Alors que nous nous apprêtons à étudier, une nouvelle fois, le projet de loi relatif à la sortie de l'état d'urgence sanitaire, qui a été refusé par le Sénat, c'est une forme d'incompréhension qui domine le groupe Libertés et territoires. Je rappelle que le 21 mars dernier, nous étions 90 % des députés à voter en faveur d'un texte permettant de lutter efficacement contre la maladie qui faisait déborder nos services de réanimation. Nous avons laissé le pouvoir exécutif prendre des décisions fortes pour protéger les Français. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans cette situation. Dans mon département, le nombre de malades dépistés chaque semaine se compte désormais sur les doigts d'une main. Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle vague – les avis scientifiques divergent sur ce point – mais nous pourrons alors prendre les décisions nécessaires et réactiver au besoin l'état d'urgence sanitaire. Nous pensons donc qu'un régime d'exception n'est pas la voie à suivre.
Au sein du groupe Libertés et territoires, nous considérons que le dispositif de ce projet de loi est disproportionné par rapport au but poursuivi. Rappelez-vous : lorsque nous avions voté l'état d'urgence à la suite des attentats terroristes, des préfets avaient mené des perquisitions y compris chez des militants écologistes qui s'opposaient à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et des citoyens opposés à la loi travail. Ils avaient été remis dans le droit chemin par le ministre de l'intérieur, mais on voit bien que la tendance du pouvoir exécutif est de s'arroger des pouvoirs qui limitent les libertés. Dans le but, je n'en doute pas, d'éviter les atteintes à l'ordre public, un préfet va essayer de réduire les manifestations et les débordements ; sauf que ces manifestations représentent un droit constitutionnel. Voilà la difficulté !
De plus, vous nous demandez de proroger l'état d'exception non pas pour deux mois, jusqu'au 30 août – cela aurait pu se comprendre puisqu'au mois de septembre démarrera une session extraordinaire – ni même pour trois mois, jusqu'au 30 septembre – puisque le 1er octobre commence la session ordinaire – mais jusqu'au 30 octobre : quatre mois pendant lesquels le Parlement remet une série de prérogatives entre les mains du pouvoir exécutif ! Est-ce vraiment nécessaire ?
J'ai sous les yeux l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. »
Je ne comprends donc pas pourquoi nous faisons cette loi. À moins que vous ne vouliez pas prendre des arrêtés motivés et proportionnés, autrement dit, à moins que vous ne vouliez pas vous expliquer ? Or c'est tout de même la moindre des choses que de s'expliquer sur la restriction des libertés.
Ce texte heurte notre conception des choses. Aux collègues qui estiment que nous devons faire confiance au pouvoir exécutif, je rappelle qu'en tant qu'élus du peuple, nous sommes là pour défendre ses libertés, ce qui justifie la séparation des pouvoirs. Je pense aux philosophes du XVIIe siècle : les Britanniques Locke et Hobbes, puis Montesquieu. C'est bien parce qu'il y a deux pouvoirs que nous ne devons pas faire confiance a priori à l'exécutif mais que nous devons, au contraire, le contrôler : nous sommes là pour ça. C'est de cet équilibre, certes précaire, que naît la démocratie. En faisant trop confiance au pouvoir exécutif, je crains que nous ne remettions nos libertés entre les mains de personnes qui, tout en étant bien intentionnées, n'ont peut-être pas toujours compris où était l'intérêt de la nation.
C'est ce qui nous fera rejeter ce projet de loi, en mesurant la difficulté de rester humbles.