Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, chers collègues – pas très nombreux dans l'hémicycle pour ce texte important, c'est dommage – nous examinons à nouveau, une semaine après la première lecture, ce projet de loi de finances rectificative pour 2018 concernant la surtaxe exceptionnelle d'impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises. Ce retour reste pour moi un scandale du point de vue tant des inégalités et des injustices en jeu que de la souveraineté nationale.
Je reviendrai rapidement sur les causes réelles nous obligeant à légiférer dans l'urgence sur cette compensation, à savoir une directive européenne prise pour garantir la libre concurrence fiscale des grands groupes entre eux et le dumping fiscal intra-européen entre les États.
Bien évidemment nous sommes en désaccord avec ce texte, comme avec le texte issu du Sénat. Le scandale reste entier et je n'ai pas l'impression, mais peut-être aurons-nous des surprises de ce côté, que l'IGF ait levé le voile sur les responsabilités – je pense notamment à M. Macron, dont on sait les responsabilités qui étaient les siennes à l'Elysée au moment où cette taxe a été voté et qui n'a rien fait quand il était ministre de l'économie. Il en porte la responsabilité politique, autant que tous ceux qui au Gouvernement étaient en charge de ces questions financières.
Nous sommes bien évidemment opposés à ce que l'État, c'est-à-dire nous tous, prenne à sa charge le remboursement de la moitié du produit de cette taxe, avec des intérêts moratoires délirants : 4,8 % c'est 0,4 % par mois, soit le taux d'intérêt annuel de notre dette ! C'est ce que prévoit le texte de l'Assemblée nationale. Et nous ne sommes évidemment pas non plus favorables au texte du Sénat, qui a supprimé cette surtaxe exceptionnelle d'impôt sur les sociétés, laissant les 10 milliards à rembourser entièrement à la charge de l'État.
Ce PLFR est un condensé de tout ce qu'il y a de plus indécent et de plus dangereux sur le plan démocratique.
D'abord, il s'agit d'un projet de loi rédigé dans la précipitation à la suite d'une plainte déposée contre le ministère par l'Association française des entreprises privées – AFEP – , un des plus grands lobbys patronaux. Dix-sept des plus importantes entreprises du capitalisme financiarisé en France réclament 10 milliards à l'État : Axa, Michelin, Danone, Engie, Eutelsat Communications, LVMH – rappelons que le nom de M. Arnault a été récemment cité dans l'affaire des Paradise Papers –, Orange, Sanofi, Suez Environnement Company, Technip, Total, Vivendi, Eurazeo, Safran, Scor, Unibail-Rodamco, Zodiac Aerospace. Ces dix-sept groupes ont en effet choisi l'intérêt de leurs actionnaires plutôt que l'intérêt général, puisque le remboursement de ces 10 milliards va peser en grande partie sur la nation si nous adoptons ce PLFR.
Après tout elles auraient pu ne pas porter plainte. Elles auraient pu – on peut rêver – une fois la taxe annulée ne pas demander son remboursement, ou en négocier les conditions avec l'État, elles qui ne cessent de lui demander de l'argent sous le prétexte qu'elles créeront des emplois en contrepartie. Ces 10 milliards auraient pu être employés au bénéfice des PME, de l'investissement… N'ont-elles pas reçu de nous tous, de la nation, des milliards au titre du CICE entre 2013 et 2016 ? Au moment où nous nous apprêtons à leur faire de nouveaux cadeaux il est bon de rappeler les chiffres : Axa a reçu 60 millions d'euros, Safran 150 millions, Orange 380 millions, Total 110 millions, Sanofi 50 millions.
En 2016, les entreprises du CAC 40 ont distribué 55,7 milliards d'euros sous forme de dividendes et de rachat d'actions. À elles seules les entreprises que j'ai citées ont versé plus de 50 % de ces dividendes. Ne nous inquiétons pas pour elles ! D'autant qu'elles vont recevoir une bonne part des 9 milliards au moins que le Gouvernement s'apprête à soustraire aux recettes de l'État pour les donner aux plus riches de nos actionnaires via la suppression de l'ISF ou la flat tax.
C'est un projet de loi qui a été rédigé dans la panique générale ; une fois connue la décision du Conseil constitutionnel, le Gouvernement n'a même pas pris quelques semaines pour envisager d'autres solutions susceptibles de mettre fin à ce psychodrame.
