La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures.
Hier soir, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'article 4 bis.
Dans un jeu de faux-semblants dont nous ne sommes pas dupes, vous dites que la gestation pour autrui – GPA – constitue une ligne rouge, mais, en même temps – parce que c'est votre pratique – votre majorité a supprimé le dispositif prévu par le Sénat avec l'article 4 bis. Vous dites que la GPA reste interdite en France mais, en même temps – comble d'hypocrisie – vous ne faites rien, rien, rien pour dissuader les Français d'aller à l'étranger louer le corps de femmes.
Monsieur le garde des sceaux, je vous ai écrit au sujet d'un salon organisé le premier week-end de septembre dans le XVIIe arrondissement de Paris pour promouvoir la GPA. Vous ne m'avez pas répondu : double discours ? Allez-vous dissuader nos compatriotes de marchandiser la femme ? Il ne faut pas, mes chers collègues, faciliter des démarches qui régularisent des pratiques inacceptables.
Au lieu d'agir en ce sens, votre majorité a refusé d'interdire en commission la transcription totale de l'acte de naissance étranger d'un enfant français conçu par GPA, permettant ainsi de contourner plus facilement la loi française.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Je représente des milliers de Françaises et Français installés aux États-Unis et au Canada. Ils ont décidé de faire leur vie à l'étranger par choix professionnel, parce qu'ils en ont eu l'occasion ou, n'en déplaise à certains qui n'aiment pas entendre ce mot dans l'hémicycle, par amour. Nombre d'entre eux ont fondé une famille ; parfois, ces couples ont eu des enfants par procréation médicalement assistée, ou ont eu recours à la gestation pour autrui. Pour ces familles, la décision de la Cour de cassation du mois de décembre, qui permet la transposition d'un acte de naissance étranger en France, représente une avancée majeure dans le respect de leur droit fondamental de mener une vie familiale, et une vraie bouffée d'oxygène.
C'est dans ce sens que j'ai souhaité vous faire entendre leur voix. J'ai conscience que cette décision de la Cour de cassation a des effets de bord malencontreux et qu'elle ouvre la possibilité d'une marchandisation de la GPA, si la transposition de l'acte de naissance n'est pas soumise à la vérification du juge ou d'un officier d'état civil. Il est donc essentiel de laisser les consulats, qui connaissent parfaitement la situation sur le terrain, faire la part des choses.
Si le projet de loi que nous voterons aujourd'hui j'espère, peut-être demain, revient sur la décision de la Cour de cassation, il est essentiel que l'administration consulaire fasse preuve de diligence pour que les Françaises et les Français établis hors de France obtiennent, quand ils y ont droit, la reconnaissance des actes de naissance des enfants nés à l'étranger, dans le respect, monsieur Bazin, de la loi – c'est évidemment le cas de la quasi-totalité des demandes émanant de ma circonscription.
Dans tous les cas, la sécurité des enfants doit être privilégiée pour éviter que, faute de transcription, les droits de certains parents non biologiques ne soient pas reconnus, mettant en péril les droits de leurs enfants.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
À ce moment du débat, je veux réaffirmer l'opposition nette du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à la gestation pour autrui, qui consiste à instrumentaliser le corps d'une femme. Quel que soit le contexte, sa logique implique nécessairement une atteinte à ce que nous considérons comme un fondement éthique.
Selon nous, le refus de cette pratique par la France, tel que ses lois l'énoncent, doit être parfaitement clair. J'ai lu les avis de la Cour de cassation. Soit ils expriment un souhait de voir la loi et sa signification évoluer, auquel cas nous avons la responsabilité, en tant que représentation nationale, de dire quelle est notre position ; soit leur intention est de poser la question afin de susciter la clarification de la loi, auquel cas nous avons également notre mot à dire.
À mon sens, notre décision ne peut pas revenir à dire : « Allez faire ça ailleurs. » La position de la France doit être plus ferme.
Elle doit continuer à être une voix forte contre cette instrumentalisation du corps des femmes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et quelques bancs du groupe LaREM.
Je suis saisi de trois amendements de suppression, nos 689, 1132 et 1657.
La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock, pour soutenir l'amendement no 689 .
La Cour européenne des droits de l'homme – CEDH – a rappelé l'obligation faite aux États membres de proposer une solution pour autoriser la reconnaissance d'un lien de filiation de l'enfant né d'une GPA à l'étranger avec son parent d'intention. Si une marge d'appréciation est laissée aux États concernant le mode d'établissement de filiation retenu, l'article 4 bis vient restreindre la voie choisie en France, en ne permettant que l'adoption par les parents d'intention. Or ce mode de filiation n'assure pas à l'enfant et à sa famille une sécurité juridique suffisante. Pire encore, en attendant que le jugement soit prononcé, il place les enfants dans une grande insécurité relativement aux aléas de la vie, qui peuvent les amputer d'une partie de leur filiation, en cas de séparation ou de décès. En outre, cet article interdit toute retranscription intégrale d'un acte d'état civil légalement établi à l'étranger pour les enfants nés de GPA. Il fait donc obstacle à l'exécution du jugement étranger établissant le double lien de filiation des enfants concernés.
Ainsi cet article, en ne satisfaisant pas clairement l'obligation de la CEDH, empêche une évolution positive de notre jurisprudence en la matière, alors même qu'elle prend de plus en plus en considération l'intérêt supérieur de l'enfant. Il y a seulement quelques mois, nous avons adopté une résolution visant à garantir la prise en considération systématique des droits de l'enfant dans nos travaux : sur des sujets tels que celui-ci en particulier, nous devons être attentifs à faire primer l'intérêt supérieur de l'enfant sur des considérations idéologiques quant à des modes de conception plus ou moins acceptés. Ainsi l'amendement de mon collègue Raphaël Gérard propose-t-il de supprimer l'article 4 bis, afin de revenir à l'équilibre du texte de première lecture. Comme le préconisait Mme la rapporteure, écartons le sujet « GPA » du projet de loi.
La parole est à M. Jean-Louis Touraine, pour soutenir l'amendement no 1132 .
Monsieur le garde des sceaux, vous souhaitez attendre la décision de la Cour de cassation concernant les personnes transgenres, puis l'appliquer. Pouvez-vous agir de même concernant les enfants nés de GPA ? Dans votre première intervention sur le texte, vous avez précisé que les droits de l'enfant constituaient votre priorité – des droits égaux pour tous les enfants. Les enfants nés de GPA à l'étranger souffrent de ne pas disposer immédiatement de la reconnaissance de leur filiation. Certains ont attendu l'âge de 18 ou 19 ans pour que leur mère soit enfin reconnue telle : leur mère, leur vraie mère, celle qui s'est occupée d'eux, qui les a élevés, qui les a aimés.
Soyons clairs : nous ne parlons pas de GPA, mais d'enfants, qui n'ont en rien choisi leur mode de conception. La GPA est interdite en France, mais les enfants ne sont pas interdits. Il ne leur est pas interdit d'être dotés de parents, cela leur est même nécessaire – il s'agit de l'intérêt supérieur de l'enfant. On ne peut guère maintenir la proposition d'adoption, qui ne s'applique qu'à des parents mariés, et suppose des délais préjudiciables et une procédure inappropriée : on n'adopte pas son propre enfant !
Il est déjà diverses circonstances où la mère n'est pas la femme qui accouche : c'est le cas des enfants adoptés, c'est le cas aussi pour des enfants nés sous le secret. Laissons donc les magistrats apprécier si l'état civil du pays de naissance est sûr et le transcrire quand c'est nécessaire pour que, enfin, tous ces enfants ne soient plus pris en otage.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme Anne-France Brunet, pour soutenir l'amendement no 1657 .
La suppression de l'article 4 bis permettrait aux familles d'obtenir enfin la reconnaissance intégrale de leur filiation, tout en garantissant un contrôle complet des consulats, pour éviter les différents trafics. Depuis les instructions du procureur de Nantes en mars 2020, la jurisprudence est enfin appliquée pour ces enfants nés à l'étranger. Les consulats procèdent désormais à la transcription intégrale de l'acte de naissance étranger dans les registres français, après avoir vérifié qu'il ne déguise aucune fraude à l'adoption ou autre trafic. Ainsi, la législation permet déjà de contrôler les retranscriptions d'actes étrangers ; les premières ont été effectives en juin.
La parole est à Mme Coralie Dubost, rapporteure de la commission spéciale, pour donner l'avis de la commission.
Sujet particulièrement sensible que celui de la GPA, ou de la PPA – procréation pour autrui – , et qui, à l'origine, ne faisait pas partie du projet de loi. Je me permets donc un petit rappel de la jurisprudence pour que les enjeux soient parfaitement clairs et que l'on ne s'emporte pas.
La gestation pour autrui est toujours prohibée en France, vous le savez : les articles 16 et suivants du code civil interdisent les conventions portant sur le corps de la femme ; l'absence de patrimonialité du corps humain et l'impossibilité de porter des conventions sont restés réguliers. Les Français peuvent néanmoins réaliser des GPA ou des PPA à l'étranger. Dans ce cas, lorsque l'enfant arrive en France avec ses parents, sa filiation n'est pas prévue a priori. Dès 2014, la Cour européenne des droits de l'homme a demandé à la France de trouver des solutions pour ces enfants qui, comme nombre d'entre vous l'ont souligné, ne sont évidemment pas responsables de leur situation, ni de leur mode de procréation. Nous, les responsables, les pouvoirs publics, leur devons un statut, une double filiation, pour qu'ils puissent évoluer dignement dans la société.
Dans un premier temps, la jurisprudence de la Cour de cassation a décidé une transcription partielle des actes étrangers de l'état civil pour le père biologique de l'enfant ; ensuite, elle a autorisé l'adoption pour le second parent, le conjoint, qu'il soit un homme ou une femme. Cette jurisprudence en deux étapes, en 2015 et 2017, est restée stable jusqu'en 2019.
Puis, pendant l'examen du projet de loi en première lecture, a été rendu le fameux arrêt Mennesson, celui auquel je suppose que vous faisiez référence, monsieur Touraine. Dans l'affaire Mennesson, où, en plus de quinze ans, l'adoption n'avait pas eu lieu, la Cour a dit que, l'État français n'étant pas en mesure d'assurer les conditions de célérité garantissant à l'enfant un statut, il fallait ouvrir d'autres voies de filiation. En l'espèce, elle a reconnu différentes possibilités, notamment la possession d'état et la transcription totale. En décembre, une autre jurisprudence a systématisé la règle issue de l'arrêt Mennesson, et proposé que la transcription ainsi établie pour les deux parents devienne la norme, sans passer par le contrôle du juge.
C'est la raison pour laquelle le Sénat a adopté un amendement, présenté par M. Bruno Retailleau, visant à prohiber strictement la transcription systématique – et visant la GPA. Mais sa rédaction incomplète a créé, probablement involontairement, un angle mort qui laisse une place au trafic international d'enfants en matière d'adoption internationale, ce qui n'est pas acceptable.
Nous avons modifié l'article 4 bis afin de préciser que, dans l'application de l'article 47 du code civil qui permet la transcription des actes de l'état civil étrangers dans le droit français, le juge doit apprécier la réalité des faits au regard de la loi française et non de la loi étrangère. Ce sont donc nos règles éthiques qui doivent s'appliquer.
Vous souhaitez supprimer cet article 4 bis afin que la jurisprudence de décembre 2019 continue à prévaloir, permettant ainsi de donner systématiquement un statut aux enfants qui reviennent de l'étranger. Or, je le répète, cette jurisprudence est incomplète et laisse un angle mort en matière d'adoption internationale et de trafic d'enfants qui n'est pas acceptable. C'est la raison pour laquelle je donne un avis défavorable à l'ensemble des amendements.
En revanche, nous devons assurer la célérité aux familles, monsieur le garde des sceaux. Vous n'étiez pas au banc en première lecture, mais votre prédécesseur, Mme Nicole Belloubet, avait alors pris l'engagement d'adresser une circulaire aux magistrats. Or, nous n'en avons pas vu la teneur. Je vous demande de prendre rapidement une telle circulaire, afin de veiller bien sûr à la célérité des procédures, mais aussi aux propos tenus par les magistrats. En tant que rapporteure, j'ai été saisie par de nombreuses familles et je ne peux pas cacher à cet hémicycle que m'ont été transmis des témoignages de jugements de valeur indus portés sur elles et sur les enfants. Certains se sont entendu dire par des magistrats qu'ils n'étaient pas des familles, que leurs parents n'avaient pas à les amener ici, qu'ils ne devraient pas être là !
C'est scandaleux. Nous devons le faire savoir à tous les magistrats et y mettre un terme. Les enfants et les familles doivent être traités correctement.
Enfin, je tiens à remercier Monique Limon, qui a travaillé sur le très beau texte de la proposition de loi visant à réformer l'adoption que nous devrions examiner dans le dernier trimestre de l'année 2020.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Mme Caroline Fiat applaudit aussi.
Il permettra, avec le concours de la Chancellerie, d'apporter une solution rapide et durable aux familles et surtout aux enfants, en les inscrivant dans une double filiation, garante d'un statut juridique, tout en préservant nos principes éthiques, parmi lesquels, à ce jour, la prohibition de la GPA et de la PPA.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM.
Madame la rapporteure, il n'est pas anormal que la circulaire n'ait pas été prise : selon l'ordre des choses, la loi précède le texte d'application. Je m'engage à ce que la circulaire soit prise. Je tiens aussi à dire aux familles qui nous écoutent que si des propos tels que ceux que vous rapportez ont été tenus par des magistrats, c'est absolument scandaleux, que les choses soient très claires.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je vais développer ma réponse, ce qui me permettra d'être plus bref ensuite. L'article 4 bis concerne la transcription à l'état civil français de la naissance d'un enfant à l'étranger. La ligne rouge du Gouvernement est la suivante : non, non et non à la GPA. Pour autant, la loi doit prendre en considération les enfants nés de GPA à l'étranger.
Comment le dire : est-il anormal que nous essayions d'obtenir un contrôle sur la manière dont les GPA se passent dans des pays totalement différents, selon des législations totalement différentes dont certaines – je ne veux pas dire ici lesquelles – peuvent nous sembler assez peu protectrices des droits alors que notre législation, c'est son honneur, doit protéger les enfants, les enfants et toujours les enfants, monsieur Touraine ?
Monsieur Lescure, vous le savez, l'autorité consulaire n'est pas une autorité judiciaire. Mais je m'engage, avec le concours du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à répondre à vos légitimes préoccupations. Cela me paraît la moindre des choses. Je sais que les procédures ne sont pas toujours fluides et que de légitimes interrogations peuvent nous traverser l'esprit. J'ai pris bonne note de vos propos, et mes services ainsi que ceux du ministre de l'Europe et des affaires étrangères travailleront pour assurer cette fluidité.
Monsieur Touraine, vous avez parlé de 18 ans d'attente. Ce ne serait plus possible aujourd'hui. Admettez qu'à l'époque, on était en terre totalement inconnue. Depuis, plusieurs problèmes ont été résolus. Aujourd'hui, plus un enfant n'aurait à attendre ses 18 ans pour voir son acte de naissance transcrit à l'état civil. Cela me paraît invraisemblable. Nous essaierons d'aller très vite.
Le contrôle de la France sur des législations qui ne sont pas les nôtres ne peut être effectué que par le truchement judiciaire. C'est la raison pour laquelle l'adoption, en l'espèce, est la seule solution.
Ne me dites pas – vous le ferez si vous voulez, vous êtes libre et je respecte votre liberté …
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Laissez-moi terminer. Vous me direz donc sans doute, je l'entends déjà, qu'hier j'ai affirmé autre chose. Oui, mais les situations sont complètement différentes ! La France peut-elle légitimement vouloir contrôler la GPA lorsqu'elle a lieu à l'étranger ? À mes yeux, la réponse est oui.
Enfin, monsieur Bazin, je n'ai pas reçu de courrier de votre part. Je viens de le faire vérifier par mes services. Est-ce dû à une carence des services postaux ?
Je vous réponds néanmoins. Comment pouvez-vous prétendre devant la représentation nationale que nous laissons tout faire ? L'article 227-12 du code pénal prévoit, dans son troisième alinéa, un délit d'entremise à la GPA. Il suffit de le lire pour se rendre compte que notre droit prend en considération l'hypothèse dans laquelle d'aucuns souhaiteraient, dans un prosélytisme que nous combattons, mettre en avant la GPA à l'étranger.
Mon avis est évidemment défavorable.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Peu importe, monsieur le ministre, que le courrier ait été transmis ou non, la Chancellerie a dû suivre les travaux.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Laissez-nous développer nous aussi nos arguments, au lieu de vociférer constamment !
Lors de la commission spéciale donc, nous avons alerté sur la tenue de ce salon. Vous suiviez nos travaux, et le compte rendu en fait état. Vous ne pouvez donc pas balayer le sujet d'un revers de main : le ministère de la justice est au courant depuis plusieurs semaines, que fait-il quant à ce salon ?
S'agissant de l'article 4 bis, le travail mené par le Sénat met l'accent sur la nécessité d'emprunter la voie de l'adoption. Je note avec intérêt, monsieur le garde des sceaux, que ce matin, vous confirmez la pertinence de cette voie juridique. C'est important.
J'ai sous les yeux une décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 16 juillet, très récente donc, aux termes de laquelle l'adoption produit des effets de même nature que la transcription de l'acte de naissance étranger s'agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention.
Thibault Bazin vous a déjà posé la question, mais vous n'y avez pas répondu : que compte faire le Gouvernement pour lutter efficacement contre la GPA ? Car j'ai noté que Mme la rapporteure nous avait parlé tout à l'heure de procréation pour autrui. Disons donc les choses clairement : la GPA est de l'exploitation de personnes, de l'exploitation reproductive, contre laquelle nous devons lutter vigoureusement.
Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement français a-t-il l'intention de prendre une position ferme, et peut-être d'être le fer de lance d'une interdiction de la gestation pour autrui, qui est de l'esclavage moderne ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Il ne s'agit pas, au travers de ces amendements, de légaliser une pratique interdite sur le territoire national, la gestation pour autrui. Pour autant, certaines familles françaises se rendent à l'étranger pour recourir à cette pratique. Ce faisant, elles n'enfreignent aucune loi : elles se plient aux règles du pays dans lequel la GPA a lieu.
L'établissement de la filiation pour les enfants nés de GPA à l'étranger prend un temps insupportable. Jean-Louis Touraine a évoqué un délai de dix-huit ans pour la famille Mennesson. Même si les délais peuvent être plus courts aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, admettez que le fait de devoir attendre plusieurs années avant de voir reconnaître la filiation entre parents et enfant est profondément inhumain. Des enfants sont laissés dans l'insécurité juridique la plus totale. Nous faisons des fantômes de la République de ces enfants qui ne peuvent pas être accompagnés par leurs parents chez le médecin, faute de filiation, ou ne peuvent pas profiter d'une vie pleine et entière au regard des administrations faute d'autorité parentale.
L'amendement a simplement pour but d'établir la filiation et d'apporter une sécurité juridique aux enfants nés de GPA à l'étranger. Il ne vise en rien à encourager cette pratique : il s'agit de ne pas faire supporter aux enfants les choix des personnes qui recourent à la GPA. Nous devons avancer dans ce domaine, c'est la raison pour laquelle je soutiendrai les amendements.
