Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous voici réunis une nouvelle fois, cet après-midi, pour examiner le projet de loi de finances rectificative pour 2017. Cette nouvelle lecture fait suite à l'échec de la commission mixte paritaire ce vendredi 10 novembre au matin, compte tenu notamment de la suppression par le Sénat de l'article 1er. À toutes fins utiles et pour éclairer ceux qui nous regardent, je rappelle que ce texte vise la création d'une surtaxe de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros.
Cette proposition doit permettre de compenser le remboursement de la taxe de 3 % sur les dividendes qui s'appliquait depuis quatre ans. Cette taxe, la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugée contraire à la directive mère-fille. Et c'est dans le cadre de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité que les membres de la rue de Montpensier l'ont déclaré contraire à la Constitution.
Je ne reviens pas dans le détail sur les différentes étapes qui nous conduisent à débattre de l'instauration de cette taxe. Permettez-moi de vous renvoyer sur ce point aux propos de ma collègue Valérie Rabault qui en a parfaitement repris la chronologie, lundi dernier.
Puisque nous devons légiférer dans l'urgence absolue, au mépris d'ailleurs de la clarté et du respect qui devraient pourtant prévaloir, profitons au moins de ce moment pour nous poser quelques questions en vue d'accomplir notre mission de législateur soucieux de contrôle et de bonne information. La principale est la suivante : comment être certain qu'une telle situation ne se reproduise pas ? Monsieur le ministre, vous nous avez proposé des pistes et je vous en remercie : vous conviendrez que leur étude et les conditions de leur mise en oeuvre ne peuvent se faire que sur la base d'une discussion qui ne peut se limiter à l'hémicycle. Le cadre de la commission des finances paraît plus que jamais nécessaire.
Ces dispositions partent de bonnes intentions. En attendant, que dire, aujourd'hui, à nos concitoyens, qui devront payer une partie des 10 milliards d'euros que nous devons rembourser ? Et que leur dire, demain, si pareille situation se représente ?
Vous balayez cette question d'un revers de main, comme si la chose était absurde. Or, si nous insistons tant, sur nos bancs comme sur d'autres bancs de cet hémicycle, c'est bien que la question est importante !
Vous ne nous avez toujours pas répondu sur l'impact exact de cette mesure. Qui, précisément, seront les payeurs ? Qui seront les gagnants et les perdants ? Le seul fait de savoir que 95 entreprises seraient gagnantes et 223 seraient perdantes ne constitue pour les parlementaires que nous sommes qu'une information partielle et sûrement pas rassurante quant à l'avenir.
Il faut pourtant rappeler que certaines entreprises forment, en ce moment même, des recours contre l'État. D'ici quelques mois ou quelques années, les dispositions que vous proposez pourraient encore alourdir la charge et affoler davantage la calculette, avec des milliards d'euros venant s'ajouter aux 10 milliards qui font l'objet de nos débats.
Cet élément d'incertitude suffirait à expliquer la constance dont nous ferons à nouveau preuve en votant contre ce projet de loi de finances rectificative. Pourtant, deux autres points motivent également notre position. Je veux y revenir un instant.
Le premier point concerne le niveau des intérêts moratoires que l'État sera amené à payer. Nous soutiendrons d'ailleurs des amendements visant à en diminuer le taux, qui s'établit actuellement à 4,8 %.
Vous qui êtes si prompts à délivrer des brevets de bonne gestion et de sincérité budgétaire, vous admettez sans sourciller que cette situation oblige la France à payer 1,3 million d'euros d'intérêts par jour si elle ne rembourse pas tout de suite sa dette fiscale. Drôle de conception… Pour notre part, il nous semble urgent de rendre le niveau du taux d'intérêt plus cohérent avec la réalité de l'environnement économique. Tel sera le sens des amendements que je défendrai. Pour vous montrer que nous ne sommes fermés à rien, nous vous proposerons aussi des solutions de repli.
Je rappelle que le taux des intérêts moratoires a été modifié par la loi de finances pour 2006. En modifiant ce taux, nous restons dans notre rôle. Ce que nous avons fait, nous pouvons l'adapter aux circonstances, et c'est très bien ainsi.
J'en viens à notre second point d'opposition. Si je l'évoque quelques instants avant de conclure, il n'en demeure pas moins essentiel. Là encore, il est permis de s'interroger sur votre méthode – je la dénonce – , puisque vous profitez de ce texte pour demander au Parlement de ratifier le décret d'avance du 20 juillet 2017.
Sans refaire ici le débat qui nous occupe désormais depuis plus d'un mois dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, je profite de cette intervention à la tribune pour rappeler que ce décret d'avance cristallise à lui seul tous les éléments qui, à mes yeux, rendent peut-être votre budget sincère – vous le répétez à l'envi, mais cela reste à prouver – mais en font aussi un budget dur, qui frappe de plein fouet celles et ceux qui souffrent déjà. Avec la baisse des aides personnalisées au logement – APL – , la suppression des contrats aidés et la diminution des dotations aux collectivités, qui se voient privées de leurs fonds de soutien, c'est la double peine pour nos quartiers et nos ruralités !
On dit souvent que les mesures de début de quinquennat impriment la marque pour la suite et indiquent une tonalité générale. Votre majorité n'a pas attendu longtemps, puisque vous avez agi dès l'été. Vous avez lourdement confirmé vos décisions à l'automne, et les conséquences de vos choix ne tarderont pas à se faire sentir pour nos concitoyens les plus fragiles.
Finalement, un mot caractérise ce texte : l'injustice. Cette injustice réside, d'une part, dans le dispositif exceptionnel que vous nous demandez d'approuver et dont nous ignorons tout pour l'avenir – je l'ai dit – , et d'autre part, dans les mesures que vous avez prises et qui portent un coup au pouvoir d'achat des plus fragiles. Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas ce projet de loi de finances rectificative.