Aujourd'hui, les mobilisations féministes sont parfois la cible de critiques. Je veux rappeler que les violences conjugales n'ont pas toujours été reconnues comme une question de société légitime, et pour cause : c'est grâce aux mobilisations féministes des années soixante-dix, qui définissent alors la violence dans le couple comme une violence faite aux femmes, issue de rapports de domination entre les hommes et les femmes, que les pouvoirs publics se sont emparés de cette question. Après le mouvement #MeToo, c'est encore grâce aux mobilisations féministes que le terme « féminicide » s'est imposé récemment dans le débat public et que les quelque 120 féminicides annuels sortent peu à peu de la rubrique des faits divers pour rejoindre celle des questions sociétales.
En dépit d'un demi-siècle de combats et des nombreuses lois votées depuis quinze ans, le nombre de ces crimes ne diminue pas, car la protection réelle des femmes victimes de violences conjugales implique de tenir compte de deux impératifs : la protection judiciaire des femmes d'abord, leur accompagnement jusqu'à la sortie effective et durable des violences ensuite. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a rappelé récemment que cet accompagnement doit inclure la prise en charge sanitaire, la mise à disposition d'un hébergement sécurisé et le traitement adapté de la parentalité.
La proposition de loi sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer ce soir répond en partie à ces impératifs, parce qu'elle restreint la pratique de la médiation familiale et interdit la médiation pénale dans un contexte de violences conjugales, qu'elle supprime l'obligation alimentaire en cas de crime, qu'elle prévoit la saisie des armes dès le stade de l'enquête et qu'elle reconnaît la notion de cybercontrôle dans le couple.
Je voudrais m'attarder quelques instants sur ce dernier point. Si cette forme particulière de violences conjugales échappait encore, il y a peu, au radar des politiques publiques, un certain nombre de travaux nous alertent déjà depuis plusieurs années sur l'ampleur du phénomène – je pense notamment aux travaux du Centre Hubertine Auclert et à ceux du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Le cybercontrôle au sein du couple, c'est l'usage de services numériques par un conjoint violent pour contrôler l'activité de la femme – déplacements, activités sociales, dépenses et j'en passe. Si l'on ne dispose pas de données en France, une enquête réalisée en Grande-Bretagne par une association de prise en charge des femmes victimes de violences nous donne un ordre de grandeur : 85 % des femmes accueillies ont subi des violences en ligne, 29 % via des logiciels de géolocalisation et de surveillance. Il était urgent que nous nous saisissions de cette question ; c'est désormais chose faite et je m'en réjouis.
Je présentais à la presse, en début d'après-midi, une proposition de loi visant à améliorer l'effectivité du droit à l'avortement, cosignée par des collègues de huit groupes parlementaires différents. En matière d'IVG comme en matière de violences conjugales, on peut avoir le sentiment que les droits des femmes sont garantis. Pour autant, bien que l'arsenal législatif français soit important, c'est bien l'effectivité de ces droits qui est en jeu ; et pour que le droit à une vie sans violence sexiste et sexuelle, notamment sans violence conjugale, soit effectif, le chemin est encore long. En effet, le budget consacré à ce sujet reste restreint et insuffisant au regard des besoins identifiés. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes estime ainsi les besoins au-dessus de 500 millions d'euros par an alors que ce budget n'atteint que 80 millions aujourd'hui – vous le voyez, la marge de progrès est importante.
J'en reviens au texte dont nous débattons aujourd'hui. Il est essentiel de déployer pleinement les mesures de protection des victimes, au premier rang desquelles figure l'ordonnance de protection. Si ce dispositif existe dans la plupart des pays d'Europe, les justices espagnole et britannique, par exemple, en délivrent 20 000 par an, quand la justice française n'en prononce que 10 000. La présente proposition de loi se fixe l'objectif honorable – entre autres – de permettre une délivrance plus rapide des ordonnances de protection.
Le décret du 27 mai 2020 a suscité, à cet égard, de vives interrogations. Alors que la loi défendue par notre collègue Aurélien Pradié imposait au juge aux affaires familiales un délai de six jours pour statuer sur une demande d'ordonnance de protection, le décret a ajouté deux nouvelles règles. D'abord, les femmes victimes de violences ne disposent que de vingt-quatre heures pour informer leur conjoint violent de l'ouverture d'une procédure à leur encontre, au risque de voir cette procédure annulée si le délai est dépassé. Ensuite, la procédure doit être réalisée par un huissier aux frais de la victime. Les modifications annoncées par l'ancienne garde des sceaux, notamment l'allongement du délai de vingt-quatre à quarante-huit heures, restent largement insuffisantes. J'en appelle à la vigilance collective. En l'état, il me semble que ce décret met en péril les ordonnances de protection ; plutôt que de renforcer les mesures de protection, il les affaiblit.
Pour toutes les raisons évoquées précédemment et malgré ces quelques limites, parce qu'il n'y a pas de petites avancées en matière de lutte contre les violences conjugales, le groupe Écologie démocratie solidarité votera en faveur de cette proposition de loi.