Le niveau de la menace à laquelle la France a été confrontée, en particulier depuis 2015, n'a malheureusement pas baissé. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, quelques récents événements – survenus, pour certains, pendant la période de confinement – qui montrent que la situation ne s'est pas aplanie, contrairement à ce que pourraient penser les Français.
Nous disposons de services de renseignements performants, la coordination de nos services de sécurité s'est améliorée – à cet égard, je tiens à saluer la nomination toute récente de Laurent Nunez à l'Élysée, au poste de coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme – et notre culture collective de l'urgence et de la vigilance s'est renforcée au fil du temps. Néanmoins, nous avons encore besoin, sans aucun doute, d'un dispositif juridique stable et puissant, pour continuer à faire face à la menace.
Vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, nous discutons aujourd'hui de la prorogation, d'une part, des dispositions de la loi SILT de 2017 et, d'autre part, de celles de l'article 25 de la loi de 2015 relative au renseignement, prorogées une première fois par l'article 17 de la loi SILT, et qui portent sur la technique de l'algorithme. Je ne reviendrai pas en détail sur le contenu de ces textes. Les expérimentations prévues par ces deux lois prenant fin simultanément, le 31 décembre 2020, il est impératif de prendre une décision avant l'expiration de ce délai.
Les mesures prévues par la loi SILT restent absolument indispensables à la préservation de la sécurité de nos concitoyens. Il s'agit des périmètres de protection, de loin la mesure la plus utilisée ; de la possibilité de fermer temporairement un lieu de culte, qui a été mise en oeuvre de façon très parcimonieuse – vous l'avez dit, monsieur le ministre ; des MICAS, qui sont sans aucun doute restrictives de liberté mais dont l'application est très encadrée et contrôlée ; enfin, des visites domiciliaires, qui sont soumises au contrôle du juge des libertés et de la détention. Encore expérimentales, ces mesures font l'objet d'un contrôle parlementaire renforcé.
Quant au recours à la technique de renseignement algorithmique, il est encourageant, même si nous avons moins de recul pour en juger puisque cette technique n'a été mise en oeuvre qu'à compter de 2017, au terme d'une nécessaire période de paramétrage. Si elle s'appuie actuellement sur les données de facturation, les services de renseignement ont sans doute besoin d'avoir accès aux réseaux cryptés et aux adresses web – par exemple celles de tutoriels expliquant comment fabriquer un explosif ou comment partir pour le djihad. L'enjeu principal est de passer du contrôle des connexions à celui des données. Nous ne devons bien évidemment pas baisser la garde en la matière, ces mesures étant tout aussi importantes que celles de la loi SILT pour garantir la protection que nous devons à nos concitoyens.
En raison de l'épidémie de covid-19, nous avons pris du retard, et nous ne pouvons guère envisager une discussion de fond sur ces textes dans le temps qui nous était imparti initialement. En outre, une procédure en cours devant la Cour de justice de l'Union européenne, intentée par la France et d'autres pays, pourrait remettre en cause la validité de certaines techniques de renseignement, ce qui conduirait à privilégier le recours à la technique de l'algorithme. Pour cette raison aussi, nous avons besoin d'un temps de réflexion : il conviendra de tenir compte de la décision juridictionnelle qui aura été rendue, dans le cadre du ou des projets de loi qui seront discutés au Parlement.
La seule solution réellement efficace à ce stade consiste à proroger, à l'identique, les mesures prévues par la loi SILT. Cela nous permettra non seulement de concilier la réalisation de nos objectifs opérationnels, qui est absolument essentielle, avec la nécessité d'adapter, dans un délai raisonnable, les dispositions de ladite loi, mais aussi de prévoir un texte plus ambitieux sur la technique de renseignement par algorithme.
Le Gouvernement souhaitait une prorogation d'un an à partir de l'échéance initialement prévue. La commission des lois a décidé de réduire cette durée à six mois – soit un an, presque jour par jour, à partir d'aujourd'hui – , ce à quoi vous venez de donner votre accord, monsieur le ministre, de façon parfaitement cohérente.
Compte tenu des enjeux de liberté et de sécurité, il nous semble possible de tenir ce délai, d'autant que nous disposons de plusieurs rapports du Gouvernement au Parlement – ce qui est normal, c'est conforme à notre rôle de contrôle – , auxquels s'ajoutent les travaux de contrôle de la loi SILT, effectués par Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, avec l'aide de Raphaël Gauvain et d'Éric Ciotti, qui nous ont permis d'avoir un regard assez précis sur les évolutions, et le rapport de la mission d'information sur l'évaluation de la loi de 2015 relative au renseignement, intitulé « Sécurité nationale et libertés : le cadre juridique du renseignement, aujourd'hui et demain », remis récemment par son président, Guillaume Larrivé, et ses deux rapporteurs, Loïc Kervran et Jean-Michel Mis, ici présents. Mieux vaut donc maintenir le statu quo et organiser le plus rapidement possible, dans des conditions normales, un véritable débat de fond, que nous appelons en réalité tous de nos voeux, sur tous les bancs.
Nous ne courons pas – ou plutôt nous ne courons plus – le risque de porter atteinte aux libertés individuelles, dans la mesure où les textes initiaux ont été passés au crible par le Conseil constitutionnel, à l'occasion de quatre questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil a pu ainsi soit valider leurs dispositions, soit les encadrer, soit émettre des réserves d'interprétation, si bien que le droit nous semble à présent parfaitement stabilisé – en tant que rapporteur de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, je me souviens que nous avons tenu compte des décisions du Conseil constitutionnel aux articles 65 et 66 de ladite loi. Il aurait été difficile de proroger les mesures en question si nous n'avions pas été certains de leur conformité à nos règles élémentaires de protection des libertés individuelles. Heureusement, nous ne sommes pas dans cette situation.
La commission des lois peut donc, sans difficulté particulière, valider le principe selon lequel nous aurons ultérieurement une discussion de fond, sereine et parfaitement légitime, sur l'ensemble de ces questions, sur la base d'un projet de loi gouvernemental – qui est, globalement, déjà prêt, sous réserve des adaptations nécessaires. Pour rester dans la logique d'une loi « d'enjambement », je serai moi aussi amené, en tant que rapporteur, à m'opposer à la plupart des amendements, pour ne pas dire à tous.