Oui, protéger, encadrer, nous connaissons ces arguments. Ce serait en quelque sorte un moindre mal. Moi, je suis du parti de la philosophe Hannah Arendt : le moindre mal, c'est toujours le mal. Donc, je m'y oppose.
D'autant plus – restons dans le domaine de la philosophie – que je ne crois pas un seul instant que nous ayons besoin de connaître nos origines pour nous construire. Je connais la cohérence de ce discours et je le respecte – étant donné les circonstances, nous ne pouvons d'ailleurs faire autrement que d'écouter et de respecter les arguments des uns et des autres. Je crois que nous avons plutôt besoin de comprendre vers quelle destination nous nous rendons, afin de nous construire en fonction de cette destination. Et celle-ci nous est donnée non pas comme une station ou une gare, mais par les principes que nous choisissons d'appliquer dans notre propre existence et qui nous constituent. Nous ne nous construirons jamais autrement qu'en nous projetant dans l'avenir.
Comme toujours, il y a deux écoles : ceux qui tiennent pour les racines, la tradition, les humus sombres qui sont en deçà du regard, et ceux qui vont du côté des feuillages, des lumières qui tirent la sève et poussent à la construction. C'est pour moi une raison supplémentaire de refuser cette conception que je connais, que je respecte, mais que je combats, car elle est exactement à l'opposé des vertus que prône l'humanisme.
Enfin, collègues, vous évoquez la souveraineté. Pardonnez-moi, mais vous voilà bien chatouilleux ! Vous l'avez été beaucoup moins précédemment, sur des questions autrement brûlantes. Au moment où l'on décidait de développer le chemin de fer, on a renoncé à la souveraineté française en matière de production de rails en cédant une société aux Anglais. Or cela ne vous a pas empêché de dormir.