Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est parce qu'une taxe sur les dividendes vient d'être invalidée. Or, à nos yeux, le fait de taxer davantage les dividendes est légitime et indispensable.
En trente ans, en effet, le rapport entre la distribution de dividendes, l'investissement et le niveau des salaires s'est largement inversé au bénéfice des actionnaires. Aujourd'hui, le capital est bien mieux rémunéré que le travail. Il est plus rentable d'avoir de l'argent que d'être qualifié. Il est plus rentable d'acheter des actions que de se lever chaque matin pour enfiler un bleu de travail, aller au bureau, conduire un bus, enseigner devant une classe de trente élèves, soigner des patients ou assurer la protection de nos concitoyens.
Pour lutter contre cette financiarisation mortifère de l'économie, nous proposons de taxer davantage le versement de dividendes. Pour nous, cette taxe à 3 % était légitime – nous aurions même souhaité la doubler ! Si elle n'est pas conforme aux règles européennes, alors ce sont les règles européennes qu'il faut changer. Si le Conseil constitutionnel rejette de telles taxes, alors il faut modifier la Constitution, comme nous le proposions dans le cadre de l'instauration d'une VIe République.
Nous ne cessons de le répéter : la part des bénéfices réalisés par les entreprises et accaparés par les actionnaires atteint des sommets. Or, encourager le versement de dividendes, c'est décourager les investissements et empêcher la hausse des salaires. C'est limiter la capitalisation des entreprises qui en ont besoin. C'est priver l'économie réelle d'une grande part de la richesse nationale.
Ce ne sont pas les actionnaires qui créent de la richesse par la force de leurs bras et l'activité de leurs neurones. Ce ne sont pas eux non plus qui souffrent de la pénibilité au travail. Les profiteurs ne sont pas ceux que l'on pointe régulièrement du doigt. Il faut plus que jamais limiter l'obscène financiarisation de notre économie.
La suppression de la contribution de 3 % sur les dividendes est donc injustifiée, pour ne pas dire immorale. Au-delà des 10 milliards d'euros que nous devons aujourd'hui rembourser dans l'urgence, une telle mesure nous coûtera 2 milliards d'euros par an, puisque c'est le montant annuel qu'aurait pu rapporter cette taxe.
Cependant, nos solutions ne se limitent pas à la restauration d'une telle taxe. Il faudrait également supprimer l'abattement de 40 % sur les dividendes, comme nous l'avons proposé dans un amendement défendu lors de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2018. Notre but est de limiter les intérêts des actionnaires pour servir l'intérêt général, ce qui est l'exact opposé de ce que vous proposez en faisant contribuer l'État, donc nous tous, à hauteur de 5 milliards d'euros pour rembourser les actionnaires.
De plus, il faudrait procéder à une réforme globale de la fiscalité des entreprises. Vous baissez toujours plus la fiscalité sur les entreprises et le capital. Votre unique solution pour lutter contre l'évasion fiscale est de proposer toujours plus de baisses d'impôts et de niches fiscales. Ainsi, tandis que vous saignez les services publics, que vous mettez à la diète les collectivités locales et que vous bradez des fleurons industriels, vous prévoyez de vous passer de dizaines de milliards d'euros de recettes en diminuant encore un peu plus le taux de l'impôt sur les sociétés, puisque c'est ce que vous proposez dans le projet de loi de finances pour 2018. Ce taux n'a cessé de chuter depuis trente ans, sans que cela n'entraîne aucun effet sur la création d'emplois ni sur l'investissement privé. Son passage de 50 % en 1985 à 33,3 % en 2010 a surtout permis de faire croître la distribution de dividendes. C'est scandaleux !
En 2016, 46 milliards d'euros ont été distribués par les grosses entreprises françaises sous forme de dividendes, ce qui constitue un record européen. En 2017, ce record sera de nouveau battu puisque, selon les prévisions, les dividendes versés devraient atteindre 100 milliards d'euros, soit deux tiers des bénéfices des entreprises. Pour verser autant de dividendes, les multinationales embauchent des centaines d'avocats fiscalistes et contournent l'impôt. Le Conseil des prélèvements obligatoires indiquait en 2009 que les entreprises du CAC 40 avaient un taux d'imposition réel de 8 %.
L'État ne doit pas être impuissant face à ces sociétés. Nous souhaitons donc que le Gouvernement s'attaque aux outils d'optimisation et de fraude fiscale, et qu'il aide les PME plutôt que les grands groupes. Ainsi, nous ne sommes pas opposés par principe à la baisse de l'impôt sur les sociétés, mais il faudrait alors supprimer toutes les niches fiscales inutiles, qui servent uniquement à permettre aux grands groupes de faire baisser leur taux d'imposition effectif. Ces niches seraient facilement repérables puisque la Cour des comptes les dénonce régulièrement.
C'est le cas, par exemple, de la « niche Copé », qui instaure une exonération d'impôt sur les sociétés pour les plus-values encaissées par des personnes physiques ou morales, et spécialement les holdings, en cas de vente de leurs filiales ou titres de participation détenus depuis plus de deux ans. Cette niche fiscale, inutile et extrêmement coûteuse pour l'État, profite à une petite poignée de très grandes entreprises. Elle ne se justifie que par le dumping fiscal qui s'opère au sein de l'Union européenne, chantage dans lequel nous ne voulons pas rentrer. Voilà pourquoi nous avons déjà déposé un amendement visant à supprimer cette disposition.
