Sujet particulièrement sensible que celui de la GPA, ou de la PPA – procréation pour autrui – , et qui, à l'origine, ne faisait pas partie du projet de loi. Je me permets donc un petit rappel de la jurisprudence pour que les enjeux soient parfaitement clairs et que l'on ne s'emporte pas.
La gestation pour autrui est toujours prohibée en France, vous le savez : les articles 16 et suivants du code civil interdisent les conventions portant sur le corps de la femme ; l'absence de patrimonialité du corps humain et l'impossibilité de porter des conventions sont restés réguliers. Les Français peuvent néanmoins réaliser des GPA ou des PPA à l'étranger. Dans ce cas, lorsque l'enfant arrive en France avec ses parents, sa filiation n'est pas prévue a priori. Dès 2014, la Cour européenne des droits de l'homme a demandé à la France de trouver des solutions pour ces enfants qui, comme nombre d'entre vous l'ont souligné, ne sont évidemment pas responsables de leur situation, ni de leur mode de procréation. Nous, les responsables, les pouvoirs publics, leur devons un statut, une double filiation, pour qu'ils puissent évoluer dignement dans la société.
Dans un premier temps, la jurisprudence de la Cour de cassation a décidé une transcription partielle des actes étrangers de l'état civil pour le père biologique de l'enfant ; ensuite, elle a autorisé l'adoption pour le second parent, le conjoint, qu'il soit un homme ou une femme. Cette jurisprudence en deux étapes, en 2015 et 2017, est restée stable jusqu'en 2019.
Puis, pendant l'examen du projet de loi en première lecture, a été rendu le fameux arrêt Mennesson, celui auquel je suppose que vous faisiez référence, monsieur Touraine. Dans l'affaire Mennesson, où, en plus de quinze ans, l'adoption n'avait pas eu lieu, la Cour a dit que, l'État français n'étant pas en mesure d'assurer les conditions de célérité garantissant à l'enfant un statut, il fallait ouvrir d'autres voies de filiation. En l'espèce, elle a reconnu différentes possibilités, notamment la possession d'état et la transcription totale. En décembre, une autre jurisprudence a systématisé la règle issue de l'arrêt Mennesson, et proposé que la transcription ainsi établie pour les deux parents devienne la norme, sans passer par le contrôle du juge.
C'est la raison pour laquelle le Sénat a adopté un amendement, présenté par M. Bruno Retailleau, visant à prohiber strictement la transcription systématique – et visant la GPA. Mais sa rédaction incomplète a créé, probablement involontairement, un angle mort qui laisse une place au trafic international d'enfants en matière d'adoption internationale, ce qui n'est pas acceptable.
Nous avons modifié l'article 4 bis afin de préciser que, dans l'application de l'article 47 du code civil qui permet la transcription des actes de l'état civil étrangers dans le droit français, le juge doit apprécier la réalité des faits au regard de la loi française et non de la loi étrangère. Ce sont donc nos règles éthiques qui doivent s'appliquer.
Vous souhaitez supprimer cet article 4 bis afin que la jurisprudence de décembre 2019 continue à prévaloir, permettant ainsi de donner systématiquement un statut aux enfants qui reviennent de l'étranger. Or, je le répète, cette jurisprudence est incomplète et laisse un angle mort en matière d'adoption internationale et de trafic d'enfants qui n'est pas acceptable. C'est la raison pour laquelle je donne un avis défavorable à l'ensemble des amendements.
En revanche, nous devons assurer la célérité aux familles, monsieur le garde des sceaux. Vous n'étiez pas au banc en première lecture, mais votre prédécesseur, Mme Nicole Belloubet, avait alors pris l'engagement d'adresser une circulaire aux magistrats. Or, nous n'en avons pas vu la teneur. Je vous demande de prendre rapidement une telle circulaire, afin de veiller bien sûr à la célérité des procédures, mais aussi aux propos tenus par les magistrats. En tant que rapporteure, j'ai été saisie par de nombreuses familles et je ne peux pas cacher à cet hémicycle que m'ont été transmis des témoignages de jugements de valeur indus portés sur elles et sur les enfants. Certains se sont entendu dire par des magistrats qu'ils n'étaient pas des familles, que leurs parents n'avaient pas à les amener ici, qu'ils ne devraient pas être là !