Pour donner corps à leur désir de fonder une famille, des personnes sont amenées à recourir à la gestation pour autrui, certes pas par plaisir compte tenu des risques encourus – financiers, sanitaires, d'insécurité juridique. L'absence de filiation ne suffit pas à les dissuader de le faire. Dire qu'un établissement plus facile et plus rapide de la filiation constituerait une incitation à recourir à la GPA me paraît un argument spécieux : la réalité est que des personnes se rendent bien à l'étranger, malgré les obstacles, pour mener une GPA.
J'ai un grand respect pour les travaux menés par Monique Limon avec l'ensemble des acteurs depuis de nombreux mois afin d'améliorer les processus d'adoption. Mais je le répète ici clairement, le fait de demander à des familles d'adopter leurs propres enfants est profondément choquant.
À l'origine d'un projet parental, il y a une volonté, celle de fonder famille, quel que soit le mode de procréation. Expliquer à ces personnes qu'elles vont, indépendamment de cette volonté de transmettre de l'amour à leurs enfants, devoir passer par l'adoption pour être reconnues comme parents me paraît moralement inacceptable.
Chère collègue Limon, j'entends bien que les délais d'adoption devraient être très raccourcis, mais les enfants ne s'en trouveront pas moins dans une insécurité juridique certaine tout au long du processus. C'est la raison pour laquelle je voterai en faveur des amendements.
J'ai été convaincu par l'engagement de M. le ministre à prendre rapidement une circulaire visant à ce que les personnels des consulats, dont certains sont des officiers d'état civil du ministère de l'intérieur et d'autres des magistrats de liaison, traitent avec diligence ces dossiers.
Monsieur Hetzel, ne caricaturons pas ! Je connais des familles aux États-Unis qui ont eu des enfants par GPA…
… sans aucun dédommagement de la mère, en toute transparence et en toute légalité locale. Nous ne souhaitons évidemment pas, et tel est mon cas, légaliser la GPA en France, mais ne caricaturons pas ! Vous avez parlé d'esclavage, …
… alors que nous étudions des situations familiales et personnelles tout à fait honorables et légales dans certains pays. Gardons la hauteur dont nous ne nous sommes pas départis depuis le début des débats.
La GPA est interdite en France, point. Vous, mesdames et messieurs les députés les plus attachés aux traditions, militez parfois pour que les foetus provenant d'un viol ne fassent pas l'objet d'une interruption volontaire de grossesse. Vous acceptez que leur mère soit reconnue comme telle, même si vous désapprouvez le crime de viol.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Continuez à désapprouver la GPA, à vouloir maintenir son interdiction, mais laissez les enfants bénéficier d'une mère, leur mère qui les élève et les aime ! Ne demandez pas à des mères d'adopter leurs propres enfants ! L'adoption n'a d'ailleurs jamais été conçue pour cela : l'adoption, c'est pour les enfants qui n'ont pas de parents.
Ce que vous dites est énorme, monsieur Touraine ! Continuez comme cela !
Loin de moi l'idée de dresser des hiérarchies et des comparaisons qui ne sont pas raison.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Monsieur Hetzel, le garde des sceaux a cité le code pénal et j'ai cité le code civil : plusieurs dispositions proscrivent la GPA en France. Elles ne sont pas modifiées.
En revanche, vous ne pouvez pas appeler à ce que la loi française s'applique sur l'ensemble de la planète ! Chaque État a ses propres lois, et nous devons respecter les législations étrangères.
Nous n'avons pas à porter de jugement, dans cet hémicycle, sur les choix faits à l'étranger ni à chercher à imposer notre législation.
Dans certains États, les procédures de GPA ou de PPA semblent se dérouler, d'après quelques éléments de doctrines, même si je ne les ai pas étudiés dans le détail, de façon dite éthique. Dans d'autres endroits, vous l'avez signalé, on observe trafics de jeunes femmes, instrumentalisation du corps des femmes, voire manoeuvres violentes. Cela est clairement contraire à l'ensemble de nos principes éthiques et de nos droits fondamentaux. Nous y sommes donc totalement défavorables. Nous pouvons appeler, à l'échelle internationale, et il me semble que le Président de la République s'est déjà prononcé sur le sujet, à ce que les États éthiques, comme la France et d'autres, imposent, dans le cadre du processus de la Conférence de La Haye, des mesures destinées à empêcher les trafics et les violences sur le corps des femmes. Nous pouvons appeler de nos voeux une telle décision internationale, mais nous ne pouvons pas légiférer en ce sens.
La jurisprudence n'était pas stabilisée au début de la longue affaire des époux Mennesson, mais elle l'est depuis 2015, date à laquelle les considérations d'ordre public ont été traitées mais où les époux Mennesson ont cessé de vouloir recourir à l'adoption pour passer par une autre voie. Tous ceux qui défendent la transcription automatique des actes d'état civil étrangers dans l'état civil français évoquent la sécurité juridique de l'enfant. Je dois leur dire qu'en droit, cette transcription est beaucoup moins sécurisante qu'une décision judiciaire. Une transcription d'un acte étranger s'apparente à une traduction, mais elle n'est pas une filiation au fond.
Une fois la transcription faite, il reste possible de contester au fond la filiation de l'enfant : cela n'apporte donc pas de sécurité juridique. Voilà pourquoi je mets en valeur le travail de Mme Limon, qui permettra, par le biais d'une adoption rapide et sincère, de mettre ces enfants en sécurité pour toujours. Une fois prononcée dans des délais raisonnables et respectueux des familles, l'adoption leur garantira une filiation pérenne. Voilà ce que nous voulons leur offrir ! Nous voulons accueillir durablement ces enfants en France et leur assurer une sécurité juridique. De ce point de vue, la transcription n'est pas satisfaisante.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.
Monsieur Chiche, le véritable problème est celui du délai. Nous ne sommes évidemment pas insensibles à cette question, et tout sera fait pour que les délais soient raccourcis, car cette période est insupportable pour les enfants, comme vous l'avez dit. Mais en même temps, personne ne peut craindre le contrôle du juge, qui apporte de la sécurité.
Arrêtons de faire semblant de n'avoir pas pris connaissance des textes ! Relisons l'article 16-7 du code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». Voilà le droit positif français, il est clair ! Ne nous demandez pas ce que nous faisons pour réaffirmer notre opposition à la GPA !
Tout est écrit en toutes lettres dans le droit positif, dans le code civil et le code pénal, que j'ai tous deux cités, monsieur le député.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.
Je ne mets pas en doute votre détermination et votre sincérité à vouloir trouver des solutions pour l'ensemble de ces familles, monsieur le garde des sceaux, je le dis sans aucune flagornerie. Nous avons tous bien conscience du problème de la sécurisation juridique de ces enfants.
Pour autant, ces situations parfois dramatiques durent depuis plusieurs décennies. Les travaux que nous mettons en avant, notamment ceux de Monique Limon, ont débuté il y a plusieurs mois, peut-être même un peu plus d'un an : je vous avoue avoir peur et être mal à l'aise, en tant que membre de la représentation nationale, à l'idée d'expliquer à des familles qu'il va falloir encore attendre un peu, après plusieurs décennies passées dans l'expectative, et dans une situation dramatique.
Dès le début du quinquennat et l'installation de la quinzième législature, en 2017, des groupes parlementaires se sont emparés de ce problème. Le temps passe, et il ne reste plus que deux ans à votre majorité et au Gouvernement pour agir, dont seulement quinze à dix-sept mois pour légiférer. J'ai peur qu'à l'arrivée, des acteurs qui partagent votre volonté restent toutefois incapables de réformer les processus d'adoption, d'édicter des circulaires coercitives à destination de la magistrature et d'élaborer un mécanisme de filiation fluide pour la reconnaissance des enfants nés d'une GPA à l'étranger.
Sans remettre en cause votre engagement, votre détermination et votre sincérité, je soutiendrai donc ces amendements, car, malgré leurs imperfections, ils ont le mérite d'apporter une réponse, qu'il conviendra d'enrichir dans les mois ou les années qui viennent.
Je tiens à saluer vos propos, madame la rapporteure, sur la reconnaissance des enfants nés d'une GPA à l'étranger. Je fais partie de ceux qui ont déposé des amendements en première et deuxième lecture sur le sujet.
Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie également sincèrement de vos propos. Vous sachant un homme fidèle à sa parole et attaché, comme vous l'avez récemment rappelé, aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, sur laquelle portait mon amendement no 1072 qui doit venir un peu plus loin, je prends acte, devant la représentation nationale et nos collègues qui se sont exprimés ce matin, de votre volonté d'élaborer rapidement un dispositif qui mette un terme à l'insécurité juridique actuelle.
Jean-Louis Touraine a rappelé l'histoire des époux Mennesson : quand j'ai commencé mes cours de droit de la bioéthique, notre premier cas d'étude portait sur eux. Je vous passe les décisions que nous avons examinées sur les conventions de mères porteuses. Nous sommes évidemment peinés pour Sylvie Mennesson, qui a dû attendre la majorité de ses jumelles pour qu'un lien juridique fort soit consacré entre elle et ses filles. Si Sylvie Mennesson était décédée, comment les droits des enfants auraient-ils été rétablis ?
Monsieur le président, je retire donc l'amendement no 1072 au regard des propos du garde des sceaux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.
Il y a le temps législatif et celui de l'appropriation de l'évolution des moeurs : nous vivons actuellement un moment important, puisque nous allons pouvoir proposer un dispositif efficace, donnant, le plus rapidement possible, un statut juridique fiable aux enfants nés d'une GPA à l'étranger.
Ces enfants, cela a été dit, ne sont pas responsables de leur situation : ce sont des enfants, qui, comme tous les autres, ont besoin de stabilité et de sécurité. En même temps, la stabilité et la sécurité exigent que nous nous assurions de la véracité des faits entourant leur naissance. On ne peut pas faire comme si leur gestation et leur naissance s'étaient déroulées dans des conditions normales.
Je dirai la même chose pour les enfants adoptés à l'étranger. On sait bien, Mme la rapporteure l'a rappelé, que tous les pays ne fonctionnent pas de la même façon. Au regard des valeurs de notre pays et de ce que nous défendons, nous devons assurer à ces enfants, comme aux autres, la même sécurité et le même statut. Soyez certains que nous arrivons, enfin, au point où nous pouvons le faire.
L'une des pistes consisterait peut-être à accorder des moyens supplémentaires au service central d'état civil, situé à Nantes, qui est submergé de demandes. L'amélioration pourrait peut-être tout simplement passer par là.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
Lorsque nous avons entamé l'examen du texte, nous vous avons dit que la GPA allait s'inviter dans le débat. Elle s'y est invitée en première lecture, elle s'invite en deuxième lecture…
… et elle continuera de le faire, parce que, nous l'avons dit à plusieurs reprises, l'extension de la procréation médicalement assistée – PMA – , quoi que vous en disiez, nous conduira peut-être, sans doute, à discuter, dans quelques années, de la reconnaissance de la GPA.
Certains d'entre nous, ce n'est pas le cas de tout le monde ici, y sommes totalement hostiles, pour les raisons éthiques que chacun connaît. Nous voyons régulièrement des reportages sur des établissements étrangers dans lesquels les femmes sont presque recluses, en tout cas très pauvres, et exploitées.
Tous ceux qui crient aux violences faites aux femmes devraient nous rejoindre dans ce combat car, s'il faut bien sûr penser aux enfants, il faut aussi penser à ces femmes qui vivent une situation d'exploitation.
Il y a beaucoup d'hypocrisie sur ce sujet. Alors que nous sommes à mon sens une majorité à nous émouvoir des pratiques actuelles de GPA, la presse fait régulièrement état de personnalités très en vue, dans le monde politique ou médiatique, qui ont eu recours à cette pratique. Nul ne s'en émeut. Au contraire : on regarde leurs jolis bambins avec bienveillance. En d'autres termes, même si l'on condamne la GPA, on en voit partout les effets dans notre pays. Le salon Désir d'enfant, déjà évoqué, en fait même la promotion.
Telle est la réalité. Il faut donc que nous trouvions dans le droit français – sur ce point, je m'inscris en faux contre les propos de Mme la rapporteure – les moyens de résister. Pour l'heure en effet, nous ne pouvons condamner que l'entremise, et nous savons que cela ne suffit pas. En vertu de la circulaire Taubira et des étapes supplémentaires qui l'ont suivie, la France est obligée de reconnaître ces enfants – sachant que, dès qu'on parle d'un enfant, on ne peut qu'être sensible à sa situation et que, comme l'a souvent dit Mme Taubira, on ne peut créer d'apatride.
Nous formulons des propositions pour introduire dans notre droit matière à résister. À défaut, l'interdiction de la GPA restera une chimère – si j'ose dire ! – un mirage, une bonne intention que l'on se plaît à répéter sans pour autant trouver de solutions concrètes pour empêcher une réalité que l'on déplore.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Monsieur le garde des sceaux, vous maîtrisez déjà l'art du « en même temps », qui consiste à dire beaucoup et à faire peu.
Chers collègues de la majorité, vos propos tendent à relativiser ce qu'est la gestation pour autrui. Votre sémantique m'inquiète, puisqu'elle vise à dissimuler la réalité ainsi que le problème éthique que pose une telle pratique. Vous avancez masquée, madame la rapporteure, en parlant à présent de procréation pour autrui.
Quelle hypocrisie que de dire non à la GPA et oui, peut-être, à la PPA !
Monsieur le garde des sceaux, en France, on ne peut conclure de contrat sur le corps de la femme. Notre législation ne le permet pas. Dès lors, pourquoi laisser certains acteurs en faire la promotion en toute impunité ? Pourquoi peuvent-ils proposer des conseils juridiques à ceux qui songent à faire une GPA à l'étranger ? Quelles instructions donnerez-vous en la matière ? Vous ne pouvez vous défausser, à l'heure où les témoignages sur la GPA se multiplient.
Vous annoncez une circulaire, ce qui nous inquiète, car on parle de circulaire à chaque réforme sociétale. Après les angles morts que contiennent les articles 1er, 2, 3 et 4, vous nous indiquez, à l'article 4 bis, que notre législation doit être complétée. Si nous voulons dissuader nos compatriotes d'entreprendre demain des GPA, il faut prévoir des sanctions, y compris s'ils vont à l'étranger. Nous le faisons d'ailleurs pour sanctionner des agressions sexuelles perpétrées par des Français sur des mineurs dans des pays où elles ne sont pas réprimées.
Puisque vous voulez que nous citions des articles, je vous renvoie sur ce sujet à l'article 222-22, alinéa 3 du code pénal.
Monsieur le garde des sceaux, allez-vous dire aux Français que tenter demain d'utiliser le ventre d'une femme à l'étranger est une pratique scandaleuse, que vous combattrez par tous les moyens que vous offre votre ministère ?
Je ne sais pas si je suis autorisé à vous dire que certaines limites ne peuvent pas être franchies. Les gens qui ont recours à la GPA ne sont pas des agresseurs sexuels.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM. – M. Guillaume Chiche applaudit.
Je vais essayer de faire une réponse complète. Madame Genevard, la GPA ne s'invite pas dans ce débat, mais dans notre époque et dans notre société, qu'on le veuille ou non.
Applaudissements sur les bancs du groupe EDS et quelques bancs du groupe LaREM.
Que souhaitez-vous, qu'on interdise à des Français d'aller à l'étranger ?
Ah oui ? Voilà un programme intéressant ! Et nous allons interdire à des Français de pratiquer une GPA si elle est autorisée dans le pays où ils se trouvent ?
Et vous voudriez également que l'on interdise à nos compatriotes de s'exprimer sur le sujet. Singulière conception de la liberté !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
À ce moment du débat, monsieur le garde des sceaux, la seule question qui se pose, et à laquelle vous ne répondez pas, est celle-ci : qu'allez-vous faire pour dissuader les Français de recourir à la GPA à l'étranger ? Vous ne semblez pas prendre la mesure du sujet. Le Gouvernement pratique le double langage : vous faites des déclarations mais les actes ne suivent pas. Nos concitoyens s'en rendent compte tous les jours.
Rendez-vous compte que la gestation pour autrui, c'est une gestation par autrui ! C'est de l'esclavagisme moderne ! Vous balayez cela d'un revers de main. C'est inquiétant pour notre pays.
M. Marc Le Fur applaudit.
Sur l'amendement no 888 , je suis saisi par le groupe Les Républicains d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 1186 , 1209 , 1522 , 1230 , 1237 , 1286 1523 , 888 , 363 , 701 , 886 , 1185 , 1208 , 1388 , 1521 , 2137 , 2212 , 414 , 1670 rectifié et 415 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 1186 , 1209 et 1522 sont identiques, comme les amendements nos 1230 , 1237 , 1286 et 1523 , ainsi que les amendements nos 363 , 701 , 886 , 1185 , 1208 , 1388 et 1521 .
L'amendement no 1186 de M. Xavier Breton est défendu.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l'amendement no 1209 .
Je me contenterai de dire qu'il est défendu, en raison du temps législatif programmé.
Chacun aura remarqué en effet que vous vous êtes fort peu exprimé jusqu'à présent.
Rires.
Vous pouvez le défendre, il vous reste une heure cinquante-sept minutes !
Le présent amendement reprend la version du projet de loi issue du Sénat, que vous avez modifiée en commission spéciale. Il vise à donner une portée pleine et entière à l'interdiction de la gestation pour autrui en France.
Les amendements identiques nos 701 de Mme Agnès Thill, 886 de M. Thibault Bazin, 1185 de M. Xavier Breton, 1208 de M. Patrick Hetzel, 1388 de M. Pascal Brindeau et 1521 de M. Marc Le Fur sont défendus.
Les amendements nos 2137 de M. Thibault Bazin, 2212 de Mme Aina Kuric, 414 de M. Guillaume Chiche, 1670 rectifié de Mme Florence Granjus et 415 de M. Guillaume Chiche sont défendus.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements ?
Avis défavorable. Je répondrai brièvement car nous avons déjà eu ce débat.
La plupart de ces amendements émanent du groupe LR et visent à rétablir la rédaction du Sénat, qui interdit toute possibilité de transcrire à l'état civil français l'acte de naissance étranger des enfants nés de GPA. Interdire toute transcription de cet acte reviendrait à bloquer les décisions et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation, qui permettent de transcrire une partie de l'acte au bénéfice du parent biologique et de passer, pour l'autre parent, par la voie de l'adoption.
D'autres amendements, comme ceux de M. Chiche, plaident pour une transcription systématique et intégrale de cet acte de naissance ou pour son assimilation à un jugement d'adoption plénière, ce qui, j'ai expliqué pourquoi, ne me semble pas possible.
Entre ces deux extrêmes, la position retenue dans le texte semble la plus équilibrée.
Même avis. Mme la rapporteure a fait une excellente analyse de la jurisprudence européenne.
Monsieur le garde des sceaux, si j'ai fait une comparaison, c'était pour rappeler qu'on peut sanctionner en France des actes commis à l'étranger. Vous vous êtes emballé, mais il ne s'agissait nullement de comparer les agressions sexuelles et la GPA.
Madame la rapporteure, essayons d'être objectifs. La rédaction que vous proposez ne tient pas, car elle ne clarifie pas la situation. Je conviens que la jurisprudence ne suffit plus, mais, si l'on renvoie la décision à l'appréciation du juge, on risque de se trouver face au même problème puisqu'il peut fonder son interprétation – comme l'a fait la Cour de cassation pour rendre un jugement problématique – sur les engagements internationaux de la France qui, du fait de la hiérarchie des normes, l'emportent sur la loi française.
