Intervention de Benjamin Griveaux

Réunion du mercredi 8 novembre 2017 à 9h05
Commission élargie : finances

Benjamin Griveaux, secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie et des finances :

Mme Peyrol m'a interrogé sur l'encours de la dette. La maîtrise des dépenses de l'État est assurée conjointement par une gestion annuelle plus prudente et plus transparente des crédits budgétaires, notamment grâce à l'adoption de nouvelles normes de dépenses, et par la mise en oeuvre de réformes structurelles de l'action publique dans le cadre du processus « Action publique 2022 ». Un comité Action publique 2022, composé de personnalités qualifiées françaises ou étrangères, issues de la société civile et de la haute fonction publique, mais aussi d'élus locaux, sera chargé d'identifier des réformes structurelles significatives et durables dans l'ensemble du champ des administrations publiques pour faire émerger des idées et des méthodes nouvelles. Plusieurs chantiers alimenteront les travaux du comité et les propositions du ministère seront examinées dans le cadre de travaux qui se feront de manière itérative. Cinq chantiers transversaux seront conduits en parallèle avec les thématiques suivantes : la simplification administrative, à l'évidence propice aux gains en coût et à l'amélioration de la gestion de l'État ; la transformation numérique ; la rénovation du cadre des ressources humaines ; l'organisation territoriale des services publics ; la modernisation de la gestion budgétaire et comptable. En parallèle, un forum de l'action publique permettra d'associer à la fois usagers et agents à la rénovation de nos modes d'intervention publique. Dévoilées au premier trimestre de l'année 2018, les conclusions du comité feront l'objet d'arbitrage sur le fondement desquels les plans de transformation ministériels seront élaborés et mis en place. Par ailleurs, le budget pluriannuel présenté dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 présente un système de norme de dépenses renouvelé avec une norme centrée sur les dépenses pilotables de l'État et un objectif de dépenses totales de l'État, tels que définis à l'article 8 dudit projet de loi. Il réaffirme dans le même temps l'importance du principe de sincérité de la budgétisation initiale. Le corollaire en est qu'en cours de gestion les aléas ou les priorités nouvelles doivent être gérés dans la limite du plafond des crédits concernés. Ces nouvelles normes et ce renouvellement des pratiques devraient mieux limiter les dérapages, notamment au moment de l'exécution.

Vous m'avez interrogé sur notre stratégie en matière d'obligations vertes. Je profite de cette commission élargie pour vous inviter toutes et tous au Climate Finance Day organisé à Bercy le 11 décembre prochain, à la veille du sommet sur le climat. Il sera en partie dédié à la finance verte et aux obligations vertes. Des experts venus d'un peu partout et des personnalités qualifiées viendront nous faire profiter de leur expérience. La première obligation assimilable du trésor (OAT) verte a été largement sursouscrite lors de son émission inaugurale en janvier, la demande étant de 23,5 milliards d'euros pour une émission de 7 milliards d'euros ; elle a donc été sur-souscrite trois fois et demie. Elle a ensuite été abondée au mois de juin pour un montant de 1,6 milliard d'euros dans le cadre traditionnel des adjudications de l'Agence France Trésor, qui visent à répondre à la demande exprimée par les investisseurs. Conformément aux engagements pris, cette OAT continuera d'être abondée en fonction de la demande et dans la limite de l'enveloppe de dépenses éligibles qui a été identifiée. L'encours de cette obligation verte est aujourd'hui de 8,6 milliards d'euros, il est important que cette souche puisse continuer à être abondée de manière régulière pour que sa liquidité soit assurée, comme c'est le cas pour les autres obligations. Cette liquidité est une qualité très prisée des investisseurs. Par conséquent, elle permet, autre vertu, d'en limiter le coût pour le contribuable.

Vous m'avez également interrogé sur les engagements hors bilan de l'État. Comment faire pour qu'ils soient mieux appréhendés par nos concitoyens ? Je ne vais pas vous les retracer, vous les connaissez, et l'examen du projet de loi de règlement est le vecteur des discussions sur les engagements hors bilan de l'État. C'est à l'appui de ce projet qu'est communiqué le compte général de l'État, certifié par la Cour des comptes, qui présente l'ensemble des engagements hors bilan de manière actualisée. Le Parlement dispose donc d'une information chiffrée précise et certifiée, d'ailleurs également accessible en ligne sur le site https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/ de Bercy. Le travail mené en matière de recensement des engagements hors bilan a contribué à améliorer la sincérité dans la présentation des comptes de l'État. Aujourd'hui, la France dispose en matière d'engagements hors bilan d'une information fiable et plus riche qu'auparavant, d'une qualité d'ailleurs supérieure à l'information disponible chez nos voisins et dans la plupart des États européens, comparable à celle publiée par les États du monde à la pointe de la transparence comptable et financière. Par ailleurs, la hausse de l'encours des engagements hors bilan n'a pas entraîné mécaniquement une multiplication des appels au budget de l'État.

