La gouvernance des établissements de santé est au coeur de l'exercice inédit et historique mené en ce moment. Les concertations en cours doivent permettre de tirer toutes les leçons de ces dernières semaines. Comme vous le soulignez, l'une d'entre elles concerne indiscutablement la grande capacité d'adaptation des établissements de santé. Grâce à la mobilisation des soignants, à la levée des freins bureaucratiques et à l'organisation territoriale, le système de santé n'a jamais failli pendant cette crise et les patients ont été pris en charge. Les soignants le disent : ils ont eu le sentiment de s'affranchir de contraintes superflues et de retrouver le goût de leur métier.
La crise a donc bien suscité un choc de simplification, maintes fois espéré et jamais constaté. Il nous faut à tout prix conserver ses bénéfices dans tous les domaines : le fonctionnement interne des hôpitaux, les liens avec les ARS, les ressources humaines. Aller vers davantage de médicalisation de la gouvernance, c'est aller dans la bonne direction. Il est indispensable de permettre aux acteurs de terrain d'identifier leurs besoins de manière concrète et souple.
Votre proposition de loi poursuit cet objectif en ouvrant la possibilité de créer toute activité de soins liée à une crise, comme de convertir ou de regrouper des activités, sans autorisation de l'ARS, le cas échéant après avis du GHT. Il s'agirait également d'intégrer automatiquement les nouvelles implantations ainsi créées au schéma régional de santé, à l'issue des douze mois que dure le dispositif. Vous appelez de vos voeux une plus grande souplesse dans la gestion des autorisations en période de crise sanitaire, que la procédure menée par les ARS n'offrirait pas.
Beaucoup a été dit ces dernières semaines sur les agences régionales de santé, et si certains constats se sont avérés lucides et constructifs, nous avons aussi entendu nombre de jugements aussi hâtifs qu'injustes. Je remercie M. le rapporteur pour ses mots de soutien aux agents des ARS. Ils ont en effet géré la crise sanitaire avec un engagement remarquable. L'organisation administrative de notre système de santé n'est pas une machine froide et désincarnée, elle est faite par des femmes et des hommes dotés d'un sens aigu de l'intérêt général et qui se battent chaque jour pour trouver des solutions à des problèmes d'une complexité que l'on ne soupçonne pas.
La souplesse que vous sollicitez légitimement existe déjà : l'ordonnance du 3 janvier 2018 permet aux ARS de délivrer aux établissements des autorisations dérogatoires en urgence et sans procédure. Cet article a trouvé application avec un arrêté de mars 2020 qui a abouti à l'octroi de 176 autorisations exceptionnelles entre le 22 mars et la mi-avril. Les remontées des ARS et des acteurs de soins montrent que ce dispositif a bien fonctionné pendant la crise sanitaire. Néanmoins, il est vrai que les ARS ont refusé des demandes non qualitatives, ou les ont remaniées, main dans la main avec les établissements, démontrant, si besoin était, l'importance de leur mission de régulation régionale.
Légiférer n'est donc pas nécessaire pour atteindre l'objectif de souplesse souhaité. Ainsi, charité bien ordonnée commençant par soi-même, n'exposons pas les établissements de santé à notre appétit insatiable de nouvelles normes.
En outre, la proposition de loi pose plusieurs problèmes, juridiques et de fond. En n'ouvrant une possibilité qu'aux seuls établissements publics de santé, elle fait courir le risque d'une rupture d'égalité avec les établissements privés. Par ailleurs, il est essentiel que les ARS conservent une vision globale de l'offre de soins sur le territoire, ce que cette proposition de loi n'envisage pas, puisqu'elle écarte tout reporting. Dans ces conditions, le risque d'une multiplication incontrôlée de nouvelles autorisations sur le territoire n'est pas à négliger.
Enfin, le texte prévoit l'intégration d'office des nouvelles implantations et rend ainsi définitives des mesures d'adaptation prises unilatéralement par les établissements, et initialement présentées comme provisoires. De ce fait, l'ARS serait privée de tout pouvoir de régulation pour l'ensemble de la durée du schéma régional de santé. Le dispositif que vous souhaitez instaurer rendrait donc opposables des autorisations et des implantations qui pourraient, après la crise, être jugées inutiles, voire entrer en concurrence avec d'autres implantations, retenues dans la planification territoriale.
Mesdames et messieurs les députés, nous partageons votre souci de rendre aux établissements de santé la maîtrise de leurs besoins et de leur destin. Ils se sont adaptés de manière remarquable, avec rapidité, intelligence et imagination, aux contraintes d'une crise sanitaire sans précédent. Une grande partie des solutions qui ont été trouvées seront pérennisées dans les semaines et les mois qui viennent. La régulation territoriale du système de santé a révélé des faiblesses, c'est vrai, et il nous faut les corriger, mais elle a aussi montré des atouts extraordinaires. L'un d'entre eux est précisément que les établissements peuvent faire face à l'imprévu et composer avec l'imprévisible.
Nous sommes donc sensibles à votre proposition et à son esprit constructif mais, pour des raisons juridiques et pratiques, nous ne pouvons lui être favorables.