En outre, l'adoption du nouveau dispositif crée la reconnaissance conjointe pour établir le lien maternel. On voit bien que nous devons légiférer, après le dispositif que vous avez introduit à l'article 4, de manière à éviter toute dérive incitative vers la GPA.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 50
Nombre de suffrages exprimés 49
Majorité absolue 25
Pour l'adoption 12
Contre 37
L'amendement no 888 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 48
Nombre de suffrages exprimés 47
Majorité absolue 24
Pour l'adoption 12
Contre 35
Les amendements nos 2137 , 2212 , 414 , 1670 rectifié et 415 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
L'article 4 bis est adopté.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix heures cinq, est reprise à dix heures quinze.
Nous en arrivons au titre II. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 40 , 179 et 1525 , portant article additionnel avant l'article 5 A.
Les amendements nos 40 de M. Xavier Breton et 179 de M. Patrick Hetzel sont défendus.
La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l'amendement no 1525 .
Le débat que nous venons d'avoir est extrêmement révélateur. Il confirme notre intuition : derrière la PMA, vous nous préparez la GPA. Les fondements idéologiques sont les mêmes : il s'agit dans les deux cas de faire prévaloir le désir de l'adulte, qui devient volonté, puis qui devient droit. Mais ce désir est parfois caprice !
Un autre argument est commun, celui de l'égalité. La PMA est justifiée par l'égalité nécessaire entre les couples composés d'un homme et d'une femme et ceux composés de deux femmes ; la GPA sera également défendue au nom de l'égalité entre des couples d'hommes et des couples de femmes.
Sur ce sujet, votre majorité se divise, ou en donne l'illusion : il y a ceux qui, très explicitement, s'engagent en faveur de la GPA et ceux qui, très hypocritement, prétendent qu'ils s'y opposent. C'est une simple question de temps : certains veulent aller vite, d'autres se donnent un délai politique pour faire passer cette idée. Et les seconds agissent comme le font souvent les hypocrites : ils disent que leur position est la bonne, puisqu'ils se situent entre deux extrêmes et qu'ils adoptent une solution de compromis.
Vous dites donc vous opposer à la GPA, mais à part cette pétition de principe, je n'ai entendu aucun membre du Gouvernement donner des éléments précis pour le démontrer. Au contraire ! Avez-vous condamné la propagande pour la GPA, la publicité pour les centres qui l'organisent, les rassemblements qui se préparent dans notre pays, par exemple à Paris dans le XVIIe, à l'occasion du salon Désir d'enfant, comme l'a très justement dit Annie Genevard ? Non. Vous vous contentez d'une pétition de principe. Ce n'est pas donc pas une position, c'est de l'hypocrisie.
Le comble de l'hypocrisie serait d'ailleurs, pour le législateur que nous sommes, d'attendre tout simplement la jurisprudence qui va bien : cela résoudrait bien des problèmes, vous autorisant à dire que le législateur n'y est pour rien et que nous ne faisons que prendre acte d'une position qui nous est quasiment imposée… Voilà la logique qui est devant nous.
L'autre paradoxe de votre attitude hypocrite, c'est que vous mettez en avant l'intérêt de l'enfant. Celui-ci n'était pourtant pas votre souci premier lorsque nous avons débattu de la PMA, ni lorsque nous avons débattu de la recherche des origines ; vous lui opposiez alors l'intérêt de l'adulte et l'intérêt du donneur.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que ce texte est révélateur, et qu'il prépare des choses pires encore. C'est ce que nous souhaitons dénoncer.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel, suppléant M. Hervé Saulignac, rapporteur de la commission spéciale, pour donner l'avis de la commission.
Nous sommes bien d'accord, monsieur Le Fur, votre intervention ne portait pas sur l'amendement en discussion.
Je ne vais pas vous répondre, puisque je ne représentais pas la commission lors de l'examen du titre Ier.
Quant à ces amendements, ils visent à supprimer le titre. Je conçois que vous ne l'approuviez pas, puisqu'il correspond pleinement à la philosophie du projet de loi. Avis défavorable.
La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé, pour donner l'avis du Gouvernement.
Avis défavorable.
Nos arguments doivent être irréfutables, puisque vous ne répondez pas !
Monsieur Le Fur, j'entends les mêmes arguments depuis huit ans…
La parole est à M. Jean-Louis Touraine, pour soutenir l'amendement no 1734 qui vise à rétablir un article 5 A.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi la neutralité financière du don d'organe.
Les textes actuels prévoient que le donneur d'organe, par exemple la personne qui donne un rein à l'un de ses parents ou à un proche, soit défrayé de l'ensemble des frais imputables aux examens pratiqués, à l'opération chirurgicale, au transport vers l'hôpital… Malheureusement, en pratique, cette règle est insuffisamment suivie ou appliquée de façon tatillonne, avec des mois de procédure. Très souvent, les donneurs sont sommés, par l'administration hospitalière par exemple, d'avancer ces frais. Quelquefois, ils sont remboursés – un an plus tard.
Nous proposons d'inscrire dans la loi la neutralité financière. Un donneur d'organe ne devrait pas payer du tout ! La solidarité nationale doit s'exercer et prévenir tout frais pour ceux qui sont assez généreux pour donner à des malades en grande souffrance la possibilité d'obtenir une transplantation d'organe.
Vous souhaitez rétablir les dispositions adoptées par le Sénat relatives à la neutralité financière du don. Comme vous le savez, le droit de la bioéthique intègre déjà ce principe de neutralité financière : l'article L. 1211-4 du code de la santé publique prohibe toute forme de paiement « à celui qui se prête au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de ses produits », mais prévoit aussi que « les frais afférents au prélèvement ou à la collecte sont intégralement pris en charge par l'établissement de santé chargé d'effectuer le prélèvement ou la collecte ».
La neutralité financière résulte aussi des dispositions de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, ou convention d'Oviedo, signée et ratifiée par la France.
Votre excellent rapport sur la révision de la loi relative à la bioéthique avait soulevé des difficultés dans l'application de ce principe, mettant en évidence « l'opportunité de quelques ajustements ». Il appelait toutefois à des changements « administratifs et organisationnels » plutôt qu'à des évolutions de nature législative.
Enfin, nous craignons que l'adjectif « financière » ne restreigne la portée du principe de neutralité du don. L'absence de gains ou de pertes financières pour le donneur est évidemment un principe structurant du droit de la bioéthique. Mais la neutralité impose également, par exemple, que l'état de santé du donneur ne se dégrade pas, alors même qu'il a consenti à un geste important. C'est par exemple la raison pour laquelle la mission de suivi des donneurs assurée par l'Agence de la biomédecine, restreinte aujourd'hui au don d'organe, est étendue par le projet de loi au don des cellules souches hématopoïétiques.
Pour toutes ces raisons, la commission a donc repoussé cet amendement. Avis défavorable.
Il est vrai que certains textes sont mal appliqués, mais ce n'est pas en répétant dans la loi ce qu'elle dit déjà que nous améliorerons la situation ! J'entends qu'il peut y avoir des difficultés d'appréciation, mais le droit est parfaitement clair sur ce point depuis des années.
En outre, comme l'a bien dit Mme la rapporteure, la neutralité va bien au-delà de la neutralité financière : votre amendement en restreindrait la portée. Je propose le retrait ; à défaut, avis défavorable.
Bien sûr, tout est prévu dans le code de la sécurité sociale. Mais cela n'a pas la même valeur ! Pour avoir pratiqué cette activité pendant quarante ans, je peux vous affirmer qu'en pratique, aujourd'hui comme alors, les donneurs reçoivent des factures. On leur demande par ailleurs d'effectuer des démarches complexes, qu'ils ne réussissent pas toujours. Ces contentieux durent parfois plusieurs années, au détriment des donneurs.
C'est dissuasif, alors que nous manquons cruellement de donneurs d'organes. Nous avons affronté, avec la crise sanitaire, une période très difficile durant laquelle des centaines de malades n'ont pas pu recevoir de transplantation. Plusieurs centaines d'entre eux sont décédés.
Il est impératif de favoriser, lorsque c'est possible, le don par un donneur volontaire familial. Mais si ces personnes doivent avancer l'argent, certaines familles modestes ne pourront pas s'engager dans cette activité si généreuse qu'est le don d'un organe à un proche.
L'amendement no 1734 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l'amendement no 364 .
Il faut bien sûr encourager les dons d'organes. Cependant, il nous faut rester prudents vis-à-vis des risques tout à fait réels de développement du trafic d'organes – des témoignages épouvantables nous parviennent à propos du sort des Ouïghours, en Chine.
Je propose donc de limiter, dans le cas de dons croisés, le nombre de paires donneur-receveur à quatre, au lieu de six comme le prévoit le projet de loi.
Madame Genevard, nous avons déjà débattu en commission de cet amendement qui a trait au nombre de paires de donneurs et de receveurs pouvant figurer au sein d'une chaîne, question qui a connu quelques vicissitudes depuis le début de l'examen de ce texte.
Pour mémoire, le droit actuel permet d'associer deux paires de donneurs vivants et de receveurs, lorsque le don d'organe est impossible au sein de chaque paire.
Le texte initial présenté par le Gouvernement prévoyait de porter ce nombre de paires à quatre. En première lecture, l'Assemblée a préféré ne pas fixer dans la loi la limitation de la chaîne de dons croisés à quatre paires de donneurs et de receveurs, et a renvoyé la définition de cette limite à un décret. Cependant, le Sénat a souhaité que ce pouvoir revienne au législateur et a porté à six le nombre de paires autorisées.
Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le cadre n'est pas limité, mais l'expérience américaine permet de constater un nombre moyen de 4,6 paires impliquées dans une chaîne.
Nous considérons qu'il n'y a aucun risque de trafic d'organes avec ce type de dons très encadrés. Le risque serait plutôt celui de la rétractation. Il est toutefois minime, en raison du délai de moins de vingt-quatre heures prévu dans le texte pour réaliser l'ensemble des opérations.
Par cohérence avec les débats et le vote de l'Assemblée en première lecture, et dans une approche constructive vis-à-vis de nos collègues sénateurs, il nous semble plus sage de nous en tenir à la présente rédaction du texte sur ce point. L'avis est donc défavorable.
La rapporteure et le ministre ont bien indiqué pourquoi votre amendement ne devrait pas être adopté. En effet, au-delà des cas où, dans une même famille, il existe un donneur compatible avec le receveur, si nous voulons réaliser des transplantations avec des donneurs vivants nous sommes contraints de recourir à une chaîne de donneurs. Lorsque cette chaîne est limitée à deux paires de donneurs et de receveurs, les choses ne fonctionnent pas – nous en avons l'expérience en France depuis quelques années.
Le résultat est nul : il n'y a eu aucune transplantation d'organe, ou presque, grâce à ce que l'on appelle les dons croisés. Pour que les choses fonctionnent, il est nécessaire qu'un nombre relativement important de personnes participent à la chaîne. Par exemple, une personne appartenant à la famille A donne un organe à un malade appartenant à la famille B et, au sein de cette famille B, quelqu'un fera à son tour un don d'organe à un malade d'une famille C, D ou E.
Comme dans la plupart des pays qui ont permis cette avancée, l'idéal serait qu'il n'y ait pas de limitation du nombre de personnes incluses dans une chaîne. Pour autant, vous l'avez compris, les sénateurs, afin de réduire le risque de rétractation d'un donneur dans une famille où quelqu'un a bénéficié d'un don d'organe, ont souhaité limiter à six le nombre de paires de donneurs et de receveurs. Cette disposition paraît raisonnable et équilibrée, et permet, en définitive, d'inclure tout de même plusieurs familles au sein d'une chaîne et d'accroître les chances des malades d'accéder à un don d'organe.
Il serait véritablement déraisonnable d'invoquer le spectre du trafic d'organes pour annihiler cette avancée. Vous le savez très bien, le trafic d'organes n'existe pas en France pour ce type de don, pas plus qu'il n'existe dans les pays autorisant les chaînes de dons ; ce trafic n'est justement une réalité que dans les pays où les chaînes n'existent pas. Je vous demande donc à mon tour de bien vouloir cautionner ce progrès nécessaire et d'accepter de retirer votre amendement en entendant nos arguments et en suivant les conseils de vos collègues sénateurs, qui appartiennent au même groupe politique que vous.
M. Touraine ne s'exprime pas en tant que rapporteur, il faut donc décompter son intervention du temps de parole de son groupe !
J'admire la plasticité avec laquelle, tantôt vous révoquez l'avis du Sénat, tantôt vous vous appuyez sur lui pour nous convaincre.
Monsieur Touraine, j'entends vos arguments et je retire donc mon amendement no 364 .
Mais s'agissant du no 365, qui vise à rendre simultanés les dons croisés, j'estime qu'il mérite réflexion. En matière de transplantation d'organes, il est crucial de garantir la liberté de chacun des donneurs : le consentement doit donc pouvoir être révoqué à tout moment. Dès lors l'organisation simultanée évite précisément le risque de rétractation d'une des parties. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de reconsidérer votre avis.
Il est toujours défavorable.
L'amendement no 364 est retiré.
L'amendement no 365 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
L'article 6 encadre le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé au bénéfice d'un de ses parents.
Les cellules souches hématopoïétiques sont des cellules pluripotentes utilisées pour traiter des lymphomes, des leucémies, ou encore des cancers du sein. Elles sont prélevées dans la moelle osseuse, dans le sang, ou dans le sang placentaire. Actuellement, par dérogation au principe d'interdiction de tout prélèvement de ces cellules sur un mineur ou un majeur protégé, celui-ci est possible au bénéfice d'un frère, d'une soeur, ou, à titre exceptionnel, d'un cousin germain, d'une cousine germaine, d'un oncle, d'une tante, d'un neveu ou d'une nièce.
L'article 6 envisage d'étendre la possibilité, pour un mineur ou un majeur protégé, du don de cellules souches hématopoïétiques au profit d'un de ses parents. Un tel prélèvement ne pourrait intervenir qu'en dernier recours, c'est-à-dire lorsqu'un patient est atteint d'une maladie mortelle, généralement une leucémie ou une maladie apparentée, et qu'il n'existe aucun donneur compatible parmi les 34 millions de personnes figurant au fichier international de donneurs de cellules souches hématopoïétiques.
Un dispositif juridique spécifique et sécurisé est destiné à assurer l'intégrité du consentement de ces personnes vulnérables. Ainsi, que le donneur soit majeur protégé ou mineur, le tribunal n'autorisera le prélèvement au bénéfice d'un parent qu'après consultation d'un administrateur ad hoc, pour éviter toute pression familiale. Le refus du mineur ou majeur protégé fera obstacle au prélèvement.
En séance publique, le Sénat a adopté un amendement prévoyant qu'une personne majeure protégée peut faire bénéficier l'un de ses enfants d'un don de ce type de cellules.
En commission, nous avons adopté un amendement revenant sur l'abaissement de l'âge du consentement à 16 ans, adopté au Sénat, afin de mieux protéger l'enfant.
Je suis saisi de trois amendements de suppression, nos 366, 1240 et 1244.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l'amendement no 366 .
Je soutiens cet amendement de suppression, car autoriser le prélèvement sur une personne majeure protégée revient à méconnaître la nécessité d'entourer ces personnes d'un surcroît de protection.
Je regrette l'accroissement des prélèvements de cellules souches hématopoïétiques dans la moelle osseuse au détriment des prélèvements du sang de cordon – nous devrions examiner cette question. J'indique à cet égard que se trouve à Besançon, la capitale du département dont je suis originaire, la première banque de sang de cordon de l'histoire – le lieu fait référence – et aussi la première en volume. J'aimerais, monsieur le ministre de la santé, vous entendre sur ce point.
Les amendements nos 1240 de M. Xavier Breton et 1244 de M. Patrick Hetzel sont défendus.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements ?
Par ces amendements, vous souhaitez supprimer l'article 6, qui vise à développer le don de cellules souches hématopoïétiques dans le cadre intrafamilial. Il s'agit d'un élargissement des possibilités existant aujourd'hui. En parallèle, le projet de loi apporte des garanties très importantes vis-à-vis de l'ouverture de ce don au bénéfice des parents.
Afin d'éviter toute pression sur le mineur, l'article 6 dispose que le recueil de consentement est effectué par le juge judiciaire, lequel désigne un administrateur ad hoc chargé de représenter le mineur. Cet administrateur ne pourra être ni un ascendant ni un collatéral des parents ou du mineur. Il appartiendra ensuite au juge judiciaire d'autoriser les prélèvements, après avis du comité d'experts. Il est aussi prévu que le prélèvement ne devra comporter « aucun risque pour le mineur », son refus faisant, en tout état de cause, obstacle au prélèvement. Nous considérons donc que le texte encadre de manière très stricte cette possibilité nouvelle et la commission a ainsi donné un avis défavorable à la suppression de cet article.
Je crois, madame Genevard, qu'il y a une légère confusion. Soit vous disposez de cellules souches hématopoïétiques issues d'un prélèvement de sang de cordon et vous pouvez éventuellement en faire usage si nécessaire, soit vous n'en disposez pas et, dans un cadre intrafamilial et avec toutes les règles de protection qui ont été rappelées par Mme la rapporteure, vous avez bien besoin de faire un autre type de prélèvement. Il ne s'agit pas d'un prélèvement post-natal, mais d'un prélèvement sur un mineur ou un majeur protégé, en vue d'un élargissement de ce type de don dans un cadre familial.
Cela ne contrevient pas aux dispositions de la convention d'Oviedo, car, comme l'a dit la rapporteure, nous encadrons rigoureusement le processus avec le recueil strictement défini du consentement de l'enfant ou du majeur protégé. Un tiers intervient durant toute la procédure afin que le parent et le mineur ou majeur protégé ne soient pas les seules parties prenantes de la décision. Le processus est extrêmement cadré et des prélèvements de sang de cordon ne peuvent constituer une solution de remplacement.
Non, car nous avons besoin d'une compatibilité parfaite. Si vous ne disposez pas de sang de cordon…
Lorsque vous disposez de sang de cordon compatible, c'est formidable. Mais si ce n'est pas le cas, vous êtes bien obligé de rechercher dans le cadre familial, chez le mineur ou le majeur protégé, des cellules souches hématopoïétiques compatibles avec le parent qui bénéficiera de la greffe.
Je vous assure que les critères de compatibilité sont très précis et complexes et qu'on ne trouve pas facilement des cellules compatibles, même au sein d'une banque de sang aussi importante que celle de Besançon. Il est donc nécessaire d'autoriser ces autres types de prélèvements qui, je le répète, feront l'objet d'un encadrement très étroit et parfaitement conforme aux conventions internationales en la matière.
Le sang de cordon pourrait être utilisé de façon subsidiaire. Mais encore faudrait-il l'inscrire dans le texte.
Les amendements identiques nos 1241 de M. Xavier Breton et 1243 de M. Patrick Hetzel sont défendus.
La parole est à Mme Natalia Pouzyreff, pour soutenir l'amendement no 592 .
Cet amendement de Mme Provendier vise à ce que le président du tribunal judiciaire recueille le consentement du mineur avant de procéder au prélèvement de cellules souches hématopoïétiques.
