement.
Permettez-moi de raconter ma propre histoire : je suis tombé malade le 7 mars ; le 16, le Gouvernement a commencé à évaluer l'opportunité d'un dispositif d'urgence ; la loi date du 23 mars. Même en allant au plus vite, dans un moment de consensus absolu, nous avons mis six jours. Plutôt que de crier au complot, accordons au Gouvernement la souplesse dont il a besoin afin de pouvoir réagir en temps et en heure.
M. Jean Terlier applaudit.
Même dans un moment de consensus absolu, nous avons mis six jours à légiférer sur des mesures qui étaient déjà en vigueur. C'est aussi une réalité.
Le problème de l'attitude du Gouvernement durant cette sortie de crise, c'est qu'il adopte une attitude de prescription permanente, jamais de confiance ni de dialogue. Les mesures de réglementation concernant l'accès aux transports notamment pourraient être arrêtées dans le cadre d'un dialogue responsable avec les sociétés d'exploitation, qui souvent sont des sociétés publiques, en grande partie détenues par l'État. Rien n'empêcherait la SNCF d'imposer le port du masque dans son propre règlement. Pourquoi donner des prérogatives si larges au Gouvernement, quand les décisions pourraient être prises dans le cadre d'une bonne relation, une relation de responsabilité ?
Notre conviction, ce n'est pas qu'il ne faut rien faire, mais que, pour réussir, pour que les habitudes s'installent dans le temps – car la crise nous a aussi appris qu'il fallait s'approprier le risque épidémique – , il faut que chacun prenne ses responsabilités. Pour cela, nous avons besoin que le Gouvernement arrête de nous infantiliser.
Avec l'article 1er, vous souhaitez pouvoir « interdire la circulation des personnes et des véhicules ». Suspendre la liberté de circulation, ce n'est pas neutre ! Pour cela, il faudrait un état d'urgence sanitaire ; or celui-ci doit prendre fin le 10 juillet. Cette disposition montre bien que le projet de loi reste dans un entre-deux : vous prétendez sortir de l'état d'urgence sanitaire mais, en réalité, vous maintenez la possibilité d'une interdiction très forte, qui ne devrait être permise que dans le cadre de celui-ci. Par conséquent, l'amendement propose de supprimer l'interdiction et de s'en tenir à une réglementation de la circulation des personnes et des véhicules, plus proportionnée.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 48 .
L'état d'urgence sanitaire est un état d'exception durant lequel des pans entiers du droit positif sont malmenés et où les droits fondamentaux ne sont pas respectés, car nécessité fait loi, compte tenu de motifs impérieux. Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point.
Mais, à partir du moment où le plus fort de la crise est derrière nous, et même si le Gouvernement a raison d'envisager certaines mesures – il serait inconséquent de ne pas y penser – , il ne peut pas faire comme si l'état d'urgence sanitaire était supprimé tout en prenant des mesures qui durcissent la situation.
C'est pourtant le cas à l'article 1er. L'article 1er initial, c'est-à-dire celui qui est actuellement en vigueur, pendant l'état d'urgence sanitaire, dispose qu'il peut y avoir réglementation ou interdiction. Mais lui, au moins, précise la nécessité d'un encadrement horaire. Dans le texte que nous examinons, ce n'est même plus le cas. Autrement dit, on ajoute de l'exception à l'exception. Nous avons déposé cet amendement de repli car nous estimons qu'il est interdit d'interdire.
Il rappellera à certains quelques bons slogans, même si je ne sais pas s'il y a du sable sous les pavés… Nous pensons que réglementer la circulation suffira, et que le droit commun permet actuellement de régir la plupart des situations. Le Gouvernement est en désaccord avec cette approche, mais des juristes parmi les plus éminents l'approuvent.
La parole est à Mme Yolaine de Courson, pour soutenir l'amendement no 65 .
Interdire, tracer, contrôler, punir : toutes ces interdictions finissent par me faire peur. Nous constatons finalement que l'application StopCovid est un fiasco, …
… car trop de données sont conservées. Certains, dans ma circonscription, m'ont même dit : j'ai désinstallé StopCovid car elle vidait mon téléphone, je devais le recharger dix fois par jour.
La liberté de circulation est un droit de l'homme fondamental, consacré à l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. L'amendement propose de supprimer la possibilité offerte au Premier ministre de prendre par décret des mesures visant à interdire la circulation des personnes et des véhicules. Réglementer suffit, et l'on voit bien qu'interdire les manifestations ou la circulation ne fonctionne pas.
Il est identique aux précédents. Tout a été dit, ou presque : la loi est disproportionnée par rapport aux bienfaits qu'elle pourrait apporter.
J'ai déjà partiellement répondu sur le sujet tout à l'heure, mais je tiens à vous rassurer, madame de Courson : l'interdiction de circulation mentionnée à l'alinéa 2 ne pourrait en aucun conduire à un reconfinement strict. Il est important de le dire clairement. Comme l'a rappelé mon collègue Guillaume Vuilletet, il s'agit de mesures générales…
… grâce auxquelles le Premier ministre ou un représentant de l'État pourra, de manière ponctuelle, ciblée, localisée, quasiment chirurgicale, interdire la circulation par exemple dans le périmètre d'une commune. Voilà ce dont il s'agit. Avis défavorable.
Il est difficile d'ajuster à la virgule près quand on traite de limitation des libertés, voire d'interdictions.
C'est difficile, car il faut trouver le bon équilibre. De tels enjeux dépassent les clivages habituels entre les groupes.
Je prendrai un exemple de la difficulté de cet ajustement, monsieur le député Gosselin : le 7 mai dernier – il n'y a pas si longtemps – vous et M. Di Filippo aviez cosigné plusieurs amendements, auxquels j'avais d'ailleurs donné un avis défavorable, et qui font étrangement écho à l'amendement défendu par M. Schellenberger. Ils visaient à rendre obligatoire le port du masque dans l'espace public…
… pour une durée pouvant aller jusqu'à un an.
M. Erwan Balanant s'esclaffe.
À l'époque, je vous avais dit : c'est trop, et c'est trop long. Pourtant, il y a deux minutes, un autre amendement visait à nous retirer la possibilité d'imposer le port du masque pendant quatre mois dans les transports en commun. Quand on n'est pas sûr, monsieur Gosselin, on s'en remet au bon sens !
Sourires.
Si vous adoptez cet amendement – qui peut être légitime, qui peut faire l'objet de débats – qui retire au Premier ministre la possibilité d'interdire l'accès à des moyens de transport, cela signifie qu'en pratique, dès la fin de l'état d'urgence sanitaire, le 11 juillet, on ne pourra plus interdire à des méga-ferries de débarquer pour les vacances des milliers de passagers dans les territoires ultramarins, sur lesquels la pression virale peut vite coûter très cher en vies humaines.
L'une des premières mesures d'interdiction que nous avons prises concernait ces bateaux de croisière. Nous l'avons fait très tôt, et vous vous souvenez peut-être que cela avait occasionné des tensions avec certains navires de croisière qui ne pouvaient pas entrer dans les ports, à Marseille et dans les Antilles.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Nous avons décidé cette interdiction à partir de l'expérience japonaise, car c'est par un bateau de croisière que l'épidémie était arrivée au Japon.
Je préfère que le Premier ministre conserve, pendant quelques semaines ou quelques mois – quatre mois maximum, pas un an – , la possibilité d'interdire sous conditions l'accès aux bateaux de croisière, plutôt que d'être désarmés et démunis – sauf à ce que je prenne un arrêté, ce qui serait possible, mais pas plus respectueux des droits du Parlement.
Il en est de même pour les avions. Nous sommes très attentifs à la situation dans certains territoires, parce que, à l'heure où nous parlons de queue de l'épidémie, le virus y poursuit son oeuvre dévastatrice comme il a pu le faire en France il y a quelques semaines. Souhaitez-vous nous ôter la possibilité d'interdire à des personnes en provenance de ces pays de venir en France par avion ? Au fond, non, vous ne le voulez pas.
Avis défavorable à ces amendements car leurs conséquences seraient graves.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé qu'en février, le premier foyer épidémique a pu être traité, en Haute-Savoie, sans qu'il y ait eu à déplorer de décès, ce qui est heureux. Et vous vous demandiez ce que vous auriez entendu si vous aviez alors proposé les dispositions dont nous débattons.
À la mi-juin, nous sommes toujours en état d'urgence sanitaire. Or, comme je l'ai déjà souligné, trente-quatre malades ont été identifiés dans trois communes de la rive gauche de la métropole de Rouen, qui compte 500 000 habitants. Et vous l'avez signalé vous-même, d'autres foyers épidémiques se manifestent sur tout le territoire national.
Malheureusement, ni les élus locaux ni les députés ne sont informés de manière transparente des dispositions – de façon générale, sans entrer, évidemment, dans le secret médical – prises pour détecter et suivre de manière précise la résurgence de ces foyers épidémiques. Quelles sont, parmi les dispositions que vous prévoyez, celles auxquelles vous auriez recouru dans le cas de cette métropole active, industrieuse, de 500 000 habitants ? Je vous demande de nous répondre sur ce point, qui me paraît au coeur des contradictions de votre projet de loi – sans aucun procès d'intention sur les choix que vous seriez conduit à faire.
Monsieur le ministre, puisque vous avez l'amabilité de nous viser individuellement, je soulignerai que nous avons été heureux de pouvoir déposer des amendements sur les masques le 7 mai : auparavant, nous aurions eu beaucoup de mal à le faire, puisqu'il n'y avait pas de masques, sinon ceux que les régions, les départements et les communes distribuaient – cela soit dit en passant, pour répondre à votre tacle.
Je défends toujours le port du masque en situation d'état d'urgence, parce qu'il est protecteur – c'est pourquoi j'ai signé ces amendements. Sur ce point, les avis peuvent diverger. Il n'y a toutefois aucun rapport entre le port du masque et l'interdiction de circulation ou de manifestation. Il est parfaitement possible de porter un masque pour aller travailler ou se rendre à une réunion, notamment politique ou syndicale, ou à une manifestation. Il n'y a, je le répète, aucun rapport entre les deux choses : votre raisonnement, qui vise à mettre en difficulté un membre de l'opposition, est particulièrement déplacé. Très honnêtement, il fait flop ! Ce n'est pas avec des arguments aussi spécieux que vous rehausserez le niveau de notre débat : vous valez nettement mieux !
Je ne cherchais ni à vous attaquer ni à vous vexer, monsieur Gosselin. Si je devais me vexer à chaque incartade dont j'ai été l'objet durant tous ces jours et toutes ces nuits que j'ai passées au Parlement, je n'en aurais pas fini – je pense notamment aux contre-vérités grossières que vous venez d'exprimer, affirmant que les collectivités avaient précédé l'État dans la distribution de masques.
C'est la vérité ! Les collectivités n'auraient pas eu besoin de le faire si l'État avait joué son rôle !
Je vous propose de prêter serment devant la commission d'enquête qui commence, avant de déballer de telles balivernes : il vous appartiendra d'en assumer le risque pénal.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Monsieur Gosselin, je ne voulais pas remettre une pièce dans la machine.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Chers collègues, s'il vous plaît : nous n'allons pas ouvrir une commission d'enquête sur les masques au cours de ces débats.
Vous êtes à fleur de peau, monsieur Gosselin.
Pourquoi ai-je fait le lien entre le port obligatoire du masque et l'interdiction d'emprunter les transports ? Parce que vos amendements, s'ils étaient votés, ne permettraient plus d'interdire à une personne de monter dans un avion ou de descendre dans le métro, s'il ne se plie pas aux mesures de prévention sanitaire, telles que le port du masque.
Vous pouvez le faire autrement ! Les compagnies aériennes peuvent l'imposer !
Et ce, alors même que vous souhaitez étendre l'obligation de porter le masque à l'espace public ! Soyez cohérent avec vous-même en retirant votre amendement. Sinon, je le répète, avis défavorable.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le ministre, vous le savez très bien, les compagnies aériennes peuvent fort bien imposer le port d'un masque d'une manière contractuelle lorsqu'elles vendent un billet. Du reste, la moitié des commerces parisiens imposent cette obligation à leurs clients. Si c'est illégal, il faut le faire savoir rapidement.
Il n'est donc nullement besoin de faire adopter cet énorme marteau vous autorisant à attenter aux libertés individuelles dans notre pays, pour au total huit mois.
L'État veut tout réglementer, ce qui est absurde. Mon amendement porte sur les établissements recevant du public. En raison du décret que vous avez pris, il est possible de louer une salle des fêtes pour un mariage – les convives devront se tenir, durant le repas, à un mètre de distance les uns des autres – , mais il est interdit de danser. Vous rendez-vous compte, monsieur le ministre, de l'absurdité d'une telle immixtion de l'État dans la vie de nos concitoyens ? Puisque notre pays prétend être celui des libertés, ne devriez-vous pas commencer par faire confiance à nos compatriotes ?