C'est aussi le cas des exonérations et impositions réduites des produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation et d'assurance-vie, que nous avons également proposé de supprimer. Ces dispositifs d'exonération fiscale encouragent les placements financiers, qui sont pourtant totalement improductifs pour le pays. En effet, le but de l'assurance-vie n'est absolument pas de soutenir l'investissement dans l'économie réelle, dans nos industries, dans le fonctionnement des petites et moyennes entreprises. Rappelons tout de même que ces dispositifs coûtent 1,8 milliard d'euros à l'État, ce qui est loin d'être négligeable !
En supprimant les deux niches fiscales que nous venons de citer, nous aurions pu trouver facilement les 5 milliards d'euros de remboursements qui restent à la charge de l'État. Mais pour trouver ces 5 milliards, nous pourrions également supprimer – ou tout du moins reporter d'un an, comme nous l'avons proposé dans un amendement en première lecture – le prélèvement forfaitaire unique et la suppression de l'ISF.
Parlons tout d'abord de cette flat tax qui profitera aux plus riches, comme toute imposition à taux unique. Ici, cette flat tax concerne même les revenus du capital : elle profitera donc aux ultra-riches détenteurs d'actions. Son coût pour l'État sera exorbitant : le Gouvernement parle d'un coût de 1,3 milliard d'euros mais certains économistes, à l'instar de Gabriel Zucman, évoquent un coût qui pourrait en fait s'élever à plus de 10 milliards d'euros, un chiffre sur lequel nous n'avons pas manqué d'interpeller le Gouvernement, à plusieurs reprises, lors de nos interventions.
Le Gouvernement nous explique que ce prélèvement ne fera pas de perdants, mais il va bel et bien alimenter ce dont notre pays souffre depuis de nombreuses années : la rentabilité du capital non investi. Depuis des années, tous ces mécanismes donnent à la rente capitaliste de quoi se gaver et n'ont aucun effet sur l'investissement. Au contraire, l'investissement baisse et les dividendes explosent. En effet, la répartition entre dividendes et investissements n'a cessé de se dégrader au profit des dividendes, et l'on poursuit encore la même politique.
S'agit-il simplement de faire des cadeaux aux amis et aux proches ? Si tel n'est pas le cas, pourquoi diminuer les recettes de l'ISF de 3,2 milliards d'euros – un coût qu'il convient d'ajouter au 1,3 milliard de la flat tax – alors que les investissements productifs ne verront pas le jour puisqu'aucune contrepartie n'est imposée ? Cette politique est un échec depuis trente ans mais le Gouvernement la poursuit.
Parlons justement de votre réforme de l'ISF, qui n'est rien d'autre qu'un obscène cadeau fiscal de 3,2 milliards d'euros pour le 1 % de Français les plus riches. Vous parlez de réforme mais, en réalité, vous « videz » l'ISF : vous voulez exclure de l'assiette plus de 70 % du patrimoine du 1 % de Français les plus riches, et même 80 % du patrimoine du petit club des 30 000 ménages les plus aisés. Vous prétendez ainsi encourager les ultra-riches de ce pays à acheter des actions, prétendument pour financer les entreprises. Cela n'a aucun sens : vous allez seulement encourager des pratiques spéculatives qui n'ont aucun rapport avec les besoins en argent frais des entreprises.
Cajoler les millionnaires et les milliardaires ne les a jamais empêchés de tout faire pour fuir l'impôt, par l'optimisation fiscale ou l'évasion fiscale, en s'installant fictivement dans des paradis fiscaux, comme nous venons de le voir encore très récemment avec le scandale des Paradise papers.
L'impôt a normalement pour but d'assurer une redistribution des richesses garante de l'égalité républicaine. Dans l'état actuel des choses, les très riches contribuent pourtant peu à l'effort national. Or, mes chers collègues, nous cherchons aujourd'hui 5 milliards d'euros supplémentaires pour rembourser les entreprises. Pourquoi ne pas faire payer les plus riches de ce pays ?
En ce sens, nous avons défendu, lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2018, un amendement visant à rétablir une progressivité réelle de l'impôt. Depuis 2002, l'ISF a été détourné de son sens par de multiples dérogations. Son assiette actuelle exclut déjà de nombreux biens. En l'état, l'ISF est payé par les ménages dont le patrimoine excède 1,3 million d'euros ; compte tenu d'un abattement de 30 % sur la résidence principale, il ne concerne que 300 000 ménages détenant un patrimoine que des millions de Français peuvent à peine imaginer. Il faut donc renforcer l'ISF.
Nous avons proposé un barème clair, progressif, non confiscatoire, permettant aux grandes fortunes de contribuer à l'effort national de redressement des comptes publics. Il distingue les personnes fortunées, qui seraient soumises à un taux marginal de 0,1 %, et les très grandes fortunes, au-delà de 5 millions d'euros, pour lesquelles le taux marginal serait de 2 %. En outre, nous prévoyons un abattement forfaitaire de 400 000 euros sur la résidence principale, ce qui favoriserait les classes moyennes supérieures mais pénaliserait les plus fortunés. Nous rappelons au passage que ce barème a été défendu par la fondation Copernic et l'économiste Thomas Piketty, ce qui pourrait finir de convaincre les plus réfractaires.