L'amendement étant déjà satisfait, je vous demande de le retirer. En effet, le dernier alinéa de l'article L. 1241-3 du code de la santé publique, qui n'est pas modifié par l'article 6 du projet de loi, dispose que « le mineur a été informé du prélèvement envisagé en vue d'exprimer sa volonté, s'il y est apte. En ce cas, le refus du mineur fait obstacle au prélèvement. »
L'amendement no 592 est retiré.
Madame la rapporteure suppléante, reprenez-vous l'amendement no 2005 de M. Hervé Saulignac ?
Au temps pour moi, vous ne pouvez pas le soutenir, car vous n'en êtes pas signataire.
L'article 6 est adopté.
Cet amendement vise à supprimer les alinéas 5 et 6 de cet article. L'article 7 permet à des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique d'exprimer leur consentement en matière de don d'organes, de tissus et de cellules. Ce type de don est impossible pour les personnes faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation à la personne. Nous considérons néanmoins qu'aucune distinction ne devrait être faite, dans la mort, entre les personnes ayant fait l'objet d'une mesure de protection juridique et les autres qui, elles, peuvent faire don de leurs organes, tissus et cellules après leur décès. Cela n'irait pas à l'encontre du respect du corps de la personne décédée, qui est, comme vous le savez, l'une de nos préoccupations majeures.
Comme vous le savez, le consentement au don d'organes après la mort obéit à la règle du consentement présumé : tous ceux qui n'ont pas dit qu'ils ne souhaitaient pas donner leurs organes sont considérés comme donneurs. Ce principe du consentement est le principe cardinal du droit du don.
Le projet de loi interdit aux majeurs protégés avec représentation à la personne de donner leurs organes de leur vivant, alors qu'il étend cette faculté à tous les autres majeurs protégés. Il s'agit en effet des personnes protégées les plus vulnérables, dont on estime qu'elles ne sont malheureusement pas, ou plus, en mesure de se décider pour elles-mêmes, et donc de consentir.
Le Sénat a adopté un amendement visant à ne pas appliquer le droit commun du prélèvement post mortem aux majeurs faisant l'objet d'une protection juridique avec représentation à la personne. La commission a considéré que c'était une mesure de cohérence avec ce que l'on a décidé pour le don du vivant. On considère donc que leur consentement éclairé ne peut être présumé. Effectuer des prélèvements dans ces conditions ne serait pas respectueux de leur personne. C'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
Pour ma part, je vais donner un avis favorable à cet amendement, car il nous semble important de restaurer dans le droit commun la situation des majeurs protégés. Or nous ne sommes pas dépourvus de garanties. Dans son avis, le Conseil d'État a précisé que, « lorsque l'état de la personne protégée ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée, le juge ou le conseil de famille, s'il a été constitué, peut prévoir qu'elle bénéficie, pour l'ensemble des actes relatifs à sa personne, notamment pour l'expression d'un refus de prélèvement d'organe, de l'assistance de la personne chargée de sa protection ». Il s'agit donc bien de créer les conditions du recueil d'un refus exprimé du vivant du majeur protégé, à l'instar de ce qui a été décidé pour l'ensemble de la population : cela se fera, dans ce cas, par l'intermédiaire du juge ou du conseil de famille.
Pour le reste, les majeurs protégés restent dans le droit commun. On a dénombré vingt-quatre prélèvements chez les majeurs protégés l'année dernière, et dix-neuf depuis le début de cette année. Or les amendements qui ont été votés interdisent purement et simplement le recours au prélèvement d'organes chez les majeurs protégés. Le Gouvernement est donc favorable à la suppression de cette disposition : le droit commun doit être restauré pour tous.
Monsieur le ministre, votre avis, qui a évolué, ne nous paraît pas forcément cohérent avec le droit commun, qui n'est pas appliqué du vivant des majeurs protégés, mais seulement post mortem.
Avec la rédaction actuelle, tout est interdit !
Mon amendement vise à corriger une discrimination qui fait que, si la personne n'est pas inscrite sur la base de données, elle sera présumée donneuse après son décès. De son vivant, le majeur protégé est accompagné tout au long du parcours pour trancher cette question : s'il souhaite refuser le don d'organes, il sera inscrit parmi les non-donneurs. Les protections sont en place, tout est bien prévu. Comme l'a rappelé M. le ministre, des vies ont été sauvées, l'année dernière, grâce à ces dons d'organes. Il serait dommage qu'une telle discrimination empêche d'en sauver d'autres. J'invite donc tout le monde à voter cet amendement, d'autant plus que c'est peut-être la seule fois que M. le ministre et moi nous serons d'accord.
Sourires.
Avis toujours favorable, ça n'a pas changé !
Nous devons saluer cet accord historique entre Caroline Fiat et Olivier Véran.
Sourires.
Plus sérieusement, avec ce projet de loi, nous voulons faciliter le don d'organes. Notre pays connaît en effet une pénurie de dons.
Des hommes et des femmes attendent d'être sauvés et de pouvoir revivre sereinement. Nous avons là une occasion de clarifier la situation et il est important de voter l'amendement.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI et plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'amendement no 937 est adopté.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI et sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.
L'article 7, amendé, est adopté.
J'en appelle à la vigilance de l'Assemblée. Que l'on soit favorable ou non au projet de loi, on peut reconnaître que l'article 7 bis est essentiel, car il aborde notamment la question du don du sang. En commission spéciale, nous avons voté la suppression de toute discrimination envers les personnes qui ont des relations sexuelles avec des partenaires de même sexe et qui souhaitent donner leur sang. Il a même été décidé de supprimer le délai d'abstinence avant qu'elles puissent le faire. Les critères de sélection des donneurs ne peuvent être fondés sur le sexe du partenaire avec lequel ils auraient entretenu des relations sexuelles.
Le Gouvernement va défendre dans un instant des amendements inspirés par l'argument selon lequel, plus que les autres, les homosexuels peuvent avoir des comportements à risque. C'est possible, mais n'est-ce pas aussi le cas pour les hétérosexuels ?
Je ne comprends pas que l'on veuille supprimer cette non-discrimination et revenir sur la possibilité que les homosexuels donnent leur sang. Si nous manquons vraiment de sang, si nous connaissons la pénurie qui est dénoncée, pourquoi ne pas accueillir tous ceux qui souhaitent donner leur sang, quelle que soit leur orientation sexuelle ?
Ne teste-t-on pas chaque poche de sang ? Pourquoi, dans ces conditions, ne pas lever cette discrimination ? Ceux qui ont déjà donné leur sang savent la longueur du questionnaire auquel il faut répondre, et que certaines questions peuvent être horribles pour une personne homosexuelle qui comprend qu'elle est refusée dès l'entretien médical.
Je vous appelle donc à être très vigilants au sujet de l'article 7 bis.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et EDS, et sur quelques bancs du groupe LaREM.
Le sujet n'est pas nouveau mais extrêmement complexe, et je vais prendre un peu de temps pour le traiter, car je voudrais que chacun puisse voter en parfaite connaissance de cause.
Je vous prie de m'excuser de commencer par faire état de mon expérience personnelle, non pas en tant que citoyen mais en tant qu'engagé en politique. En 2012, parlementaire dans une autre majorité, je me suis vu confier par le Premier ministre de l'époque une mission sur la filière du sang en France. J'ai rendu un rapport qui a fait un certain bruit. Je me souviens de la une d'un grand quotidien national qui titrait : « Les gays pourront-ils donner leur sang demain ? » S'en est suivie une grande explication, car, dans mon rapport, je prenais fait et cause pour la fin d'une mesure qui me paraissait discriminatoire et qui ne semblait pas se justifier par l'état de la science : tout homme qui avait eu un rapport sexuel avec un autre homme, quand bien même c'était trente ans plus tôt, était exclu à vie du don. C'était excessif.
À la suite de ce rapport, une loi a entériné le fait que nul ne pouvait être discriminé en raison de sa sexualité, et des travaux scientifiques ont été conduits par la direction générale de la santé, par Santé publique France, partagés en toute transparence et de manière extrêmement apaisée avec les associations de donneurs et celles de receveurs. Ainsi s'est opéré un profond changement dans les règles : n'étaient désormais exclus du don que les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes dans les douze mois précédents.
Mais c'était encore excessif, et l'on a entrepris de réviser ces critères, en associant aux travaux les mêmes acteurs – direction générale de la santé, Santé publique France, associations de donneurs, associations de receveurs. Et, en avril 2020 – l'encre n'est pas encore sèche – , conformément à l'engagement qu'avait pris ma prédécesseur, on a ramené le délai à quatre mois.
Ainsi, de 2016 à 2020, on est passé d'une éviction à vie à une éviction en dessous de quatre mois sans rapports.
Je dois à présent expliquer quelles sont les raisons scientifiques – et non politiques, il est important de faire le distinguo – qui justifient mon amendement. Vous avez parfaitement raison, monsieur le député, on teste toutes les poches de sang. Mais, dans le cas du VIH, il y a ce que l'on appelle une « fenêtre sérologique », c'est-à-dire une période de quelques jours, durant lesquels on peut avoir été contaminé par le VIH sans qu'il soit encore possible de déceler les anticorps. Le virus ne se multiplie pas moins dans la poche de sang, et il risquerait d'être donné à des personnes qui n'ont certainement pas demandé qu'on leur transfuse du sang contaminé.
Telle est la réalité scientifique, monsieur Minot : je vous parle là en scientifique et en personne engagée. Nul ne peut me dénier les combats que j'ai menés sur cette question pendant sept ans dans cet hémicycle.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, MODEM et Agir ens.
Croyez-moi, j'en ai pris plein la figure, …
… on disait que c'était dangereux, je pourrais vous montrer les communiqués de presse de certaines associations.
Il faut donc être très prudent et parler de ce sujet sans passion, avec raison, en s'appuyant sur les faits et sur la science. Entre 2001 et 2018, en dehors du cadre de la fenêtre sérologique, on a identifié vingt-sept donneurs particulièrement à risque de transmission du VIH par transfusion : vingt-quatre hommes et trois femmes. Sur les vingt-quatre hommes, quinze étaient ce que l'on appelle des HSH, c'est-à-dire des hommes qui avaient eu une relation sexuelle avec un homme. Ainsi, statistiquement, on constate un sur-risque que du VIH passe à travers les mailles du filet dans une population donnée, non pas en raison de la sexualité, mais d'une pratique qui ne relève pas d'un jugement moral, et qui est purement factuelle.
Quand on parle de discrimination, il faut rappeler que, quiconque a résidé en Angleterre à une certaine époque pendant laquelle s'y étaient déclarés des cas d'encéphalopathie spongiforme bovine – la maladie de la vache folle – est évincé du don à vie.
Quiconque réside en Guyane, où circulent le virus Zika ou celui de la fièvre jaune, est évincé du don à vie. Il ne s'agit pas là d'un jugement moral ou d'un jugement de valeur portant sur des pratiques ou sur une sexualité, mais d'un sur-risque statistique estimé.
Dans un pays qui, je le rappelle, a été profondément marqué, l'Établissement français du sang a été fondé sur la notion de sécurité sanitaire. C'est son principe même, son essence, sa raison d'être, que d'assurer, de promouvoir, de garantir par tous les moyens la sécurité des donneurs et celle des receveurs. Ainsi est-il amené à nous faire des propositions, en lien avec la direction générale de la santé, pour faire évoluer les critères lorsque ceux-ci semblent excessifs, désuets ou devenus inutiles. Mais, lorsque ce n'est pas le cas, l'Établissement nous dit qu'il a besoin de temps pour conduire sa réflexion, pour avancer. Il est essentiel de le rappeler.
Donner son sang n'est pas un droit – ne soyez pas choqués par cette formule – c'est un acte de générosité et d'altruisme.
Je comprends parfaitement, monsieur Minot, pour l'avoir écrit noir sur blanc dans un rapport et défendu ici même, qu'une personne puisse être choquée de se voir interdire d'accomplir cet acte de générosité, en raison de pratiques et d'actes sexuels qui lui semblent, à elle-même – de manière sans doute très pertinente à l'échelle de l'individu – sans danger. Mais il faut raisonner collectivement, et c'est sur un ensemble de poches et de donneurs que l'on peut estimer s'il y a un sur-risque.
Le texte adopté en commission est dangereux, car il inscrit dans le marbre de la loi qu'on ne peut pas introduire de critères d'éviction du don pour des raisons de pratiques sexuelles, si bien que, si nous devions affronter une situation sans lien avec le VIH, qui ne concernerait peut-être même pas les HSH mais toute la population, et qui nous contraindrait à adopter des mesures d'urgence pour protéger les receveurs des poches de sang, nous ne pourrions plus le faire, à moins de prendre des mesures dont la mise en oeuvre serait extrêmement complexe et qui pourraient aussitôt être attaquées en justice. Bref, nous perdrions du temps.
Néanmoins, parce que c'est aussi, je vous l'ai dit, mon combat, que celui-ci me semble juste et que je comprends la situation dans laquelle l'état actuel du droit plonge les donneurs potentiels, je veux faire encore évoluer ce qui peut évoluer.
Je le répète, le critère a déjà évolué plusieurs fois : de l'exclusion, on est passé à un délai d'abstinence d'un an, ramené ensuite à quatre mois. Or, selon les estimations actuelles, la fenêtre sérologique est de sept à dix jours.
J'aurai probablement l'occasion de vous présenter des éléments nouveaux d'ici à l'adoption définitive du texte, celle-ci risquant hélas de ne pas intervenir tout de suite – sauf si le Sénat, dans sa générosité, adoptait le texte sans modification ou permettait à la commission mixte paritaire d'aboutir…
La prochaine fois que la question fera l'objet d'un débat, je m'engage à revenir devant le Parlement avec des éléments factuels, étayés, permettant de répondre à la demande, par voie réglementaire. Vous souhaiteriez graver les choses dans le marbre de la loi, mais la loi n'est vraiment pas le bon outil, pour les raisons que j'ai évoquées.
Nous allons donc continuer d'avancer. Tout ce qui semblera excessif sera supprimé, en concertation avec les fédérations de donneurs, les associations d'usagers, les scientifiques, les experts et la direction générale de la santé. Ce sont eux qui fixent les critères en matière de sécurité sanitaire dans notre pays ; il ne nous appartient pas de nous substituer à eux.
Par cet amendement, le Gouvernement propose de revenir sur la modification apportée en commission spéciale. Vous m'excuserez d'avoir été long, je souhaitais insister sur ces éléments de forme et de fond.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.
En préambule de cette intervention, qui sera elle aussi un peu longue, je tiens à dire combien le rapporteur que je supplée, M. Saulignac, est attaché à cette question. Tout au long des différents examens du texte, il a défendu la position que je présente aujourd'hui en son nom.
Le présent amendement du Gouvernement reprend le sous-amendement présenté en commission spéciale par M. Marc Delatte et les membres du groupe La République en marche. Après des débats longs mais sereins, la commission spéciale, avec les voix de nombreux députés de la majorité, a finalement choisi de rejeter ce sous-amendement, et d'adopter l'amendement de M. Saulignac, lequel visait en outre à interpeller le Gouvernement. Ce choix a été fait de manière éclairée par la représentation nationale.
J'ai bien entendu vos réserves, monsieur le ministre, mais aussi votre volonté d'avancer. Pour mémoire, avec un tel alignement des critères de sélection des donneurs, le risque résiduel lié au VIH augmenterait, mais atteindrait seulement 1 pour 4 300 000 dons, et serait donc trois fois plus faible qu'il y a vingt ans, …
… comme l'indique Santé publique France. Autrement dit, cela concernerait un don tous les un an et demi. La même étude estime que cet alignement permettait à 3 102 personnes supplémentaires de donner leur sang. L'arbitrage entre bénéfices et risques doit faire l'objet d'un choix politique, après avoir pesé le pour et le contre – c'est d'ailleurs ce que vous avez essayé de faire dans votre intervention, monsieur le ministre.
Le sujet est évidemment complexe et très sensible pour de nombreuses associations. Il doit être envisagé à travers le prisme de notre histoire et de la peur de revivre un scandale du sang contaminé. Mais il faut aussi mettre le passé à sa juste place, et débattre de ces questions de manière apaisée et éclairée. Des pays comme l'Italie, l'Espagne ou Israël ont déjà franchi le pas depuis de nombreuses années, sans que des contaminations interviennent.
Comme M. Saulignac l'avait déjà indiqué, il est difficile de comprendre l'amendement du Gouvernement : pourquoi donner une telle base légale à la discrimination actuelle et affaiblir la portée des dispositions votées par l'Assemblée nationale en 2016 ?
Sur le fond, monsieur le ministre, nous pensons probablement la même chose. Vous aviez eu une formule très juste dans votre rapport de 2013 : « l'erreur consiste à se limiter à la sexualité, lors même que c'est le comportement sexuel qui peut être à risque, quelle que soit l'orientation sexuelle par ailleurs ».
Je n'ai pas changé d'avis !
Tout à fait, vous l'avez redit aujourd'hui, et c'est également notre conviction.
Nous aurions pu comprendre que vous proposiez simplement de supprimer la disposition adoptée en commission spéciale, en vous appuyant sur des arguments scientifiques. En effet, le don du sang n'est pas un droit, et la sécurité des receveurs est, bien évidemment, une priorité. Il importe donc de ne pas faire preuve de manichéisme.
Nous aurions aussi pu comprendre que vous fondiez une telle demande de suppression sur le fait qu'une disposition de cette nature relève du domaine réglementaire, comme vous l'aviez fait valoir lors des débats sur l'abolition de la discrimination en question. En 2015, en effet, vous étiez rapporteur du projet de loi de modernisation de notre système de santé, et un amendement similaire avait été déposé. Vous vous en étiez alors remis à la sagesse de l'Assemblée en invoquant précisément cette raison juridique : « Il ne revient pas à la représentation nationale de déterminer les conditions de modification de l'arrêté, ni de déterminer les questions qui sont à poser aux donneurs potentiels. »
Soit. Toutefois, vous êtes désormais ministre, et cette décision très importante et très attendue est entre vos mains. Vous venez de prendre un engagement, mais il nous manque des précisions sur les évolutions que vous envisagez.
À ce stade, nous ne comprenons pas le sens de l'amendement que vous proposez. Il consacrerait le statu quo sans pour autant l'assumer véritablement, ce qui aurait pourtant été raisonnable. La commission émet un avis défavorable sur votre amendement, M. Saulignac y étant, à titre personnel, extrêmement défavorable.
J'ai l'honneur de présider le groupe d'études sur le sida, après avoir travaillé plusieurs années à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et avoir côtoyé des hémophiles doublement contaminés, par le VIH et l'hépatite C. J'ai aussi beaucoup travaillé avec des associations comme l'Association française des hémophiles – AFH – , SOS hépatites et Aides, entre autres.
Vous avez parfaitement raison, monsieur le ministre. Je le dis d'emblée, je suis totalement défavorable à cet amendement.
Exclamations sur plusieurs bancs.
Vous voulez dire que vous êtes pour ! Nous examinons l'amendement du Gouvernement !
Pardon : je suis favorable à la proposition de M. le ministre et défavorable à l'amendement de M. Saulignac adopté en commission spéciale.
Mêmes mouvements.
Je rappelle, à la suite du ministre, que donner son sang n'est pas un droit. En revanche, les receveurs ont le droit de bénéficier des médicaments et des produits sanguins labiles de la qualité nécessaire, droit défendu par beaucoup d'associations dont j'ai rappelé le nom, comme l'AFH et AIDES.