Qu'au pic de la crise, l'Assemblée ait été unanime pour vous autoriser à prendre des mesures dérogatoires, soit ! Mais nous n'allons pas vivre éternellement sous ce régime attentatoire aux libertés. Il convient de prévoir d'autres instruments juridiques, moins intrusifs que ceux que vous proposez. Votre conception de la liberté nous fait sérieusement réfléchir.
Défavorable : la situation sanitaire rend nécessaire de proroger la possibilité de fermer certains établissements.
Nous avons au moins, sur la question des masques, l'avantage d'avoir été constants depuis le début de la crise, que ce soit le 7 avril, le 7 mai ou le 7 juin, ce qui n'a pas été le cas du Gouvernement.
Cet amendement nous permet de souligner une double hypocrisie. La première est que vous êtes capable de limiter l'accès à des équipements publics en imposant des conditions sanitaires draconiennes, tout en rouvrant les crèches et les écoles maternelles, au sein desquelles aucune distanciation sociale n'est possible. Tout parent d'un enfant âgé de moins de trois ans le sait fort bien !
La seconde est globale : votre texte prévoit, pour sortir de l'état d'urgence sanitaire, des conditions qui peuvent être plus restrictives que celles qui ont été adoptées dans le cadre de l'état d'urgence lui-même. Vous ne pouvez pas rester au milieu du gué : soit vous assumez les dispositions inscrites dans les premiers textes et vous en tirez les conséquences ; soit vous tirez les conséquences de la situation actuelle et vous assumez vos responsabilités sans demander au Parlement de le faire à votre place.
Le 1er juin, une cinquantaine de personnes d'une même famille se sont rassemblées : vingt-deux d'entre elles ont été contaminées par le covid-19. Mais tout va bien ! Nous n'avons plus besoin d'aucun outil pour contrôler la situation ! Vous caricaturez l'action du Gouvernement en laissant supposer que d'autres motifs l'animent que la sauvegarde de la santé publique. C'est grave.
C'est parfaitement inconséquent, parce que cela risque de persuader nos concitoyens – j'espère que tel ne sera pas le cas – qu'il n'y a plus de problème et que la vie peut recommencer comme avant. C'est irresponsable.
L'amendement no 22 n'est pas adopté.
Nous venons, à l'instant, d'évoquer la liberté de circulation. C'est une autre liberté, ou plutôt un autre pouvoir exorbitant du Premier ministre, que vise cet amendement, puisque le texte lui donne la possibilité d'ordonner la fermeture d'établissements recevant du public.
Ce pouvoir me semble, je l'ai dit, disproportionné dans le cadre de la sortie de l'état d'urgence : c'est la raison pour laquelle une simple réglementation de l'ouverture des établissements recevant du public nous semble plus cohérente avec la nouvelle situation.
Je répondrai à mon collègue Vuilletet que sa logique revient à tout interdire. Puisque des accidents de voiture se produisent, il faudrait alors interdire la voiture. Vous avez raconté une anecdote, certes détestable, puisque des personnes ont été contaminées, mais c'est un cas dans toute la France ! Doit-il entraîner l'interdiction de tous les mariages ?
Il n'est pas possible de fonctionner ainsi. Or, c'est sur une telle logique que repose le texte.
C'est la raison pour laquelle il convient de donner la possibilité de réglementer, et non d'interdire.
Monsieur le ministre, nous n'avons d'autre objectif que de vous écarter de vos propres démons. Un événement, dans le cadre de l'examen du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, texte promulgué le 23 mars, m'a profondément marqué : alors que nous avions longuement discuté de la restriction du périmètre des libertés que nous pouvions autoriser dans le cadre de ce texte, vous avez, à la fin du débat, déposé un amendement en séance, vous autorisant à mettre fin à toutes les libertés d'aller et de venir, de se réunir et d'entreprendre. C'était ainsi rédigé, monsieur le ministre : nous pouvons sortir les comptes rendus du mois de mars.
Eh bien, je m'en veux aujourd'hui encore de n'avoir pas été plus virulent pour combattre l'adoption de cet amendement. Heureusement, la commission mixte paritaire a pu revenir sur celui-ci : disséquant chacune de ces trois libertés, elle a trouvé des formulations moins généreuses, si je puis dire, mais encore très restrictives.
Parce que nous avons voté ce texte, parce que nous vous avons fait confiance, nous sommes en droit aujourd'hui de ne plus vous confier autant de prérogatives, autant de pouvoir, mais de mieux contrôler votre action, parce que le résultat n'est pas au rendez-vous.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 49 .
Après la liberté de manifestation, c'est la liberté de réunion que nous voulons protéger. Interdire certains lieux de réunion, c'est, en réalité, interdire certains types de manifestation ou d'expression de la pensée politique, syndicale ou associative, ce qui nous paraît particulièrement dangereux. Certes, l'été n'est peut-être pas la plus propice à ce type d'expression, mais la rentrée, je l'ai dit, pourra être plus ou moins chaude et les esprits pourront avoir besoin de s'exprimer dans des lieux de réunion.
Je rappelle qu'en septembre se tiendront également des élections sénatoriales.
Certes, on m'objectera que ces élections ne réunissent, dans les départements, que quelques personnes – les grands électeurs – et qu'elles ne donnent donc pas lieu à de grands meetings, comme d'autres élections. Il n'empêche toutefois que les grands électeurs doivent pouvoir se réunir pour garantir une expression plurielle. Nous ne voyons absolument aucune raison d'interdire les lieux de réunion.
Pour terminer, je répète une fois encore que le droit commun permet parfaitement, au titre du respect de l'ordre public, d'interdire certaines réunions ou l'accès à certains lieux, y compris, sous certaines conditions, des établissements recevant du public, ou ERP. Je ne vois donc aucune raison de vous donner un blanc-seing supplémentaire : le droit positif existant peut s'appliquer sans aucune difficulté à la sortie de l'état d'urgence, tout en respectant votre souhait légitime de garantir la meilleure sécurité possible. Nous ne contestons d'ailleurs pas cet objectif, mais les moyens que vous voulez employer ne sont pas les bons.
Votre amendement, monsieur Gosselin, vise à supprimer les mots « lieux de réunion », dont je conviens qu'ils ne sont pas très précis, mais qui ont été adossés aux mots « établissements recevant du public » justement car cette mention méritait d'être complétée.
Il serait aimable de ne pas m'interrompre ; cela me fait perdre le fil de mes pensées et ouvre un débat parallèle.
Contrairement à ce que l'exposé sommaire de votre amendement laisse entendre, le dispositif ne vise pas les réunions publiques, qu'elles soient politiques ou syndicales…
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
S'il vous plaît, monsieur Schellenberger, monsieur Gosselin ! Le débat n'exclut pas le respect de l'orateur. Madame la rapporteure, vous avez la parole et nous vous écoutons.
Merci, monsieur le président.
Je voulais apporter des clarifications sur les lieux de réunion visés par le texte : il ne s'agit pas des lieux de réunions politiques ou syndicales, mais plutôt – j'ai bien conscience de la nature de l'exemple que je vais prendre – des lieux comme les plages.
Je n'ai aucune volonté de les cibler spécifiquement, d'autant que, comme beaucoup de Français, j'espère moi aussi pouvoir y aller cet été, mais ce sont des lieux où la fréquentation pourrait être trop importante. Le dispositif vise également les lieux où l'on constaterait que les gestes barrières ne sont pas appliqués. Dans ce cas, il faudrait alors pouvoir réglementer leur accès.
Madame la rapporteure, à la lumière de votre explication, on constate que la rédaction du texte est en réalité une litote. Par « lieux de réunion », vous entendez en fait les espaces de rencontre, donc l'espace public. Or c'est l'explication que vous venez de nous donner qui fera foi auprès du juge lorsqu'il devra appliquer la loi. Vous voulez limiter ou interdire toutes les rencontres dans l'espace public. Nous imaginions – peut-être à mauvais escient – que vous cherchiez à restreindre la liberté de rencontre politique, ce qui était déjà dramatique. Mais restreindre toutes les rencontres dans tous les espaces publics, c'est encore pire ! Voilà une raison de plus pour que nous votions en faveur de l'amendement.
Nous ne laisserons pas dire que nous voulons interdire l'accès à tout lieu, en toute occasion, de façon systématique, car ce n'est pas le cas !
Mais non ! Reprenons le texte, qui a d'ailleurs, je le rappelle incidemment, été amendé en commission : il prévoit de « Réglementer les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature [… ] et soumettre à autorisation ». Vous avez vous-même déposé en commission un amendement tendant à supprimer le terme « interdire », au prétexte que c'était un terme maudit. Le travail mené en commission nous a justement amenés à faire évoluer la rédaction de l'alinéa, pour qu'il fasse référence, d'une part, au mot « réglementer » et, d'autre part, aux mots « soumettre à autorisation », qui impliquent de ne pas se contenter d'une logique de déclaration. Vous pourriez au moins reconnaître le travail remarquable mené par la rapporteure en commission, qui a permis de clarifier le texte.
L'amendement no 49 n'est pas adopté.
Il vise à supprimer l'alinéa 4 de l'article 1er, sans quoi, pendant quatre mois encore, vous conserveriez les pleins pouvoirs pour interdire dans notre pays ces droits à valeur constitutionnelle que sont la liberté de manifester et la liberté de réunion.
En soi, la prolongation d'un tel pouvoir discrétionnaire pose évidemment question, en particulier dans un pays qui, je le répète, est fondamentalement attaché aux libertés. Mais ce qui pose encore plus question, monsieur le ministre, c'est l'usage que vous faites – ou que vous ne faites pas, d'ailleurs – du pouvoir que l'on vous donne. Je pense évidemment aux propos récents du ministre de l'intérieur : alors qu'il reconnaît qu'il y a quelques semaines encore, les forces de l'ordre ont verbalisé des personnes âgées promenant leur chien sans la bonne attestation, il a laissé se dérouler sans réagir une manifestation, justifiant son inaction par le fait que « l'émotion [… ] dépasse [… ] les règles juridiques ». En réalité, les pleins pouvoirs que vous nous demandez, vous ne les exercez donc que de manière totalement discrétionnaire, ce qui est extrêmement inquiétant pour notre pays.
J'aimerais également que madame la rapporteure ou vous-même nous expliquiez très précisément comment vous comptez appliquer les dispositions du texte. En effet, il y a quelques jours, le Conseil d'État a suspendu l'exécution de l'article 3 du décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, et traduisant justement très concrètement les dispositions que vous nous demandez de vous permettre de prendre. En respectant la jurisprudence du Conseil d'État, comment entendez-vous donner la moindre force aux mesures que vous nous demandez d'adopter ?
Identique au précédent, il vise à supprimer l'alinéa 4 de l'article 1er, parce que nous pensons qu'il est nécessaire, peut-être même urgent, que la liberté de manifester, fondamentale, soit rétablie aussi vite que possible. En effet, j'ai cru comprendre que la vie démocratique allait reprendre ses droits, et c'est tant mieux : nous avons reçu aujourd'hui le calendrier de nos travaux à venir, qui indique que nous discuterons prochainement en séance du projet de loi relatif à la bioéthique, notamment de la PMA – la procréation médicalement assistée. J'ai aussi cru comprendre que le Président de la République a lui-même indiqué que, très prochainement, le débat sensible sur la réforme des retraites reviendrait lui aussi en discussion. Dans ces conditions, j'aurais du mal à imaginer que la vie démocratique ne puisse pas s'exprimer de manière pleine et entière. Je pense même que, dans ce contexte, les mesures que vous préconisez envoient un signal qui risque d'être interprété comme une volonté de brider l'expression de celles et ceux qui voudraient participer à la vie démocratique.
Croyez-vous sincèrement que, sur des sujets comme ceux que j'ai cités, des manifestations n'auront pas lieu simplement parce que vous voudrez les interdire ? Je ne le crois pas.
Pour terminer, je pense que vous risquez en outre de placer nos forces de l'ordre dans une situation extrêmement complexe, alors qu'elles n'ont pas besoin de ça en ce moment.
Votre proposition est maladroite ; vous devriez renoncer à l'alinéa 4.
La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour soutenir l'amendement no 50 .
Visant à la suppression de l'alinéa 4, cet amendement s'inscrit dans un contexte politique que l'on ne peut pas laisser de côté. En effet, il est le cadre de nos discussions et, comme l'a rappelé Olivier Marleix, de l'usage des droits que nous vous confions. En l'espèce, le contexte est celui de l'état d'urgence sanitaire persistant, qui réglemente avec précision les actes et les rencontres du bon justiciable, qui respecte la loi et qui, s'il fait un pas de côté, est ipso facto réprimandé – peut-être à juste titre, d'ailleurs. Toutefois, dans le même contexte, le ministre de l'intérieur déclare que « l'émotion [… ] dépasse [… ] les règles juridiques ». Dans quel pays, dans quel État de droit vit-on lorsqu'un Gouvernement auquel on confie les pleins pouvoirs considère que l'émotion peut dépasser le droit ? Que va-t-il faire de son pouvoir de restriction des libertés ?
