La semaine dernière, la commission des affaires culturelles et de l'éducation adoptait, en deuxième lecture, une proposition de loi importante qui questionne les conséquences de la révolution du numérique, dont nous n'avons pas fini de mesurer les effets. La vague inédite des réseaux sociaux, où chacun dévoile une part de son intimité et se met en scène, dit en ce sens quelque chose de notre époque. C'est un formidable espace de liberté, qui entre en résonance avec les aspirations de nos sociétés à davantage d'horizontalité. Il s'agit d'un réservoir de talents, d'un vecteur d'innovation et d'opportunités. Mais c'est également un univers ambivalent et porteur de risques nouveaux. Nos débats récurrents sur les manipulations de l'information et les dangers qu'elles font peser sur nos vieilles démocraties l'illustrent bien.
Cette proposition de loi s'attache en particulier à l'enjeu de la protection des enfants mineurs mis en scène dans des vidéos en ligne. Elle vient combler un vide juridique : celui de l'exposition des mineurs de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.
Le problème se pose chaque jour avec plus d'acuité. Depuis quelques années, les vidéos mettant en scène des mineurs se multiplient sur internet. On peut distinguer les vidéos réalisées par ces mineurs eux-mêmes et celles réalisées par leurs parents, mettant en scène leur vie de famille. Bien que de qualité parfois discutable sur le plan créatif, elles peuvent comptabiliser des millions de vues, engendrant des recettes publicitaires très significatives liées à la monétisation de ces vidéos comme au placement de produits.
Parmi les chaînes les plus populaires, certaines publient des contenus quotidiennement. Si ces vidéos ont souvent un caractère ludique et en apparence « bon enfant », on peut légitimement se demander si elles sont naturelles, vu la cadence à laquelle elles sont publiées et les revenus qu'elles engendrent. Certaines peuvent cacher des pratiques de travail illicites, voire une forme d'exploitation moderne.
Par ailleurs, nous mesurons encore mal l'impact psychologique que peut avoir, pour des mineurs, une exposition aussi précoce et massive de leur vie privée.
Le travail des enfants est interdit depuis 1867, hormis quelques rares exceptions strictement encadrées. L'activité des enfants dits du spectacle, ou encore des enfants mannequins, est ainsi régie par un cadre et des règles protecteurs. Face à des abus manifestes, et afin d'éviter les dérives, il est de notre responsabilité de créer un cadre analogue pour les mineurs exposés sur les plateformes en ligne.
Tel est l'objet de ce texte novateur, dans lequel le groupe Agir ensemble retient trois avancées majeures.
Tout d'abord, il protège les enfants en faisant entrer dans le droit commun cette nouvelle forme de travail, salariée ou non, et en l'alignant sur le droit des mineurs exerçant dans le cinéma. Leur temps de travail sera désormais encadré, et les revenus afférents leur seront affectés.
Ensuite, il garantit un droit à l'oubli, que les mineurs pourront exercer sans l'autorisation de leurs parents. C'est une avancée fondamentale pour la réussite du texte.
Enfin, il responsabilise les plateformes et les associe à ce combat, puisqu'elles devront édicter des chartes et contribuer à la lutte contre les abus.
La France est le premier pays au monde à s'emparer de ce sujet – il faut s'en féliciter. Cette démarche doit s'accompagner d'une prise de conscience de la nécessité d'éduquer au numérique et à ses zones d'ombre. Comme pour l'ensemble des défis liés à la régulation du numérique, des solutions doivent par ailleurs être trouvées au niveau européen. Dans cette attente, ce texte constitue le premier jalon d'une meilleure protection des enfants sur internet.