Intervention de Benjamin Griveaux

Réunion du mercredi 8 novembre 2017 à 9h05
Commission élargie : finances

Benjamin Griveaux, secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie et des finances :

L'État détient des participations nombreuses dans des entreprises très variées, qui sont parfois le fruit de l'histoire plutôt que de choix réellement stratégiques et où pèse la sédimentation des décisions prises : je ne suis pas certain, monsieur Saint-Martin, de pouvoir faire une chronologie argumentée de la totalité des participations que vous évoquez et des raisons pour lesquelles nous détenons des participations dans certaines entreprises.

La modernisation de l'État actionnaire a néanmoins connu une étape importante en 2014, avec l'élaboration d'une doctrine d'investissement et la publication de l'ordonnance relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique. L'État s'est ainsi doté d'une doctrine de gestion active de ses participations, avec quatre objectifs principaux identifiés à ce stade et formalisés dans les lignes stratégiques de l'État actionnaire au début de l'année 2014 : garantir un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques, intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté ; s'assurer de l'existence d'opérateurs résilients afin de pourvoir aux besoins fondamentaux du pays – la notion de besoin fondamental pouvant évoluer au cours du temps ; accompagner le développement et la consolidation d'entreprises, en particulier dans des filières et des secteurs déterminants pour la croissance économique en France mais aussi en Europe, dans la perspective de constituer des groupes à dimension européenne ; intervenir ponctuellement, dans le respect des règles européennes, dans des opérations de sauvetage d'entreprises dont la défaillance entraînerait des conséquences systémiques – ce fut le cas encore récemment et des choix d'investissements ont été faits.

Dans une période qui est plutôt d'attrition budgétaire, où il faut gérer avec parcimonie les deniers publics et faire face aux défis des transitions économiques, industrielles, technologiques et écologiques, il est sans doute nécessaire d'être plus sélectif en matière d'actionnariat public et de se concentrer sur les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de l'État, sur les questions relatives à la défense, au nucléaire ou à l'énergie, et participant à des missions de service public ou d'intérêt national. Une respiration du portefeuille de l'Agence des participations de l'État (APE) est envisagée afin de répondre aux mutations qui viennent bousculer le monde économique et notre tissu industriel. Nous aurons l'occasion de préciser ces grandes orientations en temps utile, mais le travail que nous sommes en train de réaliser sur le Fonds pour l'innovation de rupture (FIR) viendra déjà alimenter les choix que nous pourrions faire en matière de prises de participation. J'attends beaucoup du rapport que produira Cédric Villani sur les enjeux de l'intelligence artificielle, notamment pour la constitution de la fameuse « industrie 4.0 ». Il y aura, une fois de plus, matière à débattre ensemble. Les recettes des cessions de participations serviront à alimenter ce fonds pour l'innovation de rupture : il n'est pas inutile d'utiliser les participations d'hier pour construire l'industrie et l'économie de demain. L'État jouera son rôle, à la place qui est la sienne. Elle n'est pas nécessairement prédominante, à l'exception des secteurs stratégiques que j'ai évoqués.

Pour répondre aux inquiétudes de Mme Louwagie sur le pic d'endettement que nous atteindrons en 2019, je rappelle qu'il est essentiellement dû au basculement du CICE en allégements de charges et au cumul, sur cet exercice, avec les crédits d'impôt dus au titre de 2018. Il en résulte un surcoût de 20 milliards d'euros, mais qui ne se répétera pas – c'est un one-shot, comme on dit en bon français. (Sourires.)

La trajectoire a été très clairement explicitée. Le dernier budget en équilibre a été celui de 1974, alors que je n'étais pas né. Nous sommes quelques-uns autour de cette table à ne pas avoir connu de budgets en équilibre. Alors que, depuis quarante-trois ans, nous avons accumulé la dette, nous avons prévu 5 points de PIB de baisse à l'issue de ce quinquennat. Alors que nous étions à un niveau de dette équivalent à celui de nos partenaires allemands il y a dix ou douze ans, l'écart dépasse aujourd'hui trente points. Il ne peut s'expliquer que par l'absence de choix stratégiques, structurels et structurants pour la réduction des dépenses publiques. C'est un élément sur lequel le Gouvernement s'est fortement engagé.

Plusieurs facteurs sont susceptibles d'entraîner une remontée des taux d'intérêt français : la reprise de la croissance et de l'inflation, ainsi que le resserrement des conditions monétaires, aujourd'hui accommodantes, qui sont accordées par les principales banques centrales. Ces deux facteurs sont déjà intégrés dans les hypothèses de taux pour les prévisions de charge de la dette. Le taux à dix ans attendu fin 2017 s'élève à 1,1 % et à 1,85 % fin 2018, contre 0,76 % en 2017. Nous sommes totalement conscients du risque, important, qui pèse sur nos finances publiques. D'où l'impérieuse nécessité de réduire la voilure : on ne peut pas rester dépendant de facteurs exogènes, tels que le niveau des taux d'intérêt, sur un budget qui représente six fois celui de la justice et constitue le deuxième poste de dépenses de l'État.