De plus, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, une telle disposition relève non pas du domaine législatif, mais du domaine réglementaire.
Je suis très favorable à ce que le travail sur ces questions se poursuive.
Même si l'on peut comprendre la proposition de M. Saulignac, il faut mesurer les risques qu'elle implique.
Qui, dans cet hémicycle, est pour la discrimination ? Personne, évidemment ! C'est une évidence pour tous.
L'Établissement français du sang rappelle que « le don du sang est un acte solidaire, anonyme, et sécurisé ». La sécurité n'est pas négociable.
En outre, les critères d'exclusion, comme l'ont signalé AIDES et l'AFH ne constituent pas des motifs de discrimination dès lors qu'ils reposent sur des données scientifiques et une certaine proportionnalité.
Les principes d'équité, de justice et de non-discrimination à raison de l'orientation sexuelle du donneur ont été posés dans notre législation de bioéthique. Néanmoins, un peu comme il faut trois pieds à un tabouret, si l'on ne fait pas référence au principe de responsabilité, il manque quelque chose.
Soyons donc responsables ! Comme l'a dit monsieur le ministre, la responsabilité, au décours d'une épidémie, quelle qu'elle soit, consiste à se montrer réactif, souple, dans l'intérêt de la population, ce que seule la voie réglementaire permet.
Nous approuvons donc l'argumentation de M. le ministre, qui est parfaitement pertinente du point de vue médical.
L'amendement de M. Saulignac, adopté à une large majorité en commission spéciale, a introduit l'interdiction de critères de sélection du donneur « fondés sur le sexe du ou des partenaires avec lesquels il aurait entretenu des relations sexuelles ». La discrimination à laquelle il s'agissait de mettre fin ne concerne pas l'exercice d'un droit – comme cela a été dit, donner son sang est non pas un droit, mais un acte altruiste ; elle concerne l'exercice d'une liberté.
Un homme homosexuel ne peut pas donner son sang dans les mêmes conditions qu'un homme hétérosexuel. Disons-le avec sincérité, …
… c'est proprement inacceptable. Or le Gouvernement propose de réintroduire une différenciation fondée non pas sur les pratiques sexuelles, mais sur l'orientation sexuelle.
J'en viens à l'aspect scientifique, médical – vous nous avez demandé, monsieur le ministre, de nous fonder sur les faits et la science. Santé publique France, vous l'avez dit, a effectué plusieurs évaluations. J'en rappelle un point saillant : au cours de la période allant de 2014 à 2018, avec les règles en vigueur, le risque résiduel était de 1 pour 4 325 000 dons. Santé publique France estime que, si le don était ouvert aux hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes dans les mêmes conditions que pour ceux qui sont en couple hétérosexuel, le risque résiduel serait de 1 pour 4 300 000 dons, donc inférieur à celui qui prévalait entre 2014 et 2018.
J'accepte volontiers les arguments scientifiques, fondés sur les faits, monsieur le ministre. En l'occurrence, ils plaident pour un alignement des critères de sélection des donneurs.
Mes chers collègues, plaçons-nous dans la situation d'une personne souhaitant, dans un acte altruiste, donner son sang, souvent à la suite d'un appel lancé par les autorités publiques, à cause de besoins médicaux, vitaux. Le questionnaire qu'elle doit remplir est clair : elle doit faire état de son orientation sexuelle, et non de ses pratiques sexuelles.
Dans un questionnaire, l'Établissement français du sang demande ainsi aux hommes : « Avez-vous eu dans les quatre derniers mois un rapport sexuel avec un autre homme ? » En cas de réponse positive, le candidat au don est automatiquement écarté. On s'intéresse non pas à ses pratiques sexuelles, mais aux personnes avec lesquelles il a eu une relation sexuelle.
Si c'est une femme, en revanche, qui répond de manière positive à la même question, cela ne posera aucun problème. Néanmoins, le questionnaire réserve une question supplémentaire aux femmes : « Avez-vous eu un rapport avec un homme qui, à votre connaissance, a eu un rapport sexuel avec un autre homme dans les quatre derniers mois ? ». Cela revient à leur demander : « Mesdames, vous avez eu un rapport sexuel dans le cadre d'une relation hétérosexuelle, mais êtes-vous bien sûres que votre partenaire n'entretient pas de relations homosexuelles ? »
Mes chers collègues, on marche sur la tête ! Ces questionnaires imposés par la loi visent bien à déterminer une orientation sexuelle, pour exclure des personnes du don du sang, les empêcher d'exercer cette liberté, en fonction de leur orientation sexuelle – nullement en fonction de leurs pratiques sexuelles.
Qui sommes-nous pour prétendre estimer factuellement, scientifiquement, que certaines pratiques seraient beaucoup plus risquées ?
Quelle démagogie !
Mon propos n'a rien de démagogique, monsieur le ministre. Il est purement factuel, et s'appuie sur les questionnaires fournis aux donneurs potentiels par les organismes publics ou associatifs chargés de la collecte du sang.
Regardons la situation dans les pays voisins, en Israël, en Russie, en Italie, au Portugal, en Espagne, en Pologne, entre autres.
Aucun de ces pays ne se fonde sur l'orientation sexuelle pour exclure des personnes du don du sang ; on s'y intéresse exclusivement aux pratiques sexuelles.
Je ne vais pas vous mettre en garde, mes chers collègues, vous êtes éclairés et vous avez conscience de l'impact de votre vote. Mais voter cet amendement, c'est réintroduire, au vu et au su de tous, une discrimination concernant l'exercice non pas d'un droit – vous avez raison monsieur le ministre – , mais d'une liberté.
La lecture factuelle qui en sera faite sera celle-ci : lorsque vous êtes un homme, vous pouvez donner votre sang si vous avez des relations hétérosexuelles, mais vous ne le pouvez pas si vous avez des relations homosexuelles. Lorsque vous êtes une femme, vous pouvez donner votre sang si vous avez une relation avec un homme, mais vous ne le pouvez pas si cet homme a eu une relation sexuelle avec un autre homme. Je ne pense pas que cela corresponde à une approche scientifique, et encore moins – je le dis sans aucune démagogie – à nos valeurs républicaines.
M. Yannick Kerlogot applaudit.
J'entends vos arguments, monsieur le ministre : il est plus simple et plus flexible pour l'État de passer par la voie réglementaire plutôt que par la voie parlementaire. Malgré tout, avant de pouvoir me prononcer sur l'amendement, j'ai besoin de quelques assurances de votre part.
Premièrement, vous avez évoqué des évolutions, qui pourraient intervenir avant l'adoption définitive du projet de loi, mais j'aurais besoin d'une date un peu plus précise.
Deuxièmement, il nous faut mieux comprendre les détails, afin d'assurer une égalité réelle des citoyens français face au don de sang, qu'ils soient célibataires ou en couple, et que ce couple soit composé de deux femmes, de deux hommes ou d'un homme et d'une femme.
Il y a en réalité deux cas de figure : soit on a seul partenaire – ou aucun ; soit on a plusieurs partenaires. Selon moi, il faut autoriser toutes les personnes dans le premier cas à donner leur sang, car le risque est très faible lorsqu'on a un seul partenaire, que l'on soit homosexuel ou hétérosexuel. Pour les personnes dans le second cas, on peut appliquer le délai de sept à dix jours, le temps que les contrôles fassent éventuellement apparaître la présence du virus du sida.
Pourriez-vous me répondre sur ces deux points, monsieur le ministre ?
J'ai voté l'amendement de M. Saulignac en commission spéciale. Toutefois, les arguments scientifiques que vous avez évoqués, monsieur le ministre, sont de nature à créer un doute. Pour cette raison, je voterai votre amendement.
Néanmoins, à l'instar de M. Adam, j'ai besoin d'une clarification. Ce n'est pas la première fois que nous évoquons la question au cours de la législature, et votre prédécesseure, Mme Buzyn, s'était engagée à prendre un arrêté. Or elle ne l'a pas fait avant de quitter le Gouvernement, et nous nous retrouvons, dès lors, dans une situation un peu compliquée.
Vous venez vous-même de vous engager à prendre un arrêté, et j'ai toute confiance en votre volonté. J'aurais cependant besoin que vous précisiez les pistes que vous entendez approfondir, afin que nous sachions précisément ce que nous pouvons attendre.
Il ne s'agit pas de discrimination à raison de l'orientation sexuelle.
C'est factuellement faux, et la loi l'interdit. On se fonde sur les pratiques sexuelles.
Je prends un exemple, que vous n'avez pas cité. Si la discrimination portait sur la sexualité, pourquoi une femme qui a eu des relations sexuelles avec d'autres femmes n'est-elle pas évincée du don ? On ne lui pose même pas la question !
Personne ne dit que la population homosexuelle ne peut pas donner son sang en raison de sa sexualité.
Par ailleurs, on pose aussi des questions aux hétérosexuels. On ne se focalise pas sur la sexualité des hommes homosexuels ; on demande aussi aux hétérosexuels s'ils ont changé de partenaire au cours des quatre derniers mois. En cas de réponse positive, ils ne peuvent pas non plus donner leur sang. Est-ce donc une discrimination à l'égard des hommes qui ont décidé de changer de compagne ? Non, bien évidemment, cela ne relève pas de la discrimination.
Mme Buzyn s'était en effet engagée à prendre un arrêté, et elle l'a pris, en décembre 2019. Le délai d'abstinence est ainsi passé, en avril 2020, d'un an à quatre mois. Une étude sociologique en cours permettra de mesurer les évolutions des pratiques des donneurs dans les réponses à l'auto-questionnaire, afin d'identifier d'éventuelles incompréhensions. C'est sur le fondement de cette étude que nous pourrons à nouveau réviser les critères.
Je vous ai fait part de ma conviction en tant que ministre, non en tant qu'autorité scientifique. J'admire la manière dont certains d'entre vous donnent des leçons à des experts nationaux reconnus, libres de tout conflit d'intérêts, qui nous signalent un risque ! Pour ma part, monsieur Chiche, je n'ai pas la compétence scientifique pour les contredire, et je ne l'aurai jamais. Je sais en revanche lire des études et écouter l'avis des scientifiques.
Si vous n'écoutez pas les scientifiques, écoutez les associations ! À moins que vous ne m'expliquiez que l'association AIDES est connue pour pratiquer l'homophobie et les discriminations ? Les bras m'en tomberaient ! Dans un communiqué de presse, cette association demande que l'amendement adopté en commission spéciale soit retiré du texte : « Cet article de loi, s'il était accepté, viendrait interdire au décideur public d'utiliser des critères de sélection protecteurs de la population où il y a des sexualités vectrices potentielles de transmission d'agents viraux. Ces critères sont du domaine réglementaire, pour pouvoir s'adapter rapidement à des situations sanitaires évolutives. » Ce communiqué est signé par AIDES, mais aussi par France Assos Santé et l'AFH, qui a évidemment voix au chapitre en la matière.
Je réfute les procès en discrimination qui peuvent être intentés, au nom des combats que j'ai menés et au nom des combats menés par les associations, lesquelles demandent aux parlementaires d'adopter l'amendement de suppression du Gouvernement. Le reste, pardonnez-moi, c'est du flan.
Tenons-nous en aux chiffres et aux faits.
Vous dites que la France est en retard, monsieur Chiche. En Autriche, en Croatie, au Danemark, en Islande, en Lituanie, au Luxembourg, en Roumanie et en Slovénie, les HSH – hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes – ne peuvent pas donner leur sang. En Belgique, en République tchèque, en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Irlande, à Malte, en Irlande du Nord, en Norvège, au Portugal, en Slovaquie, en Suède et en Suisse, le délai d'éviction est d'un an. En Serbie, il est de six mois. En Italie, aux Pays-Bas et en Espagne, il est de quatre mois, comme en France.
Restent l'Angleterre et le Canada, où le délai est de trois mois. Aux États-Unis, il est en passe d'être ramené d'un an à trois ou quatre mois. Les faits et les chiffres sont têtus.
J'ai envie d'avancer sur cette question. Nous le ferons, par la voie réglementaire. Quand je disposerai des données issues des études menées en temps réel par les autorités sanitaires chargées de protéger les populations de donneurs et de receveurs, je m'engage à faire évoluer ces critères sur le champ. J'ai besoin de ces données et de la recommandation des autorités sanitaires ; je les aurai.
M. Adam m'a demandé une date. L'étude prend au minimum douze mois, ce qui était la durée de l'étude précédente. J'espère qu'au printemps prochain, soit un an après la réduction du délai à quatre mois, j'aurai le moyen de réduire de nouveau ce délai. Honnêtement, entre l'éviction de quatre mois et la fenêtre sérologique de sept à dix jours, il y a de la marge. Instinctivement, je pense que nous sommes capables de la réduire de sorte que les HSH puissent donner leur sang dans de bonnes conditions et selon des critères plus raisonnables.
Toutefois, je n'en sais rien aujourd'hui, sinon je ne lancerais pas d'étude pour le démontrer. Rendez-vous au printemps prochain, et croyez en ma motivation pour faire bouger les choses.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.
J'entends vos propos, monsieur le ministre, mais vous ne m'avez pas convaincue.
Nous sommes à la veille du fameux week-end de chassé-croisé des vacances. Dans quelques jours, l'Établissement français du sang annoncera manquer cruellement de sang à la suite des accidents de la route. J'invite donc les gens qui le peuvent et qui ne sont pas évincés à donner leur sang.
La politique de santé publique souffre d'un gros problème : il faudrait faire davantage de prévention, mettre l'accent sur les protections et les préservatifs, qu'il conviendrait de rendre gratuits – mais cette idée est difficile à faire entendre ici.
Si l'on interdit aux HSH de donner leur sang lorsqu'ils ont eu une relation sexuelle au cours des quatre mois précédents, alors il faut l'interdire à toute personne dans le même cas. Plus personne ne donnera son sang, et vous verrez qu'on changera vite d'avis sur ces bancs ! Très rapidement, on n'aura plus de sang pour soigner les gens et on cherchera une autre solution. De plus, on incite les gens à mentir pour pouvoir donner leur sang.
Nous disons régulièrement que l'on manque de donneurs ; nous entendons, chaque mois, les appels au don. Dans quelques jours, après le week-end de chassé-croisé, ces appels vont se multiplier. Pourtant, on va refuser à des gens la possibilité de donner leur sang. Je ne comprends pas !
J'en viens à la question du danger. Chaque poche de sang est-elle testée ? Oui. Le donneur est-il contacté si son sang présente un problème ? Oui. Le sang sera-t-il utilisé s'il est contaminé ou présente le moindre problème ? Non. Dès lors, où est la difficulté ? Vous dites que la fenêtre sérologique est de sept à dix jours ; réduisons le délai d'éviction à sept ou dix jours, et ce, pour tout le monde.
Pourquoi un délai de quatre mois ? Pourquoi les HSH sont-ils seuls concernés ?
Quand je vais donner mon sang, on me demande si j'ai eu des relations sexuelles, mais on ne me demande pas si mon mari a eu une relation sexuelle avec un autre homme dans les quatre mois précédents ! Cette question ne figure pas dans le questionnaire, et personne ne me la pose. Mais imaginez ce que cela donnerait si l'on poussait cette logique plus loin encore !
Nous manquons cruellement de donneurs et de sang. La semaine prochaine, vous penserez à moi en entendant les appels au don à la télévision après le week-end de chassé-croisé. Pourquoi refuser le sang de personnes qui veulent le donner ? C'est incompréhensible. Les poches de sang sont testées rigoureusement, et on peut faire confiance au personnel de l'Établissement français du sang. Je ne voterai pas votre amendement, monsieur le ministre.
M. Maxime Minot applaudit.
Monsieur le ministre, vous avez cité plusieurs pays qui interdisent aux HSH de donner leur sang, pour justifier que la France les exclut lorsqu'ils ont eu une relation sexuelle dans les quatre mois précédant le don. La belle affaire ! Lorsque je m'intéresse à ce qui se fait à l'étranger, j'essaie de regarder les bonnes pratiques ; je ne me glorifie pas, pour maintenir nos propres pratiques, de celles qui sont moins bonnes !
La question est la suivante : le risque sanitaire sera-t-il plus élevé si l'on met fin à la discrimination affectant les HSH en matière de don du sang ? Je veux bien attendre les résultats d'études complémentaires, mais plusieurs ont déjà été menées. Santé publique France explique ainsi que, si l'on ouvre le don du sang aux HSH, le risque résiduel sera moins élevé qu'il ne l'était au cours de la période 2014-2018. Il n'y a donc pas de difficulté du point de vue factuel, scientifique, médical.
L'enjeu est aussi celui du signal – ne méprisez pas cette approche. En sortant de l'hémicycle, il faudra expliquer pourquoi la représentation nationale a rétabli une discrimination qu'elle avait supprimée il y a quelques semaines en commission. Il faudra expliquer pourquoi, lorsqu'un homme remplit le questionnaire en ligne de l'Établissement français du sang, la démarche prend fin – je viens de le vérifier – dès lors qu'il répond « oui » à la question « Avez-vous eu une relation sexuelle avec un homme dans les quatre derniers mois ? » Il est alors indiqué : « Vous ne pouvez pas donner votre sang si vous avez eu une relation sexuelle, même protégée, avec un homme au cours des quatre derniers mois. » Même protégée !
Une telle approche, monsieur le ministre, n'est en rien préventive ni médicale. Tout ce qu'on cherche à savoir, c'est si le candidat au don a eu une relation sexuelle avec un autre homme. On peut qualifier cela comme on voudra ; pour ma part, je ne vois qu'une seule qualification possible : il s'agit d'une discrimination empêchant de faire un geste altruiste, et celle-ci ne se justifie ni scientifiquement ni moralement.
Peut-être serez-vous nombreux à voter l'amendement du Gouvernement, mes chers collègues, ne serait-ce que pour obéir à l'injonction du Premier ministre – et je sais, monsieur le ministre, que votre situation n'est pas facile – de revenir au prétendu équilibre du texte adopté en première lecture. Ayez cependant conscience, d'une part que cela ne favorisera pas le maintien à un niveau satisfaisant des réserves de sang destinées à traiter nos malades, d'autre part que nous réintroduirons ainsi une stigmatisation en raison de l'orientation sexuelle, infondée sur le plan scientifique. C'est pourquoi je vous incite très vivement à repousser cet amendement.
Mme Caroline Fiat et M. Maxime Minot applaudissent.
L'amendement no 2279 est adopté.
Il a également trait au don du sang, mais le sujet est tout autre : il s'agit de déterminer s'il faut ouvrir le don du sang aux mineurs, notamment aux mineurs de dix-sept ans. Dans mon rapport relatif à la filière du sang, je m'étais prononcé contre cette ouverture. Comme j'ai de la suite dans les idées, je vais vous expliquer – brièvement cette fois-ci – pourquoi je m'y oppose, ma position étant d'ailleurs partagée par les fédérations de donneurs, l'Établissement français du sang et de nombreuses associations de receveurs.
Non que je conteste la capacité des mineurs de dix-sept ans à manifester leur volonté de faire ce geste altruiste, mais mon opposition se fonde sur deux raisons essentielles. La première est sanitaire : les médecins et les scientifiques le disent, on a plus de risque à dix-sept ans de faire un malaise vagal ou d'avoir un problème cardiaque à la suite d'un prélèvement sanguin. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'on refuse à de jeunes majeurs de dix-huit ou dix-neuf ans la possibilité de donner leur sang, non par discrimination – il n'y a pas de discrimination fondée sur la minceur ou sur l'insuffisance de poids ! – mais parce que ce serait périlleux pour leur santé. En effet, tout est fait pour assurer la sécurité du donneur.
