Contrairement à ce que vient de dire notre collègue, cet article entraîne une véritable révolution du droit de la filiation et de ses fondements. Au cours de cette intervention liminaire, j'évoquerai l'essentiel des sujets abordés par les amendements que j'ai déposés, que je défendrai donc assez brièvement. Des questions précises se posent, auxquelles j'apprécierais que vous apportiez des réponses précises.
Le texte a beaucoup évolué depuis sa version initiale, notamment en ce qui concerne le dispositif qui tente de sécuriser la filiation de l'enfant issu d'une PMA réalisée par une femme seule ou un couple de femmes. Vous défendez à cet égard une philosophie que pour ma part, je regrette : vous établissez une échelle de valeurs sur laquelle vous accordez une place prééminente à la filiation d'intention, au fait de vouloir être parent, par rapport à la filiation plus traditionnelle liée à la réalité et à la vraisemblance biologiques. Il s'agit du premier problème et du premier sujet d'interrogation pour moi. Je ne prétends pas avoir raison, mais je m'interroge sur ce que je pressens comme une possible fragilité du droit que nous créons.
S'agissant de la filiation d'un enfant issu d'une PMA réalisée par une femme seule, nous avons déjà débattu du sujet ; comme l'a indiqué Mme la rapporteure, l'article 311-19 du code civil interdit toute filiation entre un donneur et l'enfant issu du don. Pourtant, le droit international, en l'occurrence la convention internationale des droits de l'enfant, indique que l'enfant a droit non seulement à connaître ses origines, mais aussi à l'établissement de sa filiation. Or l'absence d'établissement de la filiation paternelle dans le cas d'une PMA réalisée par une femme seule va rendre le droit français non conforme au droit international et risque d'entraîner des contentieux.
Mon deuxième sujet de préoccupation est lié à l'établissement de la filiation dans un couple de femmes. La commission a évidemment rétabli dans le projet de loi, pour la femme qui accouche – la mère biologique – le principe de l'article 311-25 du code civil : mater semper certa est, la mère est toujours certaine. La femme qui accouche est déclarée mère à l'état civil parce qu'elle a accouché. Or vous tenez absolument – et je ne comprends pas votre échelle de valeurs – à faire en sorte que la deuxième femme du couple puisse être mère non pas au travers d'une adoption simple, comme cela était déjà possible depuis le vote de la loi dite Taubira, mais au travers d'une reconnaissance. Dans notre droit de la filiation, le principe de reconnaissance est fondé sur la vraisemblance. Dans ce cas, il ne peut plus être fondé sur la vraisemblance biologique – une femme ne peut pas être le père d'un enfant – ; il est donc simplement fondé sur l'intentionnalité.
La première difficulté tient au fait que vous organisez une reconnaissance conjointe des deux femmes pour établir la maternité de la mère d'intention, ce qui entraîne selon moi une fragilité juridique : la mère biologique, la femme qui accouche, se retrouve mère à la fois au sens de l'article 311-25 du code civil et parce qu'elle a conjointement reconnu l'enfant à naître. La deuxième difficulté est liée à la mère d'intention : l'absence de vraisemblance biologique crée une forme d'inégalité et de distorsion entre la filiation reconnue pour un homme, dans le cadre d'une AMP, et celle qui l'est pour une femme dans un couple de femmes. Pour l'homme d'un couple hétérosexuel, la reconnaissance peut d'ailleurs s'effectuer qu'il soit marié – dans ce cas, c'est une reconnaissance directe – ou qu'il ne le soit pas – dans ce cas, elle prend une autre forme.
Enfin, je souhaite évoquer un dernier sujet à ce stade : dès lors que l'intention et la volonté sont érigées en principes supérieurs à la vraisemblance biologique, comment pourra-t-on à l'avenir imposer à un père biologique s'étant désintéressé de l'enfant et ayant abandonné son rôle de père de prendre ses responsabilités, par exemple en matière alimentaire ou de soins à l'enfant ? Il s'agit selon moi d'une troisième fragilité du dispositif prévu par le texte.
De mon point de vue, le dispositif le plus simple et le plus cohérent, qui n'aurait pas remis en question les principes que j'ai évoqués, était l'adoption simple par la mère d'intention. Je ne comprends pas en quoi une adoption simple serait moins « légitime » qu'une reconnaissance de l'enfant par le couple. J'aimerais que vous m'expliquiez ce point, monsieur le garde des sceaux. Au moins l'adoption simple, qui était la proposition de sagesse du Sénat, ne présentait-elle pas les fragilités juridiques que je viens d'évoquer.