Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du jeudi 1er octobre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

La sortie de l'état d'urgence est un horizon qui s'éloigne à mesure que l'on croit s'en approcher. Conçu pour répondre à un péril imminent, l'état d'urgence est censé être strictement limité dans le temps et sous le contrôle du Parlement. C'est la raison pour laquelle sa levée ne s'aménage pas de façon progressive. L'état d'urgence se lève dans sa totalité, pour mettre fin à un régime d'exception qui, par essence, porte gravement atteinte aux libertés fondamentales.

C'est ce que nous avions souligné lorsque le Gouvernement a mis en oeuvre, par la loi du 9 juillet dernier, un régime juridique hybride. Réduisant la portée de l'état d'urgence sanitaire tel que défini par la loi du 23 mars 2020, mais maintenant des pouvoirs exceptionnels de restriction des libertés fondamentales aux mains du Gouvernement, le régime transitoire actuel brouille les frontières entre droit commun et régime dérogatoire. Or c'est précisément cet « état d'urgence innommé », pour reprendre l'expression du professeur Hennette-Vauchez, que ce projet de loi entend proroger jusqu'au 1er avril 2021.

Le risque est l'accoutumance à un régime dérogatoire du droit commun qui maintient l'exécutif dans une zone de confort, puis la banalisation de ce régime par l'intégration dans le droit commun de dispositifs exceptionnels. Cette évolution est bien réelle, et la prorogation d'un régime juridique dit « transitoire » ravive légitimement les craintes d'une normalisation des mesures de l'état d'urgence sanitaire, comme ce fut le cas avec la loi SILT pour des mesures de sécurité intérieure. D'ailleurs, le Gouvernement nous annonce aujourd'hui un projet de loi qu'il déposera d'ici janvier 2021 et qui vise précisément à instituer un dispositif pérenne de gestion de l'urgence sanitaire.

Certes, nous devons pour le moment nous habituer à vivre avec le virus et adopter toutes les mesures sanitaires pour nous en prémunir, mais nous ne devons surtout pas nous habituer à vivre dans un État où l'exception devient la règle, au mépris des libertés. La sortie de l'état d'urgence sanitaire doit signifier que la liberté redevient la règle : le droit d'aller et venir, le droit de se rassembler, le droit de manifester.

Rappelons que le 13 juin dernier, le Gouvernement a été sévèrement rappelé à l'ordre par le Conseil d'État, qui a considéré que ses décrets portaient une atteinte « grave et manifestement illégale » à la liberté fondamentale de manifester. Le Gouvernement a donc adapté le régime de la liberté de manifestation en période d'état d'urgence sanitaire en décrétant une interdiction de principe, assortie de la possibilité pour le préfet d'autoriser telle ou telle manifestation, sans toutefois que les critères à prendre en compte soient clairement définis. À l'heure où les plans sociaux se multiplient, cette entorse au droit de manifester est très inquiétante. Faudra-t-il que tous les licenciés de France et de Navarre aillent en Vendée, où le préfet est, paraît-il, le seul de France à autoriser des manifestations de 10 000 personnes ?

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