Nous n'acceptons pas qu'une manifestation dûment déclarée, relative à un sujet de société – qu'il s'agisse de la situation économique locale ou de tout autre – soit interdite ou restreinte, alors que, dans le même temps, on laisse se dérouler, avec la caution du ministre de l'intérieur, une manifestation non déclarée, spontanée, qui ne devrait pas avoir lieu car elle ne remplit même pas les conditions minima de légalité, ce critère de déclaration qui permet de garantir le droit constitutionnel de manifester. Nous n'acceptons pas non plus que vous ne protégiez pas la liberté de manifester des soignants, dont la manifestation d'hier, organisée à juste titre après des semaines et des semaines d'épuisement, a été détournée de son objet par une bande de casseurs. Telle est la réalité de la situation politique que vous créez, monsieur le ministre.
Vous créez deux régimes juridiques distincts : un pour les bons justiciables, toujours plus oppressés ; un pour les autres, qui, eux, peuvent faire ce qu'ils veulent. C'est tout simplement inacceptable.
Il porte sur le droit de manifester. Comme nous l'avons déjà dit, nous considérons que le droit commun permet déjà d'encadrer les manifestations, notamment en fonction des circonstances sanitaires. Monsieur le ministre, ce que nous contestons, je le répète, c'est le blanc-seing donné au Gouvernement pour plus de quatre mois.
Par ailleurs, je vous alerte sur la dérive, qui pousse des citoyens à tenir des manifestations non autorisées, alors qu'une manifestation autorisée, encadrée par un service d'ordre et organisant des dispositifs de dispersion, est bien préférable à une manifestation sauvage qui finit dans une nasse favorable aux violences en tous genres. Revenons au droit commun, qui prévoit déjà ce type d'encadrement.
Alors que nous nous apprêtons à sortir de l'état d'urgence sanitaire, la vie politique doit reprendre. Or les mesures contenues dans l'alinéa 4 la limitent. On comprend bien l'idée qui sous-tend l'inscription de ces mesures dans la loi : si elles étaient de nature réglementaire, elles pourraient être contestées devant la justice administrative ; dans notre ordre juridique, la loi est un cran au-dessus. Mais franchement, la liberté de manifester et la liberté de réunion méritent bien que l'on en reste au règlement et que les Français puissent contester toute mesure restrictive.
Je l'ai déjà dit tout à l'heure, et cela a été repris par mon collègue Hervé Saulignac – à qui, au passage, je souhaite une bonne fête, puisque c'est aujourd'hui la Saint-Hervé, ce grand saint breton que je n'oublie pas – : …
… croyez-vous que nous pourrons interdire des manifestations de nature politique ? Vous mettrez les forces de l'ordre en grande difficulté.
Je partage les arguments qui viennent d'être exposés : mon amendement vise aussi à supprimer l'alinéa 4, qui concerne les manifestations.
En effet, celui-ci manque tout simplement de réalisme : en pratique, imposer le respect des gestes barrières est irréalisable dans les démonstrations d'ampleur où un grand nombre de manifestants est prévisible, comme lors de la manifestation organisée hier par les soignants, celle des forces de l'ordre, ou encore celles liées au projet de loi portant réforme des régimes de retraite ou au projet de loi relatif à la bioéthique. Parce que non réaliste, ce critère est en fait absolument arbitraire, et donc politique : l'État pourrait choisir de manière abusive les manifestations ayant droit de cité.
Or la manifestation constitue un moyen de pression à l'égard du pouvoir politique, car elle peut influencer – ou pas – le législateur. Le projet de loi relatif à la bioéthique et la réforme des retraites ont mobilisé des milliers de personnes dans les rues ; il serait antidémocratique que ces projets de lois, comme d'autres, soient réexaminés sans que personne ne puisse à nouveau s'exprimer. Par définition, les réformes sociétales divisent la société ; si cette dernière ne peut pas se faire entendre dans la rue, nous pourrons nous interroger sur la démocratie dans le pays. L'indulgence dont M. le ministre de l'intérieur a fait preuve à l'égard de certaines manifestations récentes ne saurait nullement être refusée à d'autres, à moins que l'on ne définisse ce qu'est l'émotion. Nous prenons donc le risque de manifestations spontanées, bien moins encadrées que les manifestations se déroulant selon les règles du droit commun. La limitation du droit de manifester ne peut être prolongée sans méconnaître le droit fondamental de manifester.
Je rappelle que le travail réalisé en commission a profondément modifié l'alinéa 4, car certains collègues semblent être passés à côté du travail effectué. L'adoption des amendements, c'est-à-dire la suppression de l'alinéa 4, nous placerait dans une situation expressément contraire aux recommandations du Conseil scientifique s'agissant du respect des gestes barrières lors des manifestations ou de la limitation du nombre de participants.
Je pense que tout le monde ici a pu constater, en particulier ces derniers jours, que nul ne souhaite empêcher les Français de se réunir ou remettre en cause leur droit de manifester. La question n'est pas là. Les manifestations ont pu se dérouler, et cela devrait suffire à clore le débat.
S'agissant de l'ordonnance rendue par le Conseil d'État le week-end dernier, elle est très claire : il est nécessaire de maintenir un outil juridique permettant à la fois de faire respecter les mesures barrières et d'assurer que les rassemblements ne dépasseront pas la jauge limite de 5 000 personnes.
C'est l'ordonnance du Conseil d'État qui le dit.
Vos amendements de suppression de l'alinéa 4 sont donc à la fois contraires aux prescriptions du Conseil scientifique et à l'avis du Conseil d'État.
La rédaction à laquelle nous avons travaillé en commission des lois propose un dispositif à deux niveaux, qui fixe un nouveau cadre législatif, circonstancié, adapté à la phase transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire.
D'abord, les rassemblements sur la voie publique et les réunions spontanées de toute nature qui ne nécessitent pas d'organisation particulière, ne pourront pas être interdits. En revanche, ils pourront faire l'objet d'un encadrement du nombre de participants et d'une réglementation spécifique, visant notamment à permettre le respect des gestes barrières en toute circonstance.
Quant aux manifestations sur la voie publique déclarées en préfecture sur le fondement de l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, elles seront soumises à un régime d'autorisation adapté, circonstancié et transitoire au regard de la mise en oeuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l'épidémie de covid-19 et à protéger les Français qui exercent leur droit de manifester.
Voilà pourquoi je suis défavorable à la suppression de l'alinéa 4, qui garantit le droit de manifester dans notre pays.
L'article 1er était particulièrement bancal, et sa réécriture par la commission n'a rien changé, comme Mme la rapporteure vient de nous en faire la démonstration en disant qu'on ne savait pas précisément ce qu'est un ERP.
Si, je suis désolé : un établissement recevant du public relève d'une catégorie parfaitement identifiée par le droit ; il ne s'agit pas d'une nébuleuse, car des ERP de catégories 1 à 5 sont répertoriés, en fonction du public accueilli – je n'entrerai pas dans les détails. En revanche, on ne sait pas ce qu'est un lieu de réunion. Vous avez cité l'exemple d'une plage, et vous avez d'ailleurs montré vous-même votre doute en admettant que ce n'était pas un très bon exemple. Effectivement, si vous dites à nos concitoyens que vous allez interdire certains lieux de réunion, ils ne penseront pas spontanément aux plages. Ils penseront à des lieux de loisirs, éventuellement à des étangs, à des sous-bois, à des forêts ou au littoral, dont l'accès a déjà été interdit lors de la première phase de l'état d'urgence sanitaire. La notion de lieu de réunion est très vaste, contrairement à celle d'ERP, qui est très précise et renvoie à une réglementation spécifique. Un lieu de réunion peut être tout lieu public ou privé – ce n'est pas précisé !
Je maintiens donc mon propos : votre texte est liberticide, et la rédaction que vous voulez nous imposer est encore plus large que certaines dispositions adoptées précédemment. Ainsi, le projet de loi porte atteinte à des droits fondamentaux : la liberté de réunion, la liberté de manifestation, etc.
Je suis d'accord avec mes amis du groupe EDS quand ils disent qu'une manifestation autorisée vaut mieux qu'une manifestation non autorisée. Justement, nous ne faisons pas autre chose dans ce texte ! Jusqu'au 10 novembre, nous maintenons la possibilité d'interdire une manifestation ou une réunion – effectivement, ce terme fait débat – là où il y a un cluster.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Alors que l'état d'urgence sanitaire court jusqu'au 10 juillet, une manifestation organisée hier, 16 juin, n'a pas été interdite.
Vous nous faites là des procès d'intention qui n'ont pas lieu d'être. Vous me connaissez : dans cette assemblée, ce n'est pas moi que vous pouvez taxer de liberticide !
Rires et exclamations sur les bancs des groupes LR et FI.
Je pense malgré tout que nous devons prendre des précautions. Que l'on puisse, à un moment donné, limiter une réunion à cause d'un cluster me semble de bonne politique ; je suis désolé, cela s'appelle tout simplement le bon sens.
Je reconnais aux oppositions la stabilité de leur argumentation, qu'elles répètent à chaque amendement ; nous n'hésiterons pas non plus à répéter les mêmes arguments pour défendre le projet de loi. Il faut bien lire ce dernier : à la fin de l'état d'urgence sanitaire, donc lors du retour à l'état normal, nous donnons au Premier ministre la possibilité, à des seules fins de santé publique, de réglementer la tenue de réunions ou de manifestations, lesquelles seraient alors soumises à autorisation au lieu d'être simplement déclarées. Nous serons alors dans une situation normale, bien moins réglementée qu'actuellement, mais nous prévoyons la survenue de situations particulières où nous devrons intervenir de nouveau à des seules fins de santé publique.
Il n'est pas vrai que le droit existant le prévoit. Mme la rapporteure a été parfaitement claire sur l'utilisation de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : pourrions-nous nous prévaloir de circonstances exceptionnelles, alors que l'épidémie dure, sauf erreur de ma part, depuis déjà quelques mois ? Il faut bien se doter d'un cadre juridique.
J'entends dire qu'il faut laisser les choses se faire et être confiant, mais allons-nous demander aux organisateurs d'une réunion ou d'une manifestation dans un endroit sensible de compter les participants et d'en interdire l'accès à partir de la cinq mille unième personne ? C'est une plaisanterie ! Tout cela n'est pas cohérent : nous sommes dans une période intermédiaire, nous le revendiquons ; il nous faut donc des outils intermédiaires.
Monsieur le ministre, vous voudriez tendre des verges pour vous faire battre que vous ne vous y prendriez pas autrement. Tout le monde sait que, socialement, la rentrée va être difficile, et vous nous proposez un texte susceptible d'être utilisé afin d'interdire ou de réduire des manifestations. Quel sens de l'opportunité ! Quel sens politique !
Je sais qu'au sein même de la majorité, certains préconisaient la suppression du 3o de l'article 1er. La commission a préféré le réécrire, comme l'a rappelé Mme la rapporteure, mais en quels termes ? Vous voulez donner au Premier ministre la possibilité de « réglementer les rassemblements sur la voie publique », certes, mais aussi « les réunions de toute nature » !
Qu'est-ce que cela signifie ? Si j'organise une petite réunion pour fêter mon anniversaire, pourra-t-on la réglementer ? Pourra-t-on me dire : « Pour votre anniversaire, monsieur de Courson, pas plus de cinq personnes » ?
Comment allez-vous faire ? Vous allez vous heurter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui vous a déjà tapés une première fois en expliquant que vous ne sauriez encadrer les réunions à caractère privé comme les réunions de famille, qui font partie des réunions de toute nature.
Excusez-moi d'avoir mauvais esprit – cela m'arrive parfois – , mais comment allez-vous contrôler l'application de ce 3o si vous le mettez un jour en oeuvre ? Peut-être d'ailleurs ne le ferez-vous jamais car de nombreux parlementaires voudraient saisir le Conseil constitutionnel. Pensez-vous que vous tiendrez longtemps avec un texte aussi mal rédigé et excessivement attentatoire aux libertés ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, LR, FI et EDS.
Cet amendement du Gouvernement vise à permettre au Premier ministre d'imposer la présentation d'un test virologique négatif dans les transports aériens et de prescrire des mesures de quarantaine et d'isolement à l'arrivée dans l'hexagone de personnes en provenance de l'outre-mer.
Comme l'a rappelé le Conseil scientifique, l'épidémie est globalement sous contrôle mais des mesures restent nécessaires dans les prochaines semaines. On sait notamment qu'il existe des difficultés et des zones de tensions en outre-mer – nous avons déjà cité aujourd'hui la Guyane et Mayotte.
