La prime à la naissance ou à l'adoption marque le soutien de la société aux familles qui accueillent un enfant en leur sein. Elle témoigne de l'importance accordée à chaque être humain et permet, en quelque sorte, de préparer le nid. Elle doit, à ce titre, être versée avant l'arrivée de l'enfant. Il n'y a pas besoin d'argumenter longtemps pour s'en convaincre : c'est avant l'arrivée de l'enfant qu'il faut engager les frais afférents à l'organisation de son environnement, car il faut être prêt le jour J. Et ce n'est que le début, car il faut des ressources pour accompagner un enfant qui grandit ! C'est d'ailleurs le sens même des allocations familiales.
Pourquoi verser la prime – ou plutôt la prestation, car il ne s'agit pas d'une récompense – après l'arrivée de l'enfant ? C'est injustifiable. Il s'agit d'un de ces artifices budgétaires dont Bercy a le secret ; les apparences sont sauves, mais, concrètement, ce n'est pas sans conséquence. Il est indispensable de rétablir les familles et les enfants dans la plénitude de leurs droits en leur versant la prestation au moment où ils en ont besoin ; à défaut, on fait porter l'effort, pour un maigre bénéfice comptable, sur la trésorerie des familles. Or nombre d'entre elles ne peuvent pas se le permettre.
La prestation doit donc remplir son office, notamment en aidant les familles populaires à appréhender ce changement dans les meilleures conditions et à franchir sans souci supplémentaire cette étape heureuse de leur vie. Connaissant les mesquineries dont Bercy est coutumier, il ne me paraît pas inutile d'honorer non seulement la lettre, mais aussi l'esprit de la mesure initiale, en inscrivant dans la loi que la prestation doit être versée deux mois avant l'arrivée prévue de l'enfant.
Soit dit en passant, l'exemple est symptomatique d'une maladie de longue durée de l'action publique, de la pingrerie d'un État qui a des oursins dans les poches, même pour les nouveau-nés, et qui fait preuve d'une créativité redoutable – qui serait bien mieux employée ailleurs – pour raboter, l'air de rien, les droits établis et les choix politiques effectués ici même.
Le report du versement de la prime à la naissance se justifie par des considérations purement comptables, déconnectées des besoins élémentaires des familles. On nous a dit qu'il fallait équilibrer les coûts, mais je ne comprends pas le sens de cette objection. Qu'y a-t-il à équilibrer, sinon la situation des familles dans ce moment de bonheur, mais aussi, parfois, de fragilité ?
Ce n'est pas tous les jours que l'Assemblée prend de bonnes décisions, et je ne devrais pas bouder cet instant, mais il faut que les choses soient dites, quitte à piquer un peu. Je confesse donc que je regrette que nous devions en passer par une proposition de loi, alors que des amendements déposés en ce sens, y compris par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ont été balayés à trois reprises par des arguments chancelants. Toutefois, cela n'enlève rien au mérite de Gilles Lurton d'avoir défendu avec ténacité cette exigence.
Cette décision est attendue. Depuis le décret pris – faut-il le rappeler ? – par Manuel Valls, le 30 décembre 2014, les associations familiales et le conseil d'administration de la caisse nationale des allocations familiales réclament avec insistance le retour à la normale afin que les familles puissent faire face à leurs dépenses d'équipement. Pour contourner cette difficulté, les caisses d'allocations familiales – CAF – consentent des prêts, financés par leur fonds d'aide sociale, mais encore faut-il que les familles en difficulté se manifestent ou aient été repérées en amont. De plus, ce dispositif dérogatoire oblige les familles à quémander leurs droits, et nombre d'entre elles, à commencer par les plus fragilisées, n'y ont pas recours en raison des efforts demandés.
Le sujet appellerait une réflexion plus vaste sur le service public de la petite enfance. Il reste que les premiers achats de puériculture concernent un équipement souvent très onéreux – poussette, mobilier, sièges auto – , ce qui met en difficulté certaines familles modestes. Il est d'autant plus urgent de revenir au dispositif antérieur que nous traversons actuellement une période de crise aiguë. Nous voterons donc sans hésiter en faveur de la proposition de loi rétablissant dans sa pleine fonction cette prestation destinée à l'accueil de l'enfant – n'en déplaise à Bercy.