Dernière observation, les enjeux, les montants mis en valeur par la comptabilité générale incitent à s'appuyer sur les données comptables pour adopter une logique de surveillance que nous pouvons qualifier d'active et étendre le champ de l'actualisation de la valeur selon les règles de l'actuariat aux administrations publiques, notamment aux collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale. Et je souhaite que les comptes de l'État soient accessibles de la manière la plus libre en open data afin que chacun, que ce soit les observateurs, les citoyens, les médias, les universitaires, les économistes, bref, ceux qui souhaitent s'emparer de cette matière, puisse le faire et rapprocher des données comptables et les données financières. C'est aussi cela la transparence de l'action publique, et je crois que tous, ici, par-delà nos sensibilités respectives, nous y aspirons.

Le sujet de la dette dite « écologique » excède à mon avis le champ de notre discussion de ce matin. À l'évidence, il faut prendre en compte l'impact des comportements passés et présents sur notre environnement – ce qu'on appelait en cours d'économie, lorsque j'étais étudiant, les externalités négatives –, qui viennent alimenter cette dette environnementale, cette dette dite « écologique ». Le gouvernement s'est donc donné une feuille de route ambitieuse, détaillée dans le plan climat adopté cet été. Ce sera rappelé dans le cadre du sommet sur le climat qui se tiendra le 12 décembre prochain à Paris ; plus d'une centaine de pays ont déjà annoncé leur participation. Hélas, les États-Unis font exception.

La part du budget consacrée aux questions environnementales a été revue à la hausse pour 2018. Et, sur les 57 milliards d'euros du grand plan d'investissement, 20 sont consacrés à cette transition écologique afin de financer les dépenses d'avenir. Le meilleur moyen de ne pas devoir gérer demain de la dette écologique, c'est de ne pas y contribuer aujourd'hui. Le meilleur moyen d'éviter les traitements curatifs a posteriori, c'est l'action préventive.

Mme Pires Beaune m'interroge sur les intérêts moratoires à propos de la contribution additionnelle. Vous en avez débattu avec Bruno Le Maire il y a deux jours, mesdames et messieurs les députés. J'ai pour ma part eu l'occasion de le faire hier au Sénat, devant sa commission des finances. Il a été convenu que la question de la révision à la baisse des intérêts moratoires ne serait pas réglée dans le cadre de la première loi de finances rectificative, mais on peut effectivement trouver particulièrement enviable un taux de 4,8 %. La révision à la baisse peut être engagée, mais ne le sera que dans le cadre d'une deuxième loi de finances rectificative, après un nécessaire avis du Conseil d'État.

Comment se prémunir du risque de nouveaux contentieux fiscaux ? Il n'est pas agréable à ce gouvernement de présenter cette taxe additionnelle – ce ne le serait d'ailleurs à aucun gouvernement d'aucune sensibilité. Constituer ce type de provision est toujours désagréable, et, en l'occurrence, la lisibilité de la politique menée s'en trouve également troublée. Nous annonçons une baisse de l'impôt sur les sociétés, tout en portant à 38,33 % et 43,33 % les taux respectivement applicables aux groupes réalisant plus de 1 milliard et de plus de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires ! Personne ne peut s'en réjouir, et cette majorité sera heureuse si elle ne laisse pas de telles mauvaises surprises à la suivante.

Le meilleur moyen de prévenir et de limiter le risque que notre droit fiscal soit contraire aux règles européennes serait peut-être de consulter plus fréquemment la Commission européenne, sur le modèle du régime de la notification préalable en matière d'aides d'État. Sans doute une faute a-t-elle là été commise – du moins une négligence sérieuse. Il s'agirait d'obtenir qu'elle prenne position sur la conformité au droit de l'Union européenne des dispositifs impliquant une différence de traitement entre les situations purement internes et les autres – la question de la directive dite « mère-fille » se posait en l'espèce. De même, une réflexion pourrait aussi être engagée sur la possibilité d'obtenir un avis de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Cette procédure n'a pas d'équivalent dans notre droit national en dehors des procédures juridictionnelles, mais elle pourrait être utile à nos administrations, au Parlement et au Gouvernement, et nous aider à prévenir les risques de contentieux. Il est également souhaitable de réfléchir à la mise en place d'un code de bonne conduite entre le Gouvernement et les commissions des finances respectives des assemblées afin de concentrer la phase de dépôt des amendements fiscaux durant les travaux des commissions des finances et de permettre une consultation du Conseil d'État sur les amendements les plus importants, les plus sensibles, ceux dont on sent que leur éventuelle impropriété juridique pourrait avoir des répercussions financières importantes et qu'ils mériteraient donc un examen plus long.

On peut également souhaiter une utilisation plus active du contrôle de constitutionnalité a priori. Il s'agirait de permettre d'appeler l'attention du juge constitutionnel, voire d'obtenir une prise de position de ce dernier, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution.

Le Gouvernement et l'administration doivent aussi travailler mieux, en évitant de le faire sous la contrainte ou dans l'urgence – il n'est jamais bon de prendre des dispositions dans l'urgence. Un travail plus en amont est souhaitable pour prévenir d'éventuels contentieux.

