Le jeune Américain Ryan Guan a gagné près de 26 millions de dollars en 2019, ce qui fait de lui le youtubeur le mieux payé au monde cette année. Lancée en 2015 par ses parents alors qu'il n'avait que trois ans, sa chaîne compte aujourd'hui près de 22 millions d'abonnés avec, à l'origine de ce succès, des vidéos de Ryan ouvrant des paquets-cadeaux et jouant avec ses nouveaux jouets. Vous le savez, l'histoire de Ryan Guan n'a rien d'exceptionnel : les enfants youtubeurs ont six, huit ou dix ans, ils sont vus par des millions de fans sur les réseaux sociaux et leur activité engendre des revenus atteignant des dizaines de milliers d'euros par mois. Bien souvent, les parents montent des sociétés pour gérer ces revenus, et filmer leurs enfants devient un métier à plein temps.
Vouloir immortaliser des moments de vie et les montrer à ses proches n'a rien de neuf ni de condamnable. En revanche, partager de manière intensive des images de ses enfants les réseaux sociaux pose problème car ces contenus, aussi anodins soient-ils, relèvent de la réalité quotidienne des familles, ce qui les fait ressembler à la téléréalité. Le respect de l'intimité des enfants est essentiel, car une exposition à outrance peut avoir des conséquences psychologiques néfastes à long terme, notamment la perte de l'estime de soi.
À qui revient la faute d'une telle situation ? Aux parents qui, sans doute malgré eux, finissent par exploiter leurs enfants, ou bien aux plateformes numériques, qui permettent le développement de ce phénomène ? La proposition de loi que nous sommes amenés à voter aujourd'hui entend répondre à deux problématiques. Elle vise d'abord à lutter contre l'exploitation commerciale des enfants, quand leur activité est telle qu'elle ne peut plus être assimilée à un loisir, mais s'apparente à une activité à plein temps. Et comme rien ne garantit aujourd'hui qu'ils puissent bénéficier à leur majorité des revenus engendrés par leur activité, elle prévoit de nouvelles dispositions inspirées du régime en vigueur pour les enfants du spectacle ou de la mode.
Une autre disposition essentielle est la garantie du droit à l'oubli pour les mineurs figurant sur des vidéos mises en ligne sur des plateformes numériques – ceci, bien sûr, sans le consentement de leurs représentants légaux, bien souvent leurs parents, dont j'ai précédemment rappelé le rôle. Il est tout aussi important, et c'est le deuxième objectif de la proposition de loi, de responsabiliser les plateformes numériques qui tirent des revenus directs de la monétisation de ces vidéos. Pour lutter contre toutes les formes de dérives, la mobilisation des réseaux sociaux est une priorité. Afin que les plateformes deviennent un véritable espace de liberté pour toutes et tous, celles-ci doivent s'engager à renforcer leurs procédures de détection de cas problématiques, en lien avec les associations de protection de l'enfance ; elles doivent également s'engager à effectuer un travail de pédagogie, aussi bien auprès des parents que des internautes.
En effet, s'exposer au monde entier peut comporter des dangers, notamment quand le buzz se trouve à l'origine d'une déferlante de faits de cyberharcèlement. La période de confinement a constitué un véritable révélateur des dangers de ce type : je pense notamment à la multiplication des comptes dits « ficha », qui diffusent des photos de femmes dénudées, souvent mineures.
Dans ce cadre, la protection des enfants en tant que spectateurs, mais également en tant qu'acteurs, doit être notre priorité. Cette proposition de loi est la première pierre apportée à l'édifice législatif qui a vocation à être érigé en la matière, et elle a le mérite de poser clairement le débat. J'espère qu'elle permettra d'engager une réflexion plus large sur la protection des mineurs en matière de numérique, dans un contexte d'évolution rapide des usages – outre le cyberharcèlement, je pense à l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques. Le groupe Écologie démocratie solidarité salue et votera donc cette proposition de loi attendue.