Le deuxième argument est plutôt juridique. Si la majorité sexuelle est à seize ans dans notre pays, la majorité légale est à dix-huit ans ; un mineur ne peut donc donner son sang qu'avec l'accord de ses parents. Or, comme vous le savez – nous venons d'en débattre longuement – , on doit avant de donner son sang répondre à un auto-questionnaire portant notamment sur ses pratiques sexuelles. Les parents d'un mineur qui serait exclu du don seraient donc informés des raisons de cette éviction.
Il faut en revanche continuer les campagnes d'appel au don, notamment auprès des jeunes majeurs. Je profite de l'occasion pour lancer un appel : nous avons besoin de dons pour que la France continue à être autosuffisante en sang. Il faut donner parce que le sang sauve des vies.
L'épidémie de covid-19 a rendu les choses beaucoup plus difficiles et fragilisé pendant un moment nos réserves de sang. Il est fondamental que le don de sang, geste anonyme, gratuit, bénévole, se poursuive et s'amplifie. J'en profite également pour remercier vivement, non seulement les équipes de l'EFS, mais également les associations et les fédérations de donneurs, qui n'épargnent ni leurs moyens ni leur énergie ni leur temps pour sauver des vies. Merci à eux.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.
Les dispositions ouvrant le don du sang aux mineurs de dix-sept ans reprennent un article de la proposition de loi visant à la consolidation du modèle français du don du sang de notre collègue Damien Abad, qui avait été adoptée à l'unanimité le 11 octobre 2018 par l'Assemblée nationale. Nous sommes donc un peu gênés de revenir sur la position unanime qui avait été la nôtre.
Toutefois, au vu des éléments que vous venez de nous présenter, monsieur le ministre, et que plusieurs de nos collègues ont déjà exposés, il me semble que cette proposition soulève de nombreux problèmes pratiques.
Se pose notamment la question de l'autorisation parentale, nécessaire mais qui ne manquera pas d'être problématique, par exemple si le jeune est exclu du don du sang du fait de ses pratiques sexuelles, vous l'avez dit. Nous nous interrogeons donc sur le rapport entre les bénéfices et les risques. Il faut parfois savoir reconnaître qu'une idée n'est pas encore suffisamment mûre ou qu'elle n'est finalement pas judicieuse.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement du Gouvernement. Toutefois, à titre personnel, au vu des éléments présentés, j'y suis favorable.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
En dépit de l'optimisme de M. le ministre, la France est loin d'être autosuffisante en sang. En réalité, une grande partie des dérivés sanguins nécessaires au traitement de nos malades, que ce soit les immunoglobulines ou les autres dérivés du plasma, sont issus de dons rétribués provenant d'autres pays et sont fabriqués par des laboratoires étrangers. Nous sommes de ce fait en dehors des règles éthiques qui imposent la gratuité du don du sang, et le ministère est obligé, chaque année, d'édicter une dérogation à nos engagements en la matière pour nous permettre d'importer ces produits et compenser ainsi l'insuffisance des dons dans notre pays.
Je n'ai pas de solution miracle propre à assurer un nombre suffisant de prélèvements. En tout cas, il faut qu'il y ait davantage de donneurs et de prélèvements et que, dans un avenir qui soit le moins lointain possible, les produits dérivés du sang soient fabriqués en France, à partir de dons non rétribués et dans le respect de l'éthique à laquelle nous sommes attachés.
Vos propos très clairs, monsieur le ministre, nous permettent de bien saisir les enjeux. S'agissant des besoins en sang, la France est autosuffisante, avez-vous dit, mais nous sentons tout de même des tensions. La question qu'il convient de se poser est celle de la traçabilité de nos produits sanguins. Un système de traçabilité plus performant permettrait une gestion beaucoup plus fine et nous éviterait d'avoir à éliminer certains produits non utilisés. Les entreprises françaises y travaillent. Avant de dire que nous n'avons pas suffisamment de donneurs, assurons-nous que les produits dont nous disposons sont utilisés de façon optimale.
L'article 7 bis, amendé, est adopté.
L'amendement no 1721 de Mme Annie Genevard, tendant à modifier l'intitulé du chapitre Ier, est défendu.
L'amendement no 1721 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l'amendement no 1722 .
Cet amendement rédactionnel vise à substituer le mot « legs » au mot « don », impropre ici.
Je me suis moi-même demandé s'il fallait parler plutôt de « don » ou de « legs » du corps à la science.
L'article 7 ter tel qu'il est rédigé tend à clore un débat sémantique ouvert par la rédaction actuelle du code général des collectivités territoriales, qui emploie à la fois le mot « don » et le mot « legs » pour qualifier une même démarche, un même acte. L'article 7 ter fait le choix du registre lexical du don.
Il semble en effet préférable de ne pas utiliser le terme de legs, qui relève plutôt du champ lexical du droit patrimonial de la famille et risquerait d'induire une ambiguïté par rapport au principe de non-patrimonialité du corps humain, posé aux articles 16-1 et 16-5 du code civil. Ce principe de non-patrimonialité s'applique aussi au cadavre : en donnant son corps à la science, un individu ne réalise pas un acte patrimonial. Dès lors, il semble que son acte ne peut être qualifié de legs au sens juridique du terme.
La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, pour donner l'avis du Gouvernement.
Défavorable.
L'amendement no 1722 est retiré.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l'amendement no 1719 .
L'amendement no 1719 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'amendement no 369 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il s'agit d'une proposition que notre collègue Catherine Fabre défend depuis la première lecture du projet de loi. C'est elle en effet qui a introduit dans nos débats la question de celles et ceux qui ont fait don de leur corps à la science et du lien avec leurs familles. Des difficultés sont malheureusement apparues s'agissant de la restitution des corps qui ont été mis à la disposition de la science et lui ont permis d'avancer.
Nous demandons par cet amendement qu'un décret précise les modalités de la restitution des cendres ou du corps, nécessaire si on veut maintenir le lien avec les familles et leur permettre de faire leur deuil dans les meilleures conditions possibles. Je remercie notre collègue de défendre depuis le début de nos débats cet amendement que notre groupe soutient pleinement.
Je vous invite à retirer l'amendement, madame Bergé, puisqu'il est satisfait par un amendement adopté par la commission spéciale à l'initiative du rapporteur Saulignac, qui tend au même objectif mais dont la rédaction est moins restrictive. À défaut de retrait, l'avis sera défavorable.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
Il est en effet essentiel de garantir un bon niveau d'association et d'information des familles pour leur permettre de mieux vivre leur deuil. Il importe en outre que nous disposions d'un temps de réflexion suffisant pour définir les principes éthiques et préciser les recommandations concernant les conditions d'agrément ainsi que les chartes de bonnes pratiques et la façon dont nous pouvons mieux associer les familles. Tel est le sens du renvoi à un décret en Conseil d'État.
Le Conseil consultatif national d'éthique et une représentation de parlementaires seront ensuite consultés sur ces recommandations. Le Parlement sera ainsi associé à ce second volet, comme il l'est aujourd'hui par l'examen de cet article, qui permettra une avancée majeure dans notre droit.
Madame la ministre, madame Bergé, j'entends ces arguments, mais il aurait été plus respectueux d'associer le rapporteur Hervé Saulignac à votre réflexion pour trouver une rédaction consensuelle – d'autant que le présent amendement n'apporte guère de précision par rapport à celui qui a été adopté à son initiative en commission spéciale, et qu'il n'est ni mieux écrit ni plus pertinent. Nous regrettons que tel n'ait pas été le cas.
L'article 7 ter, amendé, est adopté.
L'amendement no 42 de M. Xavier Breton, tendant à supprimer la division et l'intitulé du chapitre II, est défendu.
L'amendement no 42 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Les amendements nos 889 de M. Thibault Bazin et 1170 de Mme Emmanuelle Ménard sont défendus.
L'alinéa 7 indique que, lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté ou décédée, un examen de ses caractéristiques génétiques peut être entrepris, dans l'intérêt des membres de sa famille, dès lors qu'un médecin suspecte une anomalie génétique. Mon amendement vise à préciser que le médecin doit suspecter fortement cette anomalie. Il convient en effet de garantir que cet examen est bien utile, compte tenu de sa portée.
Vous souhaitez introduire la notion de suspicion forte, mais je crains qu'elle ne suscite des contentieux et d'interminables débats : à quel stade considérez-vous qu'une suspicion est forte ? Je serais bien en peine de répondre…
Par ailleurs, que les soupçons soient plus ou moins forts, nous parlons ici du cas d'une affection grave. Dans sa démarche diagnostique, le médecin doit éliminer toutes les possibilités avant de procéder à un test génétique, et n'y recourir que lorsqu'il soupçonne réellement la présence d'une anomalie.
Vous aviez précisé en première lecture que votre amendement était avant tout un amendement d'appel. Le considérant comme tel, je vous invite à le retirer. À défaut, l'avis sera défavorable.
L'amendement no 890 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 8 est adopté.
Je le reprends, monsieur le président. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
L'amendement no 2007 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 9, amendé, est adopté.
Les amendements identiques nos 43 de M. Xavier Breton et 184 de M. Patrick Hetzel, tendant à supprimer l'intitulé du titre III, sont défendus.
La parole est à M. Philippe Berta, rapporteur de la commission spéciale, pour donner l'avis de la commission.
Cet amendement de M. Cabaré vise à autoriser la commercialisation de tests ADN généalogiques, tout en instaurant un régime juridique protecteur pour l'utilisateur. Ces tests, déjà autorisés dans de nombreux pays voisins, permettent à l'utilisateur d'être renseigné sur la répartition géographique de ses origines génétiques, mais ne sont pas conçus pour lui fournir des informations détaillées sur ses prédispositions médicales ou ses maladies.
La parole est à Mme Natalia Pouzyreff, pour soutenir l'amendement no 468 .
Il vise à autoriser la pratique des tests ADN à des fins de recherche des origines personnelles, mais non des prédispositions médicales. De nombreux Français en expriment le souhait : chaque année, ils sont 100 000 à 200 000 à recourir à de tels tests. La loi ne répond pas à leurs attentes, et nous prive en outre de données génétiques précieuses, collectées par des sociétés étrangères. Il y a donc un enjeu de souveraineté. Enfin, l'inadaptation de la loi française fait prendre un risque et un retard à notre recherche en matière de séquençage du génome et de génétique, car elle ne dispose pas de bases de données pour effectuer des croisements de grande ampleur.
La parole est à Mme Géraldine Bannier, pour soutenir l'amendement no 374 .
Il vise à élargir l'examen des caractéristiques génétiques à la recherche de l'identité biologique. C'est avant tout un amendement d'appel : nous devons impérativement apporter une réponse française ou européenne au désir de nos concitoyens de rechercher leurs origines.
L'article 3, que nous avons voté, donnera un droit d'accès aux origines dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation. Qu'arrivera-t-il si le dossier d'un donneur ou d'une personne conçue par don a été perdu ou s'il est illisible ? Sans la possibilité de recourir aux tests de généalogie génétique, l'intéressé n'aura aucun moyen d'accéder à ses origines. Il faut impérativement trouver une solution à ce problème que le projet de loi n'aborde pas pour le moment. Rappelons que, chaque année, quelque 100 000 Français recourent illégalement à ces tests.
C'est de façon impropre que ces tests ADN sont qualifiés de récréatifs. Le premier séquençage du génome, réalisé en 2003, avait coûté plus de 3 milliards de dollars ; l'opération est réalisée aujourd'hui pour quelques centaines de dollars, et le sera probablement demain pour 100 dollars environ.
La France prohibe le séquençage du génome à des fins non médicales et non scientifiques, et soumet les contrevenants à une amende de 3 750 euros. Or nous peinons déjà à empêcher certains de nos concitoyens à y recourir – ils y font appel pour diverses raisons.
Quatre grandes entreprises, essentiellement implantées aux États-Unis, couvrent ce marché. Elles vivent moins de la réalisation des tests – à 100 dollars la séquence, leur modèle économique n'est pas viable – que de l'utilisation et de la revente des séquences à des tiers. Notez que la principale d'entre elles, 23andMe – bien connue de nombre de nos concitoyens – , vient d'être rachetée par le britannique GlaxoSmithKline, l'un des cinq géants de l'industrie pharmaceutique.
J'estime que l'interdiction des tests doit être maintenue en France, mais qu'une réflexion plus profonde doit être ouverte sur l'avenir de la génomique dans notre pays, que ce soit à des fins scientifiques, médicales, généalogiques ou de recherche de paternité. Préservons notre souveraineté dans ce domaine, et organisons-nous. J'émets un avis défavorable.
Même avis. Aux raisons évoquées par M. le rapporteur, j'ajouterai qu'il peut être dangereux de pratiquer ces tests en dehors d'un contexte médical et encadré, tant la qualité et la fiabilité de leurs résultats sont douteuses.
Certaines personnes ont commandé un test à plusieurs sociétés, et ont obtenu des résultats très différents les uns des autres !
L'interdiction de réaliser ces tests ne prive aucunement la recherche française : celle-ci enrichirait ses bases avec des données non fiables, au risque d'obtenir des résultats de recherche erronés.
Les tests génétiques présentent aussi un danger pour les individus. Une femme peut se voir annoncer qu'elle n'a aucun risque de développer un cancer du sein, au motif que son gène BRCA2 est parfait, alors que l'entreprise n'a recherché que la mutation génétique la plus fréquente, sans séquencer correctement l'ensemble du gène. Cette femme sera dissuadée de réaliser une mammographie, et prendra alors un risque pour sa santé. Imaginez aussi qu'un frère et une soeur effectuent un test ensemble, et qu'ils découvrent qu'ils n'ont pas les mêmes parents. De quoi animer les repas de famille…
Il importe effectivement de travailler sur la question et d'élaborer, comme l'a dit le rapporteur, une véritable politique de génomique – c'est notamment le rôle de France génomique, et nous prenons également des dispositions en ce sens. Mais le mot récréatif n'a pas sa place dans la génétique. Je donne donc un avis défavorable.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, je souscris à vos propos, mais non à la conclusion que vous en tirez. Chaque année, 100 000 Français recourent à ces tests génétiques. Hier, nous avons consacré deux heures et demie à la PMA post mortem, qui concernera peut-être un ou deux cas par an !
Rappelons que ces pratiques sont passibles d'une amende de 3 750 euros – et, si le test est réalisé à l'insu de la personne concernée, ce qui est souvent le cas, l'amende est portée à 15 000 euros et assortie d'un an de prison. Sommes-nous capables de les sanctionner à grande échelle ? J'ai posé la question en première lecture et en commission spéciale, et je ne pense pas que nous le soyons. D'ailleurs, personne n'a jamais été condamné en France à ce titre. Nous devons sortir de l'hypocrisie actuelle, et introduire de la cohérence. C'est le premier objet de mon amendement.
Son objectif, comme celui des autres amendements présentés, est aussi de protéger beaucoup mieux les Français. Mme la ministre vient d'indiquer les dangers, ou tout au moins les risques qu'il y avait aujourd'hui à pratiquer ces tests en France. Eh bien, le règlement général sur la protection des données, le RGPD, s'appliquera. Nous prévoyons en outre que ces tests seront en français, que les informations et les résultats seront délivrés en français.
C'est enfin toute l'industrie de la génomique française qui est en jeu. Prenons quelques exemples. En 2010, un docteur de Bordeaux a l'idée de permettre la collecte et le stockage des informations génomiques sur un smartphone. Il s'adresse pour cela à OSEO – devenue Bpifrance. On lui répond : « C'est une très bonne idée, mais en France on ne peut pas le faire. » Que fait-il ? Il vend sa maison, prend sa femme, ses enfants, et part aux États-Unis, où il crée sa société et investit dans d'autres. Cela a été vendu 150 millions d'euros !
Il y a aussi ce Français expatrié aux États-Unis pour rejoindre EmblemHealth, la société de génomique, ou ce Français expatrié à Madrid pour diriger Medmesafe, et bien d'autres encore. Ce sont autant de talents français, de revenus français, de données françaises qui sont ainsi exploités à l'étranger.
Pour toutes ces raisons, de cohérence, de protection et de développement d'une industrie, je pense qu'il est temps de légiférer. C'est un phénomène qui n'en est pas à ses débuts : ce sont 100 000 personnes par an qui pratiquent ces tests, avec les risques que vous avez soulignés, madame la ministre.
Ces pratiques s'inscrivent dans une forme de passion des origines dont nous avons déjà eu l'occasion de parler à diverses occasions et sur laquelle je m'interroge.
On peut d'abord, comme madame la ministre l'a fait, se poser des questions sur la fiabilité de ces tests et sur les conclusions que celles et ceux qui y ont recours peuvent tirer de leurs résultats. Que peut-on en apprendre ? En premier lieu, que l'humanité est une espèce migrante et mélangée ; nul besoin de tests génétiques pour cela : nous le savons déjà. Au-delà, je ne suis pas sûr qu'on puisse en tirer beaucoup de conclusions, y compris pour soi-même. Peut-être tout cela mériterait-il d'être dit de manière un peu plus explicite dans le débat public, afin que les gens ne soient pas trompés par les promesses qui leur sont faites, mais qui peuvent difficilement être honorées.
Ensuite, ce n'est pas que son seul patrimoine que l'on donne, c'est aussi le patrimoine de ses proches, de sa famille – et cela sans leur consentement. Et c'est aussi, d'une certaine manière, une part du patrimoine de l'ensemble de l'humanité.
Il serait par conséquent nécessaire que nous ayons une discussion éthique sur ce que nous pouvons et devons faire de ce patrimoine commun qu'est le patrimoine génétique.
Pour ma part, je ne crois pas que nous devrions encourager le commerce de ces données et le développement de ce marché. On touche là à des questions qui sont selon moi fondamentales. Tout cela nous est présenté de manière assez naïve – il s'agirait de tests « récréatifs ». En réalité, cela s'inscrit dans une course très intrusive à l'information et au renseignement, qui recoupe ce que font, d'une autre façon, les GAFAM et qui consiste à capter un certain nombre d'informations plus ou moins personnelles pour en faire commerce – cela a été très bien expliqué par le rapporteur.
Il y a là matière à alerter sur la réalité que recouvrent ces tests et à faire prendre conscience, à travers le débat public, des problèmes que cela peut poser. Je suis très défavorable à ce qu'on encourage le développement de ce type de pratiques dans notre pays.
Applaudissements sur certains bancs du groupe LaREM. – Mme Caroline Fiat applaudit également.
Il faut remercier les auteurs de ces amendements de nous permettre d'avoir cette discussion. C'est un débat que nous avons déjà eu dans nos assemblées – j'en ai le souvenir.
La vérité est qu'un usage récréatif, cela n'existe pas. Au demeurant, nous n'avons pas ici de raisons objectives qui nous permettraient d'écrire la loi ; nous ne pouvons nous fonder que sur des raisons morales ou philosophiques. Certes, c'est une chose que l'on peut faire ; mais tout ce qui est possible est-il souhaitable ? Il y a des circonstances où la volonté conduit à dire non. Pourquoi ?