Le Gouvernement a lancé en juin une expérimentation invitant les voyageurs à destination de certains territoires ultramarins à réaliser un test PCR – réaction par polymérisation en chaîne – de détection du covid-19 dans les soixante-douze heures précédant le vol. Ce test peut être effectué sans prescription médicale, sur présentation de la réservation d'un billet, ce qui permet aux passagers d'avoir le résultat de leur test avant de prendre l'avion.
Sur la base de cette expérimentation, le présent amendement vise à permettre au Premier ministre d'imposer la réalisation d'un tel test aux personnes qui souhaitent se déplacer par transport public aérien entre la métropole et une collectivité ultramarine ou entre deux de ces collectivités. En effet, il faut absolument tout mettre en oeuvre pour limiter les risques de diffusion du virus dans les territoires ultramarins, pour toutes les raisons que vous imaginez et que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer. C'est pourquoi l'État met le paquet dans les territoires ultramarins, depuis le début de la crise, tant en renforts humains qu'en renforts matériels, pour la protection des populations.
Le sous-amendement s'inscrit dans l'équilibre trouvé en commission mixte paritaire sur la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Tout en tenant compte de l'évolution sanitaire dans certains territoires d'outre-mer, il vise à exclure du dispositif d'obligation de test les vols en provenance des collectivités d'outre-mer où ne circule pas l'infection.
La parole est à Mme la ministre des outre-mer, pour donner l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement.
L'amendement du Gouvernement ne me semble pas très clair. Nous convenons tous qu'en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, la situation a relativement bien évolué – elles sont d'ailleurs classées en zone verte. En Guyane et à Mayotte, en revanche, les difficultés sont toujours présentes.
Une expérimentation a été mise en place : sur la base du volontariat, les personnes qui quittent l'Hexagone pour se rendre en Martinique peuvent effectuer un test ; si ce dernier est négatif, elles subissent alors ce qu'on appelle une « septaine », un isolement de sept jours, alors que les gens qui ne présentent pas de test subissent une quarantaine stricte. Les cas les plus récents de covid-19 en Martinique – un peu plus de douze – ont tous été importés. Le virus circule très faiblement sur l'île, si ce n'est pas du tout.
La mesure proposée maintenant par le Gouvernement me semble utile car elle permet le développement économique et le maintien des activités, tout en mettant en place ce que j'appellerais un « verrouillage sanitaire ». Il n'est pas question de laisser le virus circuler. Cependant, il reste deux zones d'ombre.
Premièrement, l'amendement prévoit cette obligation de test doublée d'une quarantaine pour les déplacements entre la Guadeloupe et la Martinique. Ce n'est pas moi qui le dis, il fait relire l'amendement : la mesure de quarantaine concernerait les trajets de la Martinique vers la Guadeloupe et vice versa.
Deuxièmement, l'amendement, tel qu'il est écrit, imposerait la quarantaine dans le sens inverse, c'est-à-dire de la Martinique vers l'Hexagone, ce qui constituerait un recul considérable. Si j'ai bien compris, le sous-amendement no 84 supprime la quarantaine pour les voyageurs en provenance de Martinique à destination de l'Hexagone : c'est une très bonne proposition.
Nous ne souhaitons pas la mise en place d'une quarantaine, mais l'organisation d'un verrouillage sanitaire, avec un test avant le départ et un autre sept jours après l'arrivée, …
… de telle sorte que nous soyons assurés que les personnes arrivant en Martinique ne sont pas covid+. Dès lors que ces deux tests sont rendus obligatoires, nous sommes bien entendu favorables à la suppression de la septaine.
Si les efforts réalisés pour Mayotte et la Guyane sont tangibles, je persiste à dire qu'ils arrivent encore une fois trop tard, alors qu'on a laissé la situation se dégrader de fort mauvaise manière. L'amendement et le sous-amendement dont nous discutons me semblent frappés au coin du bon sens pour ces deux territoires : ils nous aideront en effet à limiter de façon drastique la circulation du virus sur nos territoires.
J'aimerais néanmoins rappeler, après mon collègue Letchimy, quelles conséquences ils auront sur les grands équilibres notamment économiques. Le tourisme, l'hôtellerie et la restauration, en particulier, sont frappés de plein fouet par ces dispositions contraignantes et dissuasives dont les conséquences ne seront pas identiques selon que l'on se trouve en France hexagonale ou en outre-mer.
Je peux donc comprendre la ligne directrice. Toutefois, dans les cas de Mayotte et de la Guyane, il me semble qu'il faudra renforcer le travail déjà réalisé. C'est pourquoi, conformément à l'avis no 7 du Conseil scientifique, rendu le 2 juin, je préconise que l'on mette en oeuvre rapidement, pour ces deux territoires, un plan de prévention et de protection renforcée contre la covid-19, et que l'on accentue les mesures d'accompagnement budgétaire et économique dédiées aux TPE – très petites entreprises – et aux microentreprises, sachant que certaines ont déjà mis la clé sous la porte et que d'autres risquent fort de disparaître au cours des semaines ou des mois à venir. Il faut parvenir au juste équilibre entre les contraintes nécessaires et leurs conséquences, afin que ce ne soit pas l'ensemble des entreprises de ces territoires qui disparaissent.
En dehors de la Guyane et de Mayotte, l'épidémie est maîtrisée en outre-mer ; en tout cas, nous sommes en zone verte. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les autorités ont réagi très vite, dès le début de la crise, en réduisant drastiquement la desserte aérienne et maritime de l'archipel, en mettant en place des quatorzaines strictes, accompagnées de tests en entrée et en sortie, et en adoptant, comme partout en métropole, le confinement et les mesures de distanciation sociale. Résultat : un seul cas a été enregistré et très vite circonscrit à Saint-Pierre-et-Miquelon. On peut donc dire aujourd'hui raisonnablement que le virus ne circule pas, a priori, ce qui explique le déconfinement intervenu plus tôt que dans l'Hexagone.
La menace extérieure, qu'elle vienne du Canada voisin ou de la France métropolitaine, est en forte régression. Se pose donc la question de l'ouverture du territoire, que nous voulons progressive, maîtrisée et contrôlée. Il ne faudrait pas qu'avec la fin de l'état d'urgence sanitaire soient ruinés tous les efforts qui ont été consentis par la population et les autorités. Aussi – c'est un souhait fortement exprimé par la population – est-il nécessaire de maintenir un dispositif de contrôle à l'entrée sur le territoire après le 10 juillet. Compte tenu du contexte épidémique maîtrisé, ce dispositif pourra être allégé, comme le disait notre collègue Letchimy, en ne prévoyant par exemple qu'un test avant le départ et un autre sept jours après l'arrivée ; il n'en demeure pas moins que l'arrivée sur le territoire doit être contrôlée.
J'ai bien entendu les commentaires précédents sur le caractère liberticide qu'aurait le maintien de mesures de contrôle, mais nos territoires ultramarins sont fragiles et ne sont pas aussi bien équipés que l'Hexagone pour une riposte sanitaire. Aussi, mes chers collègues, je vous demande d'entendre les spécificités insulaires et ultramarines pour que nos populations puissent traverser le plus sereinement possible cette période compliquée.
Cet amendement du Gouvernement est un signe de mépris mais surtout un aveu terrible. M. le ministre des solidarités et de la santé nous disait avoir mis le paquet ; j'ai souvenir du paquet de masques moisis qui sont arrivés à La Réunion : si c'est de ce paquet dont il parlait, nous sommes d'accord ! Néanmoins, cet amendement est l'aveu que rien n'a été fait en temps utile, dans les territoires d'outre-mer, pour que la pandémie soit jugulée et que les populations y soient protégées au mieux. Elles ont été délaissées et abandonnées, et l'on constate maintenant le résultat à Mayotte et en Guyane. Cet amendement n'est que l'aveu de cette inconséquence terrible pour nos concitoyens et concitoyennes. J'en prends acte.
C'est en ma qualité d'ancien rapporteur spécial des crédits des transports aériens que je voudrais vous poser, madame la ministre, une question certes secondaire, mais tout de même importante. Je reprendrai l'exemple, cité précédemment, de la Martinique : on peut s'y rendre depuis la métropole, mais aussi depuis les États-Unis ou depuis un autre pays étranger proche des Antilles. Dans ces conditions, comment appliquerez-vous votre mesure ? Le droit du transport aérien se caractérise en effet par le principe de réciprocité : pour les voyageurs venant de pays tiers et se rendant dans ces territoires ou en revenant, il faut un accord IATA – Association internationale du transport aérien. En l'absence d'un tel accord, la mesure que vous préconisez ne sera pas applicable. Pourriez-vous nous donc vous expliquer pourquoi votre amendement n'envisage que le trafic entre des parties du territoire français, et pas en provenance de pays tiers ou vers ces pays ?
Comment allez-vous traiter cette question ? Pour aller voir mon bon ami Letchimy aux Antilles, je peux en effet passer par les États-Unis, en prenant un vol de Paris à Miami puis de Miami à ma destination finale. Pouvez-vous nous expliquer comment marchera votre amendement, s'il vient à être adopté ?
Notre collègue Charles de Courson pose une excellente question dont je vois à votre visage, madame la ministre, qu'elle semble vous laisser un peu perplexe.
Mme la ministre nie de la tête.
Nous verrons quelle réponse vous y apportez.
Au-delà de cette question très technique mais intéressante, se pose en réalité la question d'une forme de discrimination à l'égard des citoyens ultramarins. Une fois de plus, votre amendement porte atteinte à la liberté de circulation, à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Il est compréhensible que des mesures concernent Mayotte et la Guyane, où la situation sanitaire est effectivement singulière. Néanmoins, pour avoir parlé au téléphone, il y a quelques heures à peine, avec Mansour Kamardine, notre collègue député de Mayotte, je puis vous dire que l'on demande aux enseignants de réorganiser l'école pour accueillir tous les élèves, mais que l'on est incapable de fournir des tests, si bien que l'on ne sait pas comment l'on parviendra à contrôler quoi que ce soit. En revanche, on va confiner les gens, non pas à domicile, mais sur leur île, dont ils ne pourront pas sortir ! C'est une mesure étrange, que je juge particulièrement discriminatoire.
J'ai une autre interrogation, plus juridique. Vous souhaitez modifier un intitulé de l'article L. 3131 du code de la santé publique, en transformant le « territoire national » en « territoire hexagonal ». Il faudra que l'on m'explique la portée juridique de la notion d'Hexagone !
Jusqu'à preuve du contraire, la République reconnaît le territoire national dans sa diversité. Si l'on emploie le mot « Hexagone » de façon familière – on parle aussi de France continentale – , le territoire hexagonal me semble en revanche être une nouvelle notion juridique, dont je ne suis pas sûre qu'elle passe tous les contrôles !
Je l'entends bien au sens commun, monsieur Letchimy, mais il s'agit en l'occurrence de l'inscrire dans la loi, ce qui n'est pas la même chose.
Métropole, ça ne va pas ! Quand il y a une métropole, il y a une colonie !
Monsieur Letchimy, comme vous l'avez compris, l'amendement du Gouvernement prévoit une mesure qui permettrait d'imposer, dans le transport aérien, un test PCR lors de l'embarquement, depuis le territoire hexagonal en direction de l'outre-mer, entre territoires d'outre-mer et en provenance de l'étranger vers le territoire national. Mon sous-amendement prévoit qu'il ne puisse pas être imposé de test PCR aux personnes qui embarqueraient depuis un territoire d'outre-mer dans lequel le virus ne circulerait pas, c'est-à-dire en zone verte.
Permettez-moi d'abord de m'excuser pour le léger retard avec lequel je suis arrivée. Je vais m'efforcer de répondre à toutes vos questions, en rappelant que l'amendement et le sous-amendement ont pour objectif de prendre en compte la situation des territoires ultramarins.
Depuis le début de la crise sanitaire, le cadre national s'est appliqué, bien sûr, dans les territoires ultramarins, mais nous avons tenu à ce que toute décision soit adaptée à chacun de ces territoires. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on parle bien des territoires ultramarins au pluriel, tous n'ayant pas adapté de la même façon les décisions nationales.
Il s'agit maintenant de rouvrir ces territoires, dont vous savez qu'ils ont été très strictement fermés. Certains, comme Mayotte et la Polynésie, n'ont été desservis par aucun vol, raison pour laquelle nous avons mis en place des ponts aériens, respectivement avec La Réunion et Paris. D'autres étaient desservis par un, deux ou trois vols par semaine. Cette limitation du nombre de vols a permis de maîtriser le virus dans ces territoires ; néanmoins, cet enfermement, utile sur le plan sanitaire, a eu de lourdes conséquences économiques et familiales.