Je viens d'entendre M. Woerth se féliciter que le Parlement tranche en dernière instance, mais le moins qu'on puisse dire est que ce projet de loi a été présenté à la hâte aux parlementaires, en pleine discussion sur le projet de loi de finances initiale, sans qu'aucun débat sérieux ait pu avoir lieu en commission. Vous n'avez laissé aux parlementaires qu'une douzaine d'heures pour amender ce texte en première lecture et faire des propositions : ce n'est ni acceptable ni respectueux pour la démocratie, et d'autant moins quand tant d'argent public, qui pourrait servir l'intérêt général, est en jeu.
La célérité avec laquelle cette réparation est proposée est inquiétante : ces 10 milliards sont quasiment aussi vite rendus qu'ils ont été demandés ! Cet empressement à « rembourser » de l'argent à des actionnaires qui auraient pourtant mérité de payer une telle taxe nous dérange.
Le débat parlementaire est étouffé. Vendredi, nous n'avons eu que trente minutes pour déposer des amendements ! La réunion de la commission des finances a duré moins de cinq minutes puisque personne, sauf le rapporteur général, n'avait eu le temps d'amender le texte du Sénat. Une vraie caricature ! Je vous avoue qu'en tant que nouveau député, je me faisais une autre idée de notre droit d'amender un projet de loi qui va coûter 10 milliards d'euros à la nation !
Nous nous retrouvons donc aujourd'hui pour une séance dont le seul but est de rétablir le texte d'origine du Gouvernement – je ne doute pas un instant de ce que sera le vote de la majorité – sans que l'on ait pu prendre le temps de réfléchir réellement aux moyens de rembourser ces 10 milliards.
Il y a pourtant de multiples exemples où la réparation n'intervient pas aussi vite. Ainsi, pour le CICE, on a fait en sorte de donner 100 milliards aux entreprises sans condition, hors la promesse du MEDEF de créer 1 million d'emplois. Nous n'en sommes qu'à 100 000 emplois, au mieux… On aurait pu imaginer que le Gouvernement se pencherait sur cette preuve de l'insincérité des budgets depuis la création du CICE, puisque cet argent donné aux entreprises n'a pas eu pour contrepartie l'investissement productif qu'on nous promettait.
Et combien de collectivités territoriales réclament en vain les sommes correspondant à des transferts de compétences non financés par l'État ? Là non plus, ces remboursements n'interviennent pas avec la même célérité.
J'étais tout à l'heure à Bercy auprès des salariés licenciés du site de GE Hydro de Grenoble, qui s'étonnent de la suppression de 345 emplois alors que les accords passés avec GE prévoyaient la création de 1000 emplois. Là aussi, une promesse de l'État n'a pas été suivie d'effet, là aussi on peut se demander pourquoi l'État met tant de temps à se ranger aux côtés des salariés !
Votre impréparation vous amène de surcroît à créer des inégalités dans le remboursement. Vous demandez à des sociétés qui ne vont pas bénéficier de ce remboursement de 10 milliards, puisqu'elles n'avaient pas ou peu versé de dividendes, de payer cette contribution exceptionnelle. C'est le cas de nombreuses sociétés mutualistes par exemple. On peut craindre que cette inégalité de fait devant l'impôt ne rende inconstitutionnel le texte que nous allons voter aujourd'hui.
Si l'on estime que ce remboursement est légitime, parce que la directive est juste et qu'il ne faut surtout pas taxer les dividendes, alors on comprend l'empressement du Gouvernement à distribuer des chèques et la surenchère des Républicains. On assiste en effet à une course à l'échalote entre la majorité En marche et les Républicains, pour savoir lequel sera le plus libéral des deux.
Mais ceux qui, comme nous, pensent que les dividendes doivent contribuer à l'effort national parce qu'il faut que les pollueurs payent, en l'occurrence le monde de la finance qui non seulement inspire des directives de ce type mais qui a en plus le toupet de réclamer 10 milliards d'euros au moment même où il est comblé de cadeaux, ceux-là ne peuvent que constater la nocivité du texte qui va être voté aujourd'hui.
Vous avez évoqué la nécessité d'une remise à plat, monsieur Le Maire, mais la première remise à plat devrait viser à rendre à notre pays la liberté d'imposer le capital plutôt que de subir encore une fois ce type de contrainte constitutionnelle. La directive européenne dont nous parlons n'est-elle pas finalement ce que la directive sur le travail détaché est à l'emploi ?