D'abord, de tels tests ouvriraient des possibilités que nous ne voulons pas voir se réaliser, notamment celle de prévoir des maladies, de mettre en évidence des risques d'évolution pour une personne. En donnant de telles indications, on met un pied dans l'avenir de chacun. Ce n'est pas acceptable, de même qu'il n'est pas acceptable que cela soit étendu aux membres de la parentèle de celui ou celle qui donne accès à son code génétique.
Je voudrais ensuite vous renvoyer à un débat que nous avons eu au Sénat, il y a bien longtemps. Il s'agissait à l'époque de savoir si, par une enquête génétique, on pourrait confirmer l'existence d'un lien parental entre une personne qui souhaite immigrer en France et les parents dont elle se réclame sur place. Nous fûmes une poignée à nous y opposer, mais nous bénéficiâmes du renfort bienvenu et décisif de Mme Jacqueline Gourault, qui, quoique désormais membre d'un Gouvernement que je combats, m'a paru dans cette circonstance tout à fait admirable. Ensemble, nous avons développé l'idée suivante : il existe un risque que de telles méthodes mettent à la portée de tout un chacun des recherches en paternité. Or la loi française dispose que la paternité est déclarative : cet enfant qui vous vient en famille, s'il est de votre épouse, alors il est le vôtre. Cette loi-là, nous ne voulons pas la voir contournée.
À partir de cet exemple saillant, on peut imaginer quelles répercussions pourrait avoir dans d'autres domaines chacune des informations que l'enquête génétique ferait apparaître. C'est pourquoi, sans me réclamer d'aucune raison objective, mais pour des raisons de morale et de vie commune, au nom de l'idée que nous nous faisons de la filiation – et c'est bien, me semble-t-il, le sujet du jour – , je ne voterai pas ces amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur certains bancs du groupe LaREM.
Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, il s'agit de préserver notre souveraineté en matière de données ; cela me paraît le point essentiel. Plus de 100 000 tests par an sont effectués par des Français, qui contreviennent ainsi à la loi. Ces données partent à l'étranger, et l'on ne peut garantir que nous conservions la souveraineté sur elles. Sur le fond, nous sommes donc en partie d'accord avec vous.
Madame la ministre, ces amendements ne visent pas à étendre le champ de l'autorisation à la recherche de prédispositions médicales ; il s'agit seulement de répondre à une quête concernant les origines personnelles. Cela concerne notamment les enfants nés sous X ou ceux issus de PMA avec don de gamètes, qui sont au coeur de ce texte. Ces enfants sont à la recherche de leur parentèle et, sur ce point, la fiabilité des tests, par croisement avec les données disponibles, est une chose acquise et reconnue. N'agitez donc pas, s'il vous plaît, le chiffon rouge des prédispositions médicales ! Ces amendements ne traitent pas de cela.
La France est l'un des rares pays d'Europe à ne pas avoir légalisé ce type de tests. Nous proposons de le faire, de manière encadrée. Les données ne s'arrêtent pas aux frontières : les données relatives au patrimoine génétique de nos antécédents, par exemple italiens ou espagnols, peuvent se retrouver à un endroit ou un autre du stock de données mondiales. Les questions qui se posent sont celles-ci : voulons-nous en avoir la possession ? Voulons-nous les maîtriser ? Voulons-nous encadrer la pratique de ces tests de recherche des origines personnelles dans un contexte médical ?
Si nous nous rejoignons sur la question de la souveraineté, monsieur le rapporteur, nous sommes en désaccord sur les dispositions à prendre pour la sauvegarder. La légalisation des examens à visée exclusivement généalogique est un enjeu de souveraineté. Le monopole avéré des firmes étrangères sur les tests réalisés en France entraîne une fuite des données personnelles des consommateurs français. Ces données sont aujourd'hui exploitées et commercialisées en dehors du cadre légal français, et même européen – il n'y a que la Pologne et la France qui interdisent ces tests.
Je me souviens que, la veille de l'examen par la commission spéciale d'amendements ayant le même objet, une grande chaîne de télévision française avait diffusé une publicité proposant aux Français des tests de ce type, alors que ceux-ci ne sont pas autorisés. C'était plutôt cocasse ! Je veux bien qu'on réglemente les choses, mais si nous ne sommes pas capables de faire respecter les interdictions, autant faire évoluer notre droit pour le faire correspondre avec la réalité.
Nous perdons tout contrôle sur ces données. Or les données génétiques sont d'un très grand intérêt économique et scientifique pour les laboratoires. Dans un souci de souveraineté nationale, il faudrait que des entreprises, des acteurs français puissent exploiter ce potentiel scientifique.
Nous sommes en train d'examiner un projet de loi de bioéthique. Les textes de bioéthique, par nature, reviennent tous les cinq ans devant le Parlement. Nous savons que c'est quand il y a autorisation avec encadrement que les principes bioéthiques sont les mieux respectés ; en cas d'interdiction totale, on constate de larges contournements – c'est d'ailleurs le cas avec ces tests.
Dernière chose : il est quelque peu cocasse d'entendre la gauche défendre le laissez-faire, la main invisible et le marché qui viendrait réguler les choses et sauvegarder notre souveraineté ! Il est au contraire urgentissime de légiférer sur ces questions.
Mme Natalia Pouzyreff et M. Nicolas Turquois applaudissent.
Il est vrai que nous sommes soumis à la mondialisation et à l'internationalisation des pratiques, mais ce n'est pas parce que quelque chose se fait ailleurs qu'on doit nécessairement le faire aussi !
Applaudissements sur certains bancs du groupe LaREM.
Ce qui fait la qualité de la législation bioéthique à la française, qui est considérée partout dans le monde, c'est sa pertinence et la finalité médicale qui la sous-tend. Pour ma part, je suis scandalisé par l'activité de ces entreprises étrangères, qui, soyons clairs, font du fric !
Approbation sur certains bancs des groupes LaREM et LR. – Mme Natalia Pouzyreff proteste.
Cela relève de l'abus de confiance : elles font ce qu'elles veulent des données que leur confient naïvement les gens. J'ai des amis qui l'ont fait, et c'est parfois loufoque ! Il faut que nos concitoyens aient une information claire sur ces pratiques pour qu'ils puissent donner leur consentement éclairé. Vous allez me répondre que notre ligne Maginot finira par céder face au big data, mais ce n'est pas une raison pour adopter ces pratiques. En ce qui me concerne, je ne souhaite nullement les encourager.
Applaudissements sur certains bancs du groupe LaREM.
Je voudrais faire trois remarques complémentaires.
Premièrement, Mme Pouzyreff a évoqué les enfants nés sous X. Or il ne faudrait pas que l'on remette en cause, par ces dispositions, l'accouchement sous X. C'est un droit des femmes, qu'il convient au contraire de garantir.
Deuxièmement, les auteurs des amendements ont dit : nous voulons avoir la possession de ces données. Mais qui est donc ce « nous » ? Des entreprises privées, dont on ne connaît pas nécessairement l'origine des capitaux. Pour ma part, je n'ai pas parlé de souveraineté, et je pense que ce n'est pas le sujet.
Un vaste marché est en train d'essayer de se développer, et je ne suis absolument pas certain qu'il faille l'y encourager. Je crois l'avoir dit assez clairement.
Troisièmement, à l'heure où nous mesurons l'enjeu que représente la bonne utilisation des moyens dont nous disposons, à l'heure du défi écologique, il est discutable d'employer à cette fin de l'argent et des moyens techniques. Cela n'obéit à aucun motif d'intérêt général. Mieux vaudrait réfléchir aux actions qui peuvent être entreprises à l'encontre des logiques publicitaires qui se sont fait jour malgré la législation actuelle.
Comme MM. Dharréville et Mélenchon, je rêve d'un monde idéal, où les choses seraient parfaites, …
… où l'on ne marchanderait pas des données liées au corps ou à des parties du corps. Le problème est que ces pratiques existent. Les multinationales que vous contestez existent tout autant. Le numéro trois de ce secteur est français, mais il ne peut collecter de données en France, ce qui le pénalise, tandis que les Français pratiquent ces tests à l'étranger.
Mais la question principale est la suivante : que faisons-nous de ces pratiques qui existent ? Je ne suis pas un fervent partisan de ces tests, dont j'ai découvert l'existence en travaillant sur ce projet de loi de bioéthique. Parlons clair, si nous interdisons ces pratiques, il faut les sanctionner : 3 750 euros d'amende lorsqu'un Français recourt à un test de cette nature pour lui-même ; 15 000 euros d'amende et un an de prison s'il le fait pour une autre personne, à l'insu de celle-ci. Faisons-le, je suis d'accord. Mais si nous n'en sommes pas capables, il faut encadrer et protéger. Mme la ministre l'a bien expliqué : nous ne protégeons pas les Français de ces pratiques auxquelles ils décident eux-mêmes de recourir.
Monsieur Dharréville, vous avez soulevé la question du régime de conservation de ces données. En France, en vertu du RGPD, vous avez le droit de faire supprimer vos données, et leur exploitation commerciale nécessite votre consentement. Les données des Français qui se livrent à ces pratiques seraient bien mieux protégées par ce régime – que nous pourrions renforcer si nécessaire – qu'elles ne le sont actuellement entre les mains d'Israéliens, d'Américains ou de Chinois.
Je le répète, ces pratiques existent, et nous ne faisons rien pour les combattre. Encadrons-les ; protégeons les Français, qui n'en perçoivent pas nécessairement les risques ; gardons en France les données qu'ils laissent actuellement à l'étranger et protégeons ainsi ces données ; développons cette activité économique en France et créons des milliers d'emplois.
MM. Brahim Hammouche et Nicolas Turquois applaudissent.
Mme la ministre a raison : le recours à ces tests doit être encadré pour éviter certains risques ou dérives. Or, pour encadrer, il faut autoriser. En toute logique, il est impossible d'encadrer une pratique qui est prohibée !
M. le rapporteur nous a signalé, à juste titre, que 100 000 Français par an fournissent des données génétiques, des données de santé précieuses, à des firmes étrangères. Il est temps de mettre fin à ce pillage, en faisant en sorte que ces tests soient réalisés en France, sous contrôle. Je suggère donc que nous les autorisions, avec un encadrement approprié.
Il s'agit précisément d'encadrer ces pratiques. Notre amendement ne mentionne nulle part l'intervention de sociétés étrangères ; il vise simplement à compléter la liste des tests génétiques autorisés, en prévoyant qu'ils peuvent être effectués non seulement à des fins médicales ou de recherche scientifique, comme c'est le cas aujourd'hui, mais aussi à des fins de recherche des origines personnelles. On peut tout à fait imaginer un dispositif encadré par un médecin, qui orienterait vers des laboratoires français. Néanmoins, il ne nous revient pas de fixer les modalités de manière détaillée. Il appartiendra au Gouvernement et à l'Agence de la biomédecine de définir notamment les garanties à apporter pour que ces données soient enfin conservées dans notre pays ou, le cas échéant, en Europe, afin d'assurer la souveraineté sur celles-ci.
En tout cas, nous ne devons pas laisser 100 000 Français par an contrevenir à la loi en pratiquant des tests dits récréatifs, mais qui, en réalité, répondent à des attentes bien plus profondes. Cessons de nier le principe de réalité auquel est confrontée notre législation ; mettons un terme à cette hypocrisie. Il s'agit de contrôler ces pratiques, de les affirmer sur le plan éthique.
M. Brahim Hammouche applaudit.
Sans revenir sur la notion de souveraineté, j'abonderai dans le sens de Natalia Pouzyreff.
Monsieur Dharréville, vous dites que la légalisation de ces tests risquerait de remettre en cause l'accouchement sous X. Néanmoins, les enfants nés sous X ou conçus par PMA ne sont pas les seuls concernés. La demande à connaître son patrimoine génétique s'inscrit dans une quête identitaire. On peut vouloir connaître l'histoire de sa naissance ou lever des tabous familiaux. En effet, certaines personnes grandissent dans l'ignorance de ce qu'elles sont. Elles désirent découvrir leur identité, leur histoire personnelle, afin de pouvoir se construire. Pour vivre, pour fonder sa propre famille, pour tracer son propre chemin, il est nécessaire, à certains moments, de renouer avec ses origines.
Il ne s'agit pas ici d'accéder au nom de ses parents ou à une personne physique, mais de savoir de quelle partie du monde on est issu, quel patrimoine génétique on pourra transmettre à ses enfants, sans tomber, comme l'évoquait Mme la ministre, dans des recherches folles concernant le risque de transmission de telle ou telle maladie. Il s'agit de se construire, de savoir qui l'on est pour pouvoir dire à ses enfants qui ils seront.
Mme Natalia Pouzyreff applaudit.
J'apprécie que l'on m'interpelle ; cela me stimule. Monsieur Fuchs, vous avez dit à juste titre que vous souhaitiez vous aussi un monde meilleur ; dont acte, je veux bien le croire. Mais, dans une telle perspective, on ne s'emploierait pas à autoriser ces pratiques. Vous plaidez que, puisque cela se fait, il faut accompagner le mouvement.
Oui, protéger, encadrer, nous connaissons ces arguments. Ce serait en quelque sorte un moindre mal. Moi, je suis du parti de la philosophe Hannah Arendt : le moindre mal, c'est toujours le mal. Donc, je m'y oppose.
D'autant plus – restons dans le domaine de la philosophie – que je ne crois pas un seul instant que nous ayons besoin de connaître nos origines pour nous construire. Je connais la cohérence de ce discours et je le respecte – étant donné les circonstances, nous ne pouvons d'ailleurs faire autrement que d'écouter et de respecter les arguments des uns et des autres. Je crois que nous avons plutôt besoin de comprendre vers quelle destination nous nous rendons, afin de nous construire en fonction de cette destination. Et celle-ci nous est donnée non pas comme une station ou une gare, mais par les principes que nous choisissons d'appliquer dans notre propre existence et qui nous constituent. Nous ne nous construirons jamais autrement qu'en nous projetant dans l'avenir.
Comme toujours, il y a deux écoles : ceux qui tiennent pour les racines, la tradition, les humus sombres qui sont en deçà du regard, et ceux qui vont du côté des feuillages, des lumières qui tirent la sève et poussent à la construction. C'est pour moi une raison supplémentaire de refuser cette conception que je connais, que je respecte, mais que je combats, car elle est exactement à l'opposé des vertus que prône l'humanisme.
Enfin, collègues, vous évoquez la souveraineté. Pardonnez-moi, mais vous voilà bien chatouilleux ! Vous l'avez été beaucoup moins précédemment, sur des questions autrement brûlantes. Au moment où l'on décidait de développer le chemin de fer, on a renoncé à la souveraineté française en matière de production de rails en cédant une société aux Anglais. Or cela ne vous a pas empêché de dormir.
M. Patrick Hetzel sourit.
Non plus lorsqu'il a été décidé de céder la société française qui assure une qualité d'observation nocturne dans les cockpits de bateau. Il faut aller le voir au salon du Bourget, c'est admirable : en pleine nuit, vous y voyez comme en plein jour et, en touchant le cockpit, vous pouvez déterminer ce que vous voyez.
Concernant les pertes de souveraineté, j'en passe et des meilleures, ne serait-ce que la vente de General Electric, …
… alors qu'elle produisait 25 % des pales utilisées dans les centrales hydroélectriques. Je cite ces exemples non pas pour vous provoquer, mais pour vous signifier qu'il faut veiller à la cohérence de son argumentation.
Vous dites ensuite que nous garantirons notre souveraineté en permettant que des Français développent cette activité, et vous déplorez que nos compatriotes aillent faire des tests ailleurs, ce qu'ils ne sont pas les seuls à faire. Toutefois, je doute que vous assortissiez votre aspiration à la souveraineté de conditions telles qu'une société française, dirigée par des Français, n'aurait pas le droit de vendre un jour ou l'autre ses actions à des étrangers, par exemple à des fonds de pension, comme cela se fait continuellement dans notre pays, si bien que nous sommes dépouillés de nos capacités de production.
L'argument que vous avez produit en dernier lieu n'est pas plus recevable. Cependant, je le retiens : j'en ferai mon miel le moment venu.
Donc, comme on n'arrive pas à punir ce que l'on prévoit de punir, il faut l'accompagner et l'encadrer. Je vous ferai observer que le pillage des banques est une activité dont nous ne sommes jamais venus à bout. Alors, à quoi bon l'interdire ? Mieux vaudrait l'encadrer !
Je pourrais vous fournir bien d'autres cas de figure dans lesquels il est impossible d'appliquer la loi comme nous le voudrions. Faut-il pour autant y renoncer ? Il ne resterait alors de loi que celle du plus fort, et ce serait un désastre.
Voilà pourquoi, lorsque nous discernons une frontière morale, lorsque nous jugeons qu'une chose, nonobstant qu'elle est possible, n'est pas souhaitable, nous l'interdisons. C'est ainsi que le code pénal interdit de trahir la patrie et ses intérêts économiques, culturels, scientifiques, etc. Néanmoins, cette disposition n'a jamais fait l'objet d'un décret d'application. Croyez-moi, un jour, cela viendra.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
C'est un droit. Chacun d'entre nous a le droit de connaître ses origines. Ceux qui les recherchent souffrent ; il y a là une réelle demande. Les tests récréatifs que l'on trouve en libre accès sur internet nous le prouvent.
Il faut donc pouvoir encadrer ces tests. Les données génétiques sont mises à disposition sur des serveurs, dans d'autres pays ; les chercheurs français qui ont besoin de données pour travailler sur l'ADN doivent se les procurer sur des sites étrangers, faute d'y avoir accès sur notre territoire.
Il est indispensable de créer un cadre protecteur pour les Français, qui souhaitent disposer de plus d'informations concernant leurs origines. La demande est particulièrement forte de la part des enfants issus d'un don, comme plusieurs d'entre nous l'ont dit depuis le début de l'examen de ce texte.
Le développement sur le territoire national de ces tests génétiques encadrés fera naître une industrie. Cela servira notre objectif de relocalisation des entreprises et des centres de données. Encadrons ces pratiques !
Mme Natalia Pouzyreff applaudit.
La question prend une résonance différente selon la façon dont on l'aborde. Il me semble que nos débats sont, là encore, très enrichissants.
Toutefois, ceux qui s'imaginent qu'en donnant quelques cellules à une société, par exemple en lui envoyant un coton-tige qu'on a mis dans sa bouche, on peut obtenir une information génétique fiable font une lourde erreur. Pourquoi ? Parce qu'une telle information ne peut être obtenue que dans un laboratoire de recherche, en suivant une méthodologie scientifique, avec une analyse faite par des généticiens.
Il ne suffit pas de rendre une séquence de bases A, T, G, C, en disant : « L'organisation de vos gènes évoque des origines italiennes. » Or c'est précisément ce que font les sociétés privées qui réalisent ces tests. Et, s'ils étaient faits par des sociétés privées françaises, les résultats seraient tout aussi peu informatifs. Faisons attention, ne disons pas que ces tests permettent d'obtenir des informations fiables ; celles-ci ne peuvent être obtenues que dans un contexte très particulier, scientifique ou médical.
Vous me répondrez peut-être : d'accord, réalisons les tests génétiques dans un contexte médical. Cela m'amène à un deuxième sujet : nous avons devant nous des abîmes d'incompréhension de la génétique ; nous avons besoin de poursuivre la recherche pour mieux la comprendre. Parce que j'ai moi-même pratiqué la génétique, je sais que, fort heureusement, aucun individu ne se résume à ses gènes.
Mme Blandine Brocard applaudit.