Le virus est désormais maîtrisé dans presque tous les territoires, en dehors de Mayotte et de la Guyane – j'y reviendrai. Il est donc temps de rouvrir ces territoires pour permettre les réunions familiales et la prise des congés bonifiés – j'ai d'ailleurs beaucoup parlé, à ce sujet, de « voyages affinitaires ». Nous sommes au rendez-vous. Qu'avons-nous fait depuis quelques jours ? Première décision : à compter du 22 juin, il ne sera plus nécessaire d'avoir un motif impérieux pour se rendre en outre-mer. Deuxième décision : le nombre de passagers à bord des vols ne sera plus limité. Les vols en direction des territoires ultramarins ont en effet été limités à 60 passagers, puis on a progressivement desserré la contrainte jusqu'à 150 et enfin 200 passagers. À partir du 22 juin, le nombre de passagers d'un vol ne sera plus limité et, petit à petit, en accord avec les préfets et les élus des territoires, nous augmenterons le flux de vols à destination des territoires ultramarins partant de l'Hexagone – puisque c'est bien ce terme que nous souhaitons utiliser, plutôt que celui de métropole, après un grand débat que nous avons déjà eu ensemble, et j'évoquerai plus tard le volet juridique de cette question.
Il faut maintenant parler de la période qui suivra le 10 juillet et la fin de l'état d'urgence : comment rouvrir les territoires ultramarins tout en maintenant la vigilance sanitaire, qui est notre priorité ? Sachez que ce sont ces territoires qui ont sollicité et demandé le maintien d'un filtre sanitaire – Serge Letchimy utilise quant à lui le mot « verrouillage » – , imposant un test aux voyageurs qui souhaitent se rendre dans un territoire ultramarin depuis l'Hexagone. Or, pour que ce test puisse être rendu obligatoire, il est nécessaire de passer par la loi, raison pour laquelle je suis devant vous. Ce test sera donc obligatoire pour l'ensemble des territoires ultramarins à compter du 10 juillet.
Cela n'empêche pas les préfets – c'est d'ailleurs prévu dans la loi également – d'émettre des recommandations locales. Je précise, en réponse à Serge Letchimy, que le préfet de la Martinique peut ainsi demander, dans une note de recommandation, la réalisation d'un deuxième test sept à huit jours après l'arrivée des passagers. Ce n'est pas la loi qui précisera ce point dans le détail, mais une telle recommandation pourra être formulée, au même titre que celle de ne pas rendre visite aux personnes fragiles ou encore de ne pas participer à de grandes manifestations qui seraient organisées localement. Tel est le principe de ce test obligatoire.
C'est pour cela qu'un autre dispositif destiné à se substituer à la quatorzaine est en cours d'expérimentation depuis maintenant quelques semaines et jusqu'au 10 juillet dans certains territoires ultramarins – La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélemy : test avant le départ, sept jours de vigilance puis un second test ; si celui-ci est négatif, on peut vaquer à toutes ses occupations en toute liberté, dans le respect, bien sûr, des gestes barrière et des recommandations de port du masque valables dans tous les territoires.
Il s'agit donc de concilier protection des territoires ultramarins et relance de l'économie de ces territoires, dont le tourisme constitue souvent la base. C'est pourquoi nous souhaitons renforcer les outils financiers d'ores et déjà mis en place par l'État pour accompagner ce secteur qui a beaucoup souffert.
S'agissant des liaisons entre territoires ultramarins, le principe est extrêmement simple : c'est la liberté de circulation sans condition entre la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. En revanche la quatorzaine est maintenue entre les territoires situés en zone verte et ceux situés en zone orange, où le virus circule encore : elle est ainsi maintenue entre les Antilles et la Guyane, où le virus circule encore, sauf si l'on estime qu'elle peut être remplacée par l'obligation de test. C'est la même chose entre Mayotte et La Réunion.
La question des vols en provenance de l'étranger est très pertinente, et se pose la question des accords IATA.
Le Président a annoncé qu'à partir du 1er juillet, les liaisons aériennes avec les pays extérieurs à l'Union européenne pourront reprendre. Il s'agit de savoir dans quelles conditions. Pour ma part, je continuerai à défendre l'obligation de test pour les vols en provenance des États-Unis ou du Canada et à l'arrivée aux Antilles, ou en provenance de Maurice et à l'arrivée de La Réunion – d'autant que Maurice entretient des relations soutenues avec l'Afrique du Sud, dont on connaît la situation épidémique. C'est la position que je défendrai lors des prochaines réunions interministérielles, qu'il s'agisse des vols de transit ou des vols directs, notamment vers les Antilles, nombreux depuis l'Amérique du Nord.
Je ne conteste pas qu'il s'agit d'une limitation de la liberté de circuler, …
… mais c'est pour protéger les territoires ultramarins. Tel est le choix du Gouvernement, mais il l'a fait à la demande unanime de l'ensemble des élus des territoires ultramarins ! Certes la situation de la Guyane et de Mayotte nous oblige, un, nous l'avons vu, à maintenir l'état d'urgence dans ces territoires, et deux, à imposer un test et une quatorzaine à l'arrivée dans ces territoires comme à l'arrivée dans l'Hexagone pour les vols en provenance de ces territoires. Cette logique est de bon sens puisque le virus continue d'y circuler. Nous espérons tous que, d'ici le 10 juillet ou un peu plus tard, nous pourrons rouvrir ces territoires également, par décret – car telle est la procédure – , tout en continuant à limiter le nombre de vols vers ces deux destinations, actuellement limité à deux vols hebdomadaires s'agissant de Mayotte, par exemple.
Par attention pour nos collègues ultramarins et en raison de l'importance du sujet, je vais exceptionnellement autoriser d'autres prises de parole.
La parole est à M. Serge Letchimy.
Je vous remercie de me redonner la parole sur un sujet en effet extrêmement important, qui mérite que nous soyons beaucoup plus précis, voire que nous suspendions la séance pendant quelques minutes pour que vous nous fournissiez plus de détails.
Vous nous confirmez donc officiellement qu'il n'y aura ni quatorzaine ni test obligatoire entre les territoires situés en zone verte, comme la Martinique ou la Guadeloupe ?
Mme la ministre approuve de la tête.
Ce n'est pourtant pas ce qui est écrit dans votre amendement, mais votre parole fait loi.
Certes, cher collègue de Courson. Je retiens toutefois que, pour les liaisons entre l'outre-mer et l'Hexagone, le sous-amendement de la rapporteure prévoit de lever l'obligation de test prévue par l'amendement gouvernemental.
C'est bien qu'il y avait une faille dans sa rédaction.
Mais le Gouvernement nous demande « l'instauration d'une quarantaine obligatoire pour les passagers en provenance de ces territoires », y compris, donc, de la Martinique, « comme elle est déjà possible à destination de ces derniers » : ce n'est pas moi qui le dis, c'est dans l'exposé sommaire de l'amendement. Or il n'y a pas de quarantaine ni de septaine, ni quoi que ce soit de cet ordre, quand on vient de Fort-de-France pour aller à Paris, comme c'est mon cas. Il faut donc supprimer aussi la quarantaine, tout comme le test !
Par ailleurs, s'il est vrai que la plupart des élus de la Martinique – j'ignore ce qu'il en est de la Guadeloupe – soulignent la nécessité de lâcher du lest pour relancer la machine tout en verrouillant la sécurité sanitaire. Ce texte rend le test obligatoire, c'est très bien, mais la septaine sera-t-elle supprimée, oui ou non ?
Je vais vous repasser la parole, monsieur Schellenberger, mais sachez que je n'apprécie pas du tout que vous ayez essayé de l'obtenir par un rappel au règlement. Je le fais parce que le sujet appelle une certaine indulgence de ma part, mais je vous demande de respecter nos débats et d'éviter d'avoir recours à ce procédé. Vous avez la parole.
Vous m'avez directement interpellé, monsieur le président ; si vous préférez, je peux vous répondre par un rappel au règlement. Si je vous menaçais d'un rappel au règlement, c'est parce que je pense qu'il s'agit là d'un débat essentiel sur ce que sont la République et l'intégrité du territoire national.
C'est ce que je suis en train de faire. On ne peut pas bâcler un débat aussi important, …
… ouvert par un amendement déposé ce matin par le Gouvernement et par un sous-amendement de Mme la rapporteure que nous découvrons en séance.
Cela soulève une question essentielle, celle de la définition et de l'intégrité du territoire national, puisqu'on érige là des frontières à l'intérieur de celui-ci. Cela s'explique certes car il a été nécessaire de faire face à la crise en établissant de telles frontières entre zones rouges, oranges et vertes, mais on descend là à un niveau de détails dans l'établissement de ces frontières qui m'interpelle. Je ne voudrais pas que les territoires, départements ou régions d'outre-mer soit traités autrement que le territoire hexagonal ou continental. J'ai le sentiment qu'il y a, sur ce point, un flottement, lié évidemment à la situation sanitaire et à notre incapacité à doter nos territoires ultramarins des équipements sanitaires nécessaires – le ministre de la santé l'a avoué tout à l'heure, en quelque sorte – , mais aussi à une forme d'incapacité à gérer nos frontières extérieures dans ces territoires, à Mayotte par exemple. Alors qu'on est en train de mettre en place l'obligation de tests pour les vols intérieurs, on n'est pas tout à fait sûr de devoir le faire pour les vols en provenance de l'étranger. Et on ne parle là que du transport aérien, mais qu'en est-il des entrées illégales sur le territoire de Mayotte, particulièrement nombreuses ?
Ce sont autant de questions dont nous devons débattre et auxquelles nous devons répondre avant de pouvoir adopter l'amendement et le sous-amendement.
Monsieur Letchimy, ce que nous vous demandons, c'est de nous donner une possibilité d'agir selon des modalités qui seront bien évidemment précisées par un décret d'application. Seule la loi peut imposer cette obligation de test, qui ne s'appliquera qu'en tant que de besoin, par la voie réglementaire : il reviendra au décret de préciser dans quels cas, selon quelles modalités et pour quels territoires. C'est la raison pour laquelle le texte ne vise nommément ni Mayotte ni la Guyane mais parle de territoires où le virus circule ; à ce titre il peut valoir pour d'autres territoires, même si nous espérons que ce ne sera pas le cas.
Le sous-amendement no 84 est adopté.
L'amendement no 83 , sous-amendé, est adopté.
Je vous remercie pour ce débat riche et utile.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 15 .
Il vise à supprimer l'alinéa 5, qui dispose que les mesures prescrites dans les quatre premiers alinéas le sont aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19. Pourquoi a-t-on jugé cette précision nécessaire, sinon parce que ces mesures sont exorbitantes du droit commun ? C'est bien parce qu'il s'agit de mesures d'exception qu'il a été jugé nécessaire de les limiter à l'épidémie de coronavirus. Cet amendement est donc cohérent avec mes demandes précédentes de suppression des quatre premiers alinéas.
L'amendement no 15 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 16 .
Alors que l'épidémie est réputée « sous contrôle », selon les mots du Conseil scientifique, il ne me semble ni nécessaire ni même utile de prendre ces mesures collectives ou individuelles de privation de liberté et encore moins d'habiliter le représentant de l'État territorialement compétent, le préfet en l'occurrence, à prendre des mesures aussi sensibles.
En outre, cet alinéa a été largement inspiré par l'article L. 3131-17. Il ne me semble pas nécessaire d'aller plus loin que le droit commun tel qu'il est codifié par cet article.
L'amendement no 16 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 19 .
Il vise à supprimer l'alinéa 8, qui va encore plus loin que l'alinéa 7. Alors que ce dernier habilite le préfet à prendre les mesures d'application de limitation des libertés, l'alinéa 8 lui permet de restreindre lui-même ces libertés. Des pouvoirs aussi exorbitants du droit commun ne sont pas adaptés à la situation actuelle d'une épidémie sous contrôle.
L'amendement no 19 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement no 52 est de cohérence vis-à-vis de l'alinéa 4 de l'article 3, rédigé ainsi : « 3o À la fin de la première phrase du premier alinéa du II de l'article L. 3131-17, les mots : "du directeur général de l'agence régionale de santé" sont remplacés par les mots : "des autorités sanitaires compétentes". » Il me semble en effet cohérent que les deux alinéas soient rédigés de la même façon.
L'amendement no 17 est de repli : j'y demande que l'avis public sur les décisions prises par le représentant de l'État soit donné non par le directeur de l'ARS, mais par le Comité scientifique. En effet, durant la crise sanitaire, les ARS n'ont pas toutes été à la hauteur de la situation. Ces dernières semaines, j'en ai donné un exemple à maintes reprises dans cet hémicycle : l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur avait donné son feu vert, juste avant le 11 mai, pour que les personnels des crèches et des écoles de Marseille puissent être testés avant de reprendre le chemin de l'école, tandis que l'ARS d'Occitanie refusait cette possibilité aux personnels de la ville de Béziers. Il n'est donc pas tout à fait déraisonnable de privilégier le Comité scientifique sur les ARS pour formuler de tels avis.