Quant au montant des intérêts moratoires, les systèmes d'information de Bercy ne permettent pas de l'identifier. Ces charges sont envisagées dans leur totalité, et nous ne pouvons vous en donner le décompte par année.

La suppression de la taxe d'habitation fut maintes fois abordée dans l'hémicycle. Comme vous, je considère que c'est un impôt injuste : pour la même surface, vous payez trois fois plus de taxe d'habitation quand vous habitez Argenteuil que quand vous habitez le centre de Paris, et j'ai la faiblesse de penser que votre capacité contributive est sans doute un peu plus importante si vous habitez dans le centre de Paris. Et la révision des valeurs locatives établies en 1970, engagée à maintes reprises, n'a jamais abouti.

La suppression de la taxe d'habitation ne fragilise pas financièrement l'autonomie des collectivités locales. Ce qui la fragiliserait bien plus certainement, ce serait une baisse unilatérale de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Or, pour la première fois, le montant de la DGF ne baissera pas. Et quand vous prétendez que cette suppression n'en est pas une, c'en est bien une pour 80 % de nos concitoyens, qui paieront plus de taxe d'habitation d'ici à trois ans et verront les premiers effets de cette réforme dès l'année prochaine. C'est important pour leur pouvoir d'achat et, comme vous l'avez rappelé, c'est un engagement pris par le Président de la République pendant la campagne. Nous avons l'intention d'appliquer à la lettre le programme sur lequel nous avons été élus.

Madame Rabault, vous qualifiez d'usine à gaz le fonds d'investissement pour l'innovation de rupture. Nous espérons en faire une usine qui produise tout sauf du gaz, nous travaillons aux mécanismes et aux dispositifs qui permettront, d'un point de vue technique et juridique, d'en faire un objet utile à des entreprises parfois elles aussi soumises à la dictature de l'urgence. Il nous faut, notamment pour des innovations dites « de rupture », retrouver le temps long. Je ne suis pas sûr que la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) soit comparable avec ce que nous mettons en place, mais chacun comprend bien que le temps long est nécessaire aux ruptures technologiques et aux grappes d'innovation qui entraînent croissance et emploi.

Le Gouvernement a annoncé que ce fonds serait alimenté par 10 milliards d'euros issus de cessions d'actifs que nous avons commencées. Vous évoquez un montant d'environ 200 millions d'euros de rendement. Nous prévoyons plutôt, pour notre part, 250 ou 300 millions d'euros par an, une fois le fonds doté de ces 10 milliards d'euros, mais les modalités techniques et juridiques sont en encore à l'étude. Une fois sur la table, nous verrons s'il s'agit d'une usine à gaz.

Nous n'avons en tout cas pas retenu l'option d'une modification de la LOLF. Quelle est notre philosophie ? On peut s'interroger sur la conservation de participations dans certaines entreprises, certains groupes. C'était peut-être légitime il y a quelques dizaines d'années, conforme à ce qu'était le rôle de l'État, mais un État actionnaire efficace, c'est aussi un État qui modifie la structure de son portefeuille, présent dans des secteurs qui ne sont pas les mêmes au fil du temps. L'économie est un monde mouvant, une matière vivante. Les choix faits il y a quelques décennies ne sont pas aujourd'hui les plus optimaux pour la gestion de l'argent public.

Nous n'inscrivons effectivement que 5 milliards d'euros en dépenses, dont 4 milliards pour l'investissement. Le montant des prévisions de recettes et dépenses du compte d'affectations spéciales « Participations financières de l'État » est délibérément notionnel afin de ne pas donner de signaux aux marchés. Nous sommes écartelés entre une obligation d'information et de transparence à l'égard du Parlement et l'obligation de gérer au mieux les deniers publics et donc de défendre les intérêts du contribuable, ce qui suppose de ne pas révéler nos intentions aux marchés. C'est cette tension entre deux impératifs catégoriques qui justifie cette inscription de 5 milliards d'euros. Les crédits ouverts pour l'investissement étaient traditionnellement compris entre 1 et 3 milliards d'euros. Le PLF indique cette fois un montant de 4 milliards d'euros, qui traduit notamment les abondements prévus pour le fonds pour l'innovation. Et si les recettes réalisées en 2018 sont supérieures aux 5 milliards prévus en loi de finances initiale, il sera possible d'ouvrir des crédits supplémentaires à parité de majoration de recettes pour abonder le fonds pour l'innovation au gré de la réalisation des cessions.

L'accord avec la Grèce a été suspendu en 2015, en raison de l'interruption du deuxième programme d'assistance financière. Ce dispositif pourrait être réactivé d'ici à la fin du troisième programme à l'été 2018, dès lors que la Grèce respectera les conditions et qu'une analyse de la dette grecque confirmera la nécessité des mesures. Cela concerne non pas seulement la France mais en fait l'ensemble des partenaires européens de la Grèce. Les intérêts perçus par les banques centrales à partir de 2017 seront reversés à la Grèce si elle respecte ses engagements – c'est provisionné dans le projet de loi de finances.

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