Nous nous préoccupons tous de l'avenir de notre jeunesse, et votre proposition le rappelle avec force – c'est là sa première vertu. Muriel Pénicaud, Bruno Le Maire et Gabriel Attal travaillent d'ailleurs à un plan global pour les jeunes, qui sera présenté avant l'été. Votre proposition de résolution vient utilement enrichir le débat que nous devons aux jeunes, et notamment aux étudiants, dont la précarité économique mais aussi professionnelle, pour ne pas dire, parfois, existentielle, est malheureusement renforcée par la crise.
Il faut agir, c'est une évidence. Il faut aussi faire preuve d'audace, d'une audace historique, le genre d'audace qu'on prête généralement à la jeunesse – dont nous ne sommes plus vraiment, mais qu'importe : comme le disait Jean Cocteau, l'audace se forme en marge des audacieux, et on trouve audacieux un homme qui prolonge une vieille audace ! C'est en effet une vieille audace que vous prolongez avec cette proposition de revenu étudiant, après le député Henri Wallon, qui soumit cette idée en 1947. Comme vous le rappelez justement, il y a une certaine nostalgie dans cette résolution.
Je partage avec vous deux convictions. Ainsi, je suis convaincue que c'est maintenant qu'il faut agir. Comme en 1945, nous affrontons un enjeu historique de reconstruction nationale, et devons faire preuve d'une audace tout aussi historique en matière de solidarité et de lutte contre la pauvreté, notamment parmi les jeunes et les étudiants. Comme vous aussi, je suis convaincue qu'il faut repenser la façon dont notre société permet à chacun d'être un citoyen actif et de voir sa contribution au vivre ensemble reconnue à sa juste valeur. Les étudiants apprennent, se forment, travaillent, s'engagent bénévolement, parfois militent. Une vie étudiante, quand elle est rendue possible par un minimum de moyens matériels, est une vie pleine, riche d'activités multiples, toutes créatrices de valeur économique, humaine, écologique et citoyenne. Les étudiants apportent beaucoup au pot du vivre ensemble, mais en retour, sont-ils équitablement reconnus, voire rémunérés ? Comme vous, je pense que non. Ce qui soulève, au-delà des étudiants, la question de la reconnaissance de l'engagement actif de chacun dans la société.
Pour autant, le revenu étudiant est-il la solution ? Je ne le crois pas. Pour me justifier, je n'avancerai pas, en bonne élève de la majorité, des arguments budgétaires : je ne vous dirai donc pas que la restauration de l'impôt de solidarité sur la fortune ou la hausse des cotisations patronales sont des solutions insatisfaisantes ou insuffisantes. Après tout, c'est une proposition de résolution, non une proposition de loi ! Je privilégierai donc plutôt l'audace et laisserai répondre l'enfant turbulent en moi, si vous me permettez de paraphraser le célèbre ouvrage d'Henri Wallon, qui était non seulement un grand communiste, mais aussi un grand psychologue, fondateur de la psychologie des plus jeunes.
Si je ne crois pas au revenu étudiant, c'est parce que je ne crois pas à la trompeuse facilité des catégories : je leur préfère la complexité des individus. Je me méfie des politiques publiques qui servent des catégories de Français ou, pire, des clientèles politiques. Le pays a besoin d'unité, et nous devons parler à tous les Français. Nous devons faire vibrer en eux un destin commun, tout en leur rendant la maîtrise de leurs destins individuels – et ce, au-delà des communautés d'appartenance, y compris d'âge. La nouvelle solidarité que nous devons bâtir au sortir de la crise doit être universelle et nationale.
Si je ne crois pas au revenu étudiant, c'est parce que je ne crois pas que seuls les jeunes aient besoin d'un revenu d'émancipation. L'émancipation est l'affaire d'une vie : elle peut commencer à 70 ans ! Notre responsabilité est de donner à chaque Français, quel que soit son âge, la liberté de faire son chemin dans la société, d'être protégé en cas de choc et de toujours rebondir, pour entreprendre inlassablement sa vie et devenir qui il est. Voilà mon audace : je ne veux pas donner quelques années d'espérance à des étudiants, je veux donner un horizon de destin durable à tous les hommes et toutes les femmes de notre pays !
Si je ne crois pas au revenu étudiant, c'est parce que je crois au revenu universel, tout simplement. C'est pourquoi je vous adresse aujourd'hui un non, avec une certaine audace, en vous demandant de me donner un oui demain, …