Il ravira certainement notre collègue Philippe Gosselin puisqu'il vise à garantir la plus grande transparence des décisions des représentants de l'État portant atteinte, dans un territoire, à des libertés individuelles. Il prévoit que les décisions du représentant de l'État dans un département devront être communiquées, en amont, au président du conseil départemental concerné et aux parlementaires des circonscriptions touchées par les mesures envisagées. Cela relève tout bonnement des bonnes pratiques.
La plupart des mesures adaptées par les préfets sont bonnes, mais il arrive, pour différentes raisons, que quelques représentants de l'État aient des marottes. Les décisions sur la réouverture des marchés furent très différentes d'un département à l'autre : …
… dans mon département, tout s'est bien passé, mais ce ne fut pas le cas dans celui d'à côté – M. Gosselin aurait quelques anecdotes à raconter sur le sujet… Je pense aussi à un préfet qui a interdit la vente d'alcools forts, considérant que leur consommation pousserait des hommes ivres à brutaliser leur femme ; mais la bière ou tout autre alcool pourraient avoir les mêmes conséquences.
Les préfets n'étant pas infaillibles, il est bon qu'ils soient conseillés par des élus, représentants du peuple.
Je soutiens l'amendement de Paul Molac. En effet, le couple formé par le maire et le préfet a été aux manettes pour les décisions du représentant de l'État pendant la crise, ce qui est tout à fait normal, mais les élus départementaux et les parlementaires, qui accompagnent souvent les maires pour faire le lien entre les décisions nationales et leur application sur le terrain, doivent aussi être associés aux décisions. C'est très souvent le cas en pratique, mais cela mérite d'être précisé dans la loi.
L'amendement no 74 n'est pas adopté.
Il vise à supprimer l'alinéa 9. Si le dispositif de l'article 1er était strictement proportionné au risque sanitaire encouru, nous n'examinerions pas, en période de déconfinement et de retour à la vie normale, un texte qui accorde aux pouvoirs publics des prérogatives propres à l'état d'urgence. C'est à la fois incohérent et dangereux. Le Parlement a largement montré, ces dernières semaines, sa capacité à légiférer dans un délai très court. Il pourrait donc répondre aux besoins qu'induirait une nouvelle vague, que je ne souhaite pas, de covid-19.
Il vise à supprimer l'alinéa 9. Le Conseil scientifique a déclaré que la situation sanitaire était « sous contrôle » en France. À moins de ne pas croire le Conseil scientifique, pourtant suivi par le Gouvernement pour toutes les décisions prises jusqu'à maintenant, il n'y a pas lieu de prendre des mesures « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », puisque la situation sanitaire est sous contrôle.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 20 .
Cet amendement d'appel vise à supprimer l'alinéa 11, tout à fait emblématique du rôle de chambre d'enregistrement que le Gouvernement entend donner au Parlement : au mieux, il est informé. Or le Parlement se rassemble pour légiférer et le Gouvernement doit répondre de ses actes devant lui, et non l'inverse. Il est urgent de revenir à un exercice normal du travail des parlementaires, pour le bien de nos institutions et surtout de la démocratie.
L'amendement no 20 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 1er, amendé, est adopté.
Si nous avions supprimé l'alinéa 4 de l'article 1er, la liberté de manifester n'aurait été rétablie que le 10 juillet prochain. Le présent amendement vise à rétablir cette liberté sans délai : le retour immédiat à l'état de droit est impératif, il ne faut pas attendre le 10 juillet.
L'amendement no 30 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement, dont j'ai parlé il y a quelques minutes, vise à prolonger l'état d'urgence au-delà du 10 juillet
à Mayotte et en Guyane, où le virus circule encore. Il pourra y être mis fin par décret dès que la situation redeviendra normale ; à ce moment-là, l'article 1er du projet de loi s'y appliquera.
Cette proposition peut surprendre car elle ne va pas dans le sens d'un rétablissement de la situation normale, mais, je le répète, peu de choses fonctionnent normalement à Mayotte et en Guyane. Ce n'est pas nécessairement le fruit du hasard : la circulation du virus n'a pas pu y être coupée car ces deux territoires souffrent de nombreux autres problèmes, que nous ne cessons de dénoncer dans cet hémicycle, mais qui n'ont pas été résolus.
En dressant ce constat, je n'accuse personne, étant conscient des efforts réalisés par les uns et les autres. Néanmoins il faut aller plus loin dans le traitement des sujets économiques et budgétaires, mais également des questions relatives au développement des infrastructures et des équipements publics, à l'éducation et à la formation. Tous ces éléments ont convergé pour produire la situation actuelle.
Je suis très favorable à l'adoption de cet amendement et j'espère, au risque de me répéter, que tout sera mis en oeuvre pour mieux accompagner ces territoires et parvenir à ce que la situation actuelle ne perdure pas. L'amendement proroge l'état d'urgence jusqu'au 30 octobre à Mayotte et en Guyane ; j'espère que nous parviendrons à normaliser la situation avant cette date, mais cela demandera un gros effort des membres du Gouvernement, que je remercie par avance.
Comme mon collègue Serville, je tiens à souligner la particularité de la situation et la spécificité des difficultés de Mayotte et de la Guyane, voire de l'ensemble des outre-mer ; comme je le disais à l'instant, j'en ai parlé cet après-midi avec Mansour Kamardine, député de Mayotte.
Le dispositif que vous souhaitez mettre en place dans ce texte, que nous combattons, devrait vous permettre de gérer la situation dans ces deux territoires. Avec le texte qui sera vraisemblablement adopté dans quelques minutes, vous pourrez restreindre la liberté de circulation et celle de manifestation, et maintenir une forme d'état d'urgence. Ce maintien ne m'apparaît pas nécessaire, contrairement à la conclusion de M. Serville, avec laquelle je suis en désaccord.
Il existe du reste d'autres difficultés, notamment à Mayotte, à cause sans doute de l'insularité et d'une immigration très mal maîtrisée : les allées et venues sont incessantes ; la population réelle est environ deux fois supérieure à la population officielle ; les contrôles sanitaires ne tiennent pas ; enfin, malgré les efforts importants de l'État, que je souligne, il manque encore beaucoup de moyens.
La différenciation se justifie pour des raisons sanitaires mais le maintien de l'état d'urgence sanitaire nous paraît trop radical, alors que le texte pourrait aussi s'appliquer sur ces territoires, avec des aménagements.
L'amendement no 82 est adopté.
Je ne veux pas allonger inutilement les débats mais je tiens à intervenir sur cet article.
La version actuelle du texte diffère quelque peu de celle du conseil des ministres : je reconnais que Mme la rapporteure a fait des efforts pour tenter de trouver un équilibre, mais celui-ci est difficile à obtenir sur la conservation des données.
Il y a surtout une rupture complète avec le résultat des négociations laborieuses et complexes, en commission mixte paritaire, sur le texte de la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Mme la rapporteure elle-même avait finalement reconnu que la durée de trois mois de conservation des données à caractère personnel était pertinente, proportionnée, compte tenu des circonstances, équilibrée et cohérente avec les finalités des traitements informatiques et numériques. Or l'article 2 rompt avec ce cadre protecteur. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le Conseil constitutionnel lui-même : appelé à se prononcer sur le texte prorogeant l'état d'urgence, il a rendu une décision importante, le 11 mai, dans laquelle il a estimé, à juste titre et pour la première fois, que le traitement des données de santé nécessitait une vigilance particulière et que leur durée de conservation devait être la plus réduite possible. Si l'amendement de la commission des lois est adopté, nous allons rompre l'équilibre : la durée de conservation ne sera plus proportionnée ni adaptée, et ne répondra plus aux finalités définies dans la loi prorogeant l'état d'urgence.
Il vise en effet à supprimer l'article 2, pour une raison toute simple : le Gouvernement souhaite revenir sur des engagements pris au Parlement, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Comme l'a excellemment rappelé M. Gosselin à l'instant, ces engagements avaient également été pris auprès des professionnels de santé, particulièrement des médecins généralistes, à tel point, vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le ministre, que l'ordre des médecins a affirmé, il y a moins de quarante-huit heures, que le Gouvernement revenait sur des décisions. J'avancerai plusieurs arguments.
Premièrement, s'agissant de la conservation et de l'utilisation des données, lors de la création du fichier SIDEP – système d'information et de dépistage – et de celui d'AmeliPro, les professionnels de santé avaient accepté d'y participer, sous réserve que les données de santé soient détruites après utilisation. Or vous revenez à présent sur cette condition, opérant une rupture avec les engagements pris auprès des professionnels de santé. Le respect du secret médical et la protection des données de santé des personnes concernées sont en jeu.
Deuxièmement, l'article 2 renvoie de surcroît à un décret, alors que ce débat doit avoir lieu au Parlement ! Comme l'a rappelé à l'instant M. Gosselin, ce sujet est susceptible de présenter un aspect constitutionnel. Il est hors de question de le traiter dans un décret.
Troisièmement, il est absolument incompréhensible que le Gouvernement revienne sur ses engagements, alors même que la pandémie recule !
Ces sujets sont suffisamment importants pour que nous ne les prenions pas à la légère. On nous opposera des enjeux de recherche, mais il en est d'autres, notamment la liberté et la protection des données individuelles, avec lesquels on ne peut pas transiger, sans quoi l'on se met en rupture avec plusieurs principes essentiels. C'est pourquoi il faut supprimer l'article 2.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 12 .
La durée de conservation de certaines données à caractère personnel avait suscité, chacun s'en souvient, de nombreuses réactions, dans notre hémicycle comme parmi les Français en général. En plein coeur de l'épidémie, nous avions concédé une entorse au principe de la protection de la vie privée, au nom de la nécessité de préserver notre santé publique. Dans la situation qui prévaut désormais, une extension de ce régime dérogatoire semble inappropriée, pour plusieurs raisons.
La première raison est, sans nul doute, l'extrême réserve du Conseil constitutionnel. S'il avait validé, dans un contexte de tension sanitaire bien particulier, l'instauration d'un fichier numérique permettant de dresser la liste des malades du covid-19, il avait toutefois émis des réserves sur la préservation des données privées.
La deuxième raison repose sur le fait que la concession susmentionnée a été accordée au motif qu'elle était de courte durée.
La troisième raison, c'est que le contexte a radicalement changé : le virus n'a pas disparu mais il semble sous contrôle ; dans ces conditions, prolonger la conservation de certaines données privées porte atteinte à l'équilibre adopté précédemment et aux engagements pris auprès des professionnels de santé, comme vient de le rappeler M. Hetzel.
La quatrième raison est la suivante : la mise en oeuvre des dispositions concernées est en partie inconnue puisque leur application sera définie par décret.
La dernière raison est la plus grave, me semble-t-il, même si elle ne concerne pas directement le présent texte, mais l'application StopCovid : Gaëtan Leurent, chercheur français en cryptographie de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, a découvert et dévoilé que tous les contacts croisés pendant les quatorze derniers jours avaient été envoyés au serveur central hébergeant les données relatives à StopCovid. Pourtant, Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a indiqué que les données ne sont collectées que si deux personnes se croisent pendant une certaine durée et à une distance rapprochée.
Je termine, monsieur le président. Nous aimerions non seulement obtenir des éclaircissements à ce sujet mais également abroger ce mécanisme, car il y a là, me semble-t-il, rupture de confiance ; or, s'il y a rupture de confiance au sujet de l'application StopCovid, tel peut aussi être le cas s'agissant de l'article 2.
Nous pensons que la prolongation de la durée de conservation des données collectées n'est pas une décision anodine.
Par ailleurs, compte tenu des révélations rappelées à l'instant par notre collègue Ménard, il nous semble que la prudence s'impose. Au demeurant, il est assez savoureux que ce soit un chercheur de l'INRIA, organisme ayant mis au point l'application StopCovid, qui ait révélé que les données sont collectées tous azimuts puis stockées dans un serveur central, même si l'interaction a lieu à plus d'1 mètre de distance et pendant moins de quinze minutes. Ce n'est pas tout à fait ce que l'on nous avait vendu, mes chers collègues ! S'il peut arriver que la situation justifie que l'on prenne des risques, voire que l'on joue les apprentis sorciers, point trop n'en faut.
Nous risquons d'aboutir à une situation ubuesque : non seulement l'application StopCovid n'aura eu aucun intérêt du point de vue sanitaire, mais elle aura en outre considérablement exposé nos concitoyens du point de vue de leur vie privée. Nous proposons, par prudence, de supprimer l'article 2.
Dès l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, nous avons demandé des masques et des tests gratuits, pas la mise en place d'une société du contrôle et du tracking généralisés. Mais le présent texte, comme les précédents, n'en tient aucun compte.
Au contraire, l'article 2 prévoit d'allonger la durée de conservation des données collectées dans le cadre des systèmes d'information mis en oeuvre pour lutter contre l'épidémie. Dans le détail, il permet, comme cela a été dit, de prolonger au-delà de trois mois la durée de conservation de certaines données, dans une limite de six mois. Nous avons déjà alerté sur ce point, rappelant qu'accepter la création de ce type de fichiers équivaut à ouvrir une boîte de Pandore. Avec l'article 2, nous faisons un pas de plus sur la pente glissante de la marchandisation des données collectées sur le Health Data Hub.
Par ailleurs, le compte rendu du conseil des ministres du 10 juin précise que les données collectées par StopCovid sont exclues de cette prolongation. Quelles garanties avons-nous ? Précisons que StopCovid a été activée par seulement 2 % de la population, pour un coût mensuel d'environ 100 000 euros, prélevés sur le budget de l'État. Du reste, l'hébergeur de l'application est une filiale du groupe Dassault, et l'association Anticor s'est alarmée de cette situation auprès du Parquet de Paris, craignant un risque de surfacturation, en raison de l'absence de marché public.
Plus récemment encore, un chercheur de l'INRIA a découvert que l'application collecte les identifiants de quiconque croise son utilisateur.
Dernière opposition, et non des moindres : celle de l'Ordre des médecins, qui s'oppose absolument à la prolongation de la conservation des données.
Le temps met inexorablement au jour vos mensonges accumulés, monsieur le ministre ; en voici un de plus ! Depuis plusieurs semaines, vous avez fait des promesses, la main sur le coeur, selon lesquelles tout cela n'aurait pas lieu. Les faits prouvent le contraire : tout ce que vous promettez n'est que mensonge.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 51 .
Je souhaite ajouter quelques observations à mon intervention sur l'article.
L'encre de la loi du 11 mai 2020 est à peine sèche que déjà on passe à autre chose. Il ne s'agit pas d'un article anodin puisque sa rédaction est directement inspirée par le conseil des ministres de mercredi dernier – même si l'article 2 présenté par le Gouvernement a été modifié et modulé, sur le fond, cela ne change pas la donne. Voilà qui montre la durée que le Gouvernement entend donner à ses engagements : quand il dit s'engager pour l'avenir, en l'espèce, cela vaut du 11 mai dernier à aujourd'hui ! Tout cela ne laisse pas d'inquiéter s'agissant d'autres sujets.
Par ailleurs, j'aimerais évoquer à mon tour l'article publié par Mediapart et repris par Le Monde, selon lequel un chercheur de l'INRIA a découvert que le dispositif StopCovid est bien plus intrusif qu'annoncé, notamment ici même par le secrétaire d'État Cédric O, la main sur le coeur. Non seulement ce dispositif est bien plus intrusif qu'annoncé, quoi qu'on en ait dit, mais il faudrait de surcroît que la durée de conservation des données soit plus longue ! Ce n'est guère compréhensible.
Mme la rapporteure a bien compris qu'il y a là une difficulté. Elle a donc présenté un amendement visant à exclure certaines données de santé du dispositif. « Vigilance », avait dit le Conseil constitutionnel ; pourtant, dans son avis du 11 mai dernier – très récemment, donc – , il dit en substance : soyez sans crainte ; l'article 2 est totalement réécrit et fait la distinction entre les données anonymisées, dont l'identification est irréversiblement supprimée, et les données pseudonymisées. Dont acte. Sauf que, par définition, les données pseudonymisées ne sont pas des données anonymisées. Cela signifie que l'opération est réversible : on peut, avec des données pseudonymisées, moyennant certains processus, retrouver l'identité des personnes concernées ; …
… cela signifie que l'anonymat n'est pas garanti, que les données d'un individu, utiles et utilisées, pourront être totalement reliées à son identité, ce qui constitue un véritable non-sens et une mesure inconstitutionnelle.
Il vise également à supprimer l'article 2.
La conservation des données de santé, je le répète à mon tour, pose un sérieux problème de confidentialité et porte manifestement atteinte à la vie privée des Français – l'article du Monde précité, relatif à l'application StopCovid, en fournit une nouvelle démonstration. De nombreuses protestations se sont déjà élevées parmi eux, qui s'inquiètent de plus en plus de l'utilisation des données récupérées en raison de la crise sanitaire. Elles devaient être détruites ; voilà qu'elles seront conservées.
Lors des précédents débats sur ce sujet, nous avons entendu dire que leur conservation devait être strictement proportionnée à la durée de la crise. Or, de toute évidence, celle-ci semble s'achever, rendant nul tout argument en faveur d'une prolongation de la durée de leur conservation. Celle-ci est donc inadéquate, en plus d'être dangereuse, compte tenu de l'usage qui peut en être fait.
Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article 11 de la loi no 2020-546 du 11 mai 2020, après lequel doit être inséré l'article 2 du présent texte, dispose : « Les données à caractère personnel collectées par ces systèmes d'information à ces fins ne peuvent être conservées à l'issue d'une durée de trois mois après leur collecte. » Pourquoi arrêter une règle à la première phrase de l'alinéa si c'est pour la transgresser dès la seconde ?
Par ailleurs, la mise en oeuvre d'une telle prolongation reste éminemment floue, dans la mesure où seul le Conseil d'État décidera des finalités du traitement des données. L'article ne fait mention d'aucune date ni d'aucune durée, créant une insécurité juridique alarmante et écartant le Parlement de tout contrôle effectif de la méthode employée, ce qui est proprement nocif pour l'équilibre de nos institutions.
Enfin, s'agissant de la méthode employée, l'inscription dans le droit commun de mesures d'exception devient éminemment inquiétante. Nous savons qu'à l'expiration de ce nouveau délai, un prétendu nouveau motif viendra une nouvelle fois justifier la prolongation de la conservation des données, transposant ainsi dans le droit commun des mesures censées être exceptionnelles.
Cet article pose problème ; il doit être supprimé.
Brouhaha.
L'attention de tous est en effet nécessaire. Je serai brève, plusieurs orateurs ayant d'ores et déjà avancé les arguments en faveur de la suppression de l'article 2. M. Gosselin a été particulièrement brillant sur la définition des termes de l'article ainsi que sur la distinction entre pseudonymisation et anonymisation des données.
Nous sommes parvenus à un accord en commission mixte paritaire. Revenir en arrière constitue une forme de déni du parlementarisme.
Par ailleurs, les données personnelles dont il est ici question sont des données de santé, donc des données sensibles, protégées par deux textes : la loi informatique et libertés de 1978 et le RGPD – règlement général sur la protection des données – , dont nous avons voté la transposition dans cet hémicycle.
Afin d'être certaine de ne pas commettre d'erreur, je vais lire une disposition : « Les données à caractère personnel doivent être [… ] conservées [… ] pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. »
C'est pour cela que la mesure proposée par le Gouvernement est conforme !
Le groupe Écologie démocratie solidarité estime que la conformité aux finalités n'est pas respectée. Il y a là un excès, …
… ce qui porte atteinte à nos libertés individuelles. C'est pourquoi nous présentons cet amendement, visant à supprimer l'article 2.
Il s'agit du dernier amendement de suppression de l'article. Pour ma part, je ne crois pas à cette solution technique, à cette start-up, cette « novtechnique ».
Comme si la technique, dans notre monde, allait tout régler. En général, la technique ne règle rien ; elle crée de nouveaux problèmes. On pourrait citer bien d'autres exemples : dans les années 60, on a cru qu'il convenait de répandre des produits chimiques dans les cultures pour tuer les mauvaises herbes, et on a inventé un pesticide pour chaque plante dont on ne voulait pas ; à présent, on voit bien les dégâts dont ils sont la cause.
Ainsi, la technique ne saurait résoudre certains problèmes humains, parmi lesquels la pandémie que nous vivons. Croire le contraire, c'est faire preuve d'une grande naïveté, et cela risque de nous mener, en fin de compte, à la société décrite par Aldous Huxley dans laquelle on nous suit à la trace.
Pour ma part, ayant voté contre la mise en oeuvre de l'application StopCovid, il va de soi que je suis opposé à l'article 2. Nous avons appris par la presse qu'elle stockerait des informations en nombre bien plus important qu'annoncé. Je conseille donc à nos concitoyens de désactiver la fonction Bluetooth de leur appareil : lis seront plus tranquilles !
Quel est l'avis de la commission sur cette série d'amendements identiques ?
La commission a longuement débattu de ce sujet et largement modifié l'article 2. Elle a considéré que les données identifiantes ne pourraient être conservées que pour une durée de trois mois après la collecte, conformément au choix effectué en CMP. En revanche, elle a estimé que les données à cratère personnel pseudonymisées pourront être conservées pendant six mois après la fin de l'état d'urgence dès lors qu'elles seront utilisées uniquement à des fins de recherche.
Si nous adoptions les amendements et supprimions par conséquent l'article, nous nous priverions des moyens de connaître un peu le virus et la façon dont il se propage, alors même que les données sont recueillies avec le consentement des personnes et ne sont pas identifiantes.
En commission, l'argument a été soulevé selon lequel les données seraient pseudonymisées et non anonymisées, permettant ainsi une identification si certaines sécurités n'étaient pas assurées ; je m'étais engagée, monsieur Gosselin, à vous apporter un éclairage sur ce point. La pseudonymisation est le mécanisme le plus fréquent en matière de recherche : les données du système national des données de santé sont pseudonymisées. Cela ne signifie pas qu'il n'y a aucun risque et qu'aucun contrôle n'est nécessaire. C'est la raison pour laquelle la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions dispose _que les données utilisées pour la surveillance épidémiologique et la recherche pouvaient être collectées sous réserve de supprimer les noms et prénoms des personnes, leur numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques et leur adresse. C'est aussi le motif pour lequel a été créé le comité de liaison. La CNIL est également très impliquée en la matière.
Je conclurai en soulignant qu'aucun système d'information traitant des données personnelles ne présente aucun risque.
Je suis sur ce point tout à fait d'accord avec vous, et prétendre le contraire serait contreproductif. Mais il nous faut trancher une question fondamentale par le vote de cet article : voulons-nous, oui ou non, que la France puisse effectuer des recherches sur ce virus en temps utile ?
Considérons-nous, oui ou non, que le recueil du consentement des personnes, la reconnaissance d'un droit d'opposition et d'effacement à leur profit, la pseudonymisation, le contrôle de la CNIL et du Parlement, et une durée de conservation ne pouvant aller au-delà de janvier 2021, constituent un ensemble de garanties suffisamment protectrices pour les personnes concernées ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre. Pour ma part, je pense que la limitation à la finalité de recherche et de surveillance épidémiologique, accompagnée des garanties que j'ai rappelées, sécurise fortement la rédaction de l'article 2…
… et permet d'atteindre le délicat équilibre entre intérêt général et protection de la vie privée des personnes concernées. Par conséquent, mon avis sera défavorable.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Monsieur Molac, monsieur Saulignac, monsieur Prud'homme, madame Thill et d'autres encore, vous avez fait le lien dans votre intervention entre StopCovid et l'article 2. Je suis tenté de vous demander si vous seriez prêts à retirer votre amendement si StopCovid ne faisait pas partie des systèmes d'information dont les données sont collectées. Sachez que StopCovid n'est pas concernée par l'article 2, pour deux bonnes raisons : elle ne figure pas parmi les applications visées, à savoir le SIDEP et Contact covid ; la collecte des données y garantit l'anonymat d'un bout à l'autre.
Or, pour pseudonymiser des données, encore faudrait-il que celles-ci ne soient pas déjà anonymes. Sur la foi de mes explications, quatre amendements au moins devraient donc être retirés.
Il me reste quelques arguments aussi, je n'ai pas terminé.
Vous étiez de ceux, monsieur Gosselin, qui souhaitaient faire du coronavirus une maladie à déclaration obligatoire, si je ne me trompe. Or, pour les maladies à déclaration obligatoire, le stockage des données peut durer jusqu'à vingt-cinq ans – vingt-cinq ans pour la tuberculose, plusieurs années pour la dengue et le chikungunya. Lors de l'examen de la prorogation de l'état d'urgence, je vous avais invité, sous forme de taquinerie, à déposer une proposition de loi visant à supprimer toutes les bases de données des maladies chroniques ou des maladies infectieuses à déclaration obligatoire. Si le stockage pendant quatre mois de données pseudonymisées sur une maladie virale qui a fait près de 30 000 morts dans notre pays vous effraie, qu'en est-il de la conservation pendant vingt-cinq ans de données sur des maladies comme la tuberculose ? Je vous provoquais ; je serais évidemment défavorable à une telle proposition de loi. Il s'agissait seulement de vous rappeler que les données non anonymisées liées au covid-19, en tant que maladie à déclaration obligatoire, pourraient être stockées pendant vingt-cinq ans. Ce n'est pas le choix que nous avons fait.
En réponse aux nombreuses remarques sur la CMP, j'appelle votre attention sur le fait que le Gouvernement n'y participe pas. À moins d'ignorer le respect du Parlement, il ne peut donc pas prendre d'engagement dans ce cadre, et c'est tout à fait normal.
Rires et exclamations sur les bancs des groupes LR et GDR.
Je n'étais pas en liaison téléphonique avec la CMP ! Le Gouvernement a néanmoins entendu les remarques des parlementaires. En CMP, vous avez discuté de la conservation de données nominatives et non de données pseudonymisées. Il ne s'agit donc pas d'une négation du travail respectable des parlementaires dans le cadre de la CMP, à moins de considérer que « MB72 » possède la même valeur d'identification que Marie Balache habitant dans la Sarthe.
J'endosse un instant l'habit de médecin pour vous dire que pas un seul protocole de recherche ne repose pas sur des données pseudonymisées. Telle est la vie de la recherche clinique ! Pour le coronavirus, il faudrait instaurer des règles qui ne s'appliquent pour aucune maladie ni dans aucun protocole de recherche, et désarmer – sans tomber dans la provocation, car je sais que certains veulent désarmer la police – les soignants et les épidémiologistes ! Nous avons besoin des données ! Imaginons que, par le plus grand des malheurs, en septembre, l'épidémie reparte, car on n'est pas sûrs du contraire : je devrais dire aux épidémiologistes, ceux qui se cassent la tête depuis des mois pour faire des statistiques, savoir où nous en sommes sur la courbe, afin que nous adaptions notre arsenal et adoptions les justes réponses : « Désolé, je n'ai plus les données, …
… tout a été jeté ; je suis dans l'incapacité de connaître le nombre de cas positifs dans telle commune ou le nombre de cas contacts dans tel départemen. Désolé, les parlementaires ne voulaient pas garder des données pseudonymisées, non identifiantes pendant quatre mois ; on a tout perdu. » Mesdames, messieurs les députés qui vous apprêtez à voter pour les amendements, j'attends, en cas de reprise épidémique, les procès en impréparation et en amateurisme.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Prenez vos responsabilités ! Votez pour les amendements de suppression, mais – j'accentue un peu le trait – ne venez pas nous dire ensuite que vous aidez le Gouvernement, les soignants, les épidémiologistes, les chercheurs de ce pays à lutter avec efficacité contre l'épidémie.
Prenez vos responsabilités mais ne faites pas de procès dans quatre ou six mois.
Je pense avoir répondu aux questions de fond. Je rappelle que les données seront supprimées. Elles sont pseudonymisées trois mois après avoir été collectées. Il n'est pas inintéressant de savoir que des personnes ont été contaminées à Sarcelles à un moment donné. C'est vraiment utile pour les chercheurs et les épidémiologistes ; cela ne l'est pas pour le ministre de la santé ou le Premier ministre. Cela n'aboutit à aucune limitation des libertés. Nous ne sommes pas dans un univers du tout contrôle ; nous pourrions avoir ce débat mais, dans ce cas, parlons des GAFA – les géants du numérique – et de toutes les applications sur vos téléphones. Soyons honnêtes, regardons la situation comme elle est : il n'est question ici que de sécurité sanitaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention, et il y a un argument que vous n'avez pas démonté. il faut replacer les choses dans leur contexte. Les médecins ont alimenté des bases de données qui obéissaient à des règles précises en matière de conservation des données. Or vous faites voler en éclats les règles qui avaient été annoncées. Il s'agit d'une rupture de confiance majeure avec les médecins.
Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Lorsque le ministre des solidarités et de la santé, médecin de surcroît, instaure un dispositif avant de renier les règles qui le régissaient, c'est un problème majeur !
Ce n'est plus le ministre mais le politicien qui s'exprime ! Vous oubliez l'intérêt général !
Protestations sur les bancs du groupe LaREM.
Vous oubliez que vous ne vous pouvez pas procéder de la sorte sur un sujet pareil. L'Ordre des médecins vous a d'ailleurs mis en garde, en début de semaine, contre ce qu'il estime constituer une rupture majeure ! Assumez-vous une telle rupture avec les médecins généralistes de ce pays ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je remercie M. Hetzel d'avoir rappelé que l'Ordre des médecins s'oppose à cet article, comme je l'ai fait en défendant mon amendement de suppression.
Monsieur le ministre, nous ne sommes pas des élèves à qui vous donnez un cours magistral.
Sur StopCovid comme sur le reste, j'ai déjà évoqué le Health Data Hub, mais vous nous faites des promesses, la main sur le coeur, qui volent en éclats quelques jours ou semaines plus tard. Vous prétendez que l'application StopCovid n'est pas concernée, mais, dans quelques semaines, vous nous direz qu'elle l'est. J'en veux pour preuve que les données ne devaient pas être collectées en l'absence de contact prolongé de plus de quinze minutes. Or il s'avère que tous les contacts sont inscrits dans la base de données. Tout le monde, y compris l'Ordre des médecins, vous reproche de raconter des balivernes.
Madame la rapporteure, arrêtez votre couplet sur la recherche, je vous en prie ! Les bras m'en tombent ! Le professeur Bruno Canard, directeur de recherche du CNRS à l'université d'Aix-Marseille, qui travaillait sur le SRAS, a été privé de subsides de l'État en 2013 ; en 2020, on s'aperçoit qu'il aurait fallu donner de l'argent public à la recherche sur ce coronavirus car celle-ci nous aurait été utile. Je vous en prie, choisissez mieux vos arguments ; vous en faites trop et ce n'est pas crédible.
L'amendement no 67 vise à raccourcir encore le délai de conservation des données en proposant deux mois au lieu de trois, ce qui constituerait une limite raisonnable.
L'amendement no 63 vise à circonscrire les données collectées, qui sont sensibles, à celles « strictement nécessaires à l'application des dispositifs du présent article ».
Les intéressés doivent avoir la possibilité d'exercer à tout moment leur droit à l'effacement et leur droit d'opposition, qui leur sont reconnus tant par le RGPD que par le décret du 12 mai 2020 relatif aux systèmes d'information.
L'amendement no 76 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour soutenir l'amendement no 69 , tendant à supprimer l'article 3.
Cet amendement, que je soutiens au nom de ma collègue Nicole Sanquer, députée de Polynésie française, vise à critiquer l'article 3 tant sur le fond que sur la forme.
Premièrement, cet article a été introduit par voie d'amendement, sans que l'ensemble des parlementaires du Pacifique n'aient été associés.
Deuxièmement, cette méthode fait écho aux dispositions relatives à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires introduites dans un projet de loi sans rapport immédiat avec cette question, que ma collègue avait découvertes le jour même de sa publication. La compétence en matière de mise à l'isolement et de quatorzaine, en Polynésie française, revient au haut-commissaire de la République. Cependant, le coût de ces mesures, qui représente 3 100 euros par quatorzaine et par personne, incombe au pays. Si la compétence est celle de l'État, il lui revient d'en assumer la charge financière.
Troisièmement, le dispositif prévu à l'article 3 aurait été satisfait si le haut-commissaire avait exercé son contrôle de légalité, comme il était légitime de l'escompter. Lorsque l'Assemblée de Polynésie française a adopté la loi de pays sur la prévention et la gestion des menaces sanitaires graves, octroyant ainsi au gouvernement de Polynésie française le droit d'édicter des mesures restrictives de libertés, le haut-commissaire aurait pu relever le conflit de compétences en effectuant son contrôle de légalité sur le fondement de l'article 14 de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, cet amendement vise à critiquer la manière dont le dispositif prévu à l'article 3 est présenté, ainsi que le conflit de compétences entre l'État et le pays dans la gestion de la crise sanitaire.
Je terminerai en précisant que cet amendement n'est pas contradictoire avec ceux de mes collègues calédoniens, …
… que je serai amené à soutenir en leur nom : Nicole Sanquer y adhère. Ceux-ci tendent à affirmer la compétence des autorités sanitaires locales en matière de mise à l'isolement et de gestion des quatorzaines.
Le Conseil d'État estime, dans son avis portant sur l'avant-projet de loi : « Si la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont compétentes en matière de santé, les mesures créées par le projet de loi se rattachent à la garantie des libertés publiques qui relève de la compétence de l'État ». Sur ce fondement, la compétence des hauts-commissaires de ces collectivités me paraît justifiée. C'est pourquoi je rendrai un avis défavorable à votre amendement.
Il convient de rappeler que, depuis le début de la crise et de la gestion de la pandémie, le travail accompli en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, de concert entre les hauts-commissaires et les gouvernements, a permis d'adapter les mesures prises au niveau national, dans le respect des compétences de chacun.
En l'espèce, l'article 3 prévoit une articulation entre la réglementation des libertés publiques, qui relève de la compétence de l'État, et celle de la santé, qui revient au pays. Ainsi, que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, les hauts-commissaires, après avis des autorités sanitaires, ont la possibilité de prendre certaines décisions.
Je note que la visée de cet amendement de Nicole Sanquer est contraire à celle de l'amendement de Philippe Dunoyer que nous examinerons jute après : le premier amendement tend à conférer l'ensemble des compétences à l'État, quand le second vise à les accorder en totalité aux gouvernements des collectivités du Pacifique. En ce qui nous concerne, notre position est de respecter les compétences de chacun.
L'avis est défavorable.
J'entends les arguments de Mme la rapporteure et de Mme la ministre. Un élément me paraît tout de même essentiel dans l'argumentaire que j'ai exposé au nom de Nicole Sanquer : les députés du Pacifique n'ont pas été associés lorsque vous avez déposé l'amendement à l'origine de cet article 3. J'estime que cela aurait été la moindre des choses ; compte tenu du contexte géographique quelque peu spécifique, vous auriez pu avoir la délicatesse – le terme me paraît convenir – de les associer.
L'amendement no 69 n'est pas adopté.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour soutenir l'amendement no 55 .
Cet amendement, que je défends au nom de mes collègues Philippe Dunoyer et Philippe Gomès, vise à réécrire l'article 3 afin qu'il tienne mieux compte de l'articulation des compétences en matière de santé publique et de contrôle sanitaire aux frontières, dans ces territoires qui ont jusqu'à présent été plutôt épargnés par l'épidémie. Pour ce faire, il est proposé de laisser aux autorités locales le pouvoir de prendre les dispositions nécessaires en lieu et place du haut-commissaire. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française auraient ainsi la possibilité de prendre des mesures plus contraignantes que celles prévues dans le code de la santé publique s'agissant de la durée de la quarantaine, de sa prolongation et du lieu où elle est effectuée.
Vous l'avez dit vous-même, madame la ministre, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie sont des territoires spécifiques qui n'ont pas été touchés de la même manière que la France métropolitaine. Il serait donc de bon aloi de leur confier ce type de décisions.
Il est défavorable, pour les mêmes raisons que sur l'amendement précédent.
Je dirai deux choses.
D'abord, depuis le début de la crise, les hauts-commissaires travaillent avec les gouvernements des collectivités du Pacifique, ainsi qu'avec les différentes instances compétentes. J'estime nécessaire de le rappeler, d'autant que, jusqu'à présent, cela a bien fonctionné.
Ensuite, s'agissant de votre remarque selon laquelle les parlementaires n'auraient pas été associés à la rédaction du texte, je ne veux pas laisser penser que nous n'aurions pas eu de contacts réguliers avec eux. En l'espèce, si nous ne l'avons pas fait, c'est parce que nous reprenons exactement les mêmes dispositions que celles figurant dans la loi d'urgence du 23 mars 2020. Il n'y avait donc pas de nouvelles négociations et de nouveaux échanges à tenir ; nous sommes dans la continuité de ce que nous avons fait depuis le début de la crise.
Je suis très heureux que vous fassiez le parallèle avec la loi d'urgence et que vous disiez avoir repris exactement les dispositions qui s'y trouvaient. Cela prouve bien que nous sommes dans une continuité qui n'a pas lieu d'être : il aurait convenu soit de maintenir l'état d'urgence, soit de revenir à un fonctionnement normal. Par vos paroles, vous montrez bien que le Gouvernement essaie d'introduire une troisième voie, en prolongeant l'état d'urgence mais sans le nommer ainsi.
Mais non ! Vous n'avez pas tout compris !
L'amendement no 55 n'est pas adopté.
L'amendement no 78 rectifié de Mme Marie Guévenoux est de coordination.
L'amendement no 78 rectifié , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
L'article 3, amendé, est adopté.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour soutenir l'amendement no 59 .
L'amendement no 59 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
N'ayant pas reçu de demande d'explication de vote, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Le projet de loi est adopté.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer ;
Discussion de la proposition de loi de programmation pour l'hôpital public et les EHPAD ;
Discussion de la proposition de résolution visant à mettre en place un revenu étudiant ;
Discussion de la proposition de contribution des hauts revenus et hauts patrimoines à l'effort de solidarité nationale ;
Discussion de la proposition d'instauration d'une garantie salaire-formation au service de la transition écologique et sociale de l'économie ;
Discussion de la proposition de résolution visant à rendre l'accès aux masques gratuit.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures dix.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra