Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 25 juin 2020 à 15h00
Éthique de l'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

La période que nous venons de traverser a été particulièrement éprouvante pour nombre de nos concitoyens. Il faut rendre hommage au personnel soignant, qui a fait preuve d'une grande capacité d'adaptation et d'une endurance remarquable malgré son stress et son sentiment de solitude.

Emmanuel Hirsch l'a souligné lorsque nous l'avions auditionné, Monique Iborra et moi-même : les questionnements éthiques ont été foisonnants pendant la crise. Pourtant, ils sont très largement passés à l'arrière-plan pour les décideurs politiques – je l'ai dit à plusieurs reprises dans les médias, mais la proposition de loi me donne l'occasion de le répéter dans cette enceinte.

Au mois d'avril, j'ai travaillé dans un service de réanimation du CHRU de Nancy qui accueillait des malades de la covid-19. Un protocole interdisait à quiconque de voir les personnes défuntes. Ce fut à moi, aide-soignante, de mettre le défunt dans la housse mortuaire, de fermer celle-ci et de la sceller, en me disant que je serais la dernière personne à le voir. Je n'étais pas de sa famille et je ne le connaissais pas. Il y avait sans doute des gens qui auraient aimé lui dire au revoir une dernière fois. Il n'avait pas de bijou, pas d'alliance, rien. J'ai très mal vécu cette expérience, en ayant remis ma blouse, et je ne veux plus jamais la revivre. Je crois que ce protocole était une erreur. Avant d'interdire les rites mortuaires, j'aurais aimé qu'une commission d'éthique soit saisie du sujet. Du fait de mon statut, j'ai eu la chance de pouvoir appeler, dès le lendemain, l'ARS – l'agence régionale de santé – et le directeur du CHRU pour parler de cette expérience douloureuse et difficile. La seule solution qui a été trouvée à la suite de cet épisode – j'en remercie l'ARS et le directeur du CHRU – a été d'assurer la présence d'un psychologue auprès des soignants après chaque décès ; c'était très peu, mais déjà pas mal, du moins pour les soignants.

J'aurais également aimé qu'une commission d'éthique soit saisie du difficile accès à l'IVG – interruption volontaire de grossesse – , du triage, des pénuries de médicaments ou du confinement prolongé des personnes dépendantes. Certains résidents d'EHPAD se sont laissé mourir de tristesse, de désespérance et d'accablement du fait de l'isolement. Nos choix en la matière ne sont pas anodins. Encore aujourd'hui, des familles m'alertent car leur EHPAD ne parvient pas à mettre en place les mesures barrières qui permettraient d'autoriser les visites aux résidents. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail des directeurs d'EHPAD : s'ils interdisent les visites, ce n'est pas parce qu'ils n'aiment pas les familles ou les résidents, mais parce qu'ils ne disposent pas du matériel adéquat pour les autoriser.

La proposition de loi recommande que les situations d'urgence sanitaire n'échappent pas aux questionnements éthiques : les mesures prises pour y faire face doivent être passées au crible d'une réflexion sur la dignité humaine. Sur ce point, un rappel s'impose. Les questions éthiques auraient déjà dû être abordées, avec force et gravité, avant l'épidémie de la covid-19 – je l'ai martelé à plusieurs reprises et je n'ai aucune difficulté à le rappeler de nouveau.

Est-il éthique que les soignants des EHPAD ne disposent que de dix minutes pour faire la toilette, habiller, servir le petit-déjeuner et donner les médicaments à chaque résident ? Est-il éthique que, pour ce faire, ils renoncent bien souvent à leur brosser les dents ou à prévenir l'apparition d'escarres ? Est-il éthique, dans l'une des plus grandes puissances mondiales, que les personnes qui prennent soin des autres battent des records en matière de troubles musculo-squelettiques et d'accidents du travail ? Est-il éthique que nos aides-soignants gagnent à peine le SMIC, tandis que les actionnaires des EHPAD privés lucratifs au sein desquelles ils et elles exercent amassent des milliards d'euros de dividendes chaque année ? Je pourrais continuer à parler longtemps des EHPAD : de la répression sévère qui s'exerce sur les syndicats et les salariés lanceurs d'alerte, du coût exorbitant de l'hébergement payé par les familles, de la déqualification des professionnels et du glissement des tâches.

Je pourrais aussi évoquer les autres services et établissements médico-sociaux que sont les services d'aide à domicile, les MAS – maisons d'accueil spécialisées – et les IME – instituts médico-éducatifs. Mon collègue François Ruffïn vient de remettre son rapport sur les métiers du lien, qui subissent le même sort désastreux que les métiers du soin. Là encore, les situations insupportables sont légions. Veiller à l'éthique en période d'urgence est une nécessité ; encore faudrait-il y veiller en temps normal, hors période de pandémie !

Emmanuel Macron souhaite relancer les secteurs de l'aviation et de l'automobile. Quand se décidera-t-il à lancer un plan d'ampleur en faveur des métiers du soin et du lien ? Aucune éthique ne justifie un tel deux poids deux mesures dans nos politiques publiques.

Pour conclure, parce que le groupe La France insoumise est bien évidemment favorable à ce que les questions éthiques ne soient pas mises de côté en période de crise sanitaire, il votera pour la proposition de loi.

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