Nous avons fait l'hypothèse que la politique monétaire accommodante de la BCE s'infléchirait à partir de 2018 et que les taux courts commenceraient donc à remonter progressivement. L'impact serait un choc de taux : dans le cas d'une augmentation de 100 points de base, il y aurait une augmentation de la charge de 2,1 milliards d'euros en 2018, de 4,8 milliards en 2019 et de 7,2 milliards en 2020. Cette évaluation est faite en comptabilité maastrichtienne. Nous sommes très vigilants car c'est un élément absolument essentiel dans la construction qui est la nôtre.

En ce qui concerne les dépenses publiques, nous nous sommes engagés sur une baisse de plus de 3 points de PIB sur le quinquennat, ce qui nous conduira autour de 50,9 %. Voilà notre trajectoire et j'espère que nous pourrons la respecter.

Je ne fais pas partie de ceux pour qui le ciel s'assombrit, monsieur Vigier. Les déclinistes n'aident pas à faire en sorte qu'il s'éclaircisse un jour, et si nous entretenons nous-mêmes nos névroses, je crains que nous ne finissions tous par en être atteints. Le message n'est pas qu'il faudrait être des optimistes béats ou des imbéciles heureux, mais j'aspire plutôt à être heureux et à donner de la confiance à nos entreprises, à ceux qui souhaitent investir et à nos partenaires étrangers.

S'agissant de l'attractivité financière de la place de Paris, par exemple, j'observe que de très grandes banques étrangères et des fonds ont annoncé la relocalisation de leurs activités chez nous plutôt que chez certains de nos voisins européens avec lesquels nous entretenons une concurrence saine, mais virile. Ce ne sont pas des signaux d'assombrissement du ciel.

Nous nous serions volontiers passés, naturellement, de la contribution additionnelle qui fait suite au rejet par la Cour de justice de l'Union européenne puis par le Conseil constitutionnel de la taxe de 3 % sur les dividendes : c'est un signal qui vient brouiller le message. Je rappelle néanmoins que cela concerne seulement les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à un milliard d'euros, avec une tranche supérieure au-delà de 3 milliards, ainsi qu'un mécanisme de lissage que votre Assemblée a eu la sagesse d'adopter. De très nombreuses entreprises, en particulier les PME, ne sont pas du tout affectées par ce mécanisme. On parle beaucoup des 319 ou 321 entreprises concernées – il faudrait vérifier le chiffre –, mais j'aimerais que l'on évoque aussi toutes celles qui ne le sont pas. Ce sont elles qui créent des emplois – des PME à 95 % – et qui constituent la cible du futur projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises, projet de loi qui aura pour coeur la question du financement.

En ce qui concerne le prélèvement forfaitaire unique (PFU), l'un des sujets qui pourrissent la croissance de nos PME depuis près de vingt ans, et qui conduit à ce que la France ait trois fois moins d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) que l'Allemagne et deux fois moins que l'Italie ou la Grande-Bretagne, c'est qu'il n'y a pas de mécanisme de financement pour ces entreprises. Quand on a besoin de très peu d'argent, on en trouve, et quand il en faut beaucoup, on va sur les marchés. Entre les deux, en revanche, il y a un angle mort de notre modèle économique. Quelques fonds existent, dont un est alimenté par la Banque européenne d'investissement (BEI » : il dispense des « tickets » de 3 à 5 millions d'euros pour permettre à des PME de grandir. Il y a donc des outils, mais ils sont encore peu nombreux.

Comment allons-nous réduire la dette ? Par la diminution des dépenses et du train de vie de l'État – j'évoquais tout à l'heure le comité Action publique 2022. Il revient d'abord à l'État de montrer l'exemple dans son mode de fonctionnement, dans la manière dont on construit, on exerce et on imagine l'action publique. Le numérique est une source d'économies importantes. Des réformes structurelles sont engagées en matière d'apprentissage et sur les retraites – je rappelle que Jean-Paul Delevoye a été nommé haut-commissaire sur ce dernier sujet. Une transformation a été engagée sur les principaux postes de dépenses, même si certains éléments sont encore en discussion. Notre obsession est la baisse des dépenses publiques et de la pression fiscale, pour les ménages comme pour les entreprises. Nous devons mettre un terme à une maladie bien française. Cela prendra du temps, mais je suis certain que nous aurons du soutien.

Le bénéfice du dégrèvement de la taxe d'habitation est fondé sur un critère de revenu qui apparaît objectif et rationnel, monsieur Dussopt. Afin de préserver l'autonomie financière des collectivités locales, l'État prendra en charge les dégrèvements dans la limite des taux et des abattements en vigueur pour les impositions de l'année 2017, les éventuelles évolutions de taux ou d'abattements étant supportées par les contribuables. Les collectivités locales bénéficieront pleinement du dynamisme des bases, et un mécanisme de limitation des hausses de taux ultérieurement décidées par les collectivités et de prise en charge des conséquences sera instauré. Nous garantirons ainsi un dégrèvement complet en 2020 pour les foyers concernés. Nous en discuterons lors de la Conférence nationale des territoires qui se tiendra prochainement, et une refonte plus globale de la fiscalité locale sera également mise à l'étude dans ce cadre. Cela fait de très nombreuses années que l'on en débat. Nous reviendrons vers vous pour des explications plus techniques sur la mise en oeuvre : mes services se tiennent à votre disposition pour des réponses très précises.

Monsieur Coquerel, nous avons des philosophies très différentes, dont nous pourrions débattre si nous en avions le temps ce matin. Si nous versons cinq milliards d'euros aux entreprises, c'est que le droit n'a pas été respecté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.