Les moyens des laboratoires de recherche, le temps et l'intelligence des chercheurs doivent être consacrés à comprendre les phénomènes génétiques, afin de lutter contre certaines pathologies.
Si des personnes souffrent parce qu'elles ne connaissent pas leur identité biologique, cela entre tout à fait dans le cadre de la pratique médicale, et il faut que les tests génétiques soient très encadrés. Il n'est pas besoin, pour cela, d'autoriser des sociétés à faire du séquençage haut débit, d'autant que le nombre d'erreurs par séquence reste très élevé.
Enfin, puisque nous parlons d'une loi de bioéthique, les arguments économiques ne me paraissent pas tout à fait pertinents. Ce qui importe, c'est que nous progressions dans notre compréhension du génome – nous sommes encore très loin du but – et que nous continuions d'accompagner de manière médicale et très encadrée toute personne qui en aurait besoin pour des raisons médicales, physiologiques ou psychologiques. Ne donnons pas de faux espoirs en laissant entendre que, parce que l'on autorise une pratique, on pourra mieux l'encadrer. Ce n'est pas le cas, car nous serons alors incapables de vérifier la pertinence des données restituées.
Pour conclure avec une pointe d'humour, je ferai remarquer que, si tout ce qui était fait par plus de 100 000 personnes devenait légal, nous aurions quelques problèmes de société.
Applaudissements sur certains bancs des groupes LaREM et MODEM.
Je souhaite revenir sur quelques points techniques. Je ne doute pas que nous progresserons très vite en matière de séquençage et d'analyse, je fais confiance à mes collègues généticiens, mais, pour l'instant, nous n'y sommes pas encore. Les banques de données créées par les entreprises posent problème, y compris du point de vue de la généalogie : l'ADN recensé est, bien évidemment, celui de notre génération ; il manque, pour reconstruire une histoire, les référents des générations précédentes.
Cette limite a été très bien montrée l'année dernière par la revue généraliste Pour la science, dont je vous conseille la lecture. Elle a testé ces entreprises et obtenu des résultats assez cocasses : les origines affichées en réponse à l'envoi de l'ADN de deux vraies jumelles, au patrimoine génétique identique, étaient très différentes. Par conséquent, il faut surtout mener un travail d'information auprès de la population et faire valoir l'inintérêt de pratiquer ce genre de tests.
Enfin, sans reprendre ici les propos de Pierre Dharréville, dont je partage la position, je rappellerai que certains d'entre nous n'ont pas le père biologique qu'ils pensent avoir ; tout généticien qui réalise des pedigrees dans son service clinique le sait bien. Il n'est peut-être pas utile qu'au gré de tests que vous qualifiez de « récréatifs », on arrive à de telles révélations, qui ont pour seul résultat de mettre le feu dans les familles.
Applaudissements sur certains bancs du groupe MODEM. – M. Gilles Le Gendre applaudit également.
Il s'agit d'un débat de fond, et je ne vous cache pas que je suis très partagé, comme, d'ailleurs, chacun de nos groupes politiques. Pourquoi ? Parce que je suis très attaché à la possibilité d'accoucher sous X. C'est une liberté donnée aux femmes ; c'est la garantie de la vie pour un certain nombre d'enfants ; c'est aussi, pour ces enfants, la possibilité d'embellir la vie du couple qui les accueillera en les adoptant.
Il n'empêche que la quête des origines est on ne peut plus légitime, et qu'elle intéresse nombre de nos compatriotes. Pour le constater, il suffit de voir tous ceux qui fréquentent les services d'archives de nos départements pour connaître, qui la généalogie des paysans bas-bretons qui l'ont précédé, qui ses origines antillaises ou africaines ; c'est passionnant. Il suffit, aussi, de voir les demandes exprimées par les uns et les autres, qui ne sont pas nécessairement des trahisons : l'enfant adopté venu des trottoirs de Manille ou de l'entrée d'une église de Montréal recherche lui aussi très légitimement ses origines, mais il ne trahit pas pour autant le couple qui l'a accueilli et qui lui a donné de l'amour. Ces personnes veulent légitimement savoir des choses sur elles-mêmes.
Pardonnez-moi de le dire, monsieur le président Mélenchon, mais je suis à votre opposé. Dans votre logique, ce qui compte, c'est la perspective ; dans ma logique philosophique et politique, ce qui compte, c'est la transmission, notamment de valeurs, mais aussi d'origines. Un jeune peut vouloir savoir qui était son père, même si ce père a rencontré sa mère de manière fugace et a disparu ensuite ; cette quête est légitime.
Or, celui qui cherche ses origines, on ne l'arrêtera pas. Il a aujourd'hui la possibilité d'aller chez des margoulins – Mme la ministre et M. le rapporteur l'ont parfaitement dit – , mais il pourra peut-être demain se tourner vers des structures scientifiques solides, si ce n'est déjà le cas. On ne le sanctionnera pas, puisqu'on appliquera de fait la règle que vous appliquez pour la GPA : ce qui est légal à l'étranger devient légal pour le Français qui le pratique à l'étranger.
Pour toutes ces raisons, je considère qu'il vaut mieux que les choses se fassent chez nous, avec des règles élaborées chez nous, qui nous permettent d'éviter une dérive vers la médecine prédictive. Celle-ci serait dramatique, notamment parce qu'elle irait à l'encontre du libre arbitre, à plus forte raison si l'on en venait à connaître le terme de sa vie. La recherche des origines me semble légitime, et je préfère qu'elle soit encadrée et organisée chez nous que soumise aux forces du marché à l'extérieur. Je suis donc assez sensible aux amendements présentés.
Mme Natalia Pouzyreff applaudit.
Mes chers collègues, nous sommes en temps législatif programmé. Je ne suis donc qu'un comptable. Mais je vous invite à considérer qu'aucun vice-président ne sera disponible à partir de ce soir.
En tout cas, ce n'est pas celui qui habite le plus loin qui assurera la présidence pour ceux qui habitent le plus près !
Sourires.
Considérez aussi que nous devons achever l'examen du texte. Je donnerai droit à toutes les demandes de parole, mais je souhaiterais pouvoir clore la discussion de l'article 10 avant de lever la séance à treize heures.
La parole est à M. Brahim Hammouche.
Jean-Luc Mélenchon a évoqué les perspectives, les fins et – s'il ne l'a pas dit, sans doute le pensait-il fortement – les grands soirs, qui souvent se terminent au matin par une gueule de bois, comme l'histoire nous l'a régulièrement appris.
Il ne faut pas oublier la dimension anamnestique et historique des origines. Vous avez parlé d'« humus », monsieur Mélenchon. Le terme me gêne d'autant moins qu'il fait penser à un mot de la même famille, « humilité », qui me convient parfaitement.
Je ne reviendrai pas sur vos erreurs d'appréciation ou, du moins, vos raccourcis très rapides concernant certains dossiers stratégiques et économiques, en tout cas celui du rail, que je connais de près.
Puisque nous parlons de l'origine des mots – et non des maux – , je parlerai, moi, d'« origo », qui a donné « origine », et qui signifie « source » en latin. Vous le savez comme moi : c'est quand les rivières se jettent dans la mer qu'elles sont fidèles à leur source. Vous en conviendrez d'ailleurs peut-être.
Je souhaitais réagir à la boutade de M. le rapporteur : effectivement, tous les enfants n'ont pas pour géniteur biologique le père qui les a élevés. Or, quand vous avez un enfant, la première chose que l'on demande dans le carnet de santé, ce sont les antécédents familiaux. Dans le cas d'un enfant adopté après un accouchement sous X, les parents ne peuvent pas renseigner cette partie. Dans d'autres cas, il manque une partie de l'histoire.
Par ailleurs, comme l'a dit M. Le Fur, la quête par l'enfant de ses origines biologiques est tout à fait légitime – je le pense d'autant plus que j'ai adopté des enfants. Elle est d'ailleurs consacrée par le droit international.
Mme la ministre s'est dite d'accord pour accompagner la recherche des origines personnelles pour des raisons médicales ou psychologiques. C'est exactement la visée de l'amendement que j'ai présenté. Dans les finalités justifiant le recours à un test génétique, il vise à ajouter aux indications médicales la recherche des origines personnelles, sans légiférer sur l'accès à tel ou tel laboratoire ou société étrangère. Il reviendra aux autorités compétentes de prévoir les dispositions encadrant de façon sûre et éthique l'accès aux origines personnelles, qui est mentionné, je le répète, dans le droit international.
Je vous promets, président, de ne pas abuser de mon statut de président de groupe dans cette discussion en temps législatif programmé. Mais, puisque l'occasion se présente, poursuivons ce débat à plusieurs niveaux, qui honore notre assemblée.
Marc Le Fur a eu raison de rappeler que les racines de nos engagements respectifs et opposés sont idéologiques et profondes. C'est vrai, s'il fallait lui attribuer un mot, celui de transmission conviendrait parfaitement alors qu'il ne me correspondrait pas du tout. Si nous poursuivons dans ce registre, je dirais que vous vous croyez héritier du passé, alors que je me pense héritier du futur. C'est pourquoi, Bruno Fuchs l'a dit, notre école de pensée est d'abord tournée vers la formation d'un monde meilleur, au prix d'erreurs auxquelles n'ont pas échappé ceux qui se réclament de la transmission du passé. Nous avons connu dans l'histoire, les uns et les autres, quelques pages sombres liées à ces idées.
J'en viens à la conception selon laquelle la connaissance de ses origines serait un droit. Vous en trouverez des traces, c'est incontestable, dans le droit international. Mais la reconnaissance de ce droit dans certains pays est-elle une raison pour que nous y souscrivions nous-mêmes ? Vous dites, cher Marc Le Fur, qu'il s'agirait d'un besoin.
Pour quoi faire ? À quoi bon ? Je vous mets en garde contre l'idée selon laquelle le passé aurait des droits sur le présent pour ce qui est de la construction individuelle. À mon sens, cette conviction va à l'encontre d'une certaine vision de l'humanisme, que nous partageons, me semble-t-il, et qui veut que la personne se construise hors des dominations et des déterminismes. Que vous soyez de droite alors que je ne le suis pas ne nous empêche peut-être pas de penser de même à ce sujet. C'est l'idée d'émancipation, qui est aux racines de l'humanisme.
Poursuivons la querelle philologique, puisque nous l'avons commencée. Le terme « émancipation » vient du latin « ex mancipium » et signifie sortir du mancipium, de l'autorité du père – je mets en avant, en l'espèce, non pas sa fonction familiale, mais le poids de la tradition, le passé qui nous surplombe et nous commande. C'est cela, la tradition humaniste. C'est pour cette raison que vous nous verrez toujours très pointilleux dès qu'il sera question du droit aux origines.
J'ai plaidé en son temps contre la levée de l'anonymat des femmes accouchant sous X, parce que je pensais déjà qu'il était erroné de croire que l'enfant pourrait trouver dans son passé autre chose qu'une persécution contre la femme qui eut le courage de le mettre au monde, fût-ce sous X.
Permettez-moi de vous donner un exemple qui me cuit. Le jour où j'ai appris que j'étais grand-père, j'ai mis en doute mes certitudes car je sentais mienne, au-delà de tout ce que j'avais pu penser jusqu'alors – si ce n'est, peut-être, le jour où j'ai fait la connaissance de ma fille – , cette petite que je n'avais pas encore rencontrée.
Le hasard bienveillant de l'existence a fait que je me trouvais en Argentine à ce moment-là et que j'avais rendez-vous avec les grands-mères de la place de Mai, ces femmes à qui on avait enlevé leurs enfants, lesquels avaient pu avoir eux-mêmes des enfants avant de mourir sous les coups.
Ces femmes, qui demandaient à ce que leurs petits-enfants leur soient rendus, nous bouleversaient. Je me suis décidé à discuter de manière plus approfondie avec elles et il est ressorti que ces femmes qui pensaient, comme une évidence, avoir un droit sur leurs petits-enfants comme je l'avais moi-même ressenti une heure avant, étaient parfois confrontées à un dilemme terrible : certains de ces enfants ne voulaient pas les connaître, considérant que leurs parents, quoi qu'ils aient fait, étaient ceux qui les avaient élevés, alors même qu'ils avaient été les bourreaux de leurs propres parents. La raison ne peut pas venir à bout d'un tel paradoxe.
Il ne sera pas dépassé par mon discours, ni par aucun autre, mais il soulève une interrogation qui mérite que l'on y réfléchisse et que l'on fasse un choix. Je reconnais que mon choix n'aura pas de fondement objectif. Après tout, effectivement, chacun d'entre nous est le fruit de la rencontre des éléments qui permettent la vie. Cependant, cette rencontre ne nous fonde pas, contrairement aux liens sociaux et aux liens d'amour qui nous unissent aux personnes, quelles qu'elles soient.
Puisque Marc Le Fur est gaulliste, je le renvoie à Malraux qui considère, dans La Condition humaine, que ses semblables ne sont pas ceux qui le jugent, au sens où ils déterminent si ce qu'il a fait est bien ou mal, d'où il vient et pourquoi, mais ceux qui l'aiment, parfois malgré lui.
C'est cette leçon que je veux faire valoir dans nos débats. Je n'ai pas d'autre prétention que d'appeler votre attention sur la réalité et la force objective des liens qui unissent les personnes. La vie tout entière ne se résume pas aux possibles, aux marchandages. Elle doit intégrer pleinement cette dimension humaine, qui nous fait dire que nous sommes les êtres que nous voulons choisir d'être, malgré tous les passés, parfois même en nous protégeant de leur existence et de leur connaissance.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM. – M. Jean-François Eliaou applaudit également.
Il est très difficile de prendre la parole après le plaidoyer du président Jean-Luc Mélenchon.
Ne vous inquiétez pas, nous allons passer au vote, mais je tiens, en quelques mots, à apporter mon soutien à M. Le Fur. Il a estimé, avec raison, que la quête des origines ne saurait interrompre le lien d'amour noué entre l'enfant adopté et ceux qui l'ont chéri.
Permettez-moi de vous rapporter l'exemple de mon propre cas. Ma famille descend d'esclaves d'origine martiniquaise qui ont séjourné sur l'île sénégalaise de Gorée. Mes parents sont nés et se sont rencontrés au Sénégal.
Aujourd'hui, je serais très heureux que mon pays encadre les recherches que je pourrais souhaiter faire pour retrouver mes racines martiniquaises, dont on trouve trace dans l'un de mes prénoms, Lothaire.
Monsieur Mélenchon, cette quête n'affectera sans doute pas la relation que j'entretiens avec l'autre partie de mes origines, qui se trouve au Sénégal, mais elle enrichira ma connaissance et contribuera à mon développement aussi bien psychologique qu'individuel.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM – M. Le Fur applaudit également.
N'étant pas président de mon groupe, je vais tâcher de ne pas trop utiliser le temps de parole qui lui est attribué. Je ne prolongerai donc pas le débat même si beaucoup resterait à dire.
Je pense que nous partageons la même utopie d'un monde meilleur mais que nous n'avons pas choisi d'emprunter le même chemin pour y parvenir.
Même si la discussion est intéressante, nous ne sommes pas là pour faire de la philosophie, de l'histoire ou chercher la vérité ; nous sommes là pour écrire un texte de loi. Or ce ne sont pas 100 000 personnes en tout et pour tout qui sont concernées, mais bien 100 000 personnes par an. Nous sommes à l'aube d'un mouvement de société majeur que nous ne pouvons ignorer, car plus d'un million de Français ont participé à ces tests généalogiques et détiennent aujourd'hui des éléments de leur vérité historique.
Peut-être les résultats sont-ils faux mais il demeure que la personne qui reçoit le bilan d'un test croit découvrir la vérité et ne remet pas en cause le fait qu'il soit, par exemple, à 15 % d'origine africaine et à 25 % d'origine européenne ; il en est convaincu. Aujourd'hui, on laisse nos concitoyens face à une vérité approximative, quand ce ne sont pas des mensonges ou des semblants. Voilà ce qui nous anime et ce sur quoi nous devons nous concentrer, même si le reste du débat est passionnant.
Remarquons enfin que le Conseil d'État a suggéré, en juin 2018, de lever l'interdiction des tests généalogiques. C'est pourquoi nous avons déposé ces amendements.
L'amendement no 1171 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Ardouin, pour soutenir l'amendement no 2205 .
Il vise à préciser que le refus du patient de communiquer à des tiers des informations révélées incidemment par un examen des caractéristiques génétiques doit être exprimé par écrit et à son initiative.
Ainsi, la preuve formelle de ce refus serait apportée, ce qui protégerait le patient, dont la volonté serait respectée, et le personnel médical. L'obligation d'un écrit permettrait d'exiger une décision réfléchie de la part de son auteur. Qui plus est, laisser l'initiative de ce refus au patient préserverait les soignants, qui ne se verraient pas reprocher une inaction dans le recueil de la volonté du patient.
Il n'est pas utile de préciser que le refus est à l'initiative du patient, car l'article 10, tel qu'il est rédigé, est suffisamment clair à ce sujet. J'émets donc un avis défavorable.
L'amendement no 2205 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Ardouin, pour soutenir l'amendement no 2207 .
Il vise à faire mentionner dans son consentement écrit, par la personne consentant à l'examen de ses caractéristiques génétiques, toutes les informations qui doivent lui être communiquées, en particulier la nature de l'examen, l'indication ou l'objectif de celui-ci, la possibilité qu'il révèle des informations incidentes et la faculté, pour le patient, de refuser de révéler ces informations aux membres de sa famille éventuellement concernés.
L'amendement no 2207 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il s'agit d'un amendement de notre collègue Annie Genevard.
Faut-il imposer à un patient de connaître son destin génétique ? C'est la question que les modifications de l'article 16-10 du code civil contenues dans l'article 10 du projet de loi nous invitent à nous poser.
En effet, ces dispositions tendent à permettre le séquençage complet du génome de toute personne pour laquelle un examen des caractéristiques génétiques est prescrit. Elles conduisent à ce que des informations puissent être recherchées et révélées au patient, alors qu'elles n'ont aucun rapport avec l'affection dont il souffre ou dont il est suspecté qu'il souffre.
La révélation de telles informations risque de peser sur la liberté de la personne, notamment en créant une forme de déterminisme génétique. Pour préserver son autonomie véritable et sa liberté, il convient donc d'éviter ce type de pratiques, qui peuvent être dangereuses.
C'est pourquoi le présent amendement limite, comme c'est le cas aujourd'hui dans la loi, la réalisation des examens génétiques à l'indication, à l'objectif et à la finalité au regard desquels le patient a préalablement donné son consentement. Sinon, on court le risque de promouvoir une vision très dangereuse ; nous ne pouvons pas aller dans cette voix.
Je prendrai un cas concret : il est possible d'imaginer qu'on procède à un séquençage, en tout cas à un test génétique, en vue de déceler un éventuel retard mental et qu'on tombe sur un gène impliqué dans le développement d'une tumeur cancéreuse, qui soit en plus actionnable, ce qui signifie qu'il peut être traité à temps pour empêcher le développement de cette prédisposition. Il serait dommage de passer sous silence une telle information.
En revanche, la transmission de celle-ci doit être conditionnée au fait de recevoir préalablement le consentement éclairé du patient à être informé de la découverte éventuelle de données incidentes qui n'étaient pas recherchées – je suis d'accord avec vous sur ce point.
J'émets un avis défavorable.
L'amendement no 535 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 10 est adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra