Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mardi 21 juillet 2020 à 15h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Je me propose de répondre aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale à la fois par respect pour eux, afin de corriger certains propos et pour exprimer mes remerciements. Ainsi, je ne prendrai pas la parole trop longuement ensuite, puisque la discussion des articles consistera pour l'essentiel à repousser les amendements, quel que soit leur intérêt, dès lors que le texte ne vise qu'à prolonger des dispositions pour tenir compte des délais liés à la crise du covid et que nous débattrons quant au fond plus tard – à l'automne, je l'espère.

M. Ciotti est désormais retenu, je crois, par les travaux de la mission d'information relative à l'épidémie, mais M. Pauget ou d'autres membres de son groupe pourront certainement lui transmettre ma réponse. Je ne peux pas accepter le procès en naïveté qu'il intente. Ce n'est faire insulte à personne, surtout pas à M. Ciotti, que de noter qu'il n'appartient plus à la majorité depuis un certain temps – même s'il a pu lui arriver de voter des dispositions prises par un gouvernement qu'il ne soutenait pas. Or les mesures qui ont été adoptées dans l'intervalle ont démontré leur efficacité. Si les services de renseignement, aidés des forces de police et de la vigilance de nos concitoyens, ont eu les moyens d'éviter une soixantaine d'attentats depuis 2013, c'est bien que la République n'a pas fait preuve de naïveté en la matière et que divers dispositifs législatifs et réglementaires leur permettent d'intervenir, dans le respect de l'État de droit.

M. Ciotti est trop intelligent, et connaît trop le sujet, pour confondre fichier de suivi des personnes pouvant représenter une menace certaine pour notre pays, d'une part, et condamnation et expulsion systématiques, d'autre part. Si nous supprimions le fichier de suivi pour ne plus procéder qu'à des expulsions, nous ne pourrions plus suivre les personnes présentes sur le territoire national, leurs réseaux, la mouvance à laquelle elles appartiennent, leur fonctionnement, toutes informations fort utiles pour lutter contre leurs avatars que nous ne connaissons pas ou guère.

Du reste, le reproche de naïveté qu'il a formulé et les chiffres qu'il a cités montrent qu'il n'est pas tout à fait honnête – mais dois-je corriger ce qui relève d'une prise de position politique ? En réalité, plus de 400 personnes inscrites au dit fichier, qui ne sont pas françaises, ont été expulsées du territoire par le Gouvernement de la République : il n'y a décidément aucune naïveté de notre part.

Madame Panot, je ne comprends pas très bien votre distinction entre les algorithmes, qui ne fonctionneraient pas, et le renseignement humain, qui fonctionnerait bien. J'ai pu noter ces trois dernières années que vous n'avez pas pour habitude de voter les crédits budgétaires qu'il est proposé d'allouer aux services de renseignement des ministères de l'intérieur et de la défense. Si le renseignement humain est pour vous le seul qui vaille – je vous remercie d'avoir salué ses agents – , pourquoi n'avoir pas voté l'augmentation des effectifs voulue par le Président de la République, notamment le renforcement de la Direction générale de la sécurité intérieure, désormais placée sous ma responsabilité ? N'hésitez pas, en tout cas, à le faire s'agissant de la nouvelle augmentation prévue par le projet de loi de finances initiale pour 2021 – au moins en ce qui concerne la mission « Sécurités », puisque rien n'interdit de voter par chapitres, comme le font d'ailleurs certains ici.

Par ailleurs, il est caricatural d'opposer renseignement humain et renseignement technique. Nous en avons débattu à propos d'un autre sujet que celui, si difficile, du renseignement destiné à protéger l'intégrité de notre pays : les techniques de lutte contre la fraude fiscale. Votre groupe s'est alors opposé à ce que nous proposions, malgré notre objectif de contrer la fraude. Pourtant, même quand on utilise des algorithmes, l'intelligence artificielle, les données qu'elles procurent, on a besoin de personnes pour analyser ces informations et y faire le tri afin de pouvoir intervenir. Réciproquement, même quand c'est par le renseignement humain que l'on repère quelqu'un représentant une menace terroriste, c'est bien grâce à une écoute téléphonique, une filature, donc grâce à des moyens techniques, dont la géolocalisation. Les deux se complètent : l'un ne se substitue pas à l'autre. C'est même toute la beauté de notre renseignement.

Madame Dumas, je vous remercie du vote favorable que vous avez annoncé, mais je ne partage pas vos analyses. Si c'est le gouvernement de M. Valls, où M. Cazeneuve était ministre de l'intérieur, qui a proposé en 2015 le recours à la technique de l'algorithme, cette dernière n'a pu être utilisée avant fin 2017 ; il est donc un peu tôt pour en tirer des conclusions, bien que la délégation parlementaire au renseignement ait obtenu des éléments d'information à ce sujet et que le Gouvernement soit tout disposé à en discuter, outre les documents classifiés qu'il transmet bien légitimement à la représentation nationale.

Par ailleurs, notre pays ne peut pas être la seule des grandes puissances à ne pas employer cette technique. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, respectueux des libertés publiques, y recourent. De plus, alors que toutes les sociétés commerciales peuvent utiliser les données fournies par des algorithmes, seul l'État n'aurait pas le droit de le faire, lui seul devrait se poser des questions, au-delà de la conception communément admise des libertés publiques ? Pourtant, les grandes sociétés anglo-saxonnes ou asiatiques – que vous connaissez bien pour être issue du secteur culturel – n'ont en la matière aucun des garde-fous dont nous disposons : ni Conseil d'État, ni Commission nationale de l'informatique et des libertés, ni Conseil constitutionnel, ni les juridictions européennes que vous avez vous-même citées, sans parler de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont le Premier ministre suit systématiquement la préconisation, comme l'a notamment rappelé le rapporteur pour avis. Vous pouvez auditionner ces autorités administratives. Bref, l'État français assortit l'utilisation de cette technique de bien plus de garanties que les sociétés multinationales dont nous utilisons les services, souvent en subissant leurs pratiques à cet égard.

J'aimerais revenir à la phrase que vous avez citée, madame Panot, et selon laquelle « le pouvoir aujourd'hui n'a d'autre forme de légitimité que l'état d'urgence ». Je ne crois pas vous faire insulte en rappelant que vous tirez votre légitimité d'une élection démocratique qui s'est tenue de manière régulière, lors de laquelle les candidats étaient libres, le vote secret, la campagne publique : vous avez été désignée par le peuple dans le cadre de la République. Voilà qui vous a permis de professer ce que vous dites, comme vous en avez le droit quand bien même cela gênerait les tenants d'autres opinions. Si cela vaut pour vous, alors cela vaut pour la majorité parlementaire. N'y a-t-il pas eu deux élections en quelques semaines, la présidentielle et les législatives ? Soit quatre tours d'élections libres, indépendantes, débattues – ô combien : de ce point de vue, M. Mélenchon n'a pas été brimé à l'époque, si mes souvenirs sont bons.

Le pouvoir est légitime parce que le peuple l'a